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Marqueurs et prédicteurs de réussite et de succès dans le champ littéraire (Univ. de Tchernivtsi)

Marqueurs et prédicteurs de réussite et de succès dans le champ littéraire (Univ. de Tchernivtsi)

Publié le par Marc Escola (Source : Galyna Dranenko)

Colloque international organisé par

le Département de littérature étrangère et de théorie littéraire

et le Département d’études romanes et de traduction

de l’Université Nationale de Tchernivtsi

le 25 novembre 2022 (date corrigée)

Marqueurs et prédicteurs de réussite et de succès dans le champ littéraire


Le succès dans le champ littéraire est souvent considéré comme une énigme. Il est généralement admis et proclamé par les acteurs qui œuvrent dans ce champ qu’il n’existe pas de recettes toute faites pour écrire et éditer un livre qui connaîtrait nécessairement un grand succès auprès d’un large public. On ne peut que souscrire à la déclaration de Proust quand il disait qu’« il n’y pas de réussite facile, ni d’échecs définitifs » en ce domaine. Il ne reste pas moins que subsiste, après un tel constat que l’on pourrait considérer de bon sens, un grand nombre de questions tout à fait légitimes, que nous pouvons énumérer sans souci d’exhaustivité ni de hiérarchie. Le champ littéraire n’est-il gouverné que par la contingence et le hasard ? Le succès est-il un pur phénomène aléatoire ? N’existe-t-il pas des prédicteurs de réussite auxquels les écrivains et les éditeurs prêtent une grande attention ? S’ils y adhèrent, comment les mettent-ils en acte ? Quels sont les marqueurs du succès et de la réussite dans le champ littéraire ? Le tirage et le nombre de lecteurs suffisent-ils à définir un succès littéraire ? Le succès, quantitatif, n’est-il pas considéré, dans le domaine de la création artistique, donc littéraire, comme antinomique au talent et à la réussite artistique ? Dit autrement, en termes sociologiques, l’opposition, relevée par P. Bourdieu, qui structurerait le champ littéraire,  entre, d’une part, une logique hétéronome qui amène à ramener la valeur d’une œuvre et d’un écrivain à sa valeur marchande, et, d’autre part, une logique autonome où n’est considérée et ne compte que la valeur esthétique de l’œuvre, reconnue et appréciée par les pairs et les critiques, est-elle encore de mise aujourd’hui ? En quoi les marqueurs et les prédicteurs de réussite diffèrent-ils selon les intentions des auteurs et les publics visés. Le filtre du temps ne modifie-t-il pas la hiérarchie des réussites et des succès littéraires ? À quelles conditions un best stellaire peut-il devenir un classique, c'est-à-dire, pour reprendre les termes de Boileau, « nouveau et antique, aisément contemporain de tous les âges » ? Quelles sont les instances de consécration spécifiques en littérature (marketing littéraire, critiques journalistique et universitaire, médias…) ?
Bref, en paraphrasant P. Bourdieu (Questions de sociologie, Minuit, 1984, p. 207-221) qui se demandait « Mais qui crée les créateurs ? », on pourrait se demander aussi qui écrit le destin et le succès des écrivains. C’est-à-dire voir par quels processus sont construites et instituées les valeurs symboliques, d’usage et marchande des œuvres et des écrivains dans cet univers littéraire, univers de croyance, en particulier de « croyance dans le don, dans l’unicité du créateur incréé » (Ibid., p. 207).
La problématique de ce colloque s’articulera autour des axes suivants, donnés à titre indicatif et sans souci d’exhaustivité, qui pourront donner lieu aussi bien à des études de cas singuliers qu’à des présentations plus générales de synthèses historico-littéraires ou théoriques, illustrées, bien évidemment, par des exemples précis.

