Invisibilité / Visibilité. Opus III : Visage(s) de l’inconvenant (Séminaires 2023 CELIS/ECLLA)
Séminaires communs 2023 CELIS / ECLLA — Axe : « Décentrement »
Invisibilité / Visibilité :
Opus III : Visage(s) de l’inconvenant
Dans la continuité des journées d’études « Invisibilité / Visibilité » qui se sont tenues à l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne, en mai 2021, puis à l’Université Clermont Auvergne, en mai 2022, et dans le cadre du programme conjoint ECLLA / CELIS autour des formes de décentrement, cet opus III se propose d’analyser le lien entre invisibilité et visibilité à travers la notion d’inconvenant. La notion d’inconvenant (ECLLA) revendique le hors norme. Le « décentrement » (axe CELIS) interroge, quant à lui, le résultat d’un processus qui vise à s’extraire de la norme et du centre ; en un mot, du convenu et de la « visagéité ».
Dans The Deleuze Dictionary (2005), Tom Coley souligne le lien établi par Deleuze entre techniques cinématographiques et visagéité. Coley précise: “Deleuze relates faciality to the close- up in film, the cinematic technique that generally uses a lens of long focal length to bring the face forward and soften the edges of the frame, or else, to the contrary, deploys a lens of shorter length to obtain a facial projection or distortion at the centre of the image while the surrounding milieu is seen in sharp focus” (Coley 101). Le concept de « visagéité » défini par Deleuze et Guattari est un préalable essentiel à toute analyse des stratégies d’extraction du sujet en dehors des normes puisque cette notion a été créée dans le but précis de questionner les rapports du sujet au corps et donc à l’identité :
C’est une erreur de faire comme si le visage ne devenait inhumain qu'à partir d'un certain seuil […]. Si l'homme a un destin ce sera plutôt d'échapper au visage, défaire le visage et les visagéifications, devenir imperceptible, devenir clandestin, non pas par un retour à l'animalité, ni même par des retours à la tête, mais par des devenirs-animaux très spirituels et très spéciaux, par d'étranges devenirs en vérité qui franchiront le mur et sortiront des trous noirs, qui feront que les traits de visagéité même se soustraient enfin à l'organisation du visage. (Deleuze, Guattari 208-209).
Le concept de « corps sans organes » accompagne celui de « visageité » et tous deux doivent être conçus comme des antidotes à toute structure humaine organisée. Pour Deleuze et Guattari, un corps sans organes n’a pas à être interprété. Il n’est donc ni humain ni vivant.
Audacieux, étrange et dérangeant, le rapport entre inconvenant et décentrement souligne combien les littératures et productions culturelles qui sortent du « cadre » et de l’ordre établi dérangent et bousculent les standards. Les notions de censure, d’interdit, de tabou sont liées à l’inconvenant et sont subies par les créations, les littératures décentrées mais aussi les relations culturelles dès lors qu’il s’agit d’interagir dans et hors du contexte national. S’intéresser à la représentation du « convenu des normes » et au pas de côté des marges par le biais de l’inconvenant permettra de s’interroger sur la manière par laquelle les artistes, les intellectuels et les écrivains parviennent à s’extraire de la norme et du centre mais aussi à « échapper au visage » pour se soustraire à son organisation. Ce sera aussi l’occasion de se demander dans quelles circonstances les échanges interculturels peuvent devenir inconvenants dès qu’ils échappent à la norme et aux usages et enfreignent ainsi les règles sociales et culturelles. À la croisée des arts et de la société, ces notions ont donné naissance à des genres et des mouvements littéraires nouveaux et à des phénomènes culturels innovants comme la contre-culture nord-américaine, le mouvement surréaliste ou encore le Pop Art. Par ailleurs, face aux transformations de la société, les relations internationales ont évolué et la dimension interculturelle s’est attachée à transformer l’espace social et professionnel en un espace multidimensionnel où les pratiques se sont diversifiées. L’inconvenant s’inscrit, par conséquent, au coeur de ces relations et surgit comme un enjeu identitaire lorsque les pratiques langagières et les habitus sociaux (nationaux ou internationaux) sont méconnus ou non conformes à la norme. Cela requiert, par conséquent, un décodage, que le concept deleuzien de rhizome pourra aider à déchiffrer car :
Un rhizome, à la différence des arbres ou de leurs racines […] connecte un point quelconque avec un autre point quelconque, et chacun de ses traits ne renvoie pas nécessairement à des traits de même nature, il met en jeu des régimes de signes très différents et même des états de non-signes. Le rhizome ne se laisse ramener ni à l’Un ni au multiple. Il n’est pas l’Un qui devient deux, ni même qui deviendrait directement trois, quatre ou cinq, etc. […] Il n’est pas fait d’unités, mais de dimensions, ou plutôt de directions mouvantes. (Deleuze, Guattari 31).
