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Raymond Roussel dans son temps ? (n°8 de la Revue des Lettres Modernes)

Raymond Roussel dans son temps ? (n°8 de la Revue des Lettres Modernes)

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Christophe Reig )

APPEL À CONTRIBUTIONS

Pour le numéro 8 de la Revue des Lettres Modernes

RAYMOND ROUSSEL DANS SON TEMPS ?


L’inscription de Raymond Roussel dans l’histoire littéraire reste problématique, tellement l’auteur s’est efforcé de préserver une solitude et une distance radicales par rapport à la société et au monde littéraire et culturel de son époque. Né en 1877 et décédé en 1933, Roussel chevauche la Belle Époque, le Symbolisme, le Décadentisme et les folles années vingt. Ses textes restent cependant difficiles à relier au contexte dans lequel ils naissent, à leur époque, ainsi qu’aux mouvements littéraires et artistiques qui leur sont contemporains.
Le huitième volume de la Revue Roussel propose donc aux chercheurs d’interroger les coordonnées, éminemment problématiques, de l’inscription de l’auteur par rapport à l’histoire littéraire et au contexte général dans lequel il a évolué.
Il paraît d’abord difficile d’associer Roussel à la littérature de son temps. Ses textes s’efforcent en effet de contredire les canons esthétiques et les valeurs morales sur lesquelles se fondait justement le capital symbolique dans le champ littéraire au XIXe siècle : pas de personnages forts, pas de psychologisme, pas d’analyse des caractères. Rien n’est plus étranger à Roussel que la volonté balzacienne de s’ériger en secrétaire de la société de son temps, de dresser une fresque d’une époque, tel Zola, ou encore d’illustrer la philosophie positiviste dans le récit. Difficile aussi d’imaginer une poétique plus éloignée des Parnassiens (édités par Alphonse Lemerre) ou des Symbolistes que celle de Roussel, tellement son écriture poursuit les désignations précises plutôt que la musicalité, l’évocation à travers les nuances. Bref, rien ne saurait être plus dissemblable du vers roussellien que la poétique musicale de Verlaine, ou encore celle formulée par Rimbaud dans La Lettre du voyant ou encore les maximes parfois lyriques de Lautréamont. Chez Roussel, ni musique, ni tentative prométhéenne de voler le feu de l’Olympe.
De même rien n’est plus étranger à Roussel que les poétiques de rupture formulées par les avant-gardes vingtièmistes : aucun culte de la provocation, nulle volonté de libérer qui que ce soit de quoi que ce soit, pas d’attente révolutionnaire, aucune tentative de faire émerger un langage enfoui dans l’inconscient, aucune prétention de renouveler le trésor des images poétiques. Pierre Bazantay va même jusqu’à constater dans l’œuvre poétique de Roussel « la disparition à peut près totale de ce que l’on nomme “poésie”[1] ».
Les rapports de Roussel, souvent présenté comme un précurseur, aux avant-gardes de son temps, notamment par Dada et le surréalisme, exigeraient probablement de faire l’objet d’une analyse à nouveaux frais. On sait que les premières des pièces de Roussel furent un peu la bataille d’Hernani des surréalistes... Mais Roussel n’est-il pas au plus loin de l’irrationalité dont se revendiquaient les investigations de ces jeunes gens ?
Évalué à l’aune de la « beauté convulsive » réclamée pour l’œuvre d’art par Breton, ses textes semblent curieusement marginalisés par d’autres, quand bien même Dalí a vu dans ses textes une machine hallucinatoire... Michel Foucault et Henri Béhar l’avaient dit, chacun à sa manière : il ne peut y avoir aucun rapport entre une écriture aussi froidement rationnelle que celle de Roussel et l’exaltation propre au surréalisme.
Plus généralement, l’écriture de Roussel aurait-elle su trouver un langage atemporel, qui se situe littéralement, hors du temps ? Aurait-elle finalement réussi à se situer hors du monde ? Dans quelle mesure cette œuvre, tellement hantée par le temps, a-t-elle paradoxalement pu ou su s’en abstraire, voire se soustraire à tous les classements de l’histoire littéraire ? Sans nul doute, la vision déportée, anticipatrice que Roussel porte sur son temps, « l’espoir d’un épanouissement posthume à l'endroit de (s) es livres », confèrent-ils au texte une réception très particulière, en faisant de l’auteur un « contemporain posthume ». C’est peut-être une des raisons qui donnent l’impression que Roussel ne nous parle pas exactement de son époque, mais peut-être également des mondes cybernétiques, robotiques, voire story-tellisés qui sont les nôtres.
Et pourtant, les travaux d’A.-M. Amiot, P. Bazantay, B. Gromer ont bien démontré à quel point l’oeuvre de Roussel est bel et bien imprégnée de la culture et de la société de son temps ; sédimentée à la fin du xixe siècle, elle est également fille de la Révolution industrielle et de la Belle Époque.
Pour ne prendre qu’un exemple, les décors et les personnages qu’il plante dans ses livres proviennent essentiellement du monde de son enfance. Une enfance – qu’il disait d’un bonheur parfait – vécue immergé dans l’univers fantaisiste de la Foire de Neuilly, du Carnaval de Nice, des fêtes déguisées que sa mère organisait, ou encore des théâtres de marionnettes, des guignols, des spectacles de prestidigitateurs, des opérettes, et du cirque. De sorte que l’œuvre de Raymond Roussel nous fournit en partie des séries de cartes postales de son époque. La Doublure est un plan séquence du carnaval de Nice, La Vue, une série d’instantanés de stations balnéaires bien bourgeoises. La Seine et Les Noces deux longs plans séquences où défile le Paris d’une Belle époque quelque peu nonchalante.
Les modèles narratifs rousselliens sont ainsi largement empruntés à la littérature populaire de son temps, aux contes merveilleux, aux légendes, mais aussi au roman à énigme ou d’anticipation, au fantastique en général qui s’origine au XIXe siècle. Les sources culturelles, l’intertextualité des œuvres rousselliennes restent ainsi encore largement à explorer.
La question si paradoxale de l’inscription de Roussel dans son temps est largement ouverte à des problématiques tangentes que nous n’aurions peut-être pas évoquées dans les lignes qui précèdent. Aussi, nous attendons des contributeurs qu’ils s’emparent de cette discussion et contribuent à renouveler la perception si mouvante et délicate d’une œuvre encore énigmatique et d’un auteur à nul autre pareil.
 
