« Sociopoétique du complot »
Appel à contributions au dossier du n°9 de la revue Sociopoétiques, à paraître en novembre 2024
Coordinatrice : Chloé Chaudet (Université Clermont Auvergne, CELIS-IUF)
Dans un contexte de prolifération médiatique et d’évidement notionnel fréquent des termes « complotisme », « théories du complot » et autres expressions dérivées, le 9e numéro de la revue Sociopoétiques entend revenir sur les interactions sociales dont procède fondamentalement le complot. Projet secret concerté à des fins de domination, celui-ci implique au moins deux individus ligués contre une cible plus ou moins étendue. Le regroupement, l’alliance, l’accord sont des éléments récurrents au sein des définitions étymologiques du « complot » et de ses équivalents en langues européennes, révélant un noyau sémantique qui est aussi celui de la « conspiration » : en deçà du secret, la socialité est constitutive du complot comme de la conspiration (que nous envisagerons ici comme des synonymes). Or, les interactions qui le fondent ne se limitent pas au cercle des comploteurs, dont le regroupement n’a de sens que par rapport à un espace de sociabilité externe. Complot et conspiration se relient de fait à de multiples représentations sociales (Mannoni). Ils constituent ainsi un objet particulièrement adapté à l’approche sociopoétique (Montandon), centrée sur l’étude de l’écriture des représentations et de l’imaginaire des interactions sociales.
La littérature s’avère d’autant plus apte à cristalliser les formes, modalités et enjeux pluriels des (inter)actions conspiratrices qu’elle permet leur actualisation complète, selon une perspective plus ou moins distanciée. Plus qu’un thème figé, le complot correspond à un motif, à une unité figurative s’actualisant en tant que parcours narratif. Cette caractéristique est soulignée par la difficulté de rendre compte de toutes les composantes d’un complot au moyen d’une image fixe, par exemple dans le domaine de la peinture. À l’évidence, l’intégration des éléments structuraux qui définissent le complot (la concertation collective, le secret, la cible à atteindre, la visée dominatrice) nécessite une narrativité que l’écriture littéraire permet tout particulièrement de déployer, complexifier, perturber – voire de questionner, lorsqu’elle affiche une dimension méta-discursive.
Afin de conserver une cohérence d’ensemble, les collègues souhaitant participer à ce numéro de Sociopoétiques sont invités à se concentrer sur des œuvres littéraires, de la fin du XVIIIe siècle au XXIe siècle – période de développement sans précédent des fictions du complot en langues européennes et des imaginaires sociaux contemporains (au sens historique du terme) auxquels elles donnent forme. On se limitera à ce titre aux écritures en langues européennes issues de divers continents.
Que l’on songe, pour ne citer que quelques exemples, aux figures conspiratrices tantôt néfastes, tantôt émancipatrices qui peuplent le roman historique européen du XIXe siècle (de Friedrich Schiller à Charles Dickens en passant par George Sand, Alexandre Dumas ou Honoré de Balzac), aux complots régulièrement décrédibilisés dans les romans du XXe siècle (chez Joseph Conrad, Paul Nizan, Rafael Bernal ou Jorge Luis Borges) ou encore, plus récemment, aux enquêtes fragmentaires voire inachevées qui minent le dévoilement des conspirations inventées par Thomas Pynchon, Italo Calvino ou Mia Couto, le riche corpus pluriculturel concerné se prête sans conteste à une exploration collective.
Dans cette perspective, les pistes suivantes pourront notamment être envisagées :
- Comment se manifestent les interactions entre les figures conspiratrices ? À quelles représentations sociales ayant trait au secret donnent-elles forme, d’un contexte à l’autre ? Quels rites, symboles, imaginaires (sociaux, politiques, religieux, spatiaux, esthétiques…) convoquent-elles ? Quels types de hiérarchies (re)construisent-elles ?
- Comment se relient les descriptions de la société conspiratrice à celles d’autres espaces de sociabilité, qu’il s’agisse de la « grande » société dont elle participe ou d’autres configurations sociales (tels l’assemblée religieuse, le cénacle, le meeting politique…) ? Comment interpréter les variations historiques et culturelles de ces mises en relation, qui répondent à des représentations sociales elles-mêmes situées ?
- Comment envisager les (con)figurations du complot en termes narratologiques et/ou herméneutiques ? Ne s’inscrivent-elles pas souvent dans une dynamique de dévoilement qui repose sur le cheminement indiciaire de personnages extérieurs au complot – personnages pouvant constituer des figures d’identification pour les lecteurs ? Comment s’articulent, dans ce contexte, l’imaginaire social du complot et les discours sur la lecture, sur l’interprétation, sur la réception ?
- Comment analyser les enjeux polémiques des écritures littéraires du complot ? Qui et que visent-elles, et selon quels procédés ? Leur virulence est-elle comparable à celle qui anime, depuis plus de deux siècles, quantité de discours socio-politiques « conspirationnistes » ayant également contribué à façonner nos représentations des comploteurs et de leurs cibles ?
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Afin de correspondre à la ligne éditoriale de notre revue, les textes devront présenter une orientation sociopoétique, selon l’approche définie par Alain Montandon (https://revues-msh.uca.fr/sociopoetiques/index.php?id=640).
Les propositions de textes doivent être inédites jusqu’au jour de la parution de la revue. Elles sont à adresser à Chloé Chaudet (chloe.chaudet@uca.fr) avant le 1er juin 2023, accompagnées d’une brève notice bio-bibliographique.
