Ce recueil, premier livre collectif consacré à l'oeuvre, d'ores et déjà légendaire, de Pierre Guyotat, rassemble les participations de chercheuses et chercheurs de premier plan, venant notamment d'universités françaises et nord-américaines, auxquelles s'adjoignent les regards d'artistes et auteurs reconnus internationalement.
Avec Pierre Guyotat, dont on lira ici le dernier entretien, resté inédit, on est en présence d'une oeuvre - Tombeau pour cinq cent mille soldats (1967), Éden, Éden, Éden (1970), Idiotie (2018)... - qui a si bien transformé la langue française qu'il fallait cette diversité d'approches, de la linguistique à la chorégraphie, pour comprendre pourquoi elle a plus contribué à l'art et à la vie qu'aucune autre de notre temps.
Donatien Grau, « Introduction. Pierre Guyotat en son siècle »
L’importance de l’œuvre de Pierre Guyotat tient à son ancrage dans l’histoire et les strates de la langue française dont elle intègre toutes les formes, de ses origines latines à sa créolisation, ouvrant ainsi les horizons plus qu’aucune autre. Elle inaugure un nouveau rapport à la fiction avec des textes extrêmes et précis, dont l’exigence éthique a modelé la vie de leur auteur. Les jalons ici posés permettent d’aborder l’ensemble des études et leur variété méthodologique.
Bernard Cerquiglini, « Une psalmodie clinique. La langue d’Éden, Éden, Éden »
La langue de Pierre Guyotat fait l’objet d’une commune admiration. Cet essai ne l’aborde pas d’une façon théorique, il s’agit plutôt de choisir une méthode stylistique qui permette d’approcher le chef-d’œuvre qu’est Éden, Éden, Éden. Avec les outils de la langue française elle-même, à travers l’étude de la scansion, de la syntaxe, du lexique employés, c’est un nouveau regard qui est produit, au cœur de la méthode de Pierre Guyotat, lui-même si attentif au français et à ses vies.
Noura Wedell, « De quel vié appuyer pour bander droit ? »
La scène de bordel est le lieu de l’injustifiable ; son verbe écrit l’éclatement de la logique face à ce qui la dépasse, tant dans l’horreur que dans le sacré. C’est aussi le verbe du jugement de l’humanisme européen. Dans un extrait d’Issé Timossé, ce verbe qui s’écrit à même le corps humain permet de dégager l’horizon d’une éthique qui est à établir dans le corps de l’auteur, et des lecteurs et lectrices.
Clément Ribes, « Des corps sortir l’écume. Réflexions sur le monde de Pierre Guyotat entre Tombeau pour cinq cent mille soldats et Prostitution »
Dès ses premiers textes, Pierre Guyotat entreprend de créer de nouveaux rapports aux corps et entre les corps. Cet essai veut en établir une typologie au tournant des années 1970 – entre Tombeau pour cinq cent mille soldats (1967) et Prostitution (1975). À travers ces corps réifiés, objets de commerce ou rouages de machines, porteurs de traces – cicatrice ou écume –, c’est le soubassement de la langue de Pierre Guyotat, alors en cours d’invention, qui se trouve exposé.
Julien Lefort-Favreau, « “Tout m’exclut de la vie : la vie, même” »
Ce texte suit la trace du mot « émancipation » dans le cycle autobiographique de Pierre Guyotat, quatre livres – Coma, Formation, Arrière-fond et Idiotie – où le sujet, dont l’émancipation est toujours différée, se décrit comme pris au piège des normes sociales, de la violence historique et d’institutions familiales, militaires ou médicales qui manquent de le détruire. C’est contre ces déterminations qu’il se construit, et en cela que Pierre Guyotat impose une nouvelle grammaire du politique.
Raphaël Sigal, « Vrille, voyelle, verbe – lire Guyotat »
Comment Pierre Guyotat envisage-t-il la lecture – la manière dont il lit, la manière dont on lit ses textes ? Et qu’est-ce que cette manière particulière d’envisager la lecture nous dit de son écriture ? À partir de phrases glanées dans ses textes et entretiens, cet essai explore les liens que Pierre Guyotat tisse entre lire et vivre, entre la lecture et le corps.
