Marges n°37 – Appel à contributions
Journée d’études « Art & travail », le 29 octobre 2022
Au tournant des années 1960-1970, se généralise le terme « travail » pour désigner non seulement l’activité artistique, mais également son produit. Ce glissement sémantique traduit un changement de paradigme artistique puisque, à la fois aux États-Unis et en Europe, tout un pan de l’art se met à réfléchir à la manière de rendre compte des processus de production de l’œuvre. Le déplacement de l’intérêt de l’œuvre comme objet fini au processus créatif qui s’observe alors, entraîne une redéfinition du statut non seulement de l’œuvre mais aussi de son auteure ou auteur. Il intervient dans le contexte du développement du minimalisme, du conceptualisme, du process art, de la critique d’art féministe, autant de mouvements de pensée qui réfutent la centralité de l’objet d’art et l’idée d’un isolement de l’artiste dans la société. Le choix du vocable « travail » par toute une génération d’artistes dans ce contexte est motivé par une arrière-pensée politique assez évidente qui trouve, entre autres, ses origines dans la double tendance marxiste et féministe de l’époque. À la fin des années 1960, il accompagne en effet la volonté d’une part de la population artistique de se revendiquer en travailleurs de l’art. C’est l’époque où se développent des initiatives collectives, telles que le Canadian Artists’s Representation (CARFAC – le Front des artistes canadiens) en 1968, l’Art Workers Coalition (AWC – la coalition des travailleurs de l’art), à New York en 1969, ou encore le Front des artistes plasticiens (FAP) lors des États Généraux des Arts Plastiques, à Paris en 1972.
Si la généralisation du terme « travail » dans le vocabulaire artistique traduit une mutation de la nature de l’art, elle s’accompagne en effet de l’apparition de nouvelles postures auctoriales au premier rang desquelles celle de l’artiste-travailleuse ou travailleur. Au fil des décennies, cette posture a pu signifier des manières d’être artiste différentes : de l’assimilation de l’artiste à l’ouvrière ou l’ouvrier et à l’artisane ou l’artisan pour les années 1960-1970 et dans la filiation de l’auteur-producteur (W. Benjamin, 1934), à la flexibilisation du métier d’artiste dans les années 1990-2000, telle que décrite par certains sociologues ou économistes (C. Boltanski et E. Chiapello, 1999 ; P.-M. Menger, 2002) et qui peut renvoyer à l’idée d’artiste-entrepreneuse ou entrepreneur. Quelles que soient ses variations au fil des décennies, la posture de l’artiste-travailleuse ou travailleur perdure au point de représenter une constante dans les discours de l’art depuis les années 1960.
Depuis une cinquantaine d’années, le terme « travail » pour désigner une œuvre ou de « travail artistique » comme équivalent de « pratique artistique » est ainsi entré dans le langage courant. S’il semble avoir perdu sa portée politique pendant un temps, celle-ci réapparaît régulièrement depuis une quinzaine d’années dans les revendications professionnelles des artistes et actrices ou acteurs du secteur – dont des artistes – des arts visuels. Traduisant l’opposition historique entre régimes vocationnel et professionnel de l’art, les récents débats sur la création d’un statut pour l’artiste, qui en réglementerait les conditions d’exercice et de rémunération, s’appuient précisément sur le travail et ses enjeux tant politiques que théoriques. Empruntant les définitions du travail en tant que concept philosophique, sociologique, économique ou juridique, des revendications actuelles rejoignent des enjeux qui ont fondé la posture de l’artiste-travailleuse ou travailleur quelques décennies plus tôt. En étant à la fois support et sujet du processus créatif, l’apport du concept de travail participe ainsi à modifier la création par sa dimension (auto)réflexive.
Axes et thématique
Cette journée d’études de la revue Marges souhaite revenir sur l’histoire des relations entre art et travail au tournant des 20e et 21e siècles, afin d’observer la manière dont s’est construit et déconstruit ce parallèle et dont s’est dessinée la posture de l’artiste-travailleuse ou travailleur. Au regard de son histoire comme des revendications actuelles, il s’agit ici d’interroger les potentielles discordances ou concordances de ce rapport entre art et travail, ainsi que les manières dont il se traduit dans les pratiques artistiques contemporaines. En s’intéressant prioritairement aux quarante dernières années, cette journée d’études pose ainsi comme questions : Qu’est-ce que le travail fait à l’art, et inversement ? Comment se construit le rapport au travail des artistes ? Les artistes sont-elles et ils des travailleuses et travailleurs comme les autres ? Qu’est-ce qui qualifie leur activité comme étant un travail ? Les axes de réflexion possibles sont les suivants :
- Révision du travail artistique au prisme de ses définitions philosophiques, sociologiques, économiques, juridiques ; usages du terme « travail » dans les discours de l’art.
- Figures et postures de l’artiste en tant que travailleuse ou travailleur de l’art ; mises en scène de l’artiste au travail.
- Redéfinitions du travail de l’artiste comme salarié(e), travailleuse ou travailleur indépendant(e) ; l’art comme préfiguration ou modèle de nouvelles formes de travail : travail précaire, auto-entreprenariat, formes collaboratives ou associatives…
- Temporalités du travail artistique : la carrière artistique, les pratiques plurielles et la pluriactivité ; gestion de la création : l’artiste face à l’idée de recherche-développement.
- Espaces et outils du travail artistique, individuels et collectifs.
- Travail artistique et production de valeur(s).
- Revendications ou refus de la notion de travail dans l’art.
- (…)
Modalités
Les propositions devront nous parvenir avant le 3 juillet 2022, sous la forme d’une problématique résumée (5000 signes maximum, espaces compris), adressée par courriel à emeline.jaret@gmail.com. Les textes sélectionnés (en double aveugle) seront présentés par leurs auteures ou auteurs lors d’une journée d’études, le samedi 29 octobre 2022 à l’INHA, Paris (à confirmer).
À l’issue de cette rencontre, les textes définitifs devront parvenir au comité avant le 31 novembre 2022 (30.000 à 40.000 signes, espaces et notes compris) Certaines de ces contributions seront retenues pour publication dans le numéro 37 de Marges (automne 2023).
*
La revue Marges (Presses Universitaires de Vincennes) fait prioritairement appel aux jeunes chercheuses et chercheurs des disciplines susceptibles d'être concernées par les domaines suivants : esthétique, arts plastiques, histoire de l'art, sociologie, études théâtrales ou cinématographiques, littérature, musicologie…