1/ Les régimes de mise en scène de soi par les écrivains. Dans « l’ère du spectacle » dans laquelle nous vivons, il apparaît que, pour avoir du succès, il ne suffit pas de d’écrire un livre, il faut renvoyer aussi une « bonne » image de soi, à la fois surprenante et attendue, auprès de tous les acteurs du champ littéraire (pairs, critiques, éditeurs, université, blogs littéraires…). On admettra aisément qu’un tel constat soulève de nombreuses questions, dont, entre autres, celles-ci. Comment est construite et gérée cette image et par qui ? Rentre-t-elle en consonance ou non avec l’ethos de l’écrivain tel qu’il apparaît dans ses textes ? Varie-t-elle sensiblement d’un écrivain à l’autre, d’une époque à l’autre, d’un genre à l’autre, d’un livre à l’autre d’un même écrivain ? Qu’en est-il du mythe du « grand écrivain », du « monument national », selon les époques ou les pays ? Quelle est la représentation que la littérature donne de l’écrivain à succès ou de l’auteur raté, du génie ou du besogneux, et même de l’imposteur ? On pourra, aussi, s’interroger sur la minoration, pour ne pas dire l’invisibilité, des femmes écrivains dans de nombreux pays. Comment expliquer que persiste encore, au xxi° siècle, une doxa qui assigne aux femmes écrivains une place marginale, sinon secondaire ? Comment les femmes écrivains luttent-elles contre une telle image défavorable ? Peut-être en « vis[ant] non à effacer les traits stigmatisés mais à renverser la table des valeurs qui les constitue comme stigmates » (Bourdieu, « L’identité et la représentation ») ? En acquérant une autonomie « conformément à [leurs] propres intérêts » (Ibid.) ? En redéfinissant la nature et le périmètre de ce que peut être la littérature, un  « nouveau » lectorat, un succès littéraire ? 
Dans ce même registre, on pourrait étudier le rôle que jouent les prix littéraires dans le succès et la renommée d’un écrivain. Les prix sont-ils des indicateurs fiables et prédicteurs d’un succès escompté ? Le prix entérine-t-il un succès ou le crée-t-il ? N’existe-t-il pas des cas où le succès n’a pas été au rendez-vous après qu’un prix, même prestigieux et très prescripteur, a été décerné ? Le prix littéraire n’est-il pas appréhendable comme un lieu de tension aporétique entre le marketing et la distinction d’un talent littéraire qui serait par définition disruptif et soucieux de son autonomie créatrice ? Comment un écrivain et sa maison d’édition se conforment-t-ils aux attentes des prix qu’ils visent ?
On pourrait, aussi, envisager d’interroger l’impact des résidences d’écrivains sur le succès qu’ils ont pu ou pourront rencontrer. Sont-elles des indicateurs de succès ou des tremplins pour y parvenir ? Quelle est l’image de l’écrivain que donne une résidence d’auteur, pour celui-ci et pour ses lecteurs ? Une commande de textes est-elle compatible avec l’image vocationnelle et d’indépendance que recherchent et revendiquent les auteurs ? 

2/ Sélection, statut et fonction de la grande œuvre. On peut considérer que la sélection du magnum opus d’un écrivain, c’est-à-dire son œuvre la plus populaire, la plus renommée ou la plus significative de son « génie », explicite, au mieux, les critères d’excellence qui comptent, à une époque donnée, pour les gardiens et les entrepreneurs du patrimoine national littéraire.  Peut-on repérer des invariants en diachronie et en synchronie ? De quel ordre sont-ils : textuels et/ ou idéologiques ? Comment expliquer les variations que peuvent connaître de tels choix pour un même écrivain ? Quels en sont les agents ? Comment expliquer le purgatoire, si ce n’est l’oubli, que connaissent certaines anciennes « gloires » littéraires ? Quel est le rôle de l’État et de ses appareils idéologiques dans ce choix ? Quelle est la part de tactique et de stratégie menées par l’écrivain lui-même dans la sélection de son magnum opus ? 

