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La "vie nue" : Appropriations textuelles et résistances à l'écriture dans les littératures de langues romanes du Moyen Age tardif au XVIIe siècle (Leipzig)

Publié le par Esther Demoulin (Source : Stephanie Béreiziat-Lang)

La "vie nue" : Appropriations textuelles et résistances à l'écriture dans les littératures de langues romanes du Moyen Age tardif au XVIIe siècle

Section 17 du 38e Congrès des Romanistes à Leipzig

24-27 septembre 2023

Dans le cadre du 38e congrès des romanistes allemands « Virtualité et Présence » à Leipzig (24-27 septembre 2023), une séance sur trois jours sera destinée à s’interroger sur la relation de cette opposition (virtualité et présence) et le binôme proposé par G. Agamben (2005) entre zoē et bios. Dans le concept de la « vie nue », le "fait naturel" (zoē) de la vie, non discipliné et réprimé aux marges, se voit tout de même étroitement dépendant des qualités socio-culturelles et politiques (bios), d’un pouvoir qui vise à le réduire en le délimitant. Dans la société de l’Europe occidentale en expansion (du Moyen Age tardif jusqu’aux Lumières), l’Écriture comme technique culturelle peut être considérée comme un tel pouvoir visant à définir, délimiter et enfin exclure la « vie nue » qui, elle, peut résister – par la force de sa présence ? – aux contraintes de la description, manipulation et fixation des processus scripturaires. Depuis Platon, la relation entre écriture et "présence" est considérée comme ambivalente – l’écriture étant un medium apte à perpétuer la présence à travers les distances, mais également destinée à marquer l’absence et "tuer" l’immédiateté physique (cf. Certeau 1975, Derrida 1967). Dans le contexte colonial surtout, les normes du système scripturaire accompagnent l’imposition de nouvelles structures de pouvoir, inscrivant les "expériences" corporelles dans les cadres de discours juridiques, théologiques, philosophiques ou des conventions poético-littéraires. Le mécanisme de la textualisation transcende nécessairement l’individu et se prend le droit de négocier la vie et la mort du corps social et individuel – dans le cadre d’une "virtualisation" du vivant. La machinerie "biopolitique" (avant la lettre) du système scripturaire virtualise la "présence", imposant un « [d]roit de mort et pouvoir sur la vie […] marqué par le jeu essentiel de la présence et de l’absence, du caché et du manifeste » (Foucault 1994). Selon A. Mbembe, l’appropriation de la "vie nue" par les forces scripturaires et textuelles vise également à remplacer la catégorie de "présence" par un « language of pure force [and] immediate presence » (Mbembe 2003). La résistance de la "vie nue" contre l’écriture peut donc redéfinir les catégories de présence et de virtualité, en déjouant les pratiques scripturaires ou en recourant à des médias ou systèmes de signes alternatifs. Par la performativité immédiate du corporel et son potentiel significatif (cf. Béreiziat-Lang/Ott 2019, Boone/Mignolo 1994) la (re)production hégémonique du "vivant" peut être subvertie.

Dans les littératures du Moyen Agen tardif jusqu’au 17e siècle, nous voulons donc interroger le lieu instable de ces résistances de la "vie nue" face aux pouvoirs hégémoniques, scripturaires, et aux contraintes textuelles. La force matérielle du corporel (Bennett/Joyce 2010) – peau à découvert, érotisme, maladie, folie ou violence – se fait dompter par le discours, tout en déployant dans les textes une immédiateté apparente (cf. Gumbrecht 2004) – et qui invite à des ambigüités et des rapports de force, s’agit-il de la féminité agencée par l’entremetteuse Celestina de Fernando de Rojas, du corps grotesques dans univers humaniste rabelaisien, ou encore la corporalité "sauvage" dans les récits des découvertes américaines.

La rencontre examinera la "vie nue", ses appropriations textuelles et possibles "résistances" contre la textualisation dans les champs suivants :

1)      Identification : Dans quelles formes apparaît la "vie nue" dans les littératures de langues romanes entre le 14e et le 17e siècle ? Quels corps anatomiques et sociaux, vivants ou morts, peuplent ces littératures ? quels affects, émotions, quelles expressions et gestuelles, quelles manières de vivre, souffrir, jouir ou mourir lui sont associées ? Et du point de vue de la réception : Quel potentiel affectif ou quelles irritations déploient la mise en scène d’une prétendue immédiateté pour le lecteur/la lectrice ?

2)      Domination : Quels mécanismes freinent, encadrent, administrent ou "habillent" la "vie nue" ? Quel rôle pour l’Ecriture et les pratiques reliées, d’écrire, de lire, imprimer ou éditer ? Toute représentation scripturaire et médiatique entraine-t-elle une virtualisation ? Et à l’inverse, dans quelles instances, les pratiques scripturaires réclament-elles pour elles-mêmes le rôle d’une ‘présence’ immédiate ?   

3)      Résistance : Comment une immédiateté corporelle, une voix ou une performance résiste-t-elle face à la virtualisation médiatique ? Comment résiste-t-elle à des structures "biopolitiques" de l’emprise scripturaire ? Quelle évolution prend la conceptualisation de la ‘présence’ dans les basculements épistémologiques entre le Moyen Age et la première modernité ? Subjectivité et "présence" : l’écriture auto(bio)graphique ou autres performances médiatiques seraient-elles des stratégies de résistance contre la virtualisation de l’écrit ?

La séance est destinée à des travaux sur les manifestations littéraires et artistiques dans les langues romanes (français, espagnol, portugais, catalan, italien) du Moyen Age tardif jusqu’au 17e siècle, explorant les tensions entre "biopolitiques" scripturaires et immédiateté "nue".  Veuillez nous envoyer votre proposition de communication (max. 300 mots) jusqu’au 31 janvier 2023 aux adresses suivantes : stephanie.lang@rose.uni-heidelberg.de et radlwimmer@em.uni-frankfurt.de.

Bibliographie :
Agamben, Giorgio (2005): Homo sacer. Il potere sovrano e la nuda vida. Torino: Einaudi.
Bennett, Tony / Joyce, Patrick (2010): „Material Powers. Introduction“, in: Id. (eds.), Material Powers. Cultural Studies, History and the Material Turn, London/New York: Routledge, S. 1-21.
Béreiziat-Lang, Stephanie / Ott, Michael R. (2019): „From Tattoo to Stigma. Writing on Body and Skin“, in: Wagner, Ricarda / Neufeld, Christine / Lieb, Ludger (eds.): Writing Beyond Pen and Parchment. Inscribed Objects in Medieval European Literature, Berlin/Boston: De Gruyter, S. 193-207.
Boone Hill, Elizabeth / Mignolo, Walter D. (eds.) (1994): Writing Without Words: Alternative Literacies in Mesoamerica and the Andes, Durham/London: Duke University Press. 
Certeau, Michel de (1975), L’écriture de l’histoire. Paris: Gallimard.
Derrida, Jacques (1967): De la grammatologie. Paris: Minuit.
Foucault, Michel (1994): La volonté de savoir. Paris: Gallimard.
Gumbrecht, Hans Ulrich (2004): Diesseits der Hermeneutik. Die Produktion von Präsenz, Frankfurt a. M.: Suhrkamp.
Mbembe, Joseph-Achille (2003): „Necropolitics“, trad. Libby Meintjes, in: Public Culture 15/1, S. 11-40.