Actualité
Appels à contributions
Humanités ridicules au XIXe siècle

Humanités ridicules au XIXe siècle

Publié le par Marc Escola (Source : Marie-Ange Fougère)

« Humanités ridicules au XIXe siècle »
 
Au XIXe siècle, des philologues, traducteurs et philosophes de renom traduisent les textes anciens (Victor Cousin et Platon), d’autres écrivains moins adroits ou sérieux les adaptent hâtivement au goût français (Jules Lacroix et Sophocle). Les députés français citent volontiers du latin en séance à l’Assemblée et les historiens publient de vastes volumes qui inspirent les arts de la scène (jusqu’à Theodora de Sardou). L’étape à Rome et à Pompéi est un passage obligé du grand Tour de l’écrivain et du peintre, qui ne manquent pas d’en ramener récits et illustrations, non sans regretter la disparition imminente de vestiges convoités par le tourisme de masse.

Si le voyage en Grèce est rare (Lamartine, Chateaubriand, Nerval), nombreux sont les chantres, romantiques puis parnassiens, de l’harmonie comme des mythes grecs. Même lorsque le registre est au pastiche et le ton à l’ironie, se lit une forme de nostalgie pour les croyances, passions, et superstitions assignées à l’Antiquité (la Thessalie inspirée de L’Âne d’or dans Smarra de Nodier) et pour l’art de vivre à la romaine (Théophile Gautier, Arria Marcella) que l’archéologie met au jour. Conservée intacte pendant des siècles, la momie ou l’amphore risquerait, face à l’avidité des hommes du XIXe siècle, la destruction imminente. Fragilité des humanités qui ne sont plus que textes parce que les objets et les lieux sont mis en péril par l’attention même qu’on leur porte ; les objets trouvés par les fouilles archéologiques ont moins à redouter l’outrage du temps qui passe que la curiosité du temps présent : les récits abondent de l’objet vendu ou malmené par une époque éprise de vitesse et de changement, vouée à la marchandisation, alors que s’élaborent peu à peu une conscience du patrimoine et des méthodes de conservation (dans des musées qui parfois fondent leurs collections sur la prédation coloniale, comme le British Museum à Londres, qui ouvre un nouveau bâtiment en 1865, ou le Pergamonmuseum inauguré en 1901 à Berlin), bientôt relayées par un appareil juridique de protection des sites.

Les « Humanités » restent le parcours académique obligé de la culture bourgeoise et de l’honnête homme, un marqueur de distinction sociale très identifié. La référence à l’homme d’État ou au philosophe antiques, la citation à point nommé de latin ou de grec, l’allusion à un fait (la chute de Rome, la mort de Socrate, le suicide de Lucrèce) ou à un personnage de l’Antiquité gréco-romaine – fictionnel ou non-fictionnel (Spartacus, Salammbô, Sappho) sont de bon ton et plus répandues qu’aujourd’hui, relayées du reste par l’iconographie néoclassique et la formation académique des beaux-arts (les prix de Rome en peinture donnent régulièrement comme thème un épisode de L’Odyssée ou un personnage historique de l’Antiquité).

La représentation d’un XIXe siècle pétri de latin et de grec, connaissant et appréciant ses classiques, à l’instar de Rimbaud ou Baudelaire, collégiens virtuoses en composition de poésies latines, ou de Nodier et Musset qui avaient étudié le grec, siècle passionné de néo-classicisme en architecture, mode et décoration ne doit cependant pas tromper : la critique culturelle, pédagogique et esthétique des « humanités » existe et se montre sévère envers la langue, l’histoire, la littérature antiques, mais surtout envers le lien que la modernité entretient avec elles. « Latin : est seulement utile pour lire les inscriptions des fontaines publiques », ironise Flaubert. En 1885 un essai intitulé La Question du latin (Raoul Frary) déclenche une controverse quant à l’hégémonie du latin dans l’enseignement, vestige d’une société aristocratique dont le « culte du beau » devrait désormais céder la place à la « culture de l’utile ». « Le latin, voyez-vous, il ne nourrit pas son homme ! », conclut alors Maupassant dans une nouvelle du même nom que l’essai.
Ce sont ces « humanités ridicules » au XIXe siècle que ce volume se propose d’aborder, selon quelques pistes non-exhaustives :
 
Inutilité. Le commentaire dépréciatif, sans être toujours politique, émane d’une pensée et d’une position politiques : de Stendhal raillant l’apprentissage du latin dans La Chartreuse de Parme (« Que sais-je de plus sur un cheval, depuis qu’on m’a appris qu’en latin il s’appelle equus ») à Jules Vallès dédiant Le Bachelier « à ceux qui, nourris de grec et de latin, sont morts de faim », il est de nombreux pas que l’on ne saurait franchir à la légère ; toutefois l’inutilité du latin et du grec est soulignée par les tenants d’une formation plus orientée vers l’exercice d’une profession (déjà…), quand elle n’est pas âprement déplorée par ceux qui y voient un dernier bastion de l’obscurantisme tenu par des institutions religieuses enclines à la maltraitance physique et morale. Les « humanités » sont-elles bourgeoises, aristocratiques, chrétiennes ?
 
Artificialité. La Terreur et le Consulat mettent à la mode des tenues à l’antique dont les bals costumés à thèmes à la fin du siècle reprennent certaines représentations : apparaître « à l’antique » pour une élégante c’est être dénudée, à peine vêtue de drapés suggestifs que la morale bourgeoise ne tolère que dans les musées sous forme de marbres d’inspiration mythologique. Quelle incidence la vogue du « faux antique » reposant sur des stéréotypes et des usages de sociabilité propres à une société du spectacle et de l’argent a-t-elle sur la perception du patrimoine gréco-romain ?
 
Exemplarité. Les stoïques romains, les hommes d’État dévoués, les empereurs dévoyés, les esclaves rebelles forment une galerie de portraits de l’Antiquité que relaient des expressions (franchir le Rubicon) ou des locutions latines, des représentations et comparaisons (la chute de l’Empire de Rome pour évoquer le IIe Empire, le sac de Rome pour parler de la Commune et du siège de Paris par les Prussiens). Les pastiches de figures mythologiques au théâtre et dans les revues de fin d’année, mais aussi dans la caricature de presse admettent un commentaire métalittéraire sur la révérence aux classiques. Daumier joue avec Homère dans des dessins inspirés par L’Odyssée publiés dans Le Charivari. Quelles sont les cibles récurrentes de l’ironie ? Peut-on constituer un panorama de la blague sur les humanités (y compris des figures ou faits, s’il en est, qui échappent au rire) ?
 
Ce projet est un volume collectif (à paraître aux EUD, coll. « Écritures ») sans journée d’études ni colloque.

Les propositions d’articles (1/2 page) accompagnées de quelques lignes bio-bibliographiques sont à adresser à florence.fix@univ-rouen.fr et marie-ange.fougere@u-bourgogne.fr, pour le 15 mars 2023.

Réponse sera donnée sous quinzaine après l’échéance de l’appel.

Après acceptation du comité de lecture, les articles d’une longueur de 30 000 signes (notes et espaces compris) sont attendus pour le 15 septembre 2023.