
Appel à contributions pour un ouvrage collectif
Que reste-t-il des pouvoirs des littératures africaines et des écrivains ?
Date limite : 28/02/2023
La croyance aux pouvoirs de la littérature nous invite à une réflexion sur les valeurs que celle-ci est supposée créer et transmettre en Afrique en particulier, sur son « utilité » pour le dire autrement avec des guillemets de rigueur. Elle n'est pas, faut-il le rappeler, une invention des générations successives d’écrivains africains. Elle hante l'histoire de toute la littérature comme le soutiennent plusieurs critiques. Pour Antoine Compagnon (2007 : 41) qui fait remonter la première définition classique de la littérature à Aristote, l’homme apprend grâce à la mimesis, et notamment par l'intermédiaire de la littérature entendue comme fiction. D'Horace à Quintilien et au classicisme français, écrit-il, la littérature apparait comme possédant un pouvoir moral consistant à instruire en plaisant. Plus tard, une deuxième définition des pouvoirs de la littérature apparue avec les Lumières et approfondie par le romantisme fera de celle-ci un remède qui libère l'individu de sa sujétion aux autorités et le guérit en particulier de l'obscurantisme religieux. La troisième vision des pouvoirs de la littérature soutient que celle-ci corrige les défauts du langage tandis qu’une quatrième et dernière définition que recense Compagnon résulte des abus des trois premiers pouvoirs mais aussi du fait que la littérature n'a pas toujours servi de causes justes. C'est pourquoi, conclut l’auteur de La Littérature pour quoi faire ?, depuis Baudelaire et Flaubert, tant d'écrivains ont été tentés de récuser tout pouvoir de la littérature autre que sur elle-même. Gisèle Sapiro (2014 : 45) pour ce qui la concerne explique qu'entre effets nocifs et effets cathartiques, entre influences incontrôlées et développement de facultés cognitives et morales de distanciation aussi bien que d’empathie, les conceptions opposées de la littérature depuis les moralistes de l'Antiquité, qui lui prêtaient autant de torts que de vertus, ont toujours des implications quant au rôle social de l'écrivain.
L’on peut ajouter à ce qui précède avec Tzvetan Todorov (2007 : 71-73) que la littérature nous permet de donner forme aux sentiments que nous éprouvons, d'ordonner le fleuve des menus événements qui constituent nos vies ; qu'elle nous fait rêver, trembler d'inquiétude ou de désespoir. Ou encore qu'elle peut nous tendre la main quand nous sommes profondément déprimés, nous conduire vers les autres êtres humains, nous faire mieux comprendre le monde et nous aider à vivre. Qu'en tant que révélation du monde, elle peut nous transformer de l'intérieur. Elle est une voie d'accès au monde, en plus de ce que les choses qu'elle peut rechercher et enseigner sont irremplaçables, en tant qu’un moyen - le seul d’après certains - de préserver et de transmettre l'expérience des autres. On pourrait encore citer d’autres critiques comme Philippe Forest (2007) pour qui la littérature, cet impouvoir essentiel, n’existe que comme réponse à l’interpellation inouïe du réel, en tant que lieu d’une expérience (possible) sans laquelle l’on ne saurait rien du réel (son impossible), une expérience mentale dont dépend notre existence, celle des autres autour de nous, la certitude du monde tel qu’on le perçoit. Ou Georges Bataille convaincu de ce que les récits nous révèlent la vérité multiple de la vie ; Jacques Rancière (2007) qui conçoit la politique de la littérature comme un lien spécifique entre la politique comme forme de la pratique collective et la littérature comme régime historiquement déterminé de l’art d’écrire ; Etienne Barilier (2014 :17-18) qui soutient que la littérature est à la fois, par définition, et toujours, puissance de changer de monde et pouvoir de changer le monde: l’un par l’autre, l’un à cause de l’autre ; Emmanuel Bajou (2014 :66) qui pense que la littérature est un « rien », ou presque, à l’heure des répétitions catastrophiques de l’histoire génocidaire et de la menace polymorphe des fascismes rabaissants, mais un « rien » dont l’utilité et la puissance servent à la communauté de l’expérience, de la pensée et de l’action…
Que penser aujourd'hui de ces pouvoirs dans le champ littéraire africain ? Si, comme le soutient Gisèle Sapiro, ailleurs, les dangers supposés de la littérature ont été dédramatisés ou relativisés à l'ère de l'essor de l'imprimé au profit d'une réflexion sur les vertus de la lecture, laquelle réflexion a conduit à interroger la notion d'identification sous-jacente à la conception mimétique, la littérature africaine, elle, sort des fonds baptismaux au plus fort de la croyance en ses pouvoirs. Croyance en ses pouvoirs supposés nocifs par des puissances coloniales allergiques à toute forme de résistance et singulièrement aux formes de résistance culturelle comme le démontre avec brio Edward Said (1993), mais aussi par les nouveaux pouvoirs qui redoutent les effets éventuels sur la masse d'une littérature insoumise, contestataire, subversive. Le dispositif de répression qui s'est exercé sur les écrivains tentés d'asservir la littérature à des causes politiques s'explique par cette croyance en ses pouvoirs subversifs. Pouvoirs par contre vertueux en face, chez des écrivains majoritairement convaincus que la littérature était une arme. Pour des raisons différentes, les uns et les autres avaient foi en la capacité de la littérature à agir sur le réel, les deux premiers contre leurs intérêts propres par le risque d'identification qu'ils la croyaient capable de déclencher chez ses récepteurs, les derniers précisément pour le processus d'identification qu'ils souhaitent de tous leurs vœux enclencher par leurs écrits chez les lecteurs. L’«Antiquité » de la littérature africaine au sud du Sahara s'inscrit ainsi parfaitement simultanément dans la théorie antique de l'imitation de Platon, et celle de la littérature comme outil de contestation de la soumission au pouvoir. C'est pour cette raison que les pouvoirs institués se sont donné les moyens de « protéger » les peuples des « mauvaises lectures », par le moyen de la censure.
