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Revue critique de fixxion française contemporaine, n° 27 :

Revue critique de fixxion française contemporaine, n° 27 : "Politiques du genre et engagement"

Publié le par Vincent Ferré (Source : Sara Buekens)

Revue critique de fixxion française contemporaine

n° 27 : Politiques du genre et engagement

coordonné par Barbara Havercroft et Pascal Michelucci

Notre dossier se situe au carrefour des théories de l’engagement – notion au centre d’un regain d’intérêt dans le corpus littéraire et critique français contemporain – et des théories anglophones de l’agentivité (agency), développées surtout par des chercheures féministes à partir des années 1990. À l’intersection de ces deux ensembles théoriques, ce numéro de Fixxion examinera un corpus de textes récents de langue française écrits par des femmes autrices et des auteurs gays – romans, autofictions, autobiographies et essais –, où l’engagement et l’agentivité jouent un rôle de premier plan dans l’expression du genre sexuel. Il s’agira de dégager les différentes formes de l’engagement et de l’agentivité dans ces textes contemporains où les questions d’identité sexuelle se déploient de façon manifeste (abus sexuels, inégalité de traitement, critique de la violence physique et symbolique, activisme, mise à nu de l’héritage patriarcal, etc.). Ce numéro vise l’inscription proprement textuelle de ces enjeux et les stratégies discursives spécifiques qui opèrent dans le champ de l’extrême contemporain.

Au sens large, l’engagement recouvre le rôle social et les responsabilités des écrivains depuis au moins le XVIIe siècle (Denis 2000). Dans son sens restreint, il s’actualise dans la conceptualisation de la « présence totale » de l’écrivain engagé que synthétise Sartre à la fin de la Seconde Guerre mondiale (1948). Le philosophe rassemble sous un seul terme les modalités multiples de la participation des écrivains et intellectuels aux luttes sociales et sociétales de leur temps. Dans le champ français, ce modèle est périmé après Malraux et Sartre (Servoise 2011; Laurent 2015) et il se trouve même déjà contesté par la notion de dégagement/désengagement des écrivains et des artistes à l’époque de la toute-puissance des idéologies (Étiemble 1955 ; Caron 2015). C’est toutefois Foucault et sa critique des sphères de compétence de l’intellectuel (1994 [1981]) qui achèvent cette conception comme modèle susceptible de guider les écrivains à l’époque des écritures dites « textuelles » dans les années 1970. Pourtant, la critique conçoit encore aujourd’hui les formes prédominantes de l’engagement contemporain en fonction de leur adéquation à manifester des idéaux-types (Vander Gucht 2014), notamment par un travail incontournable de dénonciation, sans quoi toute dimension politique de l’engagement contemporain serait vide. Si de « nouvelles formes d'intervention sociale de la littérature » (Viart et Vercier 2005 : 252) émergent comme des marqueurs du contemporain, de grandes formes de parole active sont aussi cernées comme des modalités proprement contemporaines, telles que la mise en accusation, le décalage ironique, ou le témoignage polémique (Chaudet 2014). On parle, dans une compréhension moins intense de l’effet polémique des œuvres, de la « responsabilité de la forme » (Gefen 2005 ; Meizoz 1996) et des enjeux sociaux inhérents à la prise de parole dans sa dimension instituante (Wolf 2014 ; Maingueneau 2016 ; Loach & Louis 2021) ou construite par l’auteur.e (Meizoz 2007). Enfin, dans une critique spécifiquement conçue à partir des œuvres contemporaines, Blanckeman développe autour de l'« implication » une pensée de la relation située entre l’écrivain individuel et sa société (Blanckeman 2015a).

