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La violence dans les objets sémiotiques fictionnels destinés à l’enfance et à la jeunesse

La violence dans les objets sémiotiques fictionnels destinés à l’enfance et à la jeunesse

Publié le par Perrine Coudurier (Source : R. Atzenhoffer)

 
Appel à contributions pour un numéro de la revue Cultural Express (https://cultx-revue.com) qui paraîtra en 2023.

Échéance des propositions : 01.10.2022

La violence dans les objets sémiotiques fictionnels destinés à l’enfance et à la jeunesse

La violence, « huitième péché capital[1] » tend à devenir une constante de l’écriture romanesque contemporaine. Après les contes populaires où l’on dévore, trucide et mutile sans vergogne, où il est question d’inceste (Peau d’âne), de mauvais traitements (Grisélidis), de mise à l'écart et de soumission (Cendrillon, Les Fées), d’exclusion (Le Chat botté), d’abandon d’enfants (Petit Poucet), d’infanticide (Le Genevrier), de sacrifice humain (Jean-le-Fidèle), de cannibalisme (Chaperon rouge, dans sa version archaïque), des récits contemporains - véritables « graphies de l’horreur[2] » - exposent des atrocités et leurs manifestations. Sous prétexte de dénoncer une société dystopique et à la dérive, Hunger Games renoue avec les combats mythiques et délecte les lecteurs/spectateurs du spectacle d’un combat à mort d’enfants et d’adolescents dans une arène hostile.  Cette trilogie de Suzanne Collins a relancé le débat sur la violence dans la littérature jeunesse en se classant en 5ème position du classement des livres les plus violents, classement établi par l’American Library Association. Twilight, la saga de Stephenie Meyer, présente une justification de la violence masculine physique et morale et « glamourise » les relations toxiques. Divergente et Le Labyrinthe plongent les lecteurs/spectateurs dans des mondes futuristes totalitaires et sombres. Dans le monde post-apocalyptique du roman de Veronica Roth, les Divergents sont traqués et tués par le gouvernement ; James Dashner met en scène une cinquantaine d’adolescents amnésiques qui servent de cobayes dans un labyrinthe gigantesque sans issue et peuplé de monstres mécaniques rôdant chaque nuit. Chez J. K. Rowling, la violence intrinsèque au monde magique est présente dès le premier tome de la série littéraire de « low fantasy » Harry Potter : le personnage éponyme brûle le visage du professeur Quirrell d’un simple contact ; ailleurs, il transperce Drago de dizaines de coups d’épée d’un « simple » Sectumsempra. Le lecteur/spectateur découvre un univers où des enfants sont jetés en pâture à des dragons et où de nombreux dangers rôdent au détour d’un couloir. Les violences physiques et morales sont monnaie courante dans ce monde magique et y sont même banalisées au point de servir de point de départ à des divertissements populaires, dont le Quidditch, où les batteurs expédient des sphères métalliques sur des joueurs adverses afin de provoquer une chute de plusieurs mètres de haut. Le héros, Harry Potter, brimé par ses gardiens légaux, fait face à une violence physique et mentale presque permanente sans que les services sociaux moldus interviennent. Dans le monde des sorciers et à Poudlard tout particulièrement, la violence physique est justifiée par la magie qui excuse la gravité de certains actes. Dans les mangas, la violence a une valeur symbolique et renvoie aux archétypes du « bien » contre le « mal ». La cruauté mise en scène dans le manga pour adultes est déplacée sur le versant psychologique dans celui pour adolescents, avec des humiliations (enfermer une fille dans un placard, lui mettre la tête dans l’eau des toilettes, …) ou du harcèlement.

De plus en plus d’objets sémiotiques à destination de la jeunesse portent sur la violence, physique ou psychique, destinée à contraindre, à dominer, à tuer, à se tuer ou à se blesser. Il y a là l’utilisation intentionnelle de la force causant traumatismes, dommages psychologiques, problèmes de développement ou décès. Que la violence représentée soit physique (enlèvement, séquestration, torture, viol, assassinat, ...) ou morale (menaces, injures, dénigrement, ...), le jeune lecteur/spectateur partage la souffrance, l’angoisse et le désespoir exprimés dans l’œuvre. Aussi les violences représentées dans les objets sémiotiques fictionnels affectent-elles l’enfant/l’adolescent d’une souffrance – tout à la fois – présente et imaginaire, figurative et mémorative. Ce numéro de la revue Cultural Express (https://cultx-revue.com) abordera la thématique de la violence et les modalités spécifiques de sa mise en récit/images dans les objets sémiotiques fictionnels destinés à l’enfance et à la jeunesse. Pourquoi y trouve-t-on de la violence ? Il est évident que l’envie de donner des émotions fortes aux jeunes lecteurs/spectateurs ne peut pas être l’unique motivation des auteurs qui, selon Denise Escarpit, ne se contentent pas d’accompagner l’enfant/l’adolescent vers le monde des adultes. Ils proposent notamment « des solutions aux problèmes qu’il affronte ou qu’il peut avoir à affronter, à travers des modèles anti-héros », pour « l’aider à résoudre ses conflits psychologiques, affectifs, familiaux, sociaux, et idéologiques » tout en étant « un moyen d’intégration de la jeunesse dans la société[3]  ». Les auteurs de jeunesse prennent donc le rôle d’un formateur transmettant leur savoir et leur expérience de la vie à ces adultes en devenir qui, de plus en plus, raffolent – selon Ganna Ottevaere-van Praag[4] – d’émotions et d’images fortes, voire violentes. Preuve en est le succès des collections spécialisées dans le roman « à frissons » dont « Chair de Poule » des Éditions Bayard, « Frissons » chez Pocket, « Fais-moi peur » chez Folio Junior ou « Cauchemar » chez Hachette. Force est de constater que ces éditeurs revendiquent une démarche originale dans leur politique éditoriale en proposant des titres qui leur permettent de se démarquer d’autres maisons d’édition et qui répondraient à une demande du public adolescent dans un secteur porteur au taux de croissance prometteur.

