Appel pour la revue de mythocritique Le Paon d’Héra, n° 13 : "Mythologies du fil"
Tisser (comme Pénélope) un linceul ou une parure de noces, tirer le fil pour se retrouver (ainsi de la bobine qu’Ariane confie à Thésée afin de sortir du labyrinthe) ou pour se perdre (Hercule aux pieds d’Omphale de Rubens à Théophile Gautier) : la mythologie antique est riche de tissages concrets (Arachné, la meilleure des tisseuses) comme de tissages métaphoriques (fil du récit, rhapsode, Parques filant et coupant le fil de l’existence). Ces images essaiment à travers la culture européenne avec les princesses blessées au fuseau (La belle au bois dormant ou Dornröschen), les Marguerite au rouet (Gretchen am Spinnrade de Schubert), les fileuses anonymes en mouvement (silencieuses chez Mozart, Mendelssohn ou Cécile Chaminade), du côté des jolies jeunes femmes flanquées d’une quenouille ou d’un métier à tisser (The Girlhood of Mary Virgin, du peintre préraphaélite Rossetti), mais font signe aussi du côté des furies inquiétantes, des tricoteuses révolutionnaires ou encore des puissantes voix lyriques dans le Vaisseau fantôme de Wagner. L’imaginaire convoque des fileuses muettes comme des fils coupés par des femmes puissantes, ou des toiles qui maintiennent leurs proies prisonnières ou encore tissent un lien familial (la sculpture Maman de Louise Bourgeois est une araignée géante).
Fil d’or ou de chanvre, tissage de servante ou broderie de salon, il peut être une contrainte, sur le mode comique du personnage fâcheux (Le Fil à la patte, de Feydeau) ou dans un registre plus sombre, abordant les Arachnides comme modalité pathologique, mortifère et étouffante du lien et de l’attachement (Gustave Doré illustrant avec Arachne Le Purgatoire de Dante). Imbroglio incompréhensible de fils et d’intrigues qui nuisent à la compréhension, qui ligotent et étouffent, fils manquants à un vêtement usé, perte du fil et de la mémoire… les mythologies du fil intègrent aussi la défaillance et la vulnérabilité.
Ce peut être raconter sur une toile (ainsi de Philomèle à la langue coupée) le fil de sa vie, tisser son propre récit, rassembler les fils pour exprimer sa singularité… ou tisser à plusieurs, appartenir à une triade de fileuses, de tisseuses et de conteuses (des Évangiles des Quenouilles au Moyen Âge à la pratique organisée du yarn bombing qui couvre les objets urbains de tricots et broderies). Aborder un geste ancestral et traditionnel (rouet, quenouilles, tricots, broderies), parfois doté d’une assignation de genre (ce sont les mères et les épouses qui cousent et raccommodent des « ouvrages de dames ») ou le porter vers la modernité, la contestation ouvrière (Les Tisserands d’Hauptmann, drame naturaliste), voire la postmodernité ironique d’un Spiderman ou la citation-variation de la littérature jeunesse (Aragog dans la série Harry Potter) rappelle la permanence du comparant au-delà des modifications de façons de faire et d’outils.
La broderie comme ornementation raffinée en musique ou comme bavardage inutile (on « brode » quand on n’a rien à dire), le fil du récit, le tissage des relations et des intrigues, autant d’expressions et d’usages figurés qui peuvent également retenir l’attention et inspirer la réflexion : perdre le fil, donner du fil à retordre, être sur le fil ou ne tenir qu’à un fil…
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Après dix ans consacrés à l’étude de mythes singuliers (Don Juan, Ulysse, Tristan par exemple), la revue interdisciplinaire Le Paon d’Héra propose un numéro 13 consacré aux figures, récits, mythes et mythologies du fil. Le champ abordé reste artistique (musique, littérature, études cinématographiques, arts de la scène et de l’image, histoire de l’art) mais l’inspiration peut venir de toutes les images liées au fil, que ce soient celles des personnages comme les brodeuses, des figures animalisées comme les araignées, des liens concrets ou métaphoriques (« filer la métaphore »), des objets comme le rouet ou le métier à tisser, les groupes (tisserands, tisseuses) ou des individualités (Pénélope, Philomèle, Ariane), sans que cette liste n’ait épuisé la bobine…
Les propositions d’1/2 page environ en français ou en anglais, accompagnées de quelques lignes de présentation bio-bibliographique, sont acceptées jusqu’au 20 décembre 2022. Elles sont à envoyer conjointement à : Florence Fix (florence.fix@univ-rouen.fr) et Laurence Le Diagon-Jacquin (laurence.le_diagon@univ-fcomte.fr).
Une réponse sera donnée en janvier 2023 avec des indications de mise en page. Les articles seront attendus pour le 1er juillet 2023.
La publication est prévue fin 2023-début 2024.