Si la notion d’engagement au sens large suscite en regain d’intérêt actuel chez les critiques littéraires français depuis les années 2000, il n’en reste pas moins que plusieurs théoriciennes et philosophes œuvrant principalement en Amérique du Nord s’étaient déjà penchées sur la question de l’agentivité depuis la fin des années 1980, tant sur ses conditions d’émergence que sur ses effets ou sur les formes et limites de son déploiement. Ces chercheures féministes – Judith Butler (1990, 1993, 1997a, 1997b, 2004), Helga Druxes (1996), Rita Felski (1989), Susan Hekman (1995a, 1995b) et Patricia Mann (1994), entre autres – ont proposé de nouvelles conceptions de l’engagement, ayant recours à des expressions comme « agentivité » ou « puissance d’agir » (traductions françaises du terme anglais agency). Leur objectif principal a été de développer des théories de l’agentivité susceptibles d’expliquer les possibilités d’action à l’époque actuelle, où le sujet semble saisi dans un état de sujétion (Butler 1997b), empêtré dans les institutions et les discours qui le créent et l’encerclent. Afin d’atteindre ce but, ces théoriciennes ont interrogé le pouvoir et les moyens requis pour faire advenir des changements sociaux dont elles constataient le besoin urgent, vu le maintien des injustices causées par le patriarcat qui conserve sa force de contrôle jusqu’à ce jour. D’après elles, l’important n’est pas de se contenter de la seule prise de conscience des iniquités, mais d’agir de façon significative par la suite en dépit des obstacles et des limites inhérentes à sa situation. D’où la définition du concept d’agentivité qu’avance Mann : le terme « fait référence aux actions, jugées signifiantes, effectuées par un individu ou par un groupe, à l’intérieur d’un cadre social ou institutionnel particulier » (1994 : 14 ; nous traduisons). Conçue comme le modus operandi du sujet (Druxes 1996 : 9), l’agentivité suppose une interaction entre la société et le sujet, dans laquelle ce dernier vise à provoquer des mutations sur le plan des normes et des contraintes.

Qu’en est-il du déploiement et de la représentation de l’engagement et de l’agentivité dans les textes littéraires récents de langue française ? Tout d’abord, l’acte même d’écrire afin de mettre en évidence des injustices ou de revendiquer des changements sociaux constitue en soi une forme d’agentivité scripturale, ce qui est évident dans certains récits contemporains portant entre autres sur un trauma personnel (la violence familiale chez C. Delaume et É. Louis, le viol chez D. Sallenave, la maladie chez G. Brisac et A. Ernaux). Ces représentations littéraires donnent l’occasion aux auteur-e-s de contester les normes, notamment celles relatives au genre sexuel, qui régissent leur vie. Effectivement, le discours littéraire s’avère une forme d’agentivité puissante qui parvient à critiquer les contraintes et les mentalités autant antérieures qu’actuelles, agissant à la fois sur les attitudes du lectorat et sur les normes sociales. De plus, l’engagement et l’agentivité s’inscrivent à même la textualité, se manifestant dans l’emploi de stratégies et formes discursives, au-delà de la seule représentation des personnages et de leurs actions. Selon Butler (1990 : 143), par exemple, l’agentivité consiste en la variation d’une répétition critique des normes et des discours qui subjuguent le sujet, afin de les questionner ou de les déplacer vers un autre contexte, investis dès lors de nouvelles significations. Si on applique cette notion de répétition critique au discours littéraire (Havercroft 2015 ; 2017), on constate que c’est l’emploi de procédés discursifs d’ordre itératif – l’intertextualité, la citation, le cliché, le lieu commun, la métatextualité et le stéréotype, pour ne nommer que ceux-là – qui s’avèrent des moteurs, voire des « outils » (Butler 1990 : 145) d’agentivité et d’engagement scripturaux chez les autrices et les auteurs gays.

Pistes proposées

— On s’intéressera à l’inscription textuelle des formes d’engagement et d’agentivité et à l’incidence du genre sexuel sur ces dernières dans une variété d’œuvres récentes écrites par des autrices et des écrivains gays. Que ce soit le recyclage de stéréotypes genrés à but critique (A. Ernaux, L’événement; Mémoire de fille), l’emploi de certains intertextes significatifs (C. Laurens, Philippe ; C. Delaume, Dans ma maison sous terre), l’usage du discours métatextuel (A. Dreyfus, Histoire de ma sexualité ; M. Bermann, Un coup d'un soir), l’emploi du français populaire (É. Louis, En finir avec Eddy Bellegueule) ou d’autres procédés textuels, on se penchera sur les stratégies discursives déployées pour mettre en jeu les questions de genre sexuel.

