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Aux seuils des œuvres : réseaux et amitié à la Renaissance (Sorbonne Université)

Aux seuils des œuvres : réseaux et amitié à la Renaissance (Sorbonne Université)

Publié le par Alexandra Follonier (Source : Nicolas Souhait)

Aux seuils des œuvres : réseaux et amitié à la Renaissance

Journée d’étude, Sorbonne Université, 11 février 2023


Singulos libros singulis uiris donaui, ut essent amicitiae nostrae monumentum sempiternum[1]

Il est un domaine encore peu étudié qui éclaire conjointement notre connaissance des réseaux humanistes et des formes d’amitié à la Renaissance : les seuils des œuvres, composés bien souvent de textes d’autres auteurs (pièces liminaires en prose et le plus souvent en vers, poèmes d’escorte, traductions réciproques, préfaces offertes…), où règne la rhétorique épidictique. Les seuils sont en effet le lieu d’élaboration de liens entre auteurs, et peuvent être à ce titre envisagés comme une pratique discursive de l’amitié ; l’œuvre devient alors une forme de communauté. Il ne s’agit pas ici de l’amitié au sens qu’elle revêt généralement pour les Modernes, une relation d’étroite proximité entre deux êtres, dont Montaigne a formulé l’exemple le plus exigeant. L’amitié telle qu’elle s’élabore à partir des seuils implique paradoxalement une distance, et est même fréquemment impersonnelle : les liens réels sont bien souvent méthodiquement évacués dans la rhétorique épidictique. Une fois mis en relation avec les concepts de réseau et de communauté, ce procédé n’est pas sans rappeler les formes d’amitié théorisées et pratiquées dans l’Antiquité, la philia et l’amicitia – d’après le De Amicitia, il est même possible d’être ami avec quelqu’un que l’on ne connaît pas si l’on partage une communauté de mœurs. Si l’on connaît bien, aujourd’hui, cette dualité des formes d’amitié pratiquées à la Renaissance[2], on a toutefois bien peu interrogé l’amitié philia et l’amitié amicitia au prisme des seuils.

On propose donc de croiser ici la question des modes de sociabilité humanistes et de la poétique des seuils, en étudiant les marqueurs et l’élaboration discursive de la philia et de l’amicitia autour des œuvres (œuvres originales, littéraires, scientifiques… ou travaux philologiques sur des textes anciens).

Axes d’étude

On pourra investir par exemple les axes et questionnements suivants :

1. Lexique de l’amitié : philia et amicitia
Les termes de philia et d’amicitia sont-ils mobilisés dans les seuils ? Si c’est le cas, quelle inflexion sémantique peut leur être donnée, et y a-t-il matière à distinguer entre philia et amicitia ? Qu’apportent, par exemple, les éditions seiziémistes du De Amicitia et de l’Ethique à Nicomaque et leurs seuils ? Plus généralement, comment la pensée antique de l’amitié imprègne-t-elle les textes humanistes (préfaces, poèmes liminaires, dialogues entre seuils et œuvres) ? 

2. Enjeux sociologiques : seuils, réseaux, pouvoir
Quels sont les enjeux sociologiques de la rhétorique épidictique ? Quel statut les seuils confèrent-ils aux liens personnels ? Quels sont les liens identifiables entre réseaux, seuils et cercles du pouvoir ?

3. Enjeux poétiques et esthétiques : entre seuils et œuvres
Y a-t-il une volonté de production commune, ou le sentiment de faire œuvre ensemble ? Des jeux d’écho entre seuils et œuvres sont-ils identifiables ? Quels sont les enjeux poétiques et esthétiques de la rhétorique épidictique ?

4. Enjeux éthiques : la communauté vertueuse
Quelle conception de la communauté émerge de l’œuvre précédée ou entourée de seuils ? La finalité eudémonique de l’amitié, dans son articulation avec l’éthique, est-elle présente ? Quels sont en particulier les enjeux éthiques de la rhétorique épidictique ?

