Nouvelle date limite d’envoi : 17 février 2023 (au lieu du 10 février 2023)
Pour la huitième année consécutive, les jeunes chercheurs et chercheuses du laboratoire Litt&Arts organisent leurs journées doctorales, les 26 et 27 avril 2023, autour d’un nouvel axe de recherche : « premier contact ».
Le mot « contact » apparaît tard dans la langue française : forgé à partir du verbe latin « tangere » (toucher), son premier emploi se fait en 1586 dans un traité de médecine ayant pour sujet « la pure et vraye doctrine de la peste et de la coqueluche, les impostures spagyriques, et plusieurs abus de la médecine, chirurgie et pharmacie ». Son histoire lexicale fait donc singulièrement écho à notre actualité où les « cas contacts » se multiplient autour de nous, sans que nous ayons d'ailleurs besoin de nous toucher. Cependant, le mot, sorti de son contexte médical, prend d'autres acceptions. Les autres sens concurrencent grandement le toucher de l'étymon et son sémantisme s'élargit à la relation, au lien qui s'établit entre deux êtres, instances ou objets. Dans une société à la fois mécanisée et dématérialisée, la rencontre, par la multiplication des moyens de communication, ne cesse de muter ; n'impliquant pas forcément la présence physique, elle se décline à l'infini.
Qu'en est-il alors lorsque ce contact est le premier ? Que représente-t-il et comment le circonscrire dans le temps ? Correspond-il à la première rencontre dans son ensemble ou uniquement à quelques instants, à un moment infime difficilement quantifiable ? Est-il déterminant ou inopérant pour déterminer la relation à venir ? Un premier contact est-il encore possible aujourd’hui, dans un monde où « pour la première fois les cultures humaines en leur semi-totalité sont entièrement et simultanément mises en contact et en effervescence de réaction les unes avec les autres » selon la formule d'Edouard Glissant ? La science-fiction s’est pleinement emparée de cette thématique. Premier contact, traduction française du film Arrival (2016) de Denis Villeneuve et adaptation de Story of Your Life de Ted Chiang (1998), relate la difficile communication entre extraterrestres et terriens, nécessitant l’embauche d’une linguiste renommée pour décrypter un langage inconnu. La rencontre avec l’Autre, le rapport à la langue, à l’espace et au temps sont autant de problématiques qui interrogent les êtres vivants quelle que soit la frontière qui les sépare, avec tous les enjeux de domination et de hiérarchie qu’elle peut comprendre.
C'est pourquoi les journées doctorales du laboratoire Litt&arts de l'UGA vous proposent de réfléchir, échanger et débattre autour de la thématique de « premier contact », qui peut facilement s'accorder au pluriel.
Corps et langage
Le premier contact mobilisant les sens, il implique par extension le corps et la matérialité physique des personnes concernées – ou même des objets, le cas échéant. L’attention portée à certains sens se présente parfois comme un objet artistique à part entière : pensons à la scène topique du premier regard amoureux dans la littérature, ou encore à l’importance accordée au toucher dans les scènes cinématographiques, par exemple l’émouvante « first handshake » d’Interstellar. L’acte du toucher est parfois symbolique d’un premier contact soit formel, soit intime. Mais l’enjeu sensoriel permet de mobiliser d’autres formes de contact, et d’en mesurer l’importance et la portée : ainsi, dans son roman Les Furtifs, Alain Damasio fait le choix conscient, artistique et politique (en lutte contre la « société du spectacle ») d’écarter le visuel pour laisser place au sonore, vecteur essentiel de communication entre les humain·e·s et l’espèce recherchée des furtifs. Tous les sens physiques peuvent être mobilisés, voire se mêler de manière synesthésique.
De plus, la notion de communication permet de faire un pont entre le physique et l’intellectuel à travers la question linguistique : le premier contact est également un langage. Langage non verbal, communication symbolique par les sens ? Ou nouvelle langue à déchiffrer voire à créer, comme dans beaucoup d’œuvres de science-fiction (Arrival de Denis Villeneuve, Out of the Silent Planet de C.S. Lewis) ? Comment la philologie intègre-t-elle l’œuvre artistique, son esthétique ? On interrogera la place de la linguistique à la fois comme moyen de contact et comme objet de création, d’ouverture des horizons en direction d’autrui.