PROPOSITIONS
Nous attendons vos propositions pour le 15 septembre 2022
2001hs@gmail.com ; christophe.reig@univ-perp.fr
Après décision définitive, le 30 septembre 2022, les contributions seront à remettre le 30 mai 2023.
Le volume sera publié par La Revue des lettres modernes (Classiques Garnier) lors du dernier semestre 2023.
 
 
Quelques références bibliographiques rousselliennes en rapport avec les pistes évoquées
 
VOLUMES INDIVIDUELS ET COLLECTIFS 
 
AMIOT Anne-Marie et REGGIANI Christelle (dir.), Nouvelles impressions critiques, Revue des lettres modernes, série Raymond Roussel, n° 1, Paris-Caen, Lettres modernes Minard, 2001, 247 p.
AMIOT Anne-Marie et REGGIANI Christelle (dir.), Formes, images et figures du texte roussellien, Revue des lettres modernes, série Raymond Roussel, n° 2, Paris-Caen, Lettres modernes Minard, 2004, 229 p.
AMIOT Anne-Marie, REGGIANI Christelle et SALCEDA Hermes (dir.), Musicalisation et théâtralisation du texte roussellien, Revue des lettres modernes, série Raymond Roussel, n° 3, Caen, Lettres modernes Minard, 2007, 294 p.
AMIOT, Anne-Marie, Un mythe moderne : * Impressions d'Afrique + de Raymond Roussel, Minard, Archives des Lettres modernes, n1 176, Paris, 1977.
BAZANTAY Pierre, REGGIANI Christelle, SALCEDA Hermes (dir.), Raymond Roussel : hier, aujourd'hui, actes du colloque de Cerisy 9-16 juin 2012, Presses Universitaires de Rennes, 2012.
BAZANTAY, Pierre, Archéologie d'un fait littéraire, Raymond Roussel, Thèse d'Etat, Université de Rennes II, 1987.
BORY Jean-François, Roussel, SARL, Romainville, Al Dante, 2003.
BRUN, Annie Le, Vingt mille lieues sous les mots, Raymond Roussel, J.J. Pauvert, Paris, 1994.
CARADEC, François, Raymond Roussel, Paris, J.J. Pauvert, 1997.
CARROUGES, Michel, Les Machines Célibataires, Paris, Arcanes, 1954.
COLOMBET Marie, L’Humour objectif : Roussel, Duchamp, Paris, Publibook, 2008.
GROMER Bernadette, Nature et elaboration de la fiction dans l’oeuvre de Raymond Roussel, Lille, ANRT, 1998.
JONGEN René-Marie, Variations sur la question langagière, Bruxelles, Publications des Facultés Universitaires Saint-Louis de Bruxelles, 2002.
JUNG, Mathieu, James Joyce, Raymond Roussel : modalités du lisible, thèse de l’Université de Strasbourg, 2014.
KOKUBU, Toshihiro, Le jeu du je chez Raymond Roussel, Lille, Presses Univesitaires du Septentrion, 2004.
LEIRIS, Michel, Roussel l'ingénu, Paris, Fata Moragana, 1987. 
NIJIMA, Susumu, Mesure et démesure chez Raymond Roussel, Thèse, Université de Rennes 2, 2004.
TANI, Masachika, Le lieu commun hors du commun chez Raymond Roussel. Thèse pour le doctorat de IIIè cycle sous la direction de M. Henri Béhar, Université de la Sorbonne Nouvelle, Paris III, 1987.
PIRON François (dir.), Locus Solus. Impressions of Raymond Roussel, Madrid, Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofia, 2011. 
REGGIANI Christelle et SALCEDA Hermes (dir.), Réceptions et usages de l’oeuvre de Roussel, Revue des lettres modernes, série Raymond Roussel, n° 4, Caen, Lettres Modernes Minard, 2010.
SALCEDA Hermes et ANDUJAR Gemma, Raymond Roussel : teoria y practica de la escritura. Con la traduccion de Textos embrionarios o Embriones textuales, Barcelone, Universitat Autonoma de Barcelona, 2002. 
WELLER Claudia Ella, Zwischen schwarz und weiss : Schrift und Schreiben im selbstreferentiellen Werk von Edgar Allan Poe und Raymond Roussel, Berne, Peter Lang, 2001. 

