Appel à communications : journées d’études
« Vivre la fiction. La littérature par ses appropriations au quotidien (XVIIIe-XXe siècles) »
(MSH-Paris Nord, 5 et 6 octobre 2022)
Depuis le XVIIIe siècle et ensuite de manière croissante avec les débuts du romantisme, les œuvres littéraires ont souvent invité leurs lecteurs et lectrices à s’identifier aux personnages, aux scènes et aux situations fictives. Cela a donné lieu à un ensemble de pratiques culturelles et de produits dérivés qui ont permis aux publics d’expérimenter les univers de la fiction dans leur vie quotidienne, depuis la décoration, l’habillement et les accessoires de mode jusqu’aux jouets, aux éléments de mobilier et même aux comportements inspirés par des textes littéraires.
Ces deux journées d’études seront consacrées aux appropriations marchandes et émotionnelles de la fiction littéraire. Qu’il s’agisse de prolonger la vie des personnages dans la réalité, de reproduire des scènes de roman sur des papiers peints ou des objets du quotidien, de créer des effigies aux noms des héros romanesques, de vendre des imprimés à collectionner faisant référence aux univers de fiction, les reprises et réinterprétations de la littérature sont souvent créatives et révélatrices des divers contextes historiques, matériels et idéologiques dans lesquelles elles sont menées.
Toiles de Jouy Paul et Virginie, pendule Atala, papier peint et gilet Esmeralda, assiettes des Mystères de Paris, cigares Montecristo, éventail Nana, poupées Claudine : nombreux sont les exemples connus ou encore à mettre en lumière qui permettent de raconter une autre histoire de la littérature moderne à travers la perspective de ces appropriations. Comment de telles appropriations se réalisent-elles à travers différents genres et contextes ? Quels types de textes inspirent ces réactions ? Et comment ces pratiques évoluent-elles à travers le temps, à mesure que se développent les médias, puis les industries culturelles ? Finalement, que peuvent-elles nous apprendre de la littérature elle-même ?
La réflexion vise donc à étudier les dialogues entre l’artistique et le commercial à travers les fictions littéraires qui ont été prolongées dans l’existence quotidienne. Cela implique du marketing (l’effet de marque, la mise en valeur marchande, les procédés promotionnels, parfois intégrés dans l’œuvre elle-même comme le montre l’art de la réclame, cette publicité déjà littéraire), mais aussi certains usages sociaux de la littérature : la distinction qu’offre la possession de tel objet, affiché pour le symbole qu’il représente ; la classe sociale que connote telle apparence vestimentaire ou tel élément de décoration intérieure suggérant des références romanesques.
Cela implique aussi des émotions, suscitées par des expériences activées ou revécues à travers l’univers littéraire. On accueillera donc aussi les approches psychologiques et cognitives capables de prendre en compte les diverses manifestations de cette forme de bovarysme qui témoigne d’un investissement du vécu par la fiction, que ce soit à travers des styles de vêtements, de coiffures ou de bijoux, par le biais d’attitudes adoptées et de lieux fréquentés ou encore dans l’attachement à certains types de produits, dans une gamme allant de l’objet usuel à l’œuvre ornementale ou artistique.
Ces journées d’études seront interdisciplinaires en raison des enjeux concernés : littérature, économie, histoire de la consommation, histoire culturelle, histoire des représentations, patrimoine des éphémères, arts appliqués et arts décoratifs, analyse des discours, transmédialité, étude des imaginaires. Les communications pourront contribuer à mettre en lumière des corpus encore relativement peu considérés dans les études universitaires et patrimoniales : les adaptations de littérature pour la jeunesse (jeux, jouets) et le déploiement des supports pédagogiques de l’apprentissage (abécédaires illustrés) ; la rhétorique et la poésie publicitaires ; le vaste massif des corpus de presse, qui ont plus d’une fois constitué eux-mêmes des objets dérivés par le biais de la papeterie, des « éphémères » et des appropriations individuelles, familiales ou publiques de l’objet-journal.
À titre d’exemple, les questions suivantes pourront être développées :
Quelles adaptations ? (ce que cela fait à l’œuvre)
- Quels éléments de la fiction littéraire (personnages, scènes, intrigues) ont conduit à un usage commercial ? Y a-t-il un rapport notable entre la célébrité ou le succès de l’auteur/l’autrice et les commercialisations de son univers fictionnel ?
- De quelle manière les adaptations diffèrent-elles des fictions initiales ? Offrent-elles des représentations de l’intrigue? Constituent-elles des continuations, voire des réinterprétations, de celle-ci ?
- Quelles médiations les objets instaurent-ils entre le public (le lectorat) et la fiction ? Cela contribue-t-il à la remémoration du texte ? Cela aide-t-il à l’entrée dans un monde inconnu ?
- Dans quelle mesure la littérature s’est-elle transformée pour se rendre utilisable sur le plan commercial ? Selon quels critères a-t-elle évolué pour faciliter de telles adaptations ?
- Dans quelle mesure les œuvres circulent-elles à travers les frontières nationales et les aires culturelles sous des formes commercialisées ? Comment les reprises étrangères transforment-elles l’œuvre originale ?
Quelles appropriations ? (ce que cela fait au consommateur culturel)
- Quelle gamme d’émotions le produit dérivé ou la pratique suscitent-ils ?
- Quels sont les publics cibles ?
- Quelles pratiques de collection ces objets impliquent-ils ?
- L’objet issu de la fiction littéraire est-il un moyen de définition et de positionnement pour le consommateur (par exemple en amateur ou en connaisseur de la littérature) ?
