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Du handicap aux variations humaines. Récits anciens, nouveaux récits (revue Amnis)

Du handicap aux variations humaines. Récits anciens, nouveaux récits (revue Amnis)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Revue Amnis)

Appel à communications

Du handicap aux variations humaines. Récits anciens, nouveaux récits

Sociétés européennes et américaines (XIXe-XXIe siècles)

 

Depuis leur émergence à la faveur des mouvements de lutte pour les droits des personnes handicapées aux États-Unis et en Grande Bretagne des années 60-70, les disability studies ont contribué à considérablement modifier l’approche du handicap. Fondées dans les années 1980, elles s’accompagnent d’une véritable révolution épistémologique, qui consiste à changer de paradigme. Depuis le XIXe siècle, ce qu’il convient d’appeler le « modèle médical » a alimenté une lecture du handicap en termes de manque ou de perte par rapport à la « norme » – un corps valide et une intelligence que l’on qualifiera de « neurotypique[1] ».  S’opposant à cette approche, les disability studies ont mis en avant la dimension fondamentalement politique et sociale du handicap. Pour elles, « le handicap désigne une situation collective d’oppression subie par ceux qui ne peuvent jouer les jeux de la performance individuelle[2]  ». Produit par un certain type d’organisations sociales et des environnements inadéquats à l’accueil de tous, il engendre l’exclusion d’une partie de la population considérée comme « atypique ». En ce sens, si les disability studies vont de pair avec une critique radicale de l’approche médicale du handicap et du caractère hégémonique de son discours pour définir et catégoriser des sujets non-normatifs, elles supposent également des positionnements spécifiques. Ce que l’on appelle la lutte anti-validiste, par exemple, « se caractérise par l’appartenance à un groupe en lutte pour son autonomie[3]».

Longtemps, le handicap a été confiné dans des champs éditoriaux spécialisés. En 2016 encore, Henri-Jacques Stiker[4] notait le faible nombre de revues généralistes (il pensait au Débat, à Commentaires, aux Temps modernes) ayant consacré un numéro spécial, voire quelques articles ponctuels à la question. C’est aujourd’hui la volonté d’Amnis de participer au débat sur le handicap. Il s’agit d’une question qui exige une approche à la fois relationnelle et transversale, optique qui recoupe la vocation première d’Amnis de faire dialoguer les disciplines autour d’un même objet. En effet, outre le fait que la question traverse les sciences sociales, elle a également pour principale caractéristique de se trouver au croisement[5] de problématiques diverses : au croisement de l’individuel et du social (le handicap relève certes d’une construction sociale, d’un cadre idéologique, mais il constitue aussi une expérience individuelle), au croisement des disciplines (sociologie, anthropologie, droit, histoire, philosophie, esthétique, études littéraires et cinématographiques), au croisement d’identités plurielles définies, de façon intersectionnelle, à partir de notions comme le genre, la classe sociale, la race et l’orientation sexuelle, au croisement de problématiques contemporaines (parmi lesquels les droits civiques, le féminisme, le spécisme, le validisme), et au croisement de la recherche et du militantisme (on retiendra le slogan des Anglo-Américains – « Nothing about us, without us », « rien sur nous sans nous »). Face à un tel objet, il est nécessaire de décloisonner les disciplines et de tenter de réduire le morcellement des approches. C’est du moins la visée d’Amnis dans ce numéro, qui demeure toutefois fidèle aux champs de recherche traditionnels de la revue : les sociétés européennes et américaines des XIXe au XXIe siècles.

En 2001, l’historien Douglas C. Baynton écrivait : « le handicap est partout dans l’histoire, pour peu qu’on l’y cherche, mais manifestement absent de celle que nous écrivons[6] ». Pour contrer cette tendance, c’est à une subversion de l’approche historiographique traditionnelle qu’incite ce nouveau numéro d’Amnis. Il s’agit de donner une position centrale à ce qui fut longtemps dans les marges, en situation de liminalité. En adoptant une approche handie[7], riche de ce qu’il convient d’appeler des « savoirs situés[8] », on pourra, d’une part, développer un autre regard sur notre environnement et, d’autre part, augmenter les connaissances communes concernant la question.

Ce numéro intitulé « Du handicap aux variations humaines » fait écho par son titre au souci des disabilities studiesde se départir de la pensée du handicap comme stigmate, pour le considérer dans un vaste champ qui embrasse toutes les formes de diversités corporelle, sensorielle et cognitive au sein de la communauté humaine. Le sous-titre, « Récits anciens, nouveaux récits » cherche, quant à lui, à préciser la perspective adoptée. Le mot « récit » est ici à entendre au sens large. Pour l’expliciter, on s’appuiera sur l’article de Jasmine Harris « The Aesthetics of Disability »[9]. L’autrice y montre en quoi, aux États-Unis, l’intégration est devenue le maître-mot qui oriente toutes les politiques du handicap. Cette notion d’intégration est nourrie par un récit – lui-même généré par les travaux de chercheurs en sciences sociales – qui considèrent que, du point de vue cognitif, ce qu’ils nomment le « contact intergroupe » est un remède efficace contre la ségrégation. La fréquentation de membres d’une minorité permettrait, au sein du groupe dominant, de contrecarrer les stéréotypes négatifs et de lutter contre l’ignorance. Si ce récit sur la nature cognitive du préjugé a, dans un premier temps, formaté la législation sur les droits civiques concernant la question raciale, il s’est ensuite déplacé et s’est appliqué à la question du handicap. Or, comme le défendent certains chercheurs, ce récit relève plus de l’hypothèse que de la théorie, il est loin d’être systématiquement exact. De fait, des études récentes ont montré que, concernant le handicap, les choses sont plus compliquées que ne le professe le récit classique : « Tout comme l’intégration raciale, l’intégration physique d’élèves avec des handicaps dans des écoles de quartier a globalement abouti au partage d’un espace physique plutôt qu’à l’inclusion[10] ».

