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Appels à contributions
Constructions, expressions et perceptions de la communauté à l’époque contemporaine

Constructions, expressions et perceptions de la communauté à l’époque contemporaine

Publié le par Maxime Berges (Source : Anne-Sophie Letessier)

Appel à contribution

Ce numéro de Voix contemporaines a pour but de proposer une réflexion pluridisciplinaire sur les constructions, les expressions et les perceptions de la communauté à l’époque contemporaine.

Le terme communauté est ici considéré dans un sens large. Si chaque discipline, chaque courant d’idées et de pensées dessine un périmètre sémantique différent, le point de départ reste la possibilité d’un commun à partir duquel une communauté peut prendre forme et se dire. Une réflexion sur la communauté – ce qu’un groupe, quel qu’il soit, a en commun, de commun – fait nécessairement jouer le sens du mot partage et travailler les notions de différence et de relation, d’identité et d’altérité, d’appartenance et d’exclusion, de partagé et d’individuel. En ce sens, elle recouvre tout à la fois des problématiques politiques, éthiques et représentationnelles. Il s’agira dans ce numéro de croiser différentes approches de la question afin de réfléchir à ses enjeux contemporains et à ses possibles mutations dans les domaines des arts et des lettres, de l’architecture, du design, ou encore de la linguistique, de même que dans les récits de communautés virtuelles sur Internet. La notion de communauté peut être notamment envisagée dans ses relations à l’espace, que celui-ci soit appréhendé comme un lieu, un territoire, ou un paysage. Ces trois termes ne se recouvrent pas tout à fait, et leur réévaluation conceptuelle dans des domaines aussi divers que les études paysagères, les études postcoloniales et décoloniales, les études urbaines et l’écocritique par exemple, n’est pas sans incidence sur ce qui se donne à penser lorsque l’on parle de communauté.

On peut également aborder la notion de communauté par le biais de sa représentation et des divers modes de création artistique qui la mettent en récit et en image. Se pose alors la question de la visibilité, ce qui la rend possible, et de ce qu’elle rend possible. On peut par exemple penser à certaines pratiques comme le street art, le design ou la publicité, qui, en s’insérant dans le paysage urbain, contribuent à le modeler dans une dynamique de co-engendrement : elles donnent forme aux représentations imaginaires et matérielles qu’un groupe se fait de lui-même et du monde, groupe qui, dans le même temps, se structure en fonction de ces représentations. La question de la visibilité peut également se penser en relation avec les phénomènes d’invisibilisation. Celle des individus et des groupes dits mineurs ou marginaux, tels que des communautés autochtones ou diasporiques, a pu se traduire par une exclusion ou une marginalisation d’ordre social, politique, philosophique ou encore langagier. De telles représentations ont fait l’objet d’évolutions au cours des dernières décennies ; elles requièrent alors un décodage qui mène à différents concepts pour créer un nouvel espace de « décolonisation », ou encore « un “troisième espace” à partir duquel de nouvelles positions peuvent émerger » (Bhabha, 2004). George Didi-Huberman l’a montré (Didi-Huberman, 2012), invisibilité et visibilité ne ressortent nécessairement pas d’une opposition tranchée, et la mise en spectacle, la surexposition, pose avec insistance la condition des conditions de l’expérience de l’altérité.

L’imaginaire est également au centre du processus de création de communautés fictionnelles, des utopies « classiques » aux communautés des littératures de l’imaginaire dans leurs expressions les plus contemporaines. Les concepts de « communauté virtuelle » et de « cyberespace » (Rheingold, 1995) désignent, eux, une communauté dont l’existence est bien réelle, mais dont les interactions sont relocalisées dans un espace virtuel qui transforme profondément notre rapport au monde, au temps et à l’espace : la communauté est alors éminemment liée à l’imaginaire d’Internet, dont l’organisation en une multitude de réseaux invite à un renouvellement des pratiques et des formes littéraires. Ces modes divers de création artistique et de narration permettent de construire, de coconstruire et reconstruire les communautés, comme dans le cas de la reconstruction littéraire et artistique de la communauté sous un angle cathartique (après des crises ou des catastrophes, comme la pandémie, par exemple).

Ces différents types de communauté constituent autant de constructions sociales, historiques et civilisationnelles, qui peuvent être l’objet d’études croisées selon différentes perspectives relevant des sciences humaines et du domaine artistique. Sur le plan linguistique, ce numéro de la revue propose aussi d’envisager la notion de langues construites autour d’une communauté fictionnelle et d’en explorer les enjeux narratifs, sociaux, politiques et philosophiques.


Voici quelques axes selon lesquels ces thématiques pourraient être déclinées :

Les représentations multimodales des communautés
Ce numéro pourra porter sur les représentations multimodales des communautés (ouvrages littéraires ou illustrés, œuvres animées, films et séries, Internet, jeux vidéo). Le cinéma est notamment un média de choix pour étudier l’expression et la perception d’une communauté. En interaction permanente avec la société dont il est le produit, il permet d’analyser la représentation d’une communauté réelle ou imaginée et de l’espace qui la définit et qu’elle définit. Les représentations artistiques de cet espace et des communautés qui le composent peuvent porter sur des individus et des groupes dits mineurs ou marginaux, tels que des communautés autochtones ou diasporiques, dont l’invisibilité a pu se traduire par une exclusion ou une marginalisation d’ordre social, politique, philosophique ou encore langagier. De telles représentations ont fait l’objet d’évolutions au cours des dernières décennies ; elles requièrent alors un décodage qui mène à différents concepts pour créer un nouvel espace de « décolonisation », ou encore « un “troisième espace” à partir duquel de nouvelles positions peuvent émerger » (Bhabha, 1990).