5. Enjeux politiques : la sauvegarde de la cité
On sait comme les concepts de philia et d’amicitia sont tous deux au fondement de la concorde civile (ὁμονοία chez Aristote, concordia chez Cicéron). L’amitié doit permettre à la cité de se conserver en évitant la stasis. La fin est essentiellement de nature politique et la vertu doit servir la concorde civile. Dans un siècle qui a la manie des compliments, il y a peut-être un mode de sauvegarde de la cité qui procède d’inquiétudes à interroger : peut-on envisager l’œuvre et ce qui l’entoure comme un modèle de société accordée, où règne la communauté de mœurs ? Les études peuvent s’inscrire tout particulièrement dans une réflexion sur l’amitié lors des guerres de Religion. On pourra aussi interroger la dimension exhortative, parénétique, des seuils.


Les propositions de communication sont à adresser à Nicolas Souhait avant le samedi 8 octobre 2022 : nicolas.souhait@sorbonne-universite.fr

Comité scientifique

Virginie Leroux (Ecole Pratique des Hautes Etudes)

Romain Menini (Université Gustave Eiffel)

Anne-Pascale Pouey-Mounou (Sorbonne Université)

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Indications bibliographiques

1. Perspective littéraire diachronique :
DAUMAS Maurice  (dir.), L’Amitié dans les écrits du for privé et les correspondances de la fin du Moyen Age à 1914, Presses Universitaires de Pau et des Pays de l’Adour, 2014.
DAUMAS Maurice, Des trésors d’amitié. De la Renaissance aux Lumières, Paris, Armand Colin, 2011.
SUSPENE Arnaud (dir.), Amitiés politiques. D’Oreste et Pylade à nos jours, Presses universitaires de Rennes, 2016.
GALAND-HALLY Perrine, LAIGNEAU Sylvie, LEVY Carlos, VERBAAL Wim (éd.), La Société des amis à Rome et dans la littérature médiévale et humaniste, Turnhout, Brepols, 2008.

2. Approche synchronique :
REY Alain, « Communauté et individu, l’amitié comme lien social à la Renaissance », Revue d’Histoire Moderne & Contemporaine, 38-4, p. 617-625, 1991.
REY Alain, L’Amitié à la Renaissance, Florence, Institut universitaire européen, septembre 1988 – mai 1993 (édition posthume).
LANGER Ullrich, Perfect friendship. Studies in Literature and Moral Philosophy from Boccacio to Corneille, Genève, Droz, 1994.
CHARLIER Yvonne, Erasme et l’amitié, Presses universitaires de Lièges, 1977.
BEAULIEU Jean-Philippe, "Le simple, le multiple : la disposition du recueil à la Renaissance", Etudes françaises, Les Presses de l’Université de Montréal, volume 38, n°3, 2002. Voir notamment l’article de Joël Castonguay Bélanger, « L’édification d’un Tombeau poétique : du rituel au recueil », p. 55-69.
PREVOST Aurélie, L’Amitié aux XVIe et XVIIe siècles en France, Normes, réalités et représentations, thèse de doctorat d’Histoire dirigée par Philippe Martin, Université Lumière Lyon 2, 2011. 


[1] Denys Lambin, épître dédicatoire au roi Charles IX à l’occasion de son édition du De Rerum natura. Voici la citation complète : « Singulos enim libros singulis uiris tui regni & mihi amicissimis, & doctissimis, eo animo donaui, ut essent amicitiae nostrae monumentum sempiternum » [« J’ai en effet donné chacun des livres à des hommes différents de votre royaume, amis très chers à mon cœur et hommes très savants, dans l’idée que ces livres soient une marque éternelle de notre amitié. »] Le texte est édité par l’université de Brest : https://www.univ-brest.fr/digitalAssets/53/53755_Denys-Lambin-Ep--tre-d--dicatoire-du-De-rerum-natura-de-Lucr--ce-adress--e----Charles-IX--2-.pdf.
[2] Rey (1991 et 1987-1993) ; Galand-Hallyn, Laigneau, Lévy, Verbaal (2008) ; actes du colloque de 2005, Le Fondement de la « société des amis » dans l’Antiquité et à la Renaissance : savoir et plaisir. Toutefois, la mutation dans la définition de l’amitié que l’on croit voir se développer à la Renaissance est peut-être rétrospective, voir Daumas (2011).