Nous nous attacherons donc à analyser les stratégies de « remise à l’ordre » ou « retour au centre » qui ont été déployées pour faire rentrer dans le rang du convenu, du convenable et de la visagéité, souvent de manière inconsciente, les créateurs même de l’inconvenant en quête de reconnaissance.
Ces deux notions seront envisagées de façon transversale grâce à une collaboration inter-centres à travers les arts graphiques et visuels, la musique, les littératures francophones et en langues étrangères des XXe et XXIe siècles. Cette collaboration se proposant aussi de rassembler divers domaines de spécialité, cette notion sera abordée par le biais des échanges internationaux propres aux études en Langues Étrangères Appliquées mais aussi au commerce et à l’industrie (y compris l’industrie culturelle) et pourra se concentrer sur les spécificités dans la gestion de ces échanges propres aux zones géographiques et culturelles des mondes francophones et anglophones. Les travaux pourront également s’inscrire dans une approche sociopoétique et/ou dans les champs des études mémorielles, post- et dé-coloniales. Ils pourront aussi relever du champ des études féminines, féministes et de genre, l’idée même de différence renvoyant à un regard décentré sur les constructions socio-culturelles et littéraires des figures et des postures féminines.
Ainsi les concepts deleuziens de « corps sans organes » et de « visagéité », qui sous-tendent les théories de « déterritorialisation » et de « lignes de fuite » et déconstruisent les codes esthétiques classiques, mais aussi le concept de « rhizome », accompagneront et alimenteront les réflexions. Les phénomènes de tensions par rapport à un cadre établi pourront être abordés, entre autres, à travers :
- Les ruptures modernistes
- La censure et l’auto-censure
- Les réappropriations culturelles
- Le contre-culturel et le mainstream
- Les traductions infidèles et/ou le plagiat
La date limite de soumission des propositions (200 mots maximum) est fixée au 30 Novembre 2022.
Les propositions devront contenir en plus de l’abstract une courte bibliographie (150 mots), votre situation universitaire et vos coordonnées ainsi que 5-6 mots-clés et être envoyées à :
anne.garrait-bourrier@uca.fr
christine.duale@univ-st-etienne.fr
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À noter : Cycle de séminaires (sur la base de 3 séances) entre janvier et juin 2023, le vendredi de 15 h à 17h30 :
Séminaire 1 : 27 janvier en distanciel
Séminaire 2 : 24 mars en présentiel à l’université Jean Monnet de Saint-Étienne
Séminaire 3 : 9 juin à l’Université Clermont Auvergne
Bibliographie :
DELEUZE, Gilles, GUATTARI, Félix. Mille Plateaux. Capitalisme et schizophrénie 2. Paris : Les éditions de Minuit, 1980.
HOFSTEDE Geert, HOFSTEDE Gert Jan et MINKOV Michael. Cultures and Organizations, Software of The Mind, Intercultural Cooperation and Its Importance for Survival. New York: The Mc Graw-Hill Companies, 2010 (3rd edition).
LEFRANC Georges. Histoire du commerce. Paris : PUF, 1959.
MEYER Erin. The Culture Map: Decoding how people think, lead, and get things done across cultures. New York: Public Affairs, 2014.
PARR, Adrian, ed., The Deleuze Dictionary. Revised Edition. Edinburgh: Edinburgh University Press, 2005 (2010).
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Invisibility/Visibility
Opus III: Faciality of the Improper
Following the scientific event: “Invisibility/Visibility” which took place online in May 2021 at University Jean Monnet, Saint-Etienne, which was then followed by a second opus entitled “Decentrement(s) and Transculturality” (UCA, May 2022), this third opus aims at analyzing the link between invisibility and visibility through “the faciality of the improper”.
These notions (developed by ECLLA) conjure up what is out of norms. De-centering (developed by CELIS, Axe “Décentrement”), on the other hand, questions the result of a process tending to flee from the norm and the center at the same time. To put it differently, escaping the norms means fleeing from what is suitable or proper, which Deleuze and Guattari named “faciality”. As Tom Coley states in The Deleuze Dictionary (2005), “Deleuze relates faciality to the close-up in film, the cinematic technique that generally uses a lens of long focal length to bring the face forward and soften the edges of the frame, or else, to the contrary, deploys a lens of shorter length to obtain a facial projection or distortion at the centre of the image while the surrounding milieu is seen in sharp focus” (Coley 101). Deleuze and Guattari’s concept of “faciality” is key to analyze the stepping out of the norm since this concept challenges the world of the self-defining subject:
C'est une erreur de faire comme si le visage ne devenait inhumain qu'à partir d'un certain seuil […]. Si l'homme a un destin ce sera plutôt d'échapper au visage, défaire le visage et les visagéifications, devenir imperceptible, devenir clandestin, non pas par un retour à l'animalité, ni même par des retours à la tête, mais par des devenirs-animaux très spirituels et très spéciaux, par d'étranges devenirs en vérité qui franchiront le mur et sortiront des trous noirs, qui feront que les traits de visagéité même se soustraient enfin à l'organisation du visage. (Deleuze, Guattari 208-209).