Entrer en contact
Dans les romans explorant les mécanismes des relations amoureuses, le premier contact entre deux futur·es amant·es est un moment délicat qui nécessite souvent de recourir à un prétexte ou à un déguisement. Dans À la recherche du temps perdu, la scène de rencontre entre Charlus et Jupien illustre ce qu'il faut de patience, de persévérance et de subtilité pour faire comprendre son désir sans le montrer grossièrement, pour ne pas faire fuir l'autre, sans fuir soi-même devant la difficulté de l’entreprise. Le premier contact physique doit obéir aux mêmes règles implicites, aussi quand Swann touche pour la première fois le corps d'Odette, il prétend ne pas vouloir autre chose que remettre droites les fleurs de son corsage. Distance géographique, contrariété matérielle, interdits sociaux ou contradictions internes sont autant d'obstacles que les personnages doivent franchir pour entrer en contact : autant d'aliments qui nourrissent la tension narrative ! C'est par la difficulté de son avènement que le premier contact est un thème clé dans les romans.
Les moyens d'entrer en contact peuvent également être étudiés en dehors de la fiction, dans les relations entre un·e auteur·ice et son milieu, par le biais de sa correspondance. L’examen des modalités du premier contact entre l’écrivain·e et son éditeur·ice permet de dégager quelles stratégies sont déployées pour favoriser la diffusion de l'œuvre. Dans la mesure où un texte aujourd'hui mondialement connu aurait pu rester inédit et obscur si cette prise de contact avec la maison d’édition n'avait pas été finement préparée, ces stratégies sont essentielles.
Éthique et politique
Point de bascule de la méconnaissance réciproque vers l'établissement d'une relation par le biais de la rencontre, ce premier contact pourrait déjà cristalliser certains rapports de force structurants. Songeons par exemple à la terminologie et aux mythes développés autour du premier contact avec « l'Autre » lors de l'époque dite des « grandes découvertes », qui contient en germe des dynamiques coloniales. Jean de Léry décrit en son Histoire d'un voyage fait en la terre du Brésil un premier contact avec les Tupinambas où se mêlent à la fois fascination et répulsion. Michèle Duchet a montré en quoi le siècle des Lumières, par la suite, construisait un mythe du « bon sauvage » tributaire d’un premier contact largement fantasmé et intégré en vérité au projet colonial. Sur un tout autre plan, la scène topique de première vue – déjà mentionnée – rejoue souvent, elle aussi, l'asymétrie entre les genres. Ainsi, dans quel but entrer en contact avec cette altérité – de quelque nature qu'elle soit ? Quel contexte socio-politique marque ce moment ? Le premier contact peut également être perçu comme un moment hors-sol, hors du temps, un espace privilégié de co-construction d'un espace commun encore exempt de tout rapport de force : les codes de science-fiction au cinéma, de la Guerre Froide à aujourd’hui, s’emparent de ce potentiel en mettant en scène des contacts tantôt belliqueux, tantôt pacifiques avec les espèces extraterrestres, selon certains courants et enjeux de représentation culturelle. Moment de bascule encore indéterminé, moment innocent bientôt perdu, le moment du premier contact serait alors ce seuil où l'horizontalité est encore préservée. Comment ce point de bascule critique sur le plan moral et politique peut-il être cristallisé par l'expérience artistique ?
