Renouvellement de l’écriture de soi. Littérature de jeunesse et matériaux autobiographiques et auto-réflexifs au théâtre et en performance (Mulhouse)
Renouvellement de l’écriture de soi
Littérature de jeunesse et matériaux autobiographiques et auto-réflexifs au théâtre et en performance
Colloque international 20-21 avril 2023/ International Symposium April 20-21st 2023
Institut de recherche en Langues et Littératures Européennes (ILLE, UR 4363)
Université de Haute-Alsace, F-Mulhouse, Campus Illberg
L’ILLE s’est intéressée à plusieurs reprises depuis 2008 à la problématique de l’Écriture de soi. La Journée d’Étude du 29 avril 2022 a permis de remettre cette problématique dans le débat en interrogeant le « je » dans les écritures de soi, dans des romans ou des nouvelles récentes (XXème et XXIème siècle), à travers la construction du discours, la simulation ou dissimulation de soi, l’image de soi et aussi l’introduction d’un possible infradiscours.
Dans la poursuite de l’investigation de ce large champ, ce colloque propose de sonder les écritures de soi sous l’angle de ce que le matériau se dit en fonction du genre qui est investi – les deux pistes retenues pour l’édition 2023 sont la littérature de jeunesse et les matériaux autobiographiques et auto-réflexifs au théâtre et en performance.
Axe 1 : Les jeux du je dans la littérature jeunesse
La littérature de jeunesse a de tous temps puisé de la matière dans le domaine biographique, pour produire des autobiographies/autofictions attrayantes. Pourtant, rares sont les études qui s’y intéressent et ce genre rencontre encore peu d’intérêt dans la recherche scientifique récente, quand le matériau ne manque pas.
Le journal intime a eu ses heures de gloire par le passé et fait moins recette, mais les récits de migration, en lien avec les problématiques de notre temps, sont devenus un point fort dans la littérature européenne actuelle. Le déguisement autobiographique, la simulation ou dissimulation dans une autofiction augmentée, sont parfois les biais qui permettent de rendre les récits crédibles. Le genre de l’autobiographie écrite pour la jeunesse s’est beaucoup développé durant les 20 dernières années, des collections entières lui ont été dédiées. Ces récits ont la particularité de créer une grande proximité avec les jeunes lecteurs qui recherchent des voix authentiques, sincères, capables de leur parler et d’entrer en écho avec leurs propres problèmes.
Il serait intéressant d’étudier, dans la littérature française et européenne, comment le soi peut s’écrire dans des livres destinés à un jeune public, comment ces textes parviennent à faire entendre la voix de l’enfant et voir l’univers de l’enfance à travers l’adulte qui écrit, qu’il s’agisse d’une enfance blessée ou heureuse. L’univers créé montre parfois le poids des coutumes, des malentendus et des règles familiales et sociales, les blessures et dommages causés par le comportement des adultes, la souffrance des enfants et leur possible résilience. Mais parfois aussi, un monde imaginaire ou imaginé, permet de transcender le réel, en permettant aux jeunes lecteurs de s’identifier avec le vécu (passé) de l’auteur-e. Ces récits permettent la participation à la construction de l’identité de l’adulte à travers celle de l’enfant ou des scénarios mis en scène. Ils montrent aussi les discours et les représentations de l’enfance à travers le temps.
Le questionnement pourra notamment porter sur les projets autobiographiques ou autofictifs des littératures envisagées, sur les procédés narratifs mis en œuvre (perspective et point du vue, problématique des espaces et des temporalités choisies, …), sur la manière de parler de soi en construisant son discours, ce qui constitue un frein aux confessions, ce qui distingue les paroles et les intentions. On s’interrogera aussi sur les voix / voies que choisissent les écrivains pour se faire entendre par de jeunes lecteurs. L’interrogation pourra aussi porter sur les effets produits, sur la réception et le public visé (les jeunes enfants ou au contraire les adolescents), en rapport avec le choix du matériau et sa mise en œuvre. La relation au lecteur dans la littérature de jeunesse autobiographique pourra aussi faire l’objet d’analyses : un auteur s’adressant à un jeune lecteur adopte-t-il les mêmes modalités d'écriture que s’il adressait à un adulte ? Ce questionnement rejoint celui lié aux stratégies éditoriales : quelles sont celles employées facilitant l’accès à ces confessions ? Enfin, on pourra se demander dans quelle mesure l’épistolaire, l’autobiographie et la confession sont encore adaptés aujourd’hui au jeune lectorat, alors que l’univers de la fantasy, de l'heroic-fantasy ou encore l’univers des mangas - pour ne citer que les plus visibles - captent une majorité de jeunes lecteurs. Nous espérons pouvoir contribuer à susciter l’intérêt de ce genre encore peu étudié sous le prisme de l’autobiographie/autofiction.