Along with “faciality” comes the concept of “body without organs” which must be understood as an antidote to the organized organism. To Deleuze and Guattari, the body without organs has no need for interpretation.
Bold, weary and uncanny as it may be, the link between the improper and de-centering underlines how disturbing literatures and cultural productions going out of the “frame” of the established order can be; how destabilizing they are for all standards. The notions of censorship, prohibition, and taboo are all related and offer different forms of improperness that are imposed upon de-centered creations and literatures, as well as upon any cultural interactions, as soon as they impact national, social and moral norms. Studying the improperness of other norms and intellectuals and artists stepping aside from the margins will allow us to understand how they manage to avoid fixed organizations and in what manner and to whom their move outside the norm becomes “improper”.
At a cultural crossroads between arts and societal concerns, these notions gave birth to new genres and literary movements like counter-culture, surrealism or Pop Art. Besides, confronted to social transformations, international relations have also made culture evolve and interculturality has reshaped social and professional spaces into a new multidimensional space where practices have drastically changed. Hence the improper and its different forms are inscribed at the heart of these ongoing movements. The improper questions the very notion of identity since linguistic and social uses and practices (be they national or international) always challenge installed norms and require a decoding strategy. This reverts to the Deleuzian concept of “rhizome” :
Un rhizome, à la différence des arbres ou de leurs racines […] connecte un point quelconque avec un autre point quelconque, et chacun de ses traits ne renvoie pas nécessairement à des traits de même nature, il met en jeu des régimes de signes très différents et même des états de non-signes. Le rhizome ne se laisse ramener ni à l’Un ni au multiple. Il n’est pas l’Un qui devient deux, ni même qui deviendrait directement trois, quatre ou cinq, etc. […] Il n’est pas fait d’unités, mais de dimensions, ou plutôt de directions mouvantes. (Deleuze, Guattari 31)
Therefore, we will focus on analyzing the often unconscious “coming into order” or “returning to the center” strategies developed by the very actors of the improper who are looking for recognition so that they can reach a normative frame and the center. Our approach will be transverse thanks to the collaboration of our two research centers through artistic and visual practices as well as through foreign and French literatures from the past two centuries. The angle of reflection will be international and more particularly focused on the French- and English- speaking areas. Since difference can also refer to a decentered outlook at the socio-cultural and literary constructions of female figures and positions, approaches focusing on gender studies are welcome, as well as socio-poetics, memorial, post- and de-colonial studies.
Deleuzian concepts, which are all interconnected, are very helpful tools when studying the deconstruction of classic codes and to decode this notion of the Improper. The “rhizome” concept is closely linked to “deterritorialization” and “lines of flight”. These concepts underpin other ones like the “body without organs” and “faciality” and all offer a large spectrum to analyze the different faces of the improper.
Therefore, tensions in relation to an established framework will be addressed through:
- Modern ruptures
- Censorship and self-censorship
- Cultural re-appropriations ?
- Counter- vs. mainstream culture
- Unfaithful translations and/or plagiarism
The deadline for the submission of abstracts (maximum 200 words) is November 30th, 2022. The proposals should include, along with the paper abstract, the paper title, a short biographical note (150 words), academic affiliation and contact information, as well as 5-6 keywords.
Proposals must be sent to:
anne.garrait-bourrier@uca.fr
christine.duale@univ-st-etienne.fr
Please note 3 dates (between January and June 2023) for this cycle of seminars:
Seminar 1: Friday 27, January 2023; online meeting
Seminar 2: Friday 24, March 2023 at Université Jean Monnet de Saint-Etienne
Seminar 3: Friday 9 June 2023 at Université Clermont-Auvergne
Bibliography:
DELEUZE, Gilles, GUATTARI, Félix. Mille Plateaux. Capitalisme et schizophrénie 2. Paris : Les éditions de Minuit, 1980.
HOFSTEDE Geert, HOFSTEDE Gert Jan et MINKOV Michael. Cultures and Organizations, Software of The Mind, Intercultural Cooperation and Its Importance for Survival. New York: The Mc Graw-Hill Companies, 2010 (3rd edition).
LEFRANC Georges. Histoire du commerce. Paris : PUF, 1959.
MEYER Erin. The Culture Map: Decoding how people think, lead, and get things done across cultures. New York: Public Affairs, 2014.
PARR, Adrian, ed., The Deleuze Dictionary. Revised Edition. Edinburgh: Edinburgh University Press, 2005 (2010).