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Expressions du quotidien dans les littératures francophones : de la période de la contre-culture à aujourd'hui (en ligne)

Expressions du quotidien dans les littératures francophones : de la période de la contre-culture à aujourd'hui (en ligne)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Isabelle Kirouac Massicotte)

Colloque international en ligne

Expressions du quotidien dans les littératures francophones :

de la période de la contre-culture à aujourd’hui

14-16 juin 2023 

Université du Manitoba et Université de Winnipeg, Manitoba, Canada


Ce projet de colloque en ligne part d’une observation simple : nous avons souvent du mal à voir ce qui est sous nos yeux. Dans « La Parole quotidienne », Blanchot explore « l’inaperçu » et « l’insignifiant », en soulignant que « le quotidien est ce qu’il y a de plus difficile à découvrir » (355). Pour les surréalistes, le quotidien est abordé à partir de fragments épars, avec cette dimension arbitraire selon laquelle les choses arrivent sans qu’on les ait cherchées, et avec l’idée qu’on peut y voir surgir le merveilleux. Les auteur·e·s de la contre-culture, elleux aussi, comme l’affirme Frédéric Rondeau, « ont cherché à mettre leur écriture en rapport avec la vie de tous les jours. La critique de la vie quotidienne d’Henri Lefebvre a eu une importance considérable pour nombre d’entre [elleux] » (219). Dans les sciences humaines et sociales, le quotidien est objet d’investigation de la philosophie (Bégout, Cavell, de Certeau, Laugier, Lefebvre), de l’éthique (Handke, Nussbaum, Stiegler), des études culturelles anglophones (Gardiner, Randall, Roberts) et d’essais théoriques (Sheringham, le Blanc). 

Comment le mot « quotidien » qui – si l’on se fie au Trésor de la langue française – ne reçoit que des connotations négatives (train-train, banalité, routine) a pu accéder récemment à un statut valorisé dans la littérature ? Dans quelles conditions la notion de quotidien peut-elle trouver un sens positif ? Loin d’être insignifiante, la quotidienneté se trouve au cœur du projet contre-culturel des années 1960 et 1970, car celui-ci demande « de poser dans le quotidien des gestes antagonistes de refus et de négation, de désapprendre la vie rituelle de chaque jour, de rééduquer ses réflexes, de trouver des valeurs autres, un comportement différent » (Rochon, 132). Pour les tenants de la contre-culture, c’est par un réapprentissage du quotidien, individuel et collectif, que passe la transformation du monde. Sont alors valorisés les « habitus populaires », qui sont autant de « pratiques de résistance », de « contre-conduites » (le Blanc, 2014 : 6). Les « modes de vies minoritaires » (le Blanc, 2014 : 1) rattachés à la contre-culture forcent la remise en question des « signifiants majeurs de notre temps » (le Blanc, 2014 : 2). Dans ce sens, les « expériences de vie de chacun » deviennent des « essais ordinaires de subversion des normes » (le Blanc, 2014 : 77). Le rejet « des distinctions culturelles entre la grande culture et la petite culture » (le Blanc, 2014 : 20) est repérable en littérature et se traduit par la prépondérance du motif de la quotidienneté qui, selon Rondeau, serait « le plus caractéristique de la contre-culture littéraire » (218). Le « banal » et « l’anecdotique » se font alors les signes d’une « authenticité » très prisée, qui se traduit également par une « dimension brouillonne », témoignant d’une « spontanéité qui échapperait à tout discours et idée de système » (Rondeau, 208, 219). 

Marie-Pascale Huglo note que la mise en discours du quotidien signifie « un refus de l’événement et du récit » (2011, 87). Le quotidien dès qu’il est narré implique un changement d’échelle d’intérêt et de valeur dramatiques rendant aux petits faits et gestes répétés du jour le jour leur pertinence. La littérature contemporaine déploie une poétique de la fragmentation qui se construit par l’art de ramasser des bouts d’expérience, des fragments d’objets, des morceaux de ville, des résidus de quotidien, à l’opposé de la vision totalisante du roman réaliste du XIXe siècle. En 1982, dans Tentative d’épuisement d’un lieu parisien, Georges Perec présente ce projet comme appartenant presqu’au XIXe siècle, à la manière de Zola, consistant à s’installer en un lieu pour un temps défini, afin de l’observer jusqu’à ce que l’habitude puisse servir l’exactitude d’une connaissance. Finalement, Perec renonce à ce projet encyclopédique face à la difficulté même de la description, dont la consistance ne peut s’attacher qu’à des bribes d’une réalité morcelée. C’est à ce moment-là qu’on peut situer le passage de la totalité au fragment. Les écrivain·e·s contemporain·e·s sont marqué·e·s par ce passage. Nombre de livres parus depuis 2000 témoignent non seulement de l’insistance de la thématique du quotidien mais aussi de la variété de ses représentations : écritures « infra-ordinaires » dans la lignée de Perec (Annie Ernaux, Christian Bobin, Régine Robin), explorations urbaines ou des régions (Catherine Mavrikakis, Martine Delvaux, Marc Séguin, Maylis de Kerangal), autofictions (Anne Pauly, Anaïs Barbeau-Lavalette, Louise Dupré, Ouanessa Younsi), transgression des frontières génériques autofiction-non-fiction, documentaire (Sophie Calle, Adèle Van Reeth). Le retour des écrivain·e·s du vingt-unième siècle au réel, au vécu, au terrain et aux archives traduit un paradigme de « la réparation » (Gefen, 2017), alors que certain·e·s explorent le paradigme de la discorde (Despentes, Jauffret, Houellebecq). Il s’agit d’une ambition politique et éthique qui entend mettre des mots sur des objets non vus, des situations non connues et donner la parole à des groupes sociaux qui n’ont pas de voix dans l’espace public. 