Le monde a changé, l'Afrique aussi, et le paysage littéraire s'est modifié en profondeur. Certains pouvoirs établis se sont quelque peu détendus sous la poussée des vents de libéralisation internes et externes. Ils ne sont plus nombreux les écrivains qui croient, comme Mongo Beti (1955 : 136-138), que la littérature peut faire tomber un dictateur par sa capacité à dire les réalités les plus cruciales qu’on s’est toujours gardé de révéler au public, la colonisation en l’occurrence. Le rôle de l'écrivain n'est plus nécessairement celui d’éduquer le peuple au travers de ce que Chinua Achebe (2010 :105) appelait de l’art appliqué, en révélant à la société ses tares, ni même, pour les écrivains, d’être des diseurs de vérité (Ahmadou Kourouma). On le voit bien à travers les écrivains diasporiques de la nouvelle génération qui clament à temps et à contretemps leur refus de porter le fardeau d’un continent ou d’une race, impatients qu’ils sont de se dévêtir de la camisole d’écrivain africain et d’endosser celle d’écrivains tout court ouverts aux vents du monde globalisé. La croyance aux pouvoirs de la littérature et des écrivains a-t-elle pour autant complètement disparu ? L’on est en droit d’en douter compte tenu des discours d’escorte des œuvres des mêmes écrivains si souvent en contradiction avec ce que celles-ci nous donnent à lire sur leurs « engagements » divers. C’est à l’analyse de la littérature d’Afrique subsaharienne comme une production encore et toujours dotée de pouvoirs et du rôle de l’écrivain actuel que vous convie cet appel à contribution pour un ouvrage collectif. Les contributions pourraient s’inscrire sur l’un des axes ainsi déclinés, sans que ceux-ci soient exhaustifs.
Modalités de soumission des contributions :
Les propositions de contributions (de 12 pages minimum à 15 pages maximum) en français ou en anglais seront envoyées conjointement aux adresses suivantes: Pr. Louis-Bertin Amougou, e-mail : louisbertin_amougou@yahoo.fr et Dr. Charles-Sylvain Eloundou Mvondo, e-mail : charleseloundou@yahoo.fr
Date limite d’envoi des propositions : 28 février 2023.
Retour d’expertise aux auteurs : 30 avril 2023.
Envoi dernière mouture : 30 mai 2023.
Date de parution : novembre-décembre 2023.
Normes éditoriales :
Titre : minuscules, centré, gras, taille 14.
Mention de l’auteur.e ou des auteur.e.s : sous le titre de l’article, alignée à gauche. Elle comporte : prénom(s), nom(s) (sur la première ligne). Nom de l’institution ou du laboratoire d’attache (en italique sur la deuxième ligne), e-mail de l’auteur.e ou des auteur.e.s (sur la troisième ligne). Le tout en taille 10.
Résumé : en français ou en anglais n’excédant pas 250 mots, interligne simple, taille 10.
Mots-clés : 5 mots maximum, en minuscule, séparés par une virgule, taille 10.
Références bibliographiques : elles reprennent tous les ouvrages et autres documents cités dans le corps de l’article.
Mise en page : marges : haut 2cm, bas 2 cm, gauche 2cm, droite 2 cm.
Style et volume : Times New Roman, taille 14 pour le titre et 12 pour le corps du texte, interligne 1,15.
Sous-titres et articulations du texte : en minuscules, justifiés et ne dépassant pas 3 niveaux (ex. 1. -1.1. – 1.1.1, etc.).
Notes et citations : entre guillemets, caractère normal, nom de l’auteur et pages de l’ouvrage cité immédiatement après les guillemets (ex. Amougou : 2009 : 12). Notes de bas de pages à éviter autant que faire se peut. Les citations de plus de 3 lignes sont extraites du texte et réduites à la taille 10 en interligne simple.
Présentation des références bibliographiques :
Dans le texte : les références des citations apparaissent entre parenthèses avec le nom de l'auteur et l’année de parution ainsi que les pages. Exemple : (Fotsing Mangoua, 2018 : 15). Dans le cas d'un nombre d'auteurs supérieur à 2, la mention et al. en italique est notée après le nom du premier auteur. En cas de deux références avec le même auteur et la même année de parution, leur différenciation se fera par une lettre qui figure aussi dans la bibliographie (a, b, c, ...).