- Quel est l’imaginaire socioculturel promu ? Le lectorat ou le public adopte-t-il une posture élitiste (éventuellement de nature aristocratique) ou se rapproche-t-il plutôt de pratiques populaires ?
- Le public s’identifie-t-il à certains rôles genrés à travers ces objets et pratiques ?
- L’objet ou la pratique ont-ils un usage pédagogique, politique, moral ? De quels types de valeurs sont-ils porteurs ?
Dans le souci de cadrer la réflexion, on veillera à éviter les éléments suivants :
- l’image ou la publicité de l’auteur (la canne de Balzac, etc.), car il s’agit d’étudier les appropriations de la fiction, non celles de l’auteur
- les fables et les contes de fées, déjà très présents culturellement et excédant souvent le seul patrimoine littéraire
- la réception ailleurs que dans les aires culturelles francophones
- les cas situés hors de la période des trois siècles retenus (XVIIIe-XXe siècles)
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Ces journées d’études se tiendront à la MSH-Paris Nord (Saint-Denis) les mercredi 5 et jeudi 6 octobre 2022. Elles sont organisées avec le soutien de la MSH-Paris Nord, de l’Université de Gand et de l’Université Sorbonne Paris Nord (laboratoire Pléiade et Institut Médialect).
Les propositions de communication, d’environ 250 mots, sont à adresser conjointement à Elizabeth Amann et Valérie Stiénon à l’adresse valerie.stienon@univ-paris13.fr avant le 30 juin 2022.
La sélection sera notifiée dans la première semaine de juillet.
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Bibliographie sélective :
Birkhold Matthew H., Characters Before Copyright. The Rise and Regulation of Fan Fiction in Eighteenth-Century Germany, Oxford University Press, 2019.
Boucharenc Myriam, Guellec Laurence et Martens David (dir.), Interférences littéraires, "Les circulations publicitaires de la littérature", n°18, mai 2016. URL : http://www.interferenceslitteraires.be/index.php/illi/issue/view/3.
Boucharenc Myriam, L’écrivain et la publicité. Histoire d’une tentation, Champ Vallon, 2022.
Cahen-Maurel Laure, Feuillebois Victoire et Mees Martin (dir.), Les Formes romantiques de la vie : poétisations de l’existence dans le romantisme européen, Paris, Hermann, 2019.
Caraion Marta (dir.), Usages de l’objet. Littérature, histoire, arts et techniques, XIXe-XXe siècles, Seyssel, Champ Vallon, 2014.
Cross Gary, Time and Money. The Making of Consumer Culture, Londres/New York, Routledge, 1993.
Diaz Brigitte (dir.), L’auteur et ses stratégies publicitaires au XIXe siècle, Caen, Presses universitaires de Caen, 2019.
Diaz José-Luis, « Quand la littérature formatait les vies », COnTEXTES, n°15, 2015.
Egan Gerald (ed.), Fashion and Authorship: Literary Production and Cultural Style from the Eighteenth to the Twenty-First Century, Palgrave, 2020.
Guellec Laurence et Hache-Bissette Françoise (dir.), Littérature et publicité. De Balzac à Beigbeder, actes du colloque des Arts décoratifs des 28-30 avril 2011, Marseille, Éditions Gaussen, 2012.
Kalifa Dominique, « L’ère de la culture-marchandise », Revue d’histoire du XIXe siècle, n°19, 1999, p. 7-14. URL: https://journals.openedition.org/rh19/152.
Lelieur Anne-Claude (dir.), De Bébé Cadum à Mamie Nova : un siècle de personnages publicitaires, catalogue de l’exposition à la Bibliothèque Forney, Hôtel de Sens, 14 décembre 1999 - 1er avril 2000, Paris Bibliothèques, 1999.
Letourneux Matthieu, Fictions à la chaîne. Littératures sérielles et culture médiatique, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 2017.
Lilti Antoine, Figures publiques. L’invention de la célébrité (1750-1850), Paris, Fayard, 2014.
Lyon-Caen Judith, La Lecture et la vie. Les usages du roman au temps de Balzac, Paris, Tallandier, 2006.
Macé Marielle et Pradeau Christophe (dir.), Vies possible, vies romanesques, Itinéraires, 2010-1, mai 2010. URL : https://journals.openedition.org/itineraires/2096.
Mariette-Clot Catherine (dir.), L’Expérience romanesque au XIXe siècle, Romanesques, n°5, 2013.
Montandon Alain et Fontaine Alexia (dir.), Étoffes et littérature. La littérature dans les étoffes aux XVIIIe et XIXe siècles, catalogue de l’exposition à Jouy-en-Josas, Silvana Editoriale, 2021.
O’Malley Andrew, Children’s Literature, Popular Culture, and Robinson Crusoe, Palgrave Macmillan, 2012.
Olivero Isabelle, L’invention de la collection. De la diffusion de la littérature et des savoirs à la formation du citoyen au XIXe siècle, Paris, IMEC/MSH, 1999.
Pézard Émilie (dir.), Le personnage, un modèle à vivre, Fabula, Colloques en ligne, 2018. URL : https://www.fabula.org/colloques/index.php?id=5074.
Thérenty Marie‑Ève et Wrona Adeline (dir.), Objets insignes, objets infâmes de la littérature, Paris, Édition des archives contemporaines, 2019.
Thérenty Marie‑Ève et Wrona Adeline (dir.), L’écrivain comme marque, Sorbonne Université Presses, 2020.