Habiter la scène. Représentations de la maison et imaginaires domestiques dans la création théâtrale contemporaine. Textes et scènes (Lille)
Habiter la scène
Représentations de la maison et imaginaires domestiques
dans la création théâtrale contemporaine (textes et scènes)
Université de Lille
Centre d’Etude des Arts Contemporains (ULR 3587)
Journée d’étude organisée par
Ulysse Caillon & Maxence Cambron
Vendredi 21 octobre 2022
au Phénix, scène nationale de Valenciennes
Organisée par le Centre d’Etude des Arts Contemporains (ULR 3587), cette journée d’étude propose d’interroger les représentations de l’espace domestique et ses imaginaires dans la création théâtrale d’aujourd’hui tant du point de vue de ses explorations dramaturgiques que de ses expressions matérielles et visuelles.
Si, comme l’analyse Jean-Pierre Sarrazac dans Théâtres intimes1, l’univers de la maison a pu être au coeur des enjeux de la modernité théâtrale à la fin du XIXe siècle par ses implications concrètes et métaphoriques, psychologiques et politiques (en particulier chez Ibsen et Tchekhov), il semble que cette matière se soit assez vite épuisée au profit de sujets extra-domestiques (le monde plutôt que le chez-soi, le corps plutôt que l’habitat). Mis à part quelques résurgences dans les années 1970 du côté d’un certain théâtre du quotidien (Kroetz, Deutsch, Vinaver…), ou plus tard dans l’œuvre de Jean-Luc Lagarce, cette désaffection paraît s’estomper depuis une quinzaine d’années et l’exploration de l’habitat connaître un regain d’intérêt en devenant le siège de nouveaux sujets et de nouvelles expérimentations formelles.
Un certain nombre de mises en scène récentes travaillent de cette manière un imaginaire visuel de la maison, jouant de codes scénographiques naturalistes ou inspirés du cinéma, pour les détourner ou les interroger, que l’on pense au provocateur foyer de cheminée qui trône au début du Passé de Julien Gosselin, aux appartements hyperréalistes de Milo Rau exposés en coupe dans Familie et Grief and Beauty, qui paraissent autant jouer de théories théâtrales du quatrième mur que de la référence au studio de tournage, ou encore aux maisonnettes de Tristesses d’Anne-Cécile Vandalem dans lesquelles le regard filmique vient s’introduire. D’autres mises en scène font au contraire le choix d’une représentation plus symbolique et/ou performative de la maison, comme Maison mère de Phia Ménard ou Affordable solution for better living de Steven Michel et Théo Mercier, où la maison ou son intérieur se (dé)construisent progressivement sur le plateau.
La maison comme « espace domestique » est aussi le cœur d’enjeux politiques qui ont récemment été remis au devant de la scène2. Les théâtres féministes ont accordé une grande importance aux enjeux de pouvoir qui pouvaient s’y jouer et aux violences patriarcales qui y prennent place, perspectives qui se retrouvent dans divers textes et mises en scène contemporains, qui pourront nourrir la journée : chez Pauline Bureau (Modèles, Féminines), Magali Mougel (Suzy Storck), ou Pauline Peyrade (Poings)... D’autre part, la maison apparaît régulièrement « envahie » - ou du moins traversée - par l’extérieur et notamment par les flux numériques, dans des représentations qui tendent à refléter l’invasion de l’intimité par les assauts d’un monde néolibéral cherchant à abolir les frontières du privé et du public. Nous souhaitons donc interroger la remise en cause ou au contraire la réactivation de son statut de « refuge » pour celui ou celle qui l’habite. À cet égard, la figure de l’hikikomori, rencontrée à plusieurs reprises dans les écritures dramatiques contemporaines et sur les plateaux, pourra donner lieu à une réflexion spécifique.
Suite aux confinements successifs de 2020 et 2021 et à la fermeture des salles de spectacle vivant, se sont aussi réinventées des manières de faire théâtre chez soi ou de voir du théâtre depuis sa maison, notamment par le biais des technologies numériques. Cette journée souhaite envisager ainsi également les pratiques d’un théâtre « dans la maison », que l’on a pu dire « de chambre », « à domicile » ou « in situ ». Quelles pratiques s’inventent aujourd’hui dans des espaces domestiques restreints et dans quelle histoire contemporaine s’inscrivent ces pratiques ? Quels types de maisons sont investis par les performances théâtrales (de maisons ordinaires à des maisons muséales), quels espaces au sein de ces maisons, avec quelles contraintes et quelles restrictions ? Quel impact la crise sanitaire a-t-elle pu avoir sur ces formes ? Comment fait-on théâtre dans sa maison, dans le cadre de théâtres souvent autobiographiques, ou dans la maison des autres ?
Au-delà même de l’actualité particulièrement prégnante du sujet que les confinements nous ont fait expérimenter, notre époque est plus globalement traversée par les questionnements sur les manières de « faire-maison » (Emanuele Coccia3), que ce soit sur le plan des métamorphoses réelles ou symboliques des lieux et espaces domestiques, de leur usage ou de leur conception (notamment dans une perspective écologique) ou de leur partage. Nous proposons donc d’étudier comment les scènes et les écritures théâtrales se font l’écho de ces questionnements.
Les communications dureront 25 minutes.
Les propositions (comprenant titre, court résumé et notice bio-bibliographique) sont à envoyer avant le 15 juin 2022 à ulysse.caillon@univ-lille.fr et maxence.cambron@univ-lille.fr. Les réponses aux proposant.e.s seront adressées début juillet.
[1] SARRAZAC, Jean-Pierre, Théâtres intimes, Arles, Actes Sud, 1989.
[2] CHOLLET, Mona, Chez soi. Une odyssée de l’espace domestique, Paris, La Découverte, 2016.
[3] COCCIA, Emanuele, Philosophie de la maison. L’espace domestique et le bonheur, Paris, Payot & Rivages, 2021.