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Appels à contributions
La Ville et l'Enfant (revue Strenae)

La Ville et l'Enfant (revue Strenae)

Publié le par Esther Demoulin (Source : Christophe Meunier)

Appel à contributions pour la revue en ligne Strenae

La Ville et l'Enfant

Les enfants semblent être les grands oubliés de la ville. C’est tout au moins ce qu’a été amené à conclure le philosophe de l’urbain, Thierry Paquot, au terme d’une série de trois années de conférences organisées à Dunkerque portant sur la place des enfants dans la ville en 2015. Ce cycle de conférences a conduit à une exposition à la Halle au Sucre de Dunkerque et à la publication d’un ouvrage, La Ville récréative (2015). La même année, la revue en ligne Métropolitiques consacra un numéro entier aux enfants dans la ville. Le numéro est dirigé par deux sociologues, Carole Gayet-Viaud et Clément Rivière, et un philosophe de la ville et de l’architecture, Philippe Simay. Le constat est le même : « les études urbaines se sont encore peu intéressées aux enfants ».
Pendant un an, un cycle de cinq ateliers a été conduit sur ces questions liant la ville et l’enfant. Les communications sont toujours consultables sur le site de l’Afreloce (https://magasindesenfants.hypotheses.org/10013). De ces ateliers, quatre thématiques majeures se sont dégagées mais ont montré un certain nombre d’angles morts que cet appel à publication entend combler ou éclaircir. Il n’est pas question pour nous d’une simple et unique reprise et publication des communications évoquées précédemment mais bien de les compléter par d’autres communications sur des sujets qui n’ont pas ou peu été traités au cours des cinq ateliers et qui touchent à l’enfant dans la ville.

Les enfants ont longtemps été marginalisés dans les études anthropologiques, sociologiques et géographiques. Pourtant, comme le souligne l’anthropologue Lawrence A. Hirschfield, « les enfants sont particulièrement doués pour acquérir la culture des adultes et moins doué pour créer leur propre culture » (Hirschfield, 2002). Ils acquièrent très rapidement et très scrupuleusement la faculté de s’adapter aux modes culturels qui les entourent. Judith Harris, en 1998, revendique certains droits que l’enfant possède de facto sur son environnement. Elle écrit : « A Child’s goal is not to become a successful adult, any more than a prisoner’s goal is to become a successful guard. A Child’s goal is to be a successful child… Children are not incompetent members of adult’s society; they are competent members of their own society, which has its own standards and its own culture » (Harris, 1998).

Dans La Forme d’une ville, Julien Gracq exprime combien d’avoir grandi derrière les murs d’un pensionnat situé en plein cœur de Nantes l’avait, écrit-il, « formé, c’est-à-dire en partie incité, en partie contraint à voir le monde imaginaire, auquel je m’éveillais par mes lectures, à travers le prisme déformant qu’elle interposait entre lui et moi. […] Une ville qui vous reste ainsi longtemps à-demi interdite finit par symboliser l’espace même de la liberté. » Il semblerait que dans les années 1970, une sorte de prise de conscience s’opère chez les anthropologues, sociologues et psychologues. La ville a chassé l’enfant des rues écrit Philippe Ariès en 1979, voyant dans les villes d’aujourd’hui des « antivilles ». En 1976, le Centre d’Ethnologie sociale et de psychologie publie une enquête commanditée par la Caisse nationale des Allocations familiales et dirigée par Marie-Josée Chombart de Lauwe : Enfant en-jeu. Les pratiques des enfants durant leurs temps libre en fonction de des types d’environnement et de l’idéologie. L’enquête s’intéresse à une expérimentation novatrice à Villeneuve près de Grenoble et au développement des terrains d’aventure. Entre octobre 1977 et février 1978, le Centre Georges Pompidou consacre une exposition à « la ville & l’enfant ». Elle donne lieu à la rédaction d’un catalogue placé sous la direction de Jean-François Grunfeld, commissaire de l’exposition. Une part importante de l’ouvrage est consacrée à l’histoire de l’enfant et de la ville, faisant écho aux travaux de Philippe Ariès et d’Arlette Farge. Un article de Marie-José Chombart de Lauwe y questionne sur la place de l’enfant dans la ville dans les années 1970 : « la ville et l’enfant : oublié, enjeu ou messager ? » L’ouvrage de Colin Ward, The Child in the City, en 1978, est encore une manifestation de cette préoccupation de l’enfant que l’auteur juge une nouvelle fois chassé de la rue. Première synthèse géohistorique, l’ouvrage de Colin Ward constate que la ville est devenue une jungle pour les enfants, la territorialisation configurée par les gangs, la masculinisation des espaces publics.

Face à ce triste bilan, quelques voix essaient de trouver des solutions. En 1991, la ville de Fano, au centre de l’Italie, entreprend de créer un laboratoire nommé « La Ville des Enfants » dont les travaux se veulent être une référence pour les urbanistes, les associations, les élus et les enfants. L’expérience est initiée et conduite par le psychopédagogue, Francesco Tonucci. Il est suivi par une centaine de villes dans le monde qui reçoivent le label « Ville amie des enfants ».

