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Le Journal de Paul Claudel dans la galaxie des journaux littéraires de la première moitié du XXe siècle

Le Journal de Paul Claudel dans la galaxie des journaux littéraires de la première moitié du XXe siècle

Publié le par Esther Demoulin (Source : Jessy Simonini)

Le Journal de Paul Claudel dans la galaxie des journaux littéraires de la première moitié du XXe siècle

Projet d’ouvrage collectif sous la direction de Jean-François Poisson-Gueffier (ELLIADD) et Jessy Simonini (Università degli Studi di Udine)



« Le journal est pour l’écrivain ce qu’est le carnet de croquis pour le peintre1 ». Le Journal de Paul Claudel, en un même mouvement reflète et excède le cadre de cette comparaison. Que le poëte note lectures, actions et pensées en de véritables instantanés ou esquisses du livre à venir ne restitue qu’inégalement la portée d’une œuvre-monde. Initiés à Fou-Tcheou en 1904 à la manière d’un carnet de citations et achevés le 19 février 1955, entre le « grand succès » de l’Annonce et la « reprise » de sa « sciatique2», ces cahiers parcourent la première moitié du siècle. La fragmentation du propos, inhérente au genre, induit une multiplicité d’éclats envisageant tour à tour des considérations biographiques, historiques, diplomatiques, anthropologiques, linguistiques, littéraires… sans qu’aucune borne ne vienne circonscrire le domaine de ses réflexions. En une même page, il peut ainsi consigner, sommes à l’appui, les recettes des représentations de décembre 1916 de l’Otage et des citations de la Genèse et de Dante entrelacées d’images poétiques3. L’adoption progressive d’un ordre chronologique rigoureux livre ainsi des repères essentiels, non seulement pour retracer la biographie de Claudel, mais pour entrevoir la genèse de son œuvre.  

 Le paradoxe du Journal tient aux mentions innumérables qui constellent les ouvrages et articles consacrés à l’œuvre claudélienne, lesquels ne l’envisagent que de manière ancillaire, non comme une œuvre à part entière. Qu’il procure une multitude de précisions et de détails qui invitent à mieux situer l’œuvre dramatique, exégétique et poétique dans le contexte de son écriture semble l’avoir réduit au rang d’excavation, de mine à ciel ouvert. Les claudéliens puisent abondamment dans cette matière dense, riche et profuse, mais cet usage – ou ce mésusage – d’une œuvre dont la publication en Pléiade dit assez l’éminence cèle sa valeur intrinsèque. Car le Journal n’est pas seulement un vecteur, un médiateur ni un réflecteur éclairant ce qui en creux serait l’œuvre véritable, mais une totalité organique soumise à la logique virevoltante de son esprit. Si cette logique conserve une part de son mystère, elle n’est rien moins que celle d’une œuvre qui oscille perpétuellement entre notations prosaïques et aspirations spirituelles, connaissance de soi et connaissance du monde.  

Le Journal de Claudel ouvre aux vastes horizons de son écriture mais gagnerait à être replacé dans des horizons plus vastes encore. Étudié en vase clos – Claudel préfigure, annote et complète Claudel –, il n’est que rarement mis en perspective et considéré en égal avec les journaux d’André Gide, auquel le lie une amitié aléatoire, de Paul Léautaud ou de Jules Renard, que le jeune poète lisait « pour se désintoxiquer de sa propre facilité verbale4». Dans la galaxie des journaux d’écrivains du premier XXe siècle, celui de Claudel est d’une valeur qui ne le cède en rien à celle de ses pairs. Reflet de la création poétique et de la Création, il se porte au-delà de l’écriture intime, échappe à la tentation égotiste d’un Valéry Larbaud tout en partageant son cosmopolitisme. Il est le journal d’un homme dont le « je » au demeurant fort peu omniprésent « réfracte » certes « actions, observations, pensées et sentiments5 », mais ne conçoit à quelques exceptions près l’intime que comme miroir des temps, des êtres et des lieux, comme voix singulière et multiple célébrant le chant du monde et la gloire de Dieu. Il convient dès lors de l’extraire d’une démarche purement spéculaire – le Journal reflète le reste de l’œuvre comme le reste de l’œuvre est reflété dans le Journal – pour s’ouvrir à d’autres journaux, également placés à l’intersection du moi et du monde, de la littérature et de l’histoire, de la chose vue à sa transfiguration dans l’écriture.

La pénétration si singulière de la pensée claudélienne préside à une vision saisissante des deux guerres mondiales et colore ses intuitions quasi-prophétiques sur le Brésil, les États-Unis, le Japon et la Chine. Cet ouvrage collectif consacré aux dix cahiers du Journal invite ainsi à repenser la portée d’un volume considéré jusqu’alors comme incontournable et pourtant subsidiaire, pour en révéler la richesse : car si « peu de gens le connaissent », le Journal « est peut-être son chef-d’œuvre : acuité de la notation visuelle et auditive, précisions politiques, portraits, lectures vibrantes, on peut vérifier là […] l’éveil et l’ouverture que donnent des dons de langage inouïs6».