Axe 2 : Matériaux autobiographiques et auto-réflexifs au théâtre et en performance
Jugé « impossible » par Patrice Pavis, le théâtre autobiographique existe pourtant de longue date ; « raconter sa vie au théâtre » est même de plus en plus fréquent (lors du dernier festival off d’Avignon, ce genre de pièces se taillait le haut du pavé), et les critiques se penchent de plus en plus sur les procédés d’autofiguration et d’autofiction au théâtre. La thématique autobiographique (ou autofictionnelle ; il faudrait se demander si le genre théâtral n’impose pas une « mise en scène de soi » encore plus dirimante que dans les genres narratifs) peut revêtir diverses esthétiques : seul en scène flamboyant et délibérément « théâtral » chez Philippe Caubère, qui trouble le paradigme générique en intitulant son geste « le roman d’un acteur », aventure à plusieurs, autobiographie « générationnelle » ou artistique chez Christophe Honoré (Le Ciel de Nantes) ou épopée nostalgique chez Olivier Py (Ma jeunesse exaltée), ou théâtre délibérément plus intimiste chez d’autres. Dans les théâtres privés comme dans les théâtres publics, avec des moyens de production et de diffusion extrêmement différents, les « autobiographies scéniques » abondent.
On peut y voir un effet plus général d’un champ littéraire et artistique, qui tend à mettre en avant des histoires « vraies », vécues, pour un public qui en serait friand et des « récits de soi » encouragés par la performance (Marina Abramovic, The Life and Death of Marina Abramovic; Sophie Calle, Histoires vraies ; Solo show). On irait au théâtre, attiré par une figure aimée, ou détestée, qui parlerait d’elle – comme sur un plateau de télévision, à l’affût de la « découverte » et de la personne sous le masque de l’acteur, ce qui en dit long des représentations et des mythologies du jeu qui subsistent ; mais les plateaux de théâtre seraient plus « artistiques», plus « légitimes », plus vrais peut-être pour cette parole qui se veut sincère mais qui, paradoxalement, s’insère dans le dispositif par essence hypocrite, à tout le moins seulement illusionniste du théâtre. Le public n’irait plus seulement voir tel grand acteur ou telle grande actrice dans un rôle, mais bien dans son « propre rôle », se nourrissant de sa propre histoire et en offrant le dévoilement, sinon (souvent) le commentaire.
Le propos de ces autobiographies scéniques est délibérément égotiste (portant à l’occasion sur le métier d’acteur, sur les déboires d’une trajectoire, sur les souvenirs de travail et les rencontres de scène), parfois destiné à rejoindre une plus grande histoire, culturelle et sociale, dans laquelle le public se retrouverait, sur le mode d’une captatio benevolentiae jouant la carte de la nostalgie. Histoire commerciale, également, car le théâtre étant aussi une industrie, il faut poser en intention de mise en scène ou de direction de salle l’intérêt trouvé à cette « autobiographie scénique » : porter à la scène soit un grand nom, soit un grand évènement, narré à hauteur d’homme ou de femme, ce qui en facilite l’accueil par le public serait une façon de faire spectacle sans autre besoin de justifier plus avant la proposition dramaturgique. Les « autobiographies scéniques » ont d’ailleurs parfois été écrites pour d’autres supports que les planches (Vous n’aurez pas ma haine) ; quel est dans ce cas l’apport spécifique du théâtre – une oralisation d’une parole, à l’imitation d’un livre audio, une mise en voix autorisant encore davantage la portée émotionnelle du propos ? Enfin, comme pour d’autres « genres » l’autobiographie scénique pose également une question de définition et de limites : qui parle ? (cela d’autant plus quand l’acteur n’est pas l’auteur du texte.) Quelle est la portée du pacte ici défini ?