À la fin du texte, les références bibliographiques sont présentées par ordre alphabétique. Pour les périodiques, le nom de l'auteur et son prénom sont suivis de l'année de la publication entre parenthèses, du titre de l'article entre guillemets, du nom du périodique en italique, du numéro du volume, du numéro du périodique dans le volume et des pages. Lorsque le périodique est en anglais, les mêmes normes sont à utiliser avec toutefois les mots qui commencent par une majuscule.
Pour les ouvrages, on note le nom et le prénom de l'auteur suivis de l'année de publication entre parenthèses, du titre de l'ouvrage en italique, du lieu de publication et du nom de la société d'édition.
Ex. NDINDA Joseph (2002), Révolutions et femmes en révolution dans le roman africain francophone au Sud du Sahara, Paris, L’Harmattan.
Pour les extraits d'ouvrages, le nom de l'auteur et le prénom sont à indiquer avant l'année de publication entre parenthèses, le titre du chapitre entre guillemets, le titre du livre en italique, le lieu de publication, le numéro du volume, le nom de la société d'édition, et les numéros des pages concernées.
Ex : HAMON Philippe (1977), « Pour un statut sémiologique du personnage ». In : Poétique du récit, Paris : Seuil, pp. 86-110.
Pour les papiers non publiés, les thèses, etc., on retrouve le nom de l'auteur et le prénom, suivis de l'année de soutenance ou de présentation, le titre et les mots « rapport », « thèse » ou « papier de recherche », qui ne doivent pas être mis en italique. On ajoute le nom de l'Université ou de l'École doctorale, et le lieu de soutenance ou de présentation.
Pour les actes de colloques, les références sont traitées comme les extraits d'ouvrages avec notamment l'intitulé du colloque mis en italique.
NB : Les articles non conformes à ces consignes ne seront pas acceptés.
Bibliographie indicative :
Audeguy, Stéphane et Forest, Philippe (dir.), (2014), Que peut (encore) la littérature ? Paris, Gallimard.
Bataille Georges, (1969), La Littérature et le mal, Paris, Gallimard.
Beauvoir, Simone et alii (dir.), (1965), Que peut la littérature ? Paris, UGE.
Certeau, Michel (2002) [1974], L’Ecriture de l’histoire, Paris, Gallimard.
Chinua, Achebe (2010), « The novelist as a teacher », in Tejumola Olaniyan, Ato Quayson (dir.), African literature : An anthology of criticism and theory, USA, Blackwell Publishing, pp. 103-106).
Compagnon, Antoine (2007), La Littérature, pour quoi faire ?, Paris, Collège de France/Bayard.
Denis, Benoit (2000), Littérature et engagement de Pascal à Sartre, Paris, Seuil.
Forest, Philippe (2007), Allaphed : T3 ; Le roman et le réel, Nantes, Cécile Defaut.
Jouve, Vincent (2014), Pourquoi étudier la littérature ? Paris, Armand Colin.
Kaempfer, Jean et alii (dir.), (2006), Formes de l’engagement littéraire (XVe-XXIe siècles), Paris, Antipodes.
Maingueneau, Dominique (2006), Contre Sainte Proust. La fin de la littérature, Berlin.
Mongo, Beti (1954), « Afrique noire, littérature rose », in Présence Africaine, n° I-II, pp. 136-138.
Mongo-Mboussa, Boniface (2004), « L’inutile utilité de la littérature », in Africultures, « L’engagement de l’écrivain africain », n° 59, pp. 5-11.
…………………………….. (2006), « Sens et puissance de la littérature », in Véronique Bonnet (dir.) (2006), Conflits de mémoires, Paris, Karthala.
Mudimbe, Valentin-Yves, (1982), L’Odeur du père. Essai sur les limites de la science et de la vie en Afrique, Paris, Présence Africaine.
…………………………………. (1988), The invention of Africa. Gnosis, Philosophy and the Order of Knowledge, Bloomington/Indiana University.
Rancière, Jacques (1998), Au bord du politique, Paris, Gallimard.
………………….. (2000), Le partage du sensible. Esthétique et politique, Paris, Galilée.
………………….. (2007), Politique de la littérature, Paris, Galilée.
Said, W. Edward (2005) [1978], L’Orientalisme. L’Orient crée par l’Occident, Paris, Seuil.
………………………………. (2000), Culture et impérialisme, Paris, Fayard.
Sapiro, Gisèle (2014), « Les pouvoirs de la littérature : origines et métamorphoses d’une croyance ancienne », in Stéphane Audeguy et Philippe Forest (dir.), Que peut (encore) la littérature ? Paris, Gallimard.
Sartre, Jean-Paul (1948), Qu’est-ce que la littérature ?, Paris, Gallimard.
Todorov, Tzvetan (2007), La Littérature en péril, Paris, Flammarion.