Proposition non exhaustive d’axes d’étude : 

1. L’Écriture intime
·  Le paradoxe du dévoilement : le Journal comme contournement et diversion
·  La question de l’exactitude, de la mémoire avérée ou fantasmée ; le Journal comme perpétuation des mythes claudéliens
·  Alchimie de l’écriture : du monde (exteriora) au poète (interiora), du poète au bibliste (superiora)
·  Formes de l’introspection 

2. Genre, forme, style
·  Poétique de l’intersection : journal intime, journal littéraire, journal de guerre…
·  L’art du portrait ; la chose vue ; l’« écriture rosse »
·  Approche stylistique : fulgurances et aphorismes
·  Claudel moraliste ?

3. Le Journal et l’œuvre claudélienne
·  Approche génétique. Le Journal comme esquisse et préfiguration de l’œuvre 
·  Usages du Journal dans la critique claudélienne 
·  Le Journal et l’œuvre proprement dite : confirmation, contradiction, nuance
·  Jugements ultérieurs portés dans le Journal sur l’œuvre achevée

4. Le Journal au-delà de l’œuvre claudélienne
·  L’anthropologie claudélienne
·  Exécrations et amitiés au fil du Journal ; le Journal comme reflet d’un temps perdu
·  Réceptions du Journal de Claudel
·  Le Journal dans la galaxie des journaux du premier XXe siècle (Gide, Cocteau, Léautaud, Leduc, Renard…)

5. Éditer le Journal
·  Regards sur l’édition de Jacques Petit et François Varillon dans la « Bibliothèque de la Pléiade » (1968-1969)
·  Annoter le Journal
·  Lire et relire le manuscrit (BnF NAF 28255 Fonds Paul Claudel, manuscrit numérisé par le Centre Jacques-Petit)
·  Prolégomènes à une hypothétique nouvelle édition

Bibliographie sélective : 
·  Didier Alexandre, « Exégèse de l’événement », Claudel politique, Lons le Saunier, Aéropage, 2009, p. 93-102. 
·  Gérald Antoine, « Correspondance et journal chez Claudel », Écritures de l’intime, Paris, Champion, 2000, p. 197-204.
·  Michel Autrand, « Le Journal de Claudel à la lumière de Renard », BSPC, 93,1984, p. 16-20.
·  Michel Braud, La Forme des jours. Pour une poétique du journal personnel, Paris, Seuil, 2006.
·  Pierre Brunel, « Sur quelques passages du Journal », Paul Claudel 9, RLM, 1972, p. 141-143.
·  Paul Claudel, Journal, vol. 1, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1968, p. vii-lxx.
·  Victor-Henry Debidour, « Autour du Journal de Claudel », Bulletin des Lettres, 306, 1968, p. 81-84.
·  Béatrice Didier, « Le Journal intime : pourquoi et pour qui ? », BSPC, 1992, p. 11-23. 
·  Jean-Hervé Donnard, « Symboles et paraboles dans le Journal de Claudel », BSPC, 92, 1983, p. 1-10.
·  Jacques Julliard, « Un grand méconnu. Le Journal de guerre de Claudel », BSPC, 234, 2021, p. 47-61. 
·  Robert Kanters, « Entre l’homme et l’œuvre. Le Journal de Paul Claudel », Revue de Paris, 1969, p. 128-134.
·  Catherine Rannoux, Les Fictions du journal littéraire, Genève, Droz, 2004. 
·  Françoise Simonet-Tenant, Le Journal intime, genre littéraire et écriture ordinaire, Paris, Nathan, 2001.
·  Marie-Joséphine Whitaker, « Le Journal de Paul Claudel : pensée politique ou recherche d’une Sagesse ? », Claudel politique, Lons le Saunier, Aéropage, 2009, p. 77-91. 
 

Calendrier prévisionnel : 


avril 2023                                 Envoi d’un résumé et de références bibliographiques

mai 2023                                  Réponse envoyée aux contributrices et contributeurs

septembre 2024                         Remise de la contribution puis expertise

novembre 2024                         Remise des manuscrits définitifs

janvier 2025                              Remise à l’éditeur du volume complet

Si vous souhaitez apporter votre contribution à ce volume collectif, nous vous prions de bien vouloir nous faire parvenir avant le 30 avril 2023 un résumé aux adresses suivantes : 
Jean-François Poisson-Gueffier   jeanfran_2@yahoo.fr
Jessy Simonini                          jessy.simonini@gmail.com

[1] Béatrice Didier, Le Journal intime, Paris, PUF, 1976, p. 191. 
[2] Paul Claudel, Journal, vol. 2, op. cit., p. 885. 
[3] Ibid., vol. 1, p. 368-370. 
[4] Gilbert Gadoffre, « Discussion », Entretiens sur Paul Claudel, Paris-La Haye, Mouton, 1968, p. 52. 
[5] Françoise Simonet-Tenant, Le Journal intime. Genre littéraire et écriture ordinaire, Paris, Nathan, 2001, p. 11. 
[6] Philippe Sollers, « Connaissance de Claudel », Le Monde, 18 décembre 1998, repris dans Éloge de l’infini, Paris, Gallimard, 2001.