Les sciences s’intéressant aux objets culturels de l’enfance, qui travaillent depuis plus longtemps sur les jouets, la littérature de jeunesse, les dessins animés et autres jeux vidéo, semblent travailler de manière isolée. De leur côté, des équipes de géographes, de sociologues, d’anthropologues, d’architectes et d’urbanistes, dans le sillage des Childen’s Studies du tournant des années 2000, ont questionné la ville à hauteur d’enfants, la place des enfants dans la ville et les pratiques spatiales de ces derniers. L’un des principaux objectifs de ce numéro de Strenae est de faire se rencontrer les sciences sociales et les sciences de l’image et du texte. La ville pourrait y être alors abordée comme un espace bâti, vécu et raconté, reprenant à quelques mots près les termes du discours de Heidegger à Darmstadt en 1951, Bâtir Habiter Penser.

Les Ateliers de l’Afreloce avaient mis en avant quatre directions de travail qui peuvent constituer des axes d’orientation pour les publications qui seront soumises mais qui ne sont en aucun cas des axes exclusifs pour traiter de l’enfant dans la ville.

1) La ville récréative
« L’écrasante majorité des enfants, déclare Thierry Paquot, sont condamnés à jouer dans des espaces confinés appelés “aires de jeux”, parfois ils s’échappent dans des friches et autres terrains vagues. Les cours de récréation sont généralement laides et inadaptées. Les parcours quotidiens entre le logement et l’école sont insécures et ternes. Là où l’enfant se trouve tranquille c’est le plus souvent chez lui, devant l’écran de son ordinateur ou de sa tablette. Autant dire qu’il vit dans un monde qu’il façonne à partir de ses rêveries et de ses envies » (Paquot, 2015). Comment les architectes et les urbanistes d’aujourd’hui prennent-ils en compte les enfants dans la ville ?  Quelles places réservent-ils aux enfants ? Comment l’aire urbaine est-elle bâtie pour les enfants ? Existe-t-il des expériences dans lesquelles l’avis des enfants concernant leurs aires de jeu, leurs écoles, leur quartier ou même leur ville est entendu voire pris en compte ?

2) La ville vécue par les enfants
Les enfants habitent la ville soit de manière quotidienne, soit de manière occasionnelle. Ils en ont une pratique, ils y possèdent des habitudes. Comment la ville est-elle vécue par les enfants ? Existe-t-il des manières d’habiter la ville pour les enfants différentes selon leur genre, leur milieu socio-professionnels, leurs origines ? Quelles sont les pratiques spatiales des enfants ? Évoluent-elles au fur et à mesure que les enfants grandissent ? Existe-t-il des pratiques urbaines différentes selon les pays ?

3) La ville racontée aux les enfants
Les jouets, les jeux, les films, les livres que les enfants lisent évoquent ou se déroulent très souvent en ville. La ville est même devenue, depuis les années 2000, un sujet récurrent dans les albums pour enfants (Meunier, 2016). La ville racontée aux enfants, la ville racontée par les enfants, les dessins animés (Street 2 Rue, Tom-Tom et Nana…), les bandes-dessinées (Titeuf, Seuls…), les films (Divergente…), les mangas, les séries télévisées (13 Reasons Why, Riverdale…) décrivent des villes dans lesquelles des enfants sont les héros. Ces productions portent un regard sur la ville et transmettent ce regard aux enfants. Quelle image de la ville donnent-elles aux enfants ? Comment les enfants perçoivent-ils la ville à travers ces différents médias ? Et les enfants, quelle image se font-ils de la ville ? Celle dans laquelle ils vivent ? Celle dans laquelle ils aimeraient vivre ?

4) La ville pensée par et pour les enfants
Dans La Ville des enfants, Francesco Tonucci construit à Fano une ville dans laquelle les enfants ont leur mot à dire, participent à l’aménagement des infrastructures, donnent leur avis pour développer une ville à leur hauteur. L’exemple a fait boule de neige mais s’est inspirée d’initiatives à travers le monde dans lesquelles architectes, urbanistes et enfants se sont mis autour d’une table pour imaginer, aménager et construire ensemble. Il est fait référence ici aux projets de Riccardo Dalisi à Naples ou à ceux du collectif allemand KEKS ou encore aux travaux de Gordon Matta-Clark à New York. Dans de nombreux départements, les CAUE (Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et d’Environnement) mènent différentes actions de sensibilisation à l’aménagement auprès des enfants. Comment sensibiliser les enfants aux politiques d’aménagement de leur ville ? Quelles expériences ne demanderaient qu’à être généralisées ? Quel est le ressenti des enfants qui ont pu collaborer à des projets d’aménagement urbain ? Quelle est la ville ou le quartier que les enfants imaginent pour eux ?

Calendrier
Date de remise des propositions à strenae@revues.org, accompagnées d’une courte biographie et bibliographie (2 000 à 3 000 signes, espaces et bibliographie comprises) : 14/01/2023
Réponse des éditeurs aux auteurs des propositions : 04/02/2023
Date de remise des articles complets (30 000 signes, espaces et notes compris) aux éditeurs : 04/06/2023
Date de la mise en ligne du numéro : novembre 2023