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Appels à contributions
La joie (revue A.R.T.)

La joie (revue A.R.T.)

Publié le par Esther Demoulin (Source : Rodolphe Perez)

Appel à contributions pour la revue des doctorants A.R.T. sur le thème de :

La joie



Au sein de l’unité de recherches ICD de Tours, la revue A.R.T (« Ateliers de Recherche Transdisciplinaire ») permet aux doctorants qui le souhaitent de participer à l’interdisciplinarité du laboratoire à partir de leurs recherches doctorales.

https://art.icd.univ-tours.fr/ 

Cécile Margelidon & Rodolphe Perez


Le nouveau numéro de la revue des doctorants du laboratoire ICD est consacré aux différents aspects et représentations de la joie en philosophie, littérature, histoire et histoire des arts. Sommes-nous en 2022, après la pandémie, la guerre en Ukraine et dans le contexte actuel d’urgence climatique, encore capables d’éprouver et de penser la joie ? Face à l’impression généralisée de « grande dépression », nous avons choisi ce thème pour faire résonner, sans polémique ni naïveté, une autre perspective sur notre avenir.

Après des années de pandémie, de guerre, qui semblent avoir traumatisé notre rapport au monde, il nous a paru important de proposer un thème résolument optimiste. Sans nier la gravité des enjeux contemporains, le rappel en contrepoint de l’importance de la joie permet de réunir nombre d’éléments qui nous tiennent à cœur, en particulier la joie de la découverte et la joie de la transmission, qui sont au fondement des études doctorales.

Conçue comme expression du plaisir et du contentement, la joie combine, comme toutes les émotions, une expression physique à un état psychologique. Une remarque de Nietzsche au début du Gai Savoir nous introduit aux paradoxes de la joie : « Nous ne sommes pas des grenouilles pensantes, des appareils objectifs et enregistreurs avec des entrailles en réfrigération ». Nous pensons avec tout notre corps, joie intellectuelle et joie physique ne peuvent être séparées. De fait, étymologiquement, joie et jouissance sont liés, de sorte qu’on voit immédiatement que la joie ne peut décorrélée de ses manifestations. La joie est même apparemment l’émotion la plus spontanée, la plus immédiate, contrairement au bonheur inaccessible à l’homme. La première serait donc temporaire et temporelle, « passage de l’homme d’une perfection moindre à une perfection plus grande » (hominis transitio a minore ad majorem perfectionem1), tandis que l’autre marquerait un état définitif, céleste. Pour autant, comment penser cette immédiateté de la joie dans la mesure où elle demeure épiphanique ? Le TLFi, tout en faisant du terme un synonyme d’enjouement, définit la joie comme suit : « émotion vive, agréable, limitée dans le temps ; sentiment de plénitude qui affecte l’être entier au moment où ses aspirations, ses ambitions, ses désirs ou ses rêves viennent à être satisfaits d’une manière effective ou imaginaire. » De fait, la joie serait un contentement mais limité à la contemporanéité de sa réalisation. Or, cette plénitude peut-elle trouver sa consécration durable dans l’ataraxie ? Ou est-ce là déjà tomber dans le bonheur plutôt que dans la joie ? Cette dernière est-elle nécessairement « vive » et « limitée dans le temps » ? Des articles pourraient creuser les rapports de la joie au bonheur, et essayer, à partir de Spinoza ou de Thomas d’Aquin, de comprendre les points de jonction et les divergences entre les deux. En effet, dans l’Éthique Spinoza propose une cartographie des affects et fait de la joie l’un des trois primitifs : tristitia, cupiditas et laetitia, or le philosophe distingue ce dernier affect de la béatitude, qui pourtant rejoint une plénitude de l’être.

Nous voudrions également proposer à la réflexion la joie comme interface entre corps et âme, entre sentiment et expression, et dont Rabelais est le porte-parole le plus exemplaire, puisque ses « joyeuses et nouvelles chronicques » (Gargantua) combinent le rire franc au sourire érudit, les représentations physiques de la joie à une fine réflexion sur le bonheur. De fait, seuls les « frisques, gualliers, joyeux, plaisans, mignons » peuvent entrer à Thélème, monastère idéal où demeurent ceux qui sont parvenus au bonheur. Il y a une matérialité de la joie, qui se traduit par une impression de dilatation du cœur et du corps : « la joie rend plus large, plus vivant, plus fort », rappelle Jean-Louis Chrétien dans un essai sur la « joie spacieuse » (2007, 10). S’épanouir et s’épandre sont au départ les mêmes mots et invitent à considérer les manières dont le corps exprime cette émotion. Si le rire est contagieux, la joie peut aussi l’être. On se souviendra que si Bergson y voit une mécanique, Bataille – et c’est là que le second s’éloigne du premier pour lui préférer la jouissance du rire nietzschéen – analyse le rire comme une modalité de la communication authentique entre les êtres, propres à une nouvelle épiphanie de la satisfaction, fût-elle de fait momentanée. Là encore les jeux sont troubles puisque, s’il identifie la joie à une forme d’extase, il la définit également dans L’Expérience intérieure comme un supplice en ce qu’elle affirme la déchirure ontologique, sa conscience aiguë et visible, qui ouvre au Vrai. Ce sont alors les implications éthiques de la joie que l’on pourrait étudier, mais aussi sa dimension historique, et des articles pourront s’intéresser à l’expression de la joie dans le temps et dans les arts, de façon à en préciser les modalités.