François Vanoosthuyse, « Une langue à soi »
Il existe, dans les textes en langue « normative » de Pierre Guyotat, des structures narratives singulières, type « bloc » discursif ou agencement logico-temporel. Une perception d’ensemble de Formation et d’Idiotie permet de proposer une analyse des formes et des articulations de phrases, et d’observer comment cette langue, originale et inventive, parvient à intégrer différentes strates de l’histoire du français (lexique et syntaxe), différents registres et différentes régions de la parole.
Gisèle Sapiro, « Un paradigme du désintéressement dans l’art. La trajectoire et l’œuvre de Pierre Guyotat »
Comment devenir écrivain sans faire de compromis ? Comment exister à l’heure du développement professionnel du métier d’écrivain quand on refuse de jouer le jeu ? Exemplaires, la trajectoire de Pierre Guyotat, sa posture, son œuvre, peuvent être lues comme une forme de résistance aux compromis, assortie d’une stratégie de subversion des canons esthétiques aussi bien que des règles du jeu du champ littéraire, stratégie fondée sur un ethos de désintéressement.
Alexandre Leupin, « Krisis »
Partant du principe que l’œuvre de Pierre Guyotat est en tout point nourrie d’interrogations et de ressources chrétiennes, cet essai la confronte aux principes de la foi chrétienne, à des références bibliques, ainsi qu’aux discours de certaines hérésies : ces rapprochements permettent de jeter un nouveau regard sur l’œuvre de Pierre Guyotat, et de comprendre la réponse fondamentale qu’elle apporte à la chute des idéologies et à la remise en question du catholicisme.
Donatien Grau, « “Ce site premier qu’est le corps”. Entretien avec Emmanuelle Huynh »
Comment une chorégraphe, qui, par définition, travaille avec les corps, fait sienne une œuvre qui, comme celle de Pierre Guyotat, travaille les corps, tel est le sujet de cet entretien. Où l’on voit que les exigences du spectacle dansé vont associer un texte écrit en 2007, Formation, ancré dans le temps de la biographie, avec un autre, de 1984, Le Livre, ancré dans le temps de l’épopée. S’y expose notamment la mise en forme des liens entre personnes, entre éléments, entre âges.
Donatien Grau, « “Guyotat, c’est une manifestation”. Entretien avec Philippe Parreno »
Cet entretien est centré sur la relation intime d’un artiste plasticien avec l’œuvre, découverte à l’adolescence, de Pierre Guyotat, et son incarnation de la figure moderne de l’auteur-artiste – figure proprement héroïque. Là où l’un pense son œuvre comme un paysage, l’autre trouve à y réinventer la 276pratique de l’exposition. À l’approche par l’un des corps répond, chez l’autre, une perception nouvelle des rapports entre eux des éléments du monde – de l’infime au cosmos.
Linda Lê, « Pierre Guyotat, terreur et beauté »
Cet essai approche de l’intérieur la méthode de penser de Pierre Guyotat. Évoquant ses premiers écrits comme les plus récents, convoquant les figures qui l’ont inspiré – soit par leurs textes, soit par leur vie –, tels Giordano Bruno, Rimbaud ou le marquis de Sade, il rend compte des moments de lutte intime et publique de Pierre Guyotat, mais aussi de la conception de l’art qui est au cœur de son œuvre et de sa vie. Apparaît, en définitive, un artiste radical, à la fois un et multiple.
Bertrand Leclair, « Les dires véridiques de Pierre Guyotat »
La découverte des textes de Pierre Guyotat est, en soi, une expérience. Celle d’un écrit aussi dense qu’Éden, Éden, Éden, peut littéralement terrasser. C’est donc comme une aventure personnelle décisive qu’est ici présentée la longue traversée qui conduit de Tombeau pour cinq cent mille soldats à Par la main dans les Enfers. Y sont mises en évidence la force de rupture et la complétude de la langue et de l’action qui s’y fait jour – radicalement liée au désir et à l’épopée.
Donatien Grau, « “Cette obligation de voir tout ce qui se passe en même temps”. Entretien avec Pierre Guyotat »
Dans son dernier entretien public, Pierre Guyotat revient sur les rapports de son œuvre à la langue, à l’histoire et aux cultures classiques, sur le rôle social de l’art. Il y évoque ses propres choix, sa perception de ceux d’autres artistes et sa volonté de préserver cette absolue intégrité de la création qui ne va pas sans une conception intransigeante du rôle de l’artiste, à la fois au cœur et en dehors du monde humain : en tension permanente vers le cosmos, le sol, l’intégralité du monde.