Les communautés urbaines à l’aune du commun
On pourra aussi interroger les pratiques urbaines à travers la manière dont elles structurent la communauté autour des notions de biens privés et de bien publics, elles-mêmes transcendées par la notion des communs. En ce sens, les Commons Studies ouvrent une brèche sémantique importante qui permet de parler de « communauté ouverte » (Mattei, 2011) pour un ensemble d’individus, les commoners, qui partagent le soin et l’usage d’un bien commun, sans liens de propriété. Ce type de communauté s’exprime par les valeurs qui relient l’être vivant à son milieu en instituant des pratiques et des usages qui remettent en question les pratiques territoriales néolibérales. On pourra parler de communauté pour des rassemblements humains qui ne sont pas forcément agrégés par un lien historique ou culturel. Ainsi, les communautés de soins des espaces urbains (urban care), les assemblées qui se réunissent autour des tables de coconception, ou encore les communities of inquiry font partie des nouveaux scenari collaboratifs d’intervention urbaine, selon les différentes formes que l’urbanisme tactique peut prendre à l’heure actuelle. De ces pratiques urbaines, on pourra également interroger la création à l’échelle de l’objet et des formes manifestes d’appropriation critique des territoires. Réfléchir au(x) commun(s), c’est certainement aussi penser une conception infrapolitique du corps et de l’être, c’est-à-dire se demander comment notre expérience intrinsèque peut devenir un objet de réflexion collective.

Le droit à l’écologie et devenirs environnementaux
Du point de vue de l’environnement et de la gestion des ressources, la notion de communauté s’ouvre sur un large spectre de phénomènes et de mouvements qui vont de l’art à la sociologie, de la philosophie à l’anthropologie, en passant par le paysage et la géographie. L’action collective des communautés engagées dans la protection de l’environnement a donné vie à de nouvelles formes d’activités communautaires, comme antidote aux ravages apportés par les politiques territoriales néolibérales.

L’expression artistique des communautés urbaines
L’expression artistique des communautés urbaines est également au cœur de la perception de la ville, notamment par l’intermédiaire du design, du street art, des multiples images de la ville et de ses pratiques musicales, ce qui peut constituer le point de départ d’une conception sensorielle de la communauté, tant du point de vue de la perception que de celui de l’expression. Sur un plan visuel, des créations telles que des représentations publicitaires s’adressent à une large communauté, en même temps qu’elles nécessitent de rassembler les compétences d’une communauté de spécialistes (photographe, graphiste, rédacteur, typographe, imprimeur…), caractéristique qu’elles partagent avec les créations cinématographiques.

Les communautés linguistiques
Dans un autre domaine, on pourra explorer la façon dont la communauté linguistique interagit avec une communauté socioculturelle (Labov, 1972), prenant même parfois la forme d’une communauté de nature idéologique (Campbell-Kibler, 2009) qui peut être en partie imaginée par les individus qui la composent. Cela pourra permettre de soulever la question de la perception et de la représentation de l’espace comme ancrage identitaire. Les pratiques linguistiques viennent marquer la référence au monde sous la forme d’indices dépendant du contexte ou créant celui-ci (Silverstein, 2003). Sur le plan linguistique, ce numéro de la revue propose aussi d’envisager la notion de langues construites autour d’une communauté fictionnelle et d’en explorer les enjeux narratifs, sociaux, politiques et philosophiques.


Modalités de soumission

Merci de suivre les consignes disponibles aux adresses suivantes :
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Calendrier et contacts
Les propositions d’articles sont à envoyer à silvana.segapeli@st-etienne.archi.fr, anne.sophie.letessier@univ-st-etienne.fr et olivier.glain@univ-st-etienne.fr avant le 10 décembre 2022.

Bibliographie

Bhabha Homi K. (dir.), 1990, Nation and Narration, New York, Routledge.

Bhabha Homi K. (dir.), 2004, The Location of Culture, Abingdon, Routledge.

Campbell-Kibler Kathryn, 2009, « The nature of sociolinguistic perception », Language Variation and Change, vol. 21, no 1, p. 135-156.

Didi-Huberman Georges, 2012, Peuples exposés, peuples figurants, Paris, éditions de Minuit, coll. « L’Œil de l’histoire ».

Labov William, 1972, Sociolinguistic Patterns, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, coll. « Conduct and communication ».

Mattei Ugo, 2011, Beni comuni. Un manifesto, Bari et Rome, Laterza, coll. « Saggi Tascabili ».

Rheingold Howard, 1995, Les Communautés virtuelles, Paris, Addison-Wesley France, coll. « Mutations technologiques ».

Silverstein Michael, 2003, « Indexical order and the dialectics of sociolinguistic life », Language and Communication, vol. 23, nos 3-4, p. 193-229.