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Fruits de mer, fruits de terre (Univ. de Manouba, Tunisie)

Fruits de mer, fruits de terre (Univ. de Manouba, Tunisie)

Publié le par Marc Escola (Source : Rym Kheriji)

Université de Manouba (Tunisie)

Le laboratoire de recherche Études Maghrébines, Francophones, Comparées et Médiation Culturelle

Organise le colloque international

Fruits de mer, fruits de terre

Les 20, 21 et 22 mai 2022 à Monastir, Tunisie

La séparation de la terre et des eaux est au commencement de nombreux mythes de création du monde. De ces deux espaces naît ensuite la vie, végétale et animale, et ses interactions avec l’homme. Sur terre, la végétation produit des fruits qui le nourrissent. Dans la mer, à côté de la large classe des poissons et des mammifères marins, vivent les fruits de mer (coquillages et crustacés) qui le nourrissent aussi, appelés ainsi par analogie avec les fruits de la terre. Mais ce bénéfice (fructus) tiré de la terre et des eaux nécessite une connaissance de ce qui est comestible et un travail (pêche, cueillette…) ; de plus, ces fruits ne s’offrent pas toute l’année, mais au rythme des saisons. Dans Il était une fois un vieux couple heureux de Mohammed Kaïr-Eddine, Bouchaib et sa femme vivent au rythme des fruits et des légumes qui accompagnent leur couscous quotidien et qu’ils récoltent rituellement, tandis que la nuit, le vieux qui n’a pu avoir d’enfants, rêve d’un amandier dont il tente en vain d’attraper les fruits…

De ces fruits de la mer et de la terre, l’imaginaire s’est vite emparé pour nourrir sa faim de symboles et de légendes : pommes de la tentation ou de la discorde, coquilles des pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle, dattes du premier conte de Shahrâzâd (« Le marchand et le démon ») dans les Mille et Une Nuits, ou pour alimenter de savoureuses expressions : avoir la pêche, la banane, ramener sa fraise, sa poire, bailler comme une huître, être rouge comme une écrevisse… Ils sont aussi preuve de richesse et de prospérité d’une région, dans L’Histoire universelle de Diodore de Sicile, par exemple : « Les campagnes de l’Arabie rapportent avec abondance toutes sortes de fruits, et les troupeaux de toutes les espèces n’y manquent jamais de pâturages. La quantité de fleuves qui traversent ce pays contribue beaucoup à l’excellence des fruits que l’on y recueille : ainsi c’est avec justice qu’on a donné le nom d’Arabie heureuse à la principale de ses provinces ». Fruits merveilleux et pêches miraculeuses sont les motifs de bien des histoires. Beauté et étrangeté de leurs formes inspirent les poètes : la pieuvre des Travailleurs de la mer de Victor Hugo, le poulpe des Chants de Maldoror de Lautréamont, « Les Grenades » de Paul Valéry (Charmes), le mollusque, le coquillage, l’orange ou la mûre du Parti pris des choses de Francis Ponge, sans oublier son Comment une figue de parole et pourquoi. Certains fruits de mer ont une carrière littéraire admirable : l’huître, béante et béate chez La Fontaine (« Le Rat et l’Huître », « L’Huître et les Plaideurs »), animal terrifiant dans Saint-Glinglin de Raymond Queneau, trésor maléfique dans La Perle de John Steinbeck, fruit de l’enfant famélique des Huîtres d’Anton Tchekov, huîtres de la discorde dans « Le gnome des huîtres », conte de George Sand… Du côté de la terre, raisin, pomme ou blé, pour ce qu’ils produisent de boissons et de nourritures, alimentent d’innombrables textes. 

Du point de vue linguistique, la thématique « fruits de mer, fruits de terre » est une mine féconde. Confrontée à la linguistique historique, on peut déjà voir dans le composant fruit une grammaticalisation ; par évidement sémantique, fruit acquiert un caractère grammatical qui lui attribue un nouveau signifié. Dans l’énoncé « Le goût est le fruit de la maturation du raisin », être le fruit de code une expression de la conséquence pour signifier « être le produit de ». Le composant fruit participe donc à la formation de certaines unités de la langue assurant une fonction grammaticale. 

