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Pourquoi les poètes inconnus (ne) restent (pas) inconnus

Pourquoi les poètes inconnus (ne) restent (pas) inconnus

Publié le par Vincent Berthelier

Lorsque Isidore Ducasse publia Les Chants de Maldoror, il était parfaitement inconnu du monde littéraire parisien, et voué à le rester. Son œuvre ne dut sa survie qu'à des hasards éditoriaux et à l'attention parfois admirative que lui portèrent quelques auteurs (Huysmans, Jarry, Bloy). Pour finir, il ne fallut pas moins que l'autorité et le génie stratégique de Breton pour élever au rang qui est aujourd'hui le sien un auteur qui ne s'inscrivait dans aucune école, tendance ou salon.

Assisterait-on au même phénomène aujourd'hui avec Vincent La Soudière ? Celui qui n'avait publié de son vivant qu'un seul recueil, les brèves mais ô combien puissantes Chroniques antérieures (Fata Morgana 1978, avec un frontispice d'Henri Michaux) et quelques poèmes, fait aujourd'hui l'objet d'une attention grandissante. Malgré le soutien matériel et symbolique que Cioran et Michaux tentèrent de lui apporter de son vivant, La Soudière demeura un marginal, vivant de travaux manuels ingrats et en proie à une grande détresse psychique. Il sort aujourd'hui progressivement de l'oubli grâce aux efforts opiniâtres de Sylvia Massias, qui édita d'abord un opuscule intitulé In memoriam Francis Bacon (Le Capucin 2002), puis le recueil de fragments intitulé Brisants (Arfuyen 2003), et les trois volumes de sa correspondance avec Didier — l'interlocuteur de La Soudière jusqu'à son suicide en 1993 — parus aux éditions du Cerf. C'est là aussi qu'a paru l'imposante biographie, nourrie d'archives mises à disposition par la famille, Vincent La Soudière, la passion de l'abîme (2015).

Depuis, l'auteur a rencontré un écho croissant, au sein du public chrétien (il fait partie des Passeurs de l'absolu étudiés récemment par Emmanuel Godo), mais aussi auprès de chercheurs comme Jean-Yves Masson, et de diverses revues et blogs littéraires (Zone critique, Philitt, Stalker, Nunc, A.R.T., Poezibao), tant les préoccupations métaphysiques qu'il développe répondent de façon aiguë à notre sensibilité contemporaine. À l'occasion de la sortie d'un nouveau recueil de fragments édités par S. Massias à la Coopérative, Eschaton. Ici finit le règne de l'homme, que n'imagine-t-on Vincent La Soudière cité dans la prochaine encyclique du pape François, ou ambitieusement porté en étendard par des universitaires états-unien⋅ne⋅s pour relancer les neurodiversity studies ?

Habent sua fata libelli.