Premier contact comme seuil
En littérature, le premier contact constitue d’abord la rencontre avec une œuvre. Il s’agit des premiers mots que l’on lit, du premier contact physique avec l’objet littéraire, du franchissement d’un seuil. De fait, Gérard Genette, dans Seuils, considère que le texte littéraire n’est pas un texte seul mais est accompagné d’un péritexte – couverture, titre, illustration, mots de l’éditeur·ice – qui constitue le véritable seuil de l’œuvre, c’est-à-dire ce à quoi le lecteur et la lectrice est confronté·e en premier lieu. Ce péritexte peut alors constituer une invitation à poursuivre la lecture ou, au contraire, un repoussoir. Quel est donc le rôle du péritexte dans le premier contact avec une œuvre ? Est-ce que l’auteur·ice – ou l’éditeur·ice – peut influencer ce premier contact ? Dans tous les cas, cet instant de rencontre inédite est entouré par toute une symbolique liée notamment au moment de la lecture : seuil temporel ou spatial ? où commence ce premier contact ? où se termine-t-il, que constitue-t-il dans l’expérience de lecture ? Si on passe le péritexte, les premiers mots, les premières pages d'un texte peuvent constituer le premier contact du lecteur ou de la lectrice avec l'œuvre – voire avec son auteur·ice. Roland Barthes théorise dans Le plaisir du texte la possibilité pour l’auteur·ice de modeler le contact des lecteur·ices avec l’œuvre dans sa façon même d’écrire : « Si je lis avec plaisir cette phrase, cette histoire ou ce mot, c'est qu'ils ont été écrits dans le plaisir ». On peut alors interroger cette influence dans le premier contact avec une œuvre.
D’un point de vue topique ensuite, le premier contact tient une place importante en littérature. Dans le cas de la rencontre amoureuse, comment rendre ce premier contact entre deux personnages par les mots ? S’il s’agit d’un moment furtif, difficilement délimitable, il occasionne pourtant souvent un moment narratif intense et parfois long. Moment fragile où quelque chose se cristallise, tout comme Stendhal le théorise dans De l’Amour, le premier contact entre deux personnages peut également constituer un lieu de déconstruction, de démystification qui a parfois été symbolisé par des phrases devenues incontournables comme dans Aurélien d’Aragon où la rencontre entre le personnage éponyme et Bérénice est réorientée du côté de la laideur : « La première fois qu’Aurélien rencontra Bérénice, il la trouva franchement laide ».
Enjeux disciplinaires
Plus largement enfin, l'expression « premier contact » nous invite à faire retour, chacune et chacun, sur nos objets d'étude et nos champs disciplinaires. Quels sont aujourd'hui les sujets découverts ou redécouverts par nos recherches ? Avec quels outils et quelles méthodes entrons-nous en contact avec ces nouveaux objets ? La notion de premier contact peut en effet permettre une réflexion sur nos propres initiatives de travail, lorsque nous explorons un terrain, réalisons des entretiens ou développons la recherche-action ou la recherche-création. Le désir d’interdisciplinarité invite à provoquer un premier contact entre deux objets, notamment lorsque de nouveaux champs voient le jour. Pensons à l’essor des études post-coloniales, des études de genre ou encore des études animales qui englobent naturellement plusieurs disciplines. Cette logique, de même que la logique d’intertextualité pour les artistes, est à questionner.
Les axes que l’on vient de présenter n’ont pas la prétention d’être exhaustifs : toute autre approche du thème « premier contact » sera bienvenue.
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Modalités
Cet appel s’adresse à des chercheur·euses et jeunes chercheur·euses qui souhaitent présenter leurs travaux par le biais de ces axes durant les Journées doctorales de l’UMR Litt&Arts, à l'Université Grenoble Alpes. Nous accueillons des communications traditionnelles de 20 minutes mais aussi des formats différents (performances, ateliers, expositions…) qui questionnent ces thèmes.
Les propositions d’intervention de 300 mots maximum, assortis de préférence d’une bibliographie et d’une brève notice bio-bibliographique, sont à envoyer avant le 10 février 2023 à l’adresse suivante : premiercontact.jd@gmail.com . Les réponses parviendront au plus tard le 25 février 2023.