NUMEROS DE REVUES CONSACRES A ROUSSEL 
 
Raymond Roussel, Cahiers de l’Association internationale des études françaises, n° 56, 2004.
Raymond Roussel, Bérénice. Rivista quadrimesale di studi comparati et ricerche sulle avanguardie (L’Aquila), n° 38, 2007. 
Raymond Roussel, Europe, n° 1104, avril 2021.
 
ARTICLES 
 
AMIOT, Anne-Marie, 
— « Roussel et la science, Trois figures de l'imaginaire Littéraire », Annales de la Faculté des Lettres de Nice, 1982.
— «  L'idéologie roussellienne dans Locus Solus. Raymond Roussel et Camille Flammarion », Mélusine, n1 3, L=Age d=Homme, Lausanne, 1982.
— « Romans d'Aventures et aventures du roman roussellien », Europe, n1 714, Raymond Roussel, Paris, 1988.
— « Raymond Roussel : Cruauté et Grand-Guignol », Jean-Pierre Goldenstein et Michel Bernard (dir.), Mesure et démesure dans les lettres françaises au xxe siècle : Hommage à Henri Béhar, Paris, Honoré Champion, 2007, p. 57-69.
ANGLARD, Véronique, « Raymond Roussel Impressions D'Afrique », Ecole des Lettres II, n1 11, avril 1991, Paris.
BALPE, Jean-Pierre, « Vers une zoologie différente », Le Bestiaire Fantastique, Larousse, Paris, 1974.
BASSET Anne-Marie, « Théâtralisation du corps dans les avant-textes d’Impressions d’Afrique », série Raymond Roussel, n° 3, 2007, p. 141-168.
BAZANTAY Pierre, « Roussel et le feuilleton », Mélusine, n° 25, 2005, p. 121-131. 
ERULI, Brunella « Le moule et le clou. Les objets idiots de Roussel », P. Bazantay & P. Besnier, Raymond Roussel, perversion classique ou invention moderne ?, Presses Universitaires de Rennes, 1993.
FINTER, Helga , « L'offrande langagière : scènes », Bazantay P. & Besnier, P., Raymond Roussel, perversion classique ou invention moderne ?, Presses Universitaires de Rennes, 1993.
HAENEL, Yannick, « Ecriture de l=imaginaire dans les romans de Raymond Roussel », Recherches sur l’imaginaire, n1 19, 1981.
JENNY, Laurent, « Le discours du carnaval », Littérature, n1 16, 1974.
LAPLACE, Jean, « Raymond Roussel et le merveilleux », Prisme, n1 15, printemps 1980.
LEBORGNE Erik, « Les espaces artificiels dans Locus solus de Raymond Roussel », Pierre MASSON (dir.), L’Envers du décor : Duplicité du paysage littéraire, Nantes, Pleins Feux, 2003, p. 143-180.
MEUNIER, Jean-Louis, « N pages sur Raymond Roussel (4 N 9) », Raymond Roussel à Nice, A.I.R., 1983.
MILNER, Judith, « Poussière de soleils Poussières de texte », Action poétique, n1 69, 1977.
MOURIER, Maurice, « Raymond Roussel ou le refus du corps », Corps, création, entre Lettres et Psychanalyse, Presses Universitaires de Lyon, 1980.
NAGATA Michihiro, « L’improbable théâtre de Raymond Roussel. Sur l’adaptation théâtrale d’Impressions d’Afrique », Histoires littéraires, n° 36, 2008, p. 18-39.
RAYMOND, François, « Raymond Roussel et le récit d'énigme », Europe, nº1 714, 1988.
RINGGER, Kurt, * Le jeu des appareils et des mots chez Roussel +, Les études philosophiques, 1985.
ROSCIONI, Gian Carlo, « Comment naissent les mythes », Europe, n1 714, 1988.
ROUDINESCO, Elisabeth, « Raymond Roussel, le folklore breton et l'enfant-roi pervers », Action poétique, n1 50, 1972.
READ, Peter, « Jean Cocteau et Raymond Roussel : “un monde suspendu d'élégance, de féerie, de peur” », Cahiers Jean Cocteau Nouvelle série 2013, 10/11, p. 271-294.
SCOTT, David, « The Secret of the Corpse-Language Machine: The Birth of the Clinic and Raymond Roussel », in David Scott, Understanding Foucault, understanding modernism, New York, Bloomsbury Academic, an imprint of Bloomsbury Publishing Inc., 2017, chapter 2.

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[1] Bazantay : «Mais c’est un très grand poète » p.158.