Cependant, la violence dans les objets sémiotiques fictionnels destinés à l’enfance et à la jeunesse demeure un sujet sensible. Muriel Tiberghein, dans son article « Y’a d’la violence dans l’air[5] », se penche sur l’innocence perdue de la jeunesse contemporaine et sur les rouages de la violence : « La comtesse de Ségur n’avait pas eu peur de dire, à une époque où la plupart des adultes considéraient encore les enfants comme de petits animaux négligeables, que la violence est au cœur de l’enfance, parce qu’elle est au cœur de la vie. Mais qu’il faut apprendre à la maîtriser, et non lui laisser libre cours ». L’enfance et l’adolescence seraient-elles, par essence, marquées par la violence ? Serait-elle inhérente à cet âge de la vie, ce qui expliquerait sa présence dans les objets sémiotiques fictionnels destinés à cette tranche d’âge ? Ce débat ne date pas d’aujourd’hui : en 1998, à la sortie de Cité Nique-le-ciel de Guéraudon, les éditions du Rouergue se sont fait reprocher de sortir des contraintes de la littérature de jeunesse tout comme cela s’est reproduit en 2006, lors de la parution de Je mourrai pas gibier de Sylvie Gracia, jugé violent. Mais de quelle violence est-il question ?

Nous attendons des propositions d’analyse de la typologie de la violence en présence dans les objets sémiotiques fictionnels destinés à l’enfance et à la jeunesse, une mise en évidence des mobiles des actes, des circonstances et des conséquences ainsi que des significations qui s’en dégagent.  En tenant compte des séquences violentes dans l’économie générale de l’œuvre, il s’agira non seulement d’apporter des éléments de compréhension à la problématique qui nous intéresse mais aussi d’analyser la mise en fiction des éléments et des situations violentes, l’environnement comme producteur de violence(s), d’examiner les particularités langagières, les configurations stylistiques et narratives choisies par les auteurs retenus, l’art de camper les personnages (agresseurs et/ou victimes), les parcours de renoncement/d’échappatoires à la violence et de dégager les leçons à en tirer. À travers des réflexions proposant des examens en fonction d’approches multidisciplinaires, les principaux axes et interrogations que ce numéro propose d’explorer peuvent être communiqués comme suit, sans être exhaustifs :

-        Axe 1 : Violences envers soi-même (auto-mutilation/scarification, anorexie/boulimie, alcoolisme, drogue, …)

-        Axe 2 : Violences relationnelles (passions violentes/destructrices, amour toxique, …)

-        Axe 3 : Violences sexuelles (viol, abus, prostitution, ...)

-        Axe 4 : Violences familiales, violences éducatives (fessées, claques, privations, brimades, …)

-        Axe 5 : Violences à l’école (harcèlement physique/moral, violence ordinaire verbale/physique, …)

-        Axe 6 : Violences sur internet et les réseaux sociaux

-        Axe 7 : Violences politiques/ policières/terrorisme/ guerre

-        Axe 8 : Violences de la nature/violences faites à la nature, violence et environnement/ violence et espace social/ lieux de la violence

Les études (en français, en allemand ou en anglais) porteront sur les objets sémiotiques fictionnels destinés à l’enfance et à la jeunesse, c’est-à-dire les romans, contes, albums, bandes dessinées, mangas, films, jeux vidéo, chansons, etc. Sont attendues des propositions de communication innovantes, originales et, bien entendu, inédites. Les doctorants sont vivement encouragés à soumettre une proposition d’article.

Modalités et calendrier
Les propositions d’article (axe retenu, titre, résumé de 2000 caractères maximum, mots clés, références bibliographiques) seront accompagnées d’une brève biobibliographie comprenant le statut, l’établissement et l’équipe d’accueil de rattachement ainsi que les principales publications récentes et seront envoyées conjointement aux deux adresses électroniques ci-dessous avant le 01.10.2022, délai de rigueur :

r.atzenhoffer@unistra.fr

cultx.revue@gmail.com

Les décisions du comité scientifique seront communiquées aux auteurs pour le 31.10.2022 au plus tard. La date limite de remise des articles, dans la mesure où la proposition aura été acceptée, est fixée au 01.02.2023, et la publication de ce numéro prévue pour le courant du troisième trimestre 2023. Tous les articles seront soumis à un processus de révision par les pairs.



[1] Jim Harrison, Entretien (avec François Busnel) sur la sortie de son roman Péchés capitaux, diffusé dans le cadre de l’émission La Grande Librairie, sur France 5, le 3 septembre 2015.
[2] Rachid Mokhtari, La graphie de l’horreur : essai sur la littérature algérienne, 1990-2000, Alger, Éditions Chihab, 2002.
[3] Denise ESCARPIT, La littérature d'enfance et de jeunesse. Panorama historique, Paris, PUF, 1981.
[4] Ganna OTTEVAERE-VAN PRAAG, Le roman pour la jeunesse. Approches - Définitions - Techniques Narratives, Paris, Lang, 1996.
[5] Muriel TIBERGHEIN, « Y’a d’la violence dans l’air », Lire et Savoir, octobre 1995, n° 1, p. 102-107.