Comité scientifique
Ridha Boulaabi, maître de conférences à l’Université Grenoble Alpes
Laurent Demanze, professeur à l’Université Grenoble Alpes
Françoise Leriche, professeure à l'Université Grenoble Alpes
Anna Saignes, maître de conférences à l’Université Grenoble Alpes
Agathe Salha, maître de conférences à l’Université Grenoble Alpes
Pascale Roux, maître de conférences à l’Université Grenoble Alpes
Delphine Rumeau, professeure à l’Université Grenoble Alpes
Fleur Vigneron, maître de conférences à l’Université Grenoble Alpes
Comité scientifique et d’organisation
Emilie Demouselle (emilie.demouselle@univ-grenoble-alpes.fr)
Estelle de Goër (estelle.de-goer-de-herve@univ-grenoble-alpes.fr)
Solène Lépinay (solene.lepinay@univ-grenoble-alpes.fr)
Madeleine Martineu (madeleine.martineu@univ-grenoble-alpes.fr)
Jeanne Mousnier-Lompré (jeanne.mousnier-lompre@univ-grenoble-alpes.fr)
Bibliographie indicative
Œuvres citées
ARAGON, Louis, Aurélien, Paris, Gallimard, 1944.
CHIANG, Ted, Stories of Your Life and Others, Londres, Tor, 2002.
DAMASIO, Alain, Les Furtifs, Clamart, La Volte, 2019.
GLISSANT, Edouard, Poétique de la relation (Poétique III), Paris, Gallimard, 1990.
— , Traité du Tout-Monde (Poétique IV), Paris, Gallimard, 1997.
LERY, Jean (de), Histoire d’un voyage faict en la terre du Brésil, édition de Frank Lestringant, Paris, Le Livre de Poche, Bibliothèque classique, 1994.
LEWIS, Clive Staples, Out of the Silent Planet, Londres, Harper Collins, 2005 [1938].
NOLAN, Christopher (réal.), Interstellar, Warner Bros., Paramount Pictures, Legendary Pictures, Syncopy Films, 2014.
PROUST, Marcel, À la recherche du temps perdu [1913-1927], Jean-Yves Tadié (dir.), Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1987-1989.
VILLENEUVE, Denis (réal.), Premier contact (Arrival), Suresnes, Sony pictures home entertainment, 2017.
Références complémentaires
BARTHES, Roland, Le plaisir du texte, Paris, Seuil, Tel quel, 1973.
DELEUZE, Gilles, Francis Bacon. Logique de la sensation, Paris, Seuil, L’ordre philosophique, 2002.
DONNET, Christophe, MATHEVON, Nicolas et VIENNOT, Éliane (dir.), Le contact, actes de colloque, Saint-Étienne, Université de Saint-Étienne, 2010.
DUCHET, Michèle, Anthropologie et histoire au siècle des Lumières, Paris, Albin Michel, Bibliothèque Evolution Humanité, 1995.
GENETTE, Gérard, Seuils, Seuil, Poétique, 1987.
LANGRADIN, Frédéric, Comment parler à un alien ? Langage et linguistique de la science-fiction, Saint Mammès, Le Bélial, Parallaxe, 2018.
NANCY, Jean-Luc, Noli me tangere, Essai sur la levée du corps, 2e édition, Paris, Bayard, Le rayon des curiosités, 2013.
PERRET, Aurélie et SOMPAYRAC, Laurie (dir.), Questionner la rencontre en sciences humaines et sociales : interdisciplinarité, savoirs et relations, Limoges, Pulim, 2021.
ROUSSET, Jean, Leurs yeux se rencontrèrent – La scène de première vue dans le roman, Paris, José Corti, 1981.
STASZAK, Jean-François, « Qu'est-ce que l'exotisme ? » Le Globe. Revue genevoise de géographie, tome 148, 2008. L'exotisme. pp. 7-30 (DOI : https://doi.org/10.3406/globe.2008.1537
www.persee.fr/doc/globe_0398-3412_2008_num_148_1_1537).
STENDHAL, De l’amour, Paris, Flammarion, GF, 2014.
TODOROV, Tzvetan, La conquête de l’Amérique. La question de l’Autre, Paris, Seuil, 1991.
VIART, Dominique, « Comment nommer la littérature contemporaine ? », https://www.fabula.org, été 2019 (en ligne : https://www.fabula.org/atelier.php?Comment_nommer_la_ Littérature Contemporaine).