3/ Les variations du canon littéraire. Il suffit de jeter un coup d’œil sur une table des matières de manuels d’histoire littéraire de différentes époques pour constater que certains auteurs sont en quelque sorte inamovibles, alors que d’autres font un tour, puis disparaissent à jamais dans l’enfer de l’oubli, ou reviennent après un temps de purgatoire plus ou moins long. On peut repérer un tel tri en diachronie, bien évidemment, mais, même si le cas est a priori plus rare, aussi en synchronie d’un manuel à l’autre. Une telle modulation concerne non seulement les écrivains, mais aussi leurs œuvres elles-mêmes : certaines portées au pinacle à un certain moment sont quasiment oubliées au profit d’autres qu’on avait ignorées auparavant. De même, les « morceaux choisis » dans une œuvre et élus comme représentatifs du talent de l’auteur peuvent varier d’une époque à l’autre, d’une histoire littéraire à l’autre. Comment expliquer de telles modulations et de telles variations ? Quelles sont les limites d’un modèle explicatif naturaliste de type darwinien (sélection « naturelle », lutte pour la survie, persévérance dans l’être des plus forts et des mieux adaptés, cycle de la vie (naissance, croissance, âge adulte, mort)) ? Peut-on envisager de découvrir des lois qui rendraient compte de ces variations ? Existe-t-il des invariants de réussite qui transcenderaient les époques historiques, les sociétés, et les pays ? Est-il raisonnable d’envisager, selon le souhait de Goethe, l’institution d’une Weltliteratur, capable d’étudier, selon divers critères, notamment linguistiques, admis comme des universaux, les chefs-d’œuvre de la littérature mondiale ?  

4/ Succès littéraires et réseaux. Une vision romantique a imposé l’image du grand écrivain isolé, reclus, méconnu, ne vivant que par et pour son art, rejeté par les éditeurs et la masse des lecteurs. S’il rencontre un certain succès ce n’est qu’auprès de quelques happy few éblouis par son génie, en dépit (ou en raison) du fait qu’il est incompris et rejeté, car trop transgressif, intempestif et « en avance » sur les usages littéraires de son temps. Mais, le temps passant, souvent après sa mort, son génie est reconnu et s’impose per se, par soi-même, dans une sorte d’épiphanie, à la fois nécessaire et miraculeuse, de son être profond.  Ce récit, relativement hagiographique, n’est pas propre à la littérature, comme le montre le mythe paradigmatique associé au peintre Van Gogh. Et, il perdure encore dans la fable de ces manuscrits qui sont envoyés aux éditeurs par des quasi « inconnus », esseulés dans leur « province », sans relations particulières dans le champ littéraire, et qui sont, « miraculeusement », découverts, presque par hasard, sélectionnés, reconnus, édités. Et ceux-ci, sans que ni l’éditeur ni l’auteur n’en ait eu le moindre pressentiment (disent-ils), connaissent un grand succès qu’on ne saurait expliquer (re-disent-ils). Ce récit, en général, ne résiste pas à l’analyse et à une enquête sérieuse sur les raisons de la découverte d’un écrivain et du succès qu’il rencontre. Il serait donc opportun de voir quelle est l’influence des mouvements littéraires, des écoles, des cénacles, des divers groupes auxquels appartient un écrivain dans le succès et l’estime qu’il rencontre. Un écrivain peut-il exister sans liens dans le monde littéraire ? Quels sont aujourd’hui les lieux d’influence que doit fréquenter un écrivain, qu’il soit confirmé ou novice, pour obtenir une certaine reconnaissance. Et ce, dans une période où il est admis que les mouvements littéraires, caractérisés par l’attachement à un « chef », par l’adhésion à un manifeste, par la publication d’une revue, souvent d’avant-garde, ont quasiment disparu ? Ces liens forts (amis proches, pairs, connaissances professionnelles…) n’ont-ils pas été remplacés par des liens faibles, au sens que le sociologue Granovetter donne à cette expression ?  On sait qu’on nomme ainsi tous ces liens hétérogènes, éphémères, labiles, aléatoires, lointains, sans réel engagement, que nous pouvons tisser dans notre vie sociale et en particulier sur les réseaux sociaux (Facebook, Tweeter, Instagram, forums, blogs…). Force est de constater que ces liens faibles sont loin d’être improductifs, car ils permettent de créer des communautés d’interprétation et de lecture en dehors des systèmes institués et instituants habituels (radio, télévision, journaux). Certes les échanges y sont d’une intensité et d’une amplitude moindres ; mais cet « handicap » est largement compensé par la multiplication des échanges et des contributeurs et par la viralité, la diffusion rapide et imprévisible, des contenus et des prescriptions exprimés. Incontestablement, ces communautés 2.0 sont capables de se mobiliser pour assurer le succès d’un livre ou d’un auteur, et imposer leur choix aux faiseurs de renommée traditionnels (critiques, médias culturels, libraires) qui prennent, souvent, le train en marche.