Certes, toutes les joies ne se ressemblent pas, et il existe des nuances dans son expression. Gaudere decet, laetari non decet, dit Cicéron, « il convient de se réjouir, il ne l’est pas d’exprimer bruyamment sa joie ». Une gradation existe donc entre la joie retenue et l’exultation, que l’on pourra étudier aussi bien du point de vue de la musique que de la philosophie.

La place à part de la joie comme reine des émotions, comme expression d’un épanouissement de soi la rend paradoxalement extrêmement difficile à représenter en littérature. Même sans se fier totalement au dogme de Léon Tolstoï, selon lequel « toutes les familles heureuses se ressemblent » et que seul le malheur est digne de l’attention du romancier, force est de constater que les romans sur la joie peinent à la décrire. Chez Bernanos, la joie qui émane de Chantal de Clergerie irradie sans jamais être décrite ni qualifiée. C’est son reflet sur les autres personnages, le psychiatre La Pérouse, l’abbé Chevrance et le trouble personnage russe que le romancier met en scène : la jeune fille les met dans une situation de malaise, de trouble profond jusqu’au dénouement du roman. À aucun moment le lecteur n’est mis en face de la joie, celle-ci n’est perceptible qu’indirectement par des effets d’ombre et de lumière. La joie, comme le bonheur, n’est pas en littérature un thème aussi fécond que la tristesse ou le malheur – l’épanchement de soi étant à vrai dire concentré sur un événement qu’on pourrait qualifier, à la suite des travaux d’Alexandre Gefen, de traumatique. On pourrait s’interroger sur les rapports de l’écriture de soi aux émotions, à la joie en particulier, pour ce qu’elle exprime de la capacité des auteurs à construire leur expérience et à la dépasser par le travail littéraire.

Le paradoxe de la joie, à la fois spontanée et rationnelle, est résumé par doña Prouhèze dans son dialogue amoureux avec Rodrigue à la fin du Soulier de satin de Claudel : « On ne possède point la joie, c’est la joie qui te possède. On ne lui fait pas de conditions ». À la relation amoureuse entre les deux personnages, Claudel surimprime l’expression mystique de la joie, spirituelle et terrestre. La joie comme ouverture de soi, comme épanouissement, y est très nettement dessinée, en même temps que sa spiritualité.

Ce numéro de la revue A.R.T. cherche à rassembler différentes manières d’aborder la joie, d’un point de vue littéraire, philosophique, historiographique ou artistique. Il déclinera les réponses à la remarque déjà citée de Claudel : La joie est-elle vraiment sans conditions ?

La revue A.R.T s’adresse prioritairement aux doctorants de l’équipe de recherche ICD, mais est prête à publier les travaux de doctorants d’autres laboratoires. Tous les domaines de recherches sont invités à participer afin que la revue soit représentative de l’interdisciplinarité propre à ce laboratoire.

Les doctorants intéressés sont invités à envoyer – avant le 15 décembre 2022 – une proposition de 2500 signes, en français ou en anglais (en format docx ou odt – le titre du fichier présenté sous la forme NOMPrénom-Discipline-ART), comportant un titre, cinq mots-clés ainsi qu'une brève présentation personnelle, à Cécile Margelidon (cecile.margelidon@univ-tours.fr) et à Rodolphe Perez (rodolphe.perez@univ-tours.fr).

La décision sera notifiée aux auteurs par courriel avant le 15 janvier 2023.

Les articles, entre 15 000 et 35 000 signes ponctuation comprise, seront à rendre avant le 31 mars 2023, pour une publication en juin 2023. Les langues acceptées sont le français et l’anglais, ainsi que l’italien, l’espagnol, portugais et l’allemand.




Bibliographie

Alain (1985) : Propos sur le bonheur, Gallimard.

Bataille, G. (1943) : L’Expérience intérieure, Gallimard.

Bernanos, G. (1929) : La Joie, Plon.

Braz, M. (1983) : Rabelais et la joie de la liberté, José Corti.

Chrétien, J.-L. (2007) : La Joie spacieuse. Essai sur la dilatation, Les Éditions de Minuit.

Claudel, P. (1929) : Le Soulier de satin, Gallimard.

Conche, M. (2002) : Montaigne ou la conscience heureuse, PUF.

Corbin, A., Courtine, J.-J. & Vigarello, G. (2017) : Histoire des émotions, 3 t., Seuil.

Gefen, A. (2017) : Réparer le monde. La littérature française face au XXIe siècle, Éditions Corti.

Giono, J. (1935) : Que ma joie demeure, Grasset.

Lewis, C. S. : Surpris par la joie

 Manzini, F. (2014) : « La valeur de joie chez Spinoza », Les Études philosophiques, 109, 237-251. https://doi.org/10.3917/leph.142.0237

Nietzsche, F. (1993) : Le Gai Savoir, trad. H. Albert, Librairie Générale Française.

Nussbaum, M. (2020) : Les Émotions démocratiques : Comment former le citoyen du XXIe siècle ?, Champs Essais.

Sapienza, G. (2015) : L’Art de la joie, trad. N. Castagné, Le Tripode.

Spinoza, B. (2021) : Éthique, éd. annotée et traduite, M. Rovere (dir.), Flammarion, 2021.

1 Éthique, III, définition générale des affects.