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Identités numériques et littérature (Revue des Sciences Humaines)

Identités numériques et littérature (Revue des Sciences Humaines)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Mara Magda Maftei)

L’avènement des technologies numériques a provoqué une rupture dans l’identité des êtres humains : à leur corps biologique, à l’existence sociale, familiale et professionnelle qui les définit et à l’identité administrative que les institutions leur attribuent s’ajoutent des identités virtuelles, multipliables à foison. Si l’individu maîtrise celles qu’il s’invente et diffuse à loisir sur les réseaux sociaux, variant projections de soi-même, profils et pseudonymes, d’autres au contraire lui échappent totalement, générées par les algorithmes qui mesurent ses comportements sur la toile ou, dans certains pays dotés de caméras à reconnaissance faciale, ses agissements et déplacements dans la cité. 

Si nous n’avons pas plusieurs corps, nous pouvons disposer de plusieurs identités numériques, certaines à notre insu. Chaque identité correspond à des formes d’existence subjectives et à des entrées différentes sur le web, ce qui engendre des désynchronisations entre l’existence du corps physique et ses vies numériques, dont certaines demeurent gérées soit par des investisseurs privés en quête de profits, soit par des organisations étatiques soucieuses de contrôler les peuples. En ce XXIe siècle, l’identité façonnée par le numérique oblige à reprendre les questions relatives au contrôle politique ou économique en tenant compte du fait que l’être humain vit sur plusieurs plans ou dans plusieurs univers virtuels (s’ajoutant à la vie ordinaire mais dans une interaction multiforme avec cette dernière). 

Une telle mutation élargit les considérations avancées par Michel Foucault sur la biopolitique, car ce n’est plus seulement le corps qui se trouve ainsi soumis aux pouvoirs, mais d’autres formes de contrôles s’exercent qui s’appliquent désormais à un humain numérisé. Cette mutation ouvre à des interrogations de tous ordres : juridiques (voir la notion de psyché-politique proposée par Géraldine Aïdan et Danièle Bourcier), anthropologiques, philosophiques, sociologiques, économiques. Qu’en est-il de cet humain multiplié suite à l’expansion de l’internet ? Comment peut-il conserver autonomie et maîtrise de soi ? Assurer son libre-arbitre ? S’identifier à ses multiples avatars sans sombrer dans la schizophrénie ?

Le dédoublement de l’humain en corps biologique et en moi-numérique peut ainsi contribuer à l’expansion d’une forme critique de pensée qui s’appuie sur le mode de vie en réseau et le recours généralisé à des outils sophistiqués de communication. 

Ce mode de vie est facilité par le posthumanisme, qui vise d’aller au-dèla de l’humain et d’instaurer un nouvel humanisme propice pour une classe d’humains modifiés et d’autres formes de « vivant » qui partagent desormais son existence. 

Dans cet esprit, ce numéro abordera également la manière dont ces problématiques se reflètent dans la littérature contemporaine. Les écrivains développent des investigations à leur manière, en croisant les préoccupations des chercheurs mais aussi celles qui naissent de la vie quotidienne et de la subjectivité des individus. Le dossier pourra accueillir des contributions portant sur un seul corpus ou sur des corpus comparatistes permettant de faire apparaître simultanément les nouveautés thématiques et les dispositifs narratifs, les formes de vie et les enjeux littéraires. Le nouveau savoir véhiculé par une nouvelle identité suscite-il des esthétiques différentes, qui répondent aux canons littéraires nationaux ? Ou bien favorise-t-il l’émergence d’une esthétique également universelle : une esthétique dictée par une nouvelle forme de pensée numérique et culturelle? L’écriture « paranoïaque », annoncée à sa manière par Theodor Adorno dès la fin des années 1940 dans son texte Engagement et qui fit florès dans la littérature américaine (depuis Burroughs jusqu’à Don DeLillo en passant par Thomas Pynchon, Denis Johnson et Kathy Acker), sans compter les traces qu’on peut y retrouver dans le Nouveau Roman, prend-elle une nouvelle pertinence à l’ère du moi numérique ?     

Nous nous intéressons à la manière dont la nouvelle identité humaine (partagée en corps biologique et en moi-numérique) est envisagée par des écrivains qui restent tributaires des modèles narratifs imposés par la contrainte du texte imprimé (Ricardo Piglia, La Ville absente, 1992 ; Antoine Bello, Ada, 2016 ; Marc Dugain, Transparence, 2019 ; Gabriel Naëj, Ce matin, maman a été téléchargée, Paris, 2019 ; Grégory Aimar I. AM, Le Transhumanisme, une nouvelle religion ?, 2020 ; Alice Zeniter, Comme un empire dans un empire, 2020…) ou par des écrivains qui affectionnent la nouvelle participation de l’auteur et du lecteur (wreader) à l’écriture du texte (littérature numérique : François Bon, Éric Chevillard, Christophe Grossi, Pierre Ménard, Cécile Portier, Joachim Séné, Benoît Vincent…). 
 
