Évelyne Pieiller se souvient de sa mère : "elle avait été bonne à tout faire, ouvrière, caissière, elle était fière d’avoir son certificat d’études et se rappelait mystérieusement quelques grandes dates de l’histoire ouvrière. Elle n’avait aucune sympathie pour ceux qui jugent de haut les filles perdues, les malheureux, les pas-chanceux. Elle n’a jamais lu Les Misérables, ni Les Trois Mousquetaires. Mais elle en connaissait l’histoire. Et elle ne s’étonnait pas d’en être à sa façon familière. Elle ne s’en intimidait pas. Ça faisait partie de son patrimoine. Comme pour des millions de gens. Dans le monde entier." En publiant Mousquetaires et misérables. Écrire aussi grand que le peuple à venir : Dumas, Hugo, Baudelaire et quelques autres (Agone), Évelyne Piellier s'interroge : "Le petit peuple trop remuant qui se fera massacrer tout au long de ce XIXe siècle trop remuant et qui persévérera dans son absence de goût fera des Misérables sa légende, et, masse qui massivement se fout de l’Art, surtout avec une majuscule, fera de surcroît des Mousquetaires son idéal d’étincelante camaraderie. Le populo s’y est aimé, le populo s’y est embelli et armé : il a choisi ses Internationales romanesques. Rencontre fabuleuse entre les imaginaires des exilés de la Révolution, des orphelins de sa promesse de compléter l’humanité. On ne comprend rien au XIXe siècle si on ne comprend pas qu’il naît de la Révolution, qu’il la rêve sans trêve, y compris dans sa version cauchemar. Ce surgissement a reconfiguré le paysage mental, le sol et le ciel tremblent, l’individu est fêlé. Car la Révolution a inventé le peuple. Comment se fait-il que la littérature française du XIXe siècle ait fourni au monde quelques-uns de ses héros universels ? que ça commence ici et là, cette production d'imaginaire populaire ? et que ça s'arrête pour ne plus jamais reprendre ?… Et s'il fallait comprendre que ce qu’écrit un romancier est plus grand que lui lorsqu’il est à l’écoute de son temps de révolte populaire ?
Fabula vous invite à lire un extrait de l'ouvrage sur le site du Monde diplomatique…
(Illustr. : Les Misérables, affiche publicitaire de Jules Chéret pour une édition du roman de Victor Hugo publiée chez Jules Rouff, 1886)