5/ Traduction et succès littéraire. S’interroger sur le lien que la traduction peut avoir sur le succès d’un écrivain soulève aussi de nombreuses questions. Soit, parmi bien d’autres : Le nombre de traductions et la variété linguistique et culturelle de celles-ci sont-ils des indicateurs fiables du succès que rencontrent un livre et un auteur ? Parmi les critères retenus par les éditeurs pour acquérir les droits de traduction de tel ou tel livre, quelle est la part du succès, déjà acquis dans le pays d’origine et/ou prévisible dans le pays d’importation ? Pour des raisons financières et de choix de niches linguistiques où la concurrence est moindre, certaines « petites » maisons d’édition ne façonnent-elles pas, de toutes pièces, la renommée et le succès d’écrivains « marginaux » même dans leur pays d’origine ? Par ailleurs, comment expliquer que, parfois, la liste des écrivains les plus traduits, dans tel ou tel pays,  diffère de celle des écrivains les plus en vue dans leur pays d’origine ? Une traduction, qui connaît un grand succès, peut-elle, en retour,  relégitimer  et donner une nouvelle aura à un écrivain plus ou moins ignoré et minoré dans son pays ?  Le succès d’une traduction, entreprise par un écrivain, ne peut-elle pas donner une nouvelle visibilité et une grande notoriété à celui-ci. Et ainsi « relancer » sa carrière, car, par une sorte de coup de force analogique, ses qualités littéraires personnelles peuvent être interprétées à l’aune de celles de l’écrivain à succès qu’il a traduit. Le succès du traduit ne peut-il pas engrener celui du traducteur ?

Le colloque se déroulera en visioconférence.  La participation avec les articles sans communications est possible.

 Langues des communications : ukrainien, russe, anglais et français

Adresser aux responsables du colloque avant le 5 novembre 2022 un résumé de 4000 à 5000 signes (indiquer dans quel axe thématique du colloque s’inscrit le sujet de la communication), accompagné d’une bio-bibliographie et des coordonnées du participant. Les propositions seront examinées par un comité scientifique. Les résumés des communications retenues seront publiés dans la brochure contenant le programme du colloque.

Comité d’organisation

·       Olha Chervinska, professeure des Universités, directrice du Département de littérature étrangère et de théorie littéraire à l’Université de Tchernivtsi ;

·       Galyna Dranenko, maîtresse de conférences, HDR, directrice du Département d’études romanes et de traduction à l’Université de Tchernivtsi ;

·       Roman Dzyk, maître de conférences au Département de littérature étrangère et de théorie littéraire à l’Université de Tchernivtsi.


Le comité scientifique communiquera sa décision avant le 15 novembre 2022.

Les communications donneront lieu à une publication dans la revue « Questions de critique littéraire » (http://pytlit.chnu.edu.ua/issue/archive).


Propositions de communication/article à adresser par courriel à :

Olha Chervinska o.chervinska@chnu.edu.ua zarteorlit@chnu.edu.ua

Roman Dzyk roma_ludens@ukr.net

Galyna Dranenko galynadranenko@yahoo.fr (pour les communications en français)