Appel à communications
Colloque international, Université de La Réunion, 28-29 novembre 2023
Colorisation, colonisation dans l’Océan Indien du 17e siècle à nos jours
Organisation
Guilhem Armand (Université de La Réunion, EA DIRE),
Aurélia Gaillard (Université Bordeaux Montaigne, IUF, EA SPH)
Carpanin Marimoutou (Université de La Réunion, EA LCF).
Après la Journée d’étude préparatoire qui a eu lieu à l’Université de La Réunion le 17 novembre 2022, le colloque de 2023 se propose de questionner la place et l’enjeu de la couleur en situation coloniale et décoloniale, au sein de l’aire indianocéanique (Mascareignes, Comores, Madagascar, Afrique du Sud, Inde).
Le point de départ est celui du basculement dans une culture visuelle et une représentation occidentale colorée du monde au 18e siècle. De fait, à partir de la fin du 17e siècle, en France et en Europe, se met en place une culture de la couleur, initiée par un renouvellement des savoirs et des pratiques : analyse purement physique de la couleur par Newton en 1672 (la couleur comme vibration de lumière) et les controverses qui s’ensuivent tout au long du 18e siècle jusqu’à Goethe (Traité des couleurs, 1808) ; Querelle du coloris en peinture (1670-1700) ; invention de la gravure trichromique par Jacob Christoph Le Blon (Coloritto, 1722) ; intérêt de la médecine pour les défauts de la perception visuelle et chromatique (opérations de la cataracte, daltonisme découvert en 1794) ; approche anatomique et débats sur la thèse ictérique de la couleur de peau (Pierre Barrère, 1741, Le Cat, Traité de la couleur de la peau, 1765) ; perfectionnements techniques de la teinturerie, commercialisation de nouveaux pigments et découverte d’un premier pigment artificiel (le bleu de Prusse, 1708) ; expansion de la Compagnie française des Indes orientales et son commerce d’indiennes de coton colorées – la liste est longue de tous les domaines concernés. Cette concomitance fait du 18e siècle à la fois l’âge de la conceptualisation de la couleur, de sa mathématisation, d’un début de sexualisation, de la multiplication matérielle des couleurs avec un élargissement de la palette et du lexique pour les nommer mais aussi de sa racialisation. Ainsi, s’opère une véritable rupture épistémologique où la couleur devient un marqueur visuel et un outil à la fois de connaissance et de discrimination.
Dans ce contexte, les mondes coloniaux sont les territoires (réels ou imaginaires) privilégiés où se croisent discours et pratiques de la couleur : la fabrique d’un regard colorisateur va de pair avec celle d’un imaginaire colonial et d’un point de vue colonisateur. Poétique et esthétique des couleurs sont inséparables d’une politique des couleurs. La couleur, en situation esclavagiste, intimement liée à la fabrique de la notion de race, procède en effet par intégration de tous les éléments d’une colorisation du monde : Bernardin de Saint-Pierre, écrivain-philosophe (des couleurs), voyageur dans les Mascareignes, observateur du fait colonial et élaborateur d’une colonie idéale, formule de la façon la plus saisissante le continuum esthétique et idéologique entre les différents supports colorés : « Ces belles couleurs de rose et de feu dont s’habillent nos dames, le coton dont elles ouatent leurs jupes, le sucre, le café, le chocolat de leurs déjeuners, le rouge dont elles relèvent leur blancheur, la main des malheureux Noirs a préparé tout cela pour elles. Femmes sensibles, vous pleurez aux tragédies -, et ce qui sert à vos plaisirs est mouillé des pleurs, et teint du sang des hommes ! » (Voyage à l’Île de France, 1773).
Le présent colloque souhaite alors interroger cette intersection entre couleurs de la nature et couleurs humaines (peaux et textiles) dans l’aire indianocéanique, en particulier en raison de ses paysages et histoire uniques (peuplements, administration de la Compagnie des Indes) qui rendent le questionnement d’autant plus intense et complexe. La couleur est-elle un marqueur d’une esthétique et d’une écriture coloniale et l’absence de couleur de la décolonialité ? Par ailleurs le colloque permettra de combler une forme de lacune dans les travaux centrés principalement sur la couleur de la peau et/ou consacrés à l’espace outre-Atlantique. Quelques pistes ont été tracées lors de la journée préparatoire qui pourront être explorées, mais qui ne sont en rien exhaustives :
® La chromatique et grammaire des couleurs : prééminence du végétal, de la verdure, du vert ; le multicolore et la bigarrure ; les camaïeux et les contrastes (rouge et vert) ; la triade ethnologique noir-blanc-rouge ; saturation et brillance.
® L’axiologie : les noirs/les blancs ; les bas (le littoral)/les hauts (les mornes) ; la forêt/le jardin.
® Le discours végétal, l’impérialisme (et le néo-colonialisme ?) vert.
® Vision des couleurs et origine des regards colorisateurs : voyageurs, habitants, natifs ou non, en situation d’esclavage ou non.
® Les habitants, le créole et le marron : de quelle couleur ressortit le créole ? L’invisibilité du marron.
® Le vu et le non vu, le coloré et le non-coloré, visibilisation (de la nature, des textiles) et invisibilisation (des habitants), la transparence.
® La production et circulation des ressources naturelles et produits manufacturés colorés ou colorants : indigo, bois colorants, café, indiennes etc.
® Picturalité, pittoresque et tropicalisation.
Les interrogations pourront être menées à partir d’une pluralité de disciplines, littératures, linguistique, histoire, histoire matérielle et histoire de l’art, géographie, études culturelles etc., et du XVIIe siècle à nos jours.
Les propositions ainsi qu’une brève biblio-bibliographie sont à envoyer avant le 1er mars 2023 conjointement à :
Guilhem Armand : guilhem.armand@univ-reunion.fr
Aurélia Gaillard : aurelia.gaillard@gmail.com
Carpanin Marimoutou : jean-claude-carpanin.marimoutou@univ-reunion.fr
Actualité
Appels à contributions
Publié le par Faculté des lettres - Université de Lausanne (Source : Aurélia Gaillard)