Il s’agira donc à travers les notions de « récits anciens » et de « nouveaux récits » de mettre en avant les préconceptions idéologiques qui alimentent et formatent historiquement les différents discours sur le handicap.

Afin d’aborder la question à partir d’un large spectre, on privilégiera les axes suivants :

- Handicaps, luttes et mouvement sociaux (de l’exclusion au « rien pour nous sans nous »)

- Les politiques du handicap (approches historiques nationales et/ou transnationales)

- Corps handicapés et constructions idéologiques

- Handicap et identité, une catégorie à appréhender de façon intersectionnelle

- De la représentation du handicap. Handicap et empowerment. On pourra considérer, par exemple, les autobiographies et fictions qui adoptent un point de vue handi (Hoje Eu Quero Voltar Sozinho [2014] du Brésilien Daniel Ribeiro ainsi que la mini-série argentine Metro Veinte de Rosario Perazolo et Belén Poncio). 

- La crip[11] culture et ses manifestations

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Les propositions d’article (30 lignes) pourront être rédigées en français, en anglais ou en espagnol. Elles devront être envoyées avec un Curriculum Vitae de l’auteur avant le 15 décembre 2022 à l’adresse suivante : amnis@revues.org. Les articles acceptés seront à remettre le 15 juin 2023 au plus tard. Après avoir été soumis au comité scientifique de la revue et à deux rapporteurs externes, les articles seront publiés sur le site de la revue (http :/amnis.revues.org) dans le courant de l’année 2023.

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Elena Chamorro, Aix-Marseille Université

Crystel Pinçonnat, Aix-Marseille Université

 

 

 

 

[1] Terme créé par la communauté autistique et désormais utilisé par les militants de la neurodiversité et la communauté scientifique, pour désigner toute personne ayant un fonctionnement neurologique considéré comme la norme, et ne présentant pas de condition neurologique particulière.

[2] Pierre Dufour, « Être public, être privé : l’expérience d’hommes en fauteuil roulant », Anastasia Meidani et al., La santé : du public à l’intime, Presses de l’EHESP, « Recherche, santé, social », 2015, p. 55-67, p. 57.

[3] Zig Blanquer et Pierre Dufour, « Sexualités et handicaps : les terres promises d’un bonheur conforme », Empan, vol. 2, n° 86, p. 55-61, p. 58.

[4] Henri-Jacques Stiker, « Pour une recherche renouvelée sur le handicap », La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation, vol. 3, n° 75, 2016, p. 11-17.

[5] Nous reprenons l’idée à Henri-Jacques Stiker, ibid.

[6] Douglas C. Bayton, « Disability and the Justification of Inequality in American History », Paul K. Longmore and Lauri Umanski (dir.), The New Disability History, 2001, p. 52 ; document en ligne : https://courses.washington.edu/intro2ds/Readings/Baynton.pdf, page consultée le 28 mars 2022.

[7] L’adjectif « handi », essentiellement revendiqué par les militants de l’anti-validisme, s’emploie quelle que soit la nature du handicap.

[8]  L’expression est une traduction de l’anglais « situated knowledge ». Elle a initialement été utilisée par les chercheuses féministes nord-américaines qui ont conceptualisé la théorie féministe du « positionnement », théorie qui remet en cause le dogme de la neutralité scientifique et considère « le privilège épistémique » que constitue l’expérience féminine, en tant que source de savoir (cf. Nancy Hartsock, « The feminist Standpoint. Developing the Ground for a Specifically Feminist Historical Materialism », Sandra Harding [dir.], Feminism and Methodology, Social Science Issues, Bloomington & Indianapolis, Indianan University Press & Open University Pres, 1987).

[9] Jasmine E. Harris, « The Aesthetics of Disability », Columbia Law Review, mai 2019, vol. 119, n° 4, p. 895-972, p. 906 ; disponible en ligne : https://columbialawreview.org/content/the-aesthetics-of-disability/, page consultee le 23 mars 2022.      

[10] Jasmine E. Harris, « The Aesthetics of Disability », art. cité, p. 913.

[11] Chez les militants revendiquant cet appellatif, le terme crip (abréviation de l’anglais cripple, « infirme ») relève d’un retournement du stigmate. L’identité crip « renvoie à trois exigences : une valorisation des capacités, volontiers négligées, de la communauté crip dans sa diversité ; une critique approfondie du monde sexiste, hétéro-normatif, raciste et classiste ; une position explicite de solidarité envers d’autres groupes marginalisés (les femmes, les queers, les personnes discriminées pour des raisons « raciales » et les pauvres en général), tout en reconnaissant la particularité de l’identité crip ». (Roberto Domingo Toledo, « Aux États-Unis, les plus marginaux mettent le centre aux marges », Charles Gardou, Le Handicap et ses empreintes culturelles, Paris : Érès, « Connaissances de la diversité », 2016, p. 99-116, p. 111).