— Sur le plan théorique, on sondera les points de convergence et de complémentarité entre les théories de l’engagement de langue française les plus récentes (B. Blanckeman, E. Bouju, C. Chaudet, B. Denis, J.-F. Hamel et al., J. Huppe et al.,etc.) et celles, anglophones, de l’agentivité (J. Butler, H. Druxes, R. Felski, J.K. Gardiner, S. Hekman, etc.).

— On examinera l’articulation entre le sociétal et le littéraire : comment est-ce que certain-e-s auteur-e-s se positionnent par rapport aux événements, aux manifestations et aux revendications de groupes ou d’associations ? Pensons entre autres à l’implication de C. Honoré dans le mouvement « Mariage pour tous », à celle d’A. Ernaux concernant l’avortement ou le cancer du sein, ou encore à celle d’A. Dreyfus sur la gauche ou contre l'antisémitisme. En dehors de leurs œuvres littéraires, certain-e-s auteur-e-s ont également une présence médiatique ou essayistique qui témoigne d’une prise de position ou d’une revendication.

— On analysera les manifestations de l’engagement de l’extrême contemporain dans une panoplie de genres, principalement narratifs : romans d’imagination (C. Delaume, Les sorcières de la République), romans basés sur des faits divers (G. Aubry, L’isolée, suivi de L’isolement ; M. Mbougar Sarr, De purs hommes), autofictions (C. Laurens, Dans ces bras-là), récits autobiographiques (A. Ernaux et Marc Marie, L’usage de la photo ; A. Ernaux, Le jeune homme; C. Debré, Play Boy), essais (B. Cannone, L’écriture du désir ; C. Delaume, Mes bien chères sœurs ; D. Éribon, Réflexions sur la question gay). Quels rapports entretiennent, au sein de l'œuvre, les divers genres pratiqués et les formes de l'engagement textuel ?

— Les articles pourraient aussi sonder l’incidence des rapports familiaux sur les formes d’agentivité et d’engagement textuels. Certains textes autobiographiques récents consistent en une réflexion sur la famille et sur la condition des femmes et des homosexuels dans ce contexte, comme dans L’autre fille d’A. Ernaux, où il est question de reconstituer les traces fantomatiques de sa sœur décédée à partir du discours maternel et d’autres sources : Ernaux y fait preuve de son agentivité scripturale comme façon de faire le deuil familial. La figure du père hante plusieurs de ces récits autobiographiques, comme chez C. Angot (L’inceste; Une semaine de vacances; Le voyage dans l’Est), É. Louis (Qui a tué mon père), M. Riboulet (Les âmes inachevées), O. Charneux (L’enfant de la pluie ; Être un homme) ou C. Honoré (Ton père).



Échéance : 1 décembre 2022. Les propositions de contribution (environ 300 mots), portant sur les littératures de langue française, doivent être envoyées en français ou en anglais à fixxion21@gmail.com (un rédacteur vous inscrira comme auteur-e et vous enverra le gabarit MSWord de la revue).

Après notification de la validation, le texte de l’article définitif (saisi dans le gabarit Word et respectant les styles et consignes du Protocole rédactionnel) est à envoyer à fixxion21@gmail.com avant le 15 juin 2023 pour évaluation et relecture par les membres de la Revue critique de fixxion française contemporaine.



Bibliographie sélective

BLANCKEMAN, Bruno, « De l’écrivain engagé à l’écrivain impliqué. Figures de la responsabilité littéraire au tournant du XXIe siècle », dans Des écritures engagées aux écritures impliquées. Littérature française (XXe-XXIe siècles), sous la dir. de Catherine BRUN et Alain SCHAFFNER, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2015a, p. 161-169.

BLANCKEMAN, Bruno, « Annie Ernaux : une écriture impliquée », dans Annie Ernaux : un engagement d’écriture, sous la dir. de Pierre-Louis FORT et Violaine HOUDART-MÉROT, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2015b, p. 125-131.

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