Les questions autour des « autobiographies scéniques » peuvent suivre diverses pistes :
D’un point de vue dramatique, comment sont construites ces autobiographies scéniques (quel matériau : insertion de lettres, de journaux intimes, confidence au public, utilisation de matériaux comme les articles de journaux ou des objets « datant » la prestation) ? Sur le long temps de la chronique ? sur un moment de crise ? Qu’en est-il de la figuration du passage du temps, sur le plateau ? De même, quel dispositif est-il adopté ? le seul en scène ou une forme double, ou chorale ? Qu’en est-il des moments d’introspection ? De la mise en scène ? Comment une parole autobiographique est-elle « soutenue » par des moyens proprement scéniques ? On aura à cœur ici de ne pas oublier le stand up, forme d’écriture et d’exhibition de soi, et les performances que sont par exemple les pièces de Rebecca Chaillon, sorte d’autobiographie théâtrale d’une racisée au corps non « conforme ».
Nous aimerions aussi nous pencher sur les auteurs et autrices de ces « autobiographies scéniques ». Pourquoi le recours au théâtre, chez des auteurs et autrices qui ont par ailleurs pratiqué d’autres supports ? Ou, dans l’autre cas, pourquoi se tourner vers le théâtre, chez des néo-autobiographes ? Qu’en est-il des acteurs et actrices qui endossent le récit vécu d’un ou d’une autre ? Chez les auteurs et autrices qui sont aussi les acteurs et actrices de leurs textes, quel nouveau rapport cela crée-t-il avec le théâtre, ou le jeu ? Pourquoi ce passage par une création textuelle centrée sur soi ? (Philippe Caubère parle du désir de « laver son linge sale » mais aussi de la nécessité de ne pas devenir fou.
Qu’en est-il, également, du passage des planches à l’écrit ? ces « autobiographies scéniques » ont-elles vocation à être publiées ?
La question peut également se poser sous un angle sociologique : pourquoi le public va-t-il voir ces « autobiographies scéniques » ? Par « divertissement », désir d’édification, ou d’identification ?
Enfin, le questionnement peut s’étendre au « théâtre du vécu », ou à la pratique d’ateliers d’écriture (individuelles ou collectives) donnant lieu à restitution. Quelle peut être l’éthique de ces « autobiographie scéniques » de patients et de patientes, ou d’élèves ?
La présente journée d’études voudrait aborder, sans exclusive, trois points :
- La généalogie de cette forme, de ses origines (à dater, donc), à nos jours
- Les aspects formels, dramatiques, de ce sous-genre (autour de la notion de « crise »)
- Les aspects thématiques de ce sous-genre : autobiographie d’un individu, ou d’une génération, ou d’une communauté/d’un groupe ?
On entend ici « scène » au sens large : des communications sur le cirque sont également bienvenues.
Comité d’organisation de l’édition 2023
Régine Battiston (ILLE-UHA), Corinne François-Denève (ILLE-UHA), Arnaud Genon (ILLE-UHA)
Comité scientifique pour la littérature de jeunesse
Régine Battiston (ILLE-UHA)
Monique Chassagnol (Université de Nanterre)
Arnaud Genon (ILLE-UHA)
Mathilde Lévêque (Pléiade, Sorbonne Université)
Déborah Lévy-Bertherat (ENS-PSL, CRRLPM-République des Savoirs - UAR 3608)
Samuel Ludwig (ILLE-UHA)
Natacha Rimasson-Fertin (ILCEA4, Université Grenoble Alpes)
Anne Schneider (LASLAR, Université de Caen-Basse Normandie)
Comité scientifique pour les matériaux autobiographiques et auto-réflexifs au théâtre et en performance
Florence Fix (CérEDI, Université de Rouen)
Corinne François-Denève (ILLE-UHA)
Louis Patrick Leroux (Concordia University, Montréal)
Philippe Weigel (ILLE-UHA)
Langues de travail : français, anglais/french, English.
Modalité de soumission des propositions : les propositions de communications (1500 à 2000 signes espaces compris), accompagnées d’une brève bio-bibliographie, sont à envoyer à ecrituredesoi2023.ille@uha.fr avant le 15 novembre 2022.
Réponse au 15 décembre 2022.