La pertinence d’un éclairage linguistique se justifie par le fait que la thématique concerne tous les niveaux de l’analyse linguistique :

- le niveau morphématique : dès ce niveau, le simple morphème « -ée » renvoie à un groupe de végétaux qui partagent, malgré la différence entre espèces, un caractère biologique commun comme les floridées qui désignent un groupe d’algues ; 

- le niveau lexical : nous prendrons un exemple pour illustrer le phénomène de l’homomorphie ; l’unité lexicale dérivée chevrette désigne, par affixation (-ette), non seulement une « petite chèvre » mais aussi une « petite crevette » ;   

- le niveau phrastique, celui par exemple des parémies, dont le proverbe, comme dans :

« On ne jette de pierres qu’à l’arbre chargé de fruits » 

- le niveau discursif : l’interjection Des haricots ! signifie que « vous n’aurez rien ». Nous sommes, par conséquent, loin de la plante, bien que celle-ci contribue au sens global qui demeure opaque ; 

Par ailleurs, tous les domaines de la linguistique participent d’une manière ou d’une autre à cette richesse. Toutefois, nous avons choisi d’interroger cette thématique d’un point de vue spécifiquement lexicologique parce qu’il permet de dégager ses aspects les plus saillants. Nous en retiendrons, à titre d’exemple, les axes suivants :

·        Deux microsystèmes lexicaux structurés

Les fruits de mer comme les fruits de terre n’échappent pas à la structuration du lexique. Nous savons qu’ils forment chacun un microsystème lexical participant à la configuration de la structuration du lexique en général et qu’ils vérifient son aspect construit. Nous partons donc de la construction multidimensionnelle qui engage non seulement des relations verticales (ce que le crabe est aux crustacés et vice versa) et horizontales (comme la synonymie entre l’amande de mer et l’amande marbrée ou l’antonymie entre les fruits sauvages et les fruits cultivés ou celle entre les fruits à pépins et les fruits à noyau), mais aussi et surtout des relations obliques qui se vérifient dans toutes les formes d’analogie (quand la pieuvre réfère au mollusque et à une personne insatiable ou quand le navet désigne un « mauvais film » ou encore quand la (petite) crevette désigne de manière hypocoristique un « bébé »). L’oblicité est aussi servie par la dimension symbolique car qui d’entre-nous ne verra pas dans l’association du roseau et du chêne des réseaux inférentiels de nature culturelle spécifiquement littéraire ?  

·        Pluralité des domaines de spécialité et variation des taxinomies 

Les fruits de mer et les fruits de terre relèvent de plusieurs domaines de spécialité. Ils engagent, par conséquent, des savoirs et des connaissances conventionnelles qui peuvent connaître des divergences. Ainsi, dans les classements des spécialistes dont les biologistes marins, les océanologues, les botanistes, les agronomes, les carpologues (du grec carpos : « fruit »), les anthropologues, les lexicographes, etc. on compte autant de domaines, autant de taxinomies. À cette variation dans la catégorisation s’ajoute souvent une double dénomination : d’une part, une dénomination savante et d’autre part une dénomination vernaculaire.

·        Modes de dénomination et phraséologie 

Les fruits de mer et les fruits de terre investissent différents modes de dénomination. Il existe des dénominations monolexicales (figue) et des dénominations polylexicales (figue de barbarie). Cette forme de dénomination syntagmatique peut désigner de manière :

- hyponymique comme dans le paradigme : fruit de la passion, fruit du dragon, fruit miracle, fruit à pain, etc.

-ou hyperonymique comme dans les fruits des bois, les fruits rouges, les fruits exotiques, etc.

Les fruits de mer et les fruits de terre sont deux microsystèmes qui pourraient être perçus, à tort, comme formant des réseaux parallèles. En fait, ils connaissent des points de croisement dans leur dénomination syntagmatique puisqu’ils partagent certains formants. Par exemple, le classifieur mange-tout est présent dans la dénomination d’un légume : le pois mange-tout et dans une variété de poisson : le poisson mange-tout. De même, la nature motivée de certaines dénominations croise les deux paradigmes comme dans amande de mer où le mollusque présente une forte similitude avec l’amande.

Un grand pan de ces dénominations est versé dans la phraséologie d’une langue à travers des noms comme un panier de crabes, des verbes comme couper la poire en deux, apporter des oranges à quelqu’un, manger les pissenlits par la racine, des adverbes comme un poisson dans l’eau, des phrases il y a anguille sous roche, etc.

Les fruits de mer et les fruits de terre interviennent dans des dénominations métaphoriques appartenant à d’autres paradigmes lexicaux. Par exemple, dans la classe des artefacts dont les équipements militaires, nous trouvons des chars crabes, des grenades à main, des grenades à fusil, etc. et dans la classe des couleurs, nous pouvons citer le rouge pourpre, le rose fuchsia, le jaune citron, etc. 