Bibliographie :

1.      Aïdan, Géraldine & Bourcier, Danièle, Humain Non-Humain. Repenser l’intériorité du sujet de droit, Issy-Les-Moulineaux : LGDJ, coll. “Droit et Société”, 2021.

2.      Badmington Neil (ed.), Posthumanism, Basingtoke, Palgrave Macmillan, 2000.

3.      Barthes Roland « The Death of the Author», Aspen Magazine, no 5/6, 1967.

4.      Bauman Zygmunt, La vie liquide, Trad. en fr. par Christophe Rosson, Paris, Éditions Le Rouergue/Chambon, 2006. 

5.      Bonnet Gilles, Pour une poétique numérique. Littérature et internet, Paris, Éditions Hermann, 2017.

6.      Bressand Albert & Distler Catherine, Le prochain monde, Paris, Éditions du Seuil, 1985.

7.      Breton Philippe, L’utopie de la communication, Paris, Éditions La découverte, 1992.

8.      Breton Philippe et Proulx Serge, L’explosion de la communication à l’aube du XXIe siècle, Montréal, Éditions du Boréal, 2002. 

9.      Brown Andrew, Cyborgs in Latin America, Palgrave, Macmillan, 2010.

10.  Cassou-Noguès Pierre, La Bienveillance des machines, Paris, Éditions du Seuil, 2022.

11.  Chassay Jean-François, Dérives de la fin. Sciences, corps et villes, Montréal, Le Quartanier, coll. « Erres essais », 2008

12.  Després Elaine et Machinal Hélène, Posthumains, Frontières, évolutions, hybridités, Presses Universitaires de Rennes, coll. « Interférences », 2014. 

13.  Foucault Michel, « Qu’est-ce qu’un auteur ? » in Dits et écrits, tome I : 1954-1969, Paris, Éditions Gallimard, coll. « Bibliothèque des Sciences humaines », 1994.

14.  Foucault Michel, Naissance de la biopolitique, cours au Collège de France. 1978-1979, Paris, Éditions Gallimard, 2004. 

15.  Ganascia Jean Gabriel, Servitudes virtuelles, Paris, Éditions du Seuil, 2022.

16.  Ganascia Jean Gabriel, Algorithme and blues in Le Nouveau Magazine Littéraire, avril 2019, n. 16, p. 48-49. 

17.  Herbrechter Stefan, Posthumanism: a Critical Analysis, Londres, Bloomsbury, 2013.

18.  Hassan Ihab, « Prometheus as Performer: Toward a Posthumanist Culture? A University Masque in Five Scenes », The Georgia Review, vol. 31, no. 4, 1977, p. 830 – 850.

19.  Hayles N. Katherine, My Mother Was a Computer: Digital Subjects and Literary Texts, Chicago, The University of Chicago Press, 2005.

20.  Latour Bruno, La Science en action, traduit de l’anglais par Michel Biezunski ; texte révisé par l’auteur, Paris, La Découverte, « Textes à l'appui. Série Anthropologie des sciences et des techniques », 1989. 

21.  Lyotard, Jean-François, La Condition postmoderne, Paris, Les Éditions de Minuit, 1979. 

22.  Lyotard, Jean-François, L’inhumain. Causeries sur le temps, Paris, Éditions Galilée, 1988.

23.  Luhmann Niklas, (1984), Social Systems, Stanford, Stanford University Press, 1995

24.  Maftei Mara Magda (dir.), « Transhumanisme et Fiction posthumanistes », Revue des Sciences Humaines, n° 341/mars 2021

25.  Maftei Mara Magda, Fictions posthumanistes, Paris, Éditions Hermann, juin 2022

26.  Musso Pierre, Critique des réseaux, Paris, Presses universitaires de France, 2003.

27.  Porush David, This Soft Machine: Cybernetic Fiction. New York, Metheun, 1985

28.  Zuboff Shoshana, L’âge du capitalisme de surveillance (2019), trad. en fr. par Bee Formentelli et Anne-Sylvie Homassel, Paris, Éditions Zulma, 2020

29.  Wolfe Carry, What is Posthumanism?, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2010 

Calendrier :

Date d’envoi des propositions accompagnées d’une brève bibliographie et d’une présentation synthétique de l’auteur : 1 octobre 2022 

Remise des articles d’une longueur de 30 à 35 000 signes : 1 mars 2023

Publication : octobre-décembre 2023

Langue de rédaction :

Les propositions et les articles doivent être rédigés en français

Contacts :

Ce numéro, dirigé par Mara Magda Maftei (Professeure, Université d’Études Économiques de Bucarest ; Chercheure associée à l’Observatoire des écritures contemporaines, Université Paris Nanterre) et Jean-François Chassay (Professeur, Université du Québec à Montréal), entend réunir des contributions variées, dans une perspective interdisciplinaire.  

Mara Magda Mafte : mmmaftei@parisnanterre.fr, mmmaftei@yahoo.com 

Jean-François Chassay : chassay.jean-francois@uqam.ca