Après notification d’acceptation (courant juin), les textes, d’une longueur d’environ 30 000 à 40 000 signes, devront être soumis pour le 1er décembre 2023 dernier délai. Suite aux lectures effectuées par la coordinatrice du dossier, ils seront évalués en double aveugle.
Les textes pourront être accompagnés d’images, à condition que l’auteur·e qui les propose dispose de leurs droits de diffusion.
Les normes de présentation de la revue Sociopoétiques sont consultables à l’adresse suivante :
https://revues-msh.uca.fr/sociopoetiques/index.php?id=1286.
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Éléments de bibliographie
Angenot, Marc, La Parole pamphlétaire. Typologie des discours modernes, Paris, Payot, 1982.
Aude, Nicolas ; Tilliette, Marie-Agathe (dir.), L’Imaginaire des sociétés secrètes dans la littérature du XIXe siècle, actes de la journée d’étude organisée en février 2020 dans le cadre de la Société des Études Romantiques et Dix-neuviémistes / SERD, serd.hypotheses.org, mai 2021 (en ligne), URL : https://serd.hypotheses.org/8154?fbclid=IwAR1KgsozXt3TFV0uKz0nYLlkUHz2kxShLoy_al2NZf-9o9u99zExNU4HRuk
Boltanski, Luc, Énigmes et complots. Une enquête à propos d’enquêtes, Paris, Gallimard, 2012.
Butter, Michael ; Knight Peter (dir.), Routledge Handbook of Conspiracy Theories, Londres, Routledge, 2020.
Chaudet, Chloé, « Migrations des fictions du complot (XIXe-XXIe siècles). De la mondialisation d’un imaginaire de la paranoïa », in Pierre-Yves Boissau, Claire Gheerardyn, Delphine Rumeau et al., (dir.), Migrations des genres et des formes littéraires et artistiques, SFLGC.org, 2018 (en ligne), URL : https://sflgc.org/acte/chaudet-chloe-migrations-des-fictions-du-complot-xixe-xxie-siecles-de-la-mondialisation-dun-imaginaire-de-la-paranoia/
Chelebourg, Christian ; Faivre, Antoine (dir.), Secrets, complots, conspirations, Cadillon, Le Visage Vert, coll. « Les colloques Cerisy », 2021.
Danblon, Emmanuelle ; Nicolas, Loïc (dir.), Les Rhétoriques de la conspiration, Paris, CNRS Éditions, 2010.
François, Stéphane ; Kreis, Emmanuel, Le Complot cosmique. Théorie du complot, ovnis, théosophie et extrémisme politique, Milan, Archè, 2010.
Girardet, Raoul, Mythes et mythologies politiques, Paris, Le Seuil, 1986.
Jameson, Fredric, L’Inconscient politique. Le récit comme acte socialement symbolique [The Political Unconscious. Narrative as a Socially Symbolic Act, 1981], trad. Nicolas Vieillescazes, Lyon, Questions théoriques, 2012.
Klausnitzer, Ralf, Poesie und Konspiration. Beziehungssinn und Zeichenökonomie von Verschwörungsszenarien in Publizistik, Literatur und Wissenschaft (1750-1850), Berlin/Boston, de Gruyter, 2012.
Ledoux, Aurélie ; Leichter-Flack Frédérique ; Zard Philippe (dir.), Raison publique, n°16 – « Complot et terreur », Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012.
Leiduan, Alessandro, Umberto Eco et les théories du complot. Contre le complotisme. Au-delà de l’anticomplotisme, Nice, Ovadia, 2019.
Leroy, Michel, Le Mythe jésuite. De Béranger à Michelet, Paris, Presses universitaires de France, 1992.
Mannoni, Pierre, Les Représentations sociales [1998], Paris, Presses universitaires de France, 2016.
Melley, Timothy, Empire of Conspiracy. The Culture of Paranoia in Postwar America, Ithaca (New York), Cornell University Press, 2016.
Montandon, Alain, « Sociopoétique », Sociopoétiques, n°1, 2016 [en ligne], URL : http://revues-msh.uca.fr/sociopoetiques/index.php?id=64
Pionke, Albert D., Plots of Opportunity. Representing Conspiracy in Victorian England, Columbus, Ohio State University Press, 2004.
Roberts, John Morris, La Mythologie des sociétés secrètes [The Mythology of the Secret Societies, 1972], trad. Catherine Butel, Paris, Payot, 1979.
Simmel, Georg, Secret et sociétés secrètes [« Das Geheimnis und die geheime Gesellschaft », 1908], trad. Sibylle Muller, Paris, Circé, 1996.
Schuh, Julien (dir.), Le Magasin du XIXe siècle, n°10 – « Réseaux », 2020 (outre la présentation générale et les orientations bibliographiques, voir en particulier Tardy, Jean-Noël, « Le fil du complot. Sur le “réseau occulte” des sociétés secrètes au XIXe siècle », p. 48-54).
Tardy, Jean-Noël, L’Âge des ombres. Complots, conspirations et sociétés secrètes au XIXe siècle, Paris, Les Belles Lettres, 2015.
Thouard, Denis (dir.), L’Interprétation des indices. Enquête sur le paradigme indiciaire avec Carlo Ginzburg, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2007.
Wisnicki, Adrian, Conspiracy, Revolution, and Terrorism from Victorian Fiction to the Modern Novel, Londres, Routledge, 2013.
Ziolkowski, Theodore, Cults and Conspiracies. A Literary History, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2017.