·        Idiomaticité contrastive

Les parémies sont des unités particulières du lexique qui constituent des expressions relevant de la composante idiomatique d’une langue, elles sont propres donc à une communauté linguistique. Ainsi, par exemple, afin d’exprimer le fait de craindre l’apparence de ce qui a été une source de souffrance, le français sélectionne le champ bestiaire : 

« Chat échaudé craint l’eau froide »

quand l’arabe dialectal tunisien emprunte le monde du comestible, notamment le champ culinaire :

اللي تحرق من الشربة يقعد ينفخ على السلاطة                      

[Littéralement : celui qui a été brûlé par la soupe continuera à souffler sur la salade]

Dans l’expression de ce poncif, le même contenu conceptuel est formulé à travers des prédications différentes : la projection sur les humains passe par le bestiaire pour le français et par le gustatif pour le dialectal tunisien.

·        Inférence et stéréotypie 

Liés consubstantiellement à l’homme, à son mode de vie, à ses univers de croyance, les unités de la langue relevant de ces deux champs lexicaux cristallisent un ensemble de stéréotypes. Rappelons que la stéréotypie linguistique renvoie à l’ensemble des croyances partagées par la communauté et fixées dans le lexique (Martin R., 2001). Certains stéréotypes sont bien fixés dans la langue à travers les inférences du lexique :

les fruits de mer : ils provoquent des intoxications alimentaires

les fruits de mer : ils renvoient à des mets gourmands, raffinés, luxueux, 

les produits transgéniques : ils sont cancérigènes, 

les produits bio : ils sont diététiques,  

les produits bio : ils sont chers, 

etc.

En définitive, les fruits de mer comme les fruits de terre ont engagé durant des siècles des savoirs et des savoir-faire empiriques, depuis l’homme chasseur-cueilleur en passant par la pratique des plantes médicinales jusqu’à l’ère actuelle des manipulations génétiques, notamment des cultures transgéniques. Ils sont à interroger comme deux réseaux lexicaux extrêmement puissants à la fois structurés et structurants d’autres réseaux. 

En somme, les fruits font parler d’eux : c’est ce que la fillette exprime poétiquement dans L’Arbre à dires de Mohammed Dib en désignant l’être humain comme « arbre à dires ». Ce sont les fruits de ces « dires », mythologiques, poétiques, linguistiques, philosophiques, scientifiques, artisanaux, que ce colloque entend explorer.

Quelques axes en littérature :

- Mythes et légendes autour des fruits de la mer et de la terre.

- Les figures du pêcheur et de l’horticulteur ou du ramasseur de fruits.

- Les fruits de la mer et les fruits de la terre dans les récits de Création.

Les axes linguistiques et notamment lexicologiques à développer seraient, à titre d’exemple :

- L’architecture de leur structuration à la fois symétrique et asymétrique.

- Les mécanismes tropiques qu’ils investissent.

- Leurs contraintes combinatoires dans le discours. 

Les propositions de participation doivent être envoyées conjointement aux adresses mail suivantes avant le 15 avril 2022 : habib.salha@yahoo.fr  abenmahjouba@gmail.com 

Comité d’organisation : Thouraya Ben Amor, Aurélia Hetzel, Ilhem Saida, Donia Maraoub, Hanène Harrazi. 

Comité scientifique : Habib Ben Salha (Université de Manouba), Abbès Ben Mahjouba (Université de Manouba), Jalel El Gharbi (Université de Manouba), Hamdi Hemaïdi (Université de Manouba), Adel El Khidr (Université de Manouba), Moncef Taeib (Université de Manouba), Mustapha Trabelsi (Université de Sfax), Simona Modreanu (Université de Iaşi, Roumanie), Abdelouahed Mabrour (Université Chouaïb Doukkali, El Jadida, Casablanca), Amel Maafa (Université 8 mai 1945, Guelma, Algérie), Olivier Guerrier (Université Toulouse II-Jean Jaurès, France).

Informations pratiques :

- Le colloque aura lieu à Monastir les 20, 21 et 22 mai 2022.

- Une visite de la ville de Lamta, près de Monastir, est prévue dans le cadre de la foire des produits du terroir. 

- Les frais de participations sont de 200 euros. Ils incluent l’hébergement, la restauration, le transport entre Monastir à Lamta.

- Les organisateurs ne prennent pas en charge les frais de transport internationaux.

- Les notifications d’acceptation seront envoyées par mail au plus tard le 22 avril 2022.