Ce colloque vise à mettre en lumière l’importance de l’écriture du quotidien à partir des années 1960, à analyser la poétique formelle qui s’y rattache et à montrer qu’il y a dans le quotidien une fragilité et une inquiétude qui peuvent le faire basculer à tout instant dans une crise ou dans un projet créateur. Le corpus de textes à l’étude sera plurigénérique (autobiographie, roman, essai, etc.) et choisi en fonction du caractère dynamique de l’interaction constatée entre l’expérience du quotidien, la réflexion sur le soi et les rapports à autrui et au monde. 

Pour répondre à ces questions, les contributions pourraient explorer les sujets ci-dessous, mais toute proposition en lien avec la problématique est la bienvenue :

·      Expressions et figures du quotidien 

·      Esthétiques de la contre-culture

·      Éthique et esthétique de l’ordinaire

·      Discours et représentations formelles du quotidien

·      Remise en question de l’universel et écriture du particulier 

·      Enjeux de la singularité

·      Enjeux de la visibilité  

·      Éthique du care

·      Espaces alternatifs et communautés minoritaires

·      Expressions de la relationnalité 

·      Rapports de pouvoir au quotidien 

·      Approches intersectionnelles du quotidien 

·      Marge contestée et centralité 

·      Marge célébrée 

·      Quotidien et écritures de l’im/migration

Un titre et un résumé d’environ 250-300 mots, accompagnés d’une brève notice bio-bibliographique devront être envoyés à a.balint@uwinnipeg.ca et à isabelle.kirouacmassicotte@umanitoba.ca avant le 15 décembre 2022. 


Un ouvrage collectif issu des communications au colloque est prévu. 


Bibliographie indicative : 

Bégout, Bruce. La Découverte du quotidien. Éléments pour une phénoménologie du monde de la vie, Paris, Allia, 2005. 

Blanchot, Maurice. « La parole quotidienne ». L’Entretien infini, Paris, Gallimard, 1969, pp. 355-366. 

Bourseiller, Christophe et Olivier Penot-Lacassagne (dir.). Contre-cultures!, Paris, CNRS, 2013. 

De Certeau, Michel. L’Invention du quotidien. 1. Arts de faire, Paris, Gallimard, 1990. 

Fasula, Pierre et Sandra Laugier (dir.). Concepts de l’ordinaire, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2021. 

Gardiner, Michael. Critiques of Everyday Life, London and New York, Routledge, 2000. 

Gefen, Alexandre. Réparer le monde, Paris, José Corti, 2017. 

Goffman, Ken. Counterculture Through the Ages, New York, Villard Books, 2004. 

Harouel, Jean-Louis. Culture et contre-culture, Paris, Presses universitaires de France, 1994. 

Heck, Maryline. « Écrire le quotidien aujourd’hui : formes et enjeux ». Elfe XX-XXI, mis en ligne le 10 septembre 2019, https://journals.openedition.org/elfe/1193. Consulté le 2 novembre 2021. 

Huglo, Marie-Pascale. « Que se passe-t-il quand il ne se passe rien ? L’événement et le quotidien dans la littérature narrative contemporaine ». Poétiques et imaginaires de l’événement, article d’un Cahier Figura, no 28, sur le site de l’Observatoire de l’imaginaire contemporain, 2011, p. 81-96, http://oic.uqam.ca/fr/articles/que-se-passe-t-il-quand-il-ne-se-passe-rien-levenement-et-le-quotidien-dans-la-litterature. Consulté le 2 novembre 2021.

Larose, Karim et Frédéric Rondeau (dir.). La contre-culture au Québec, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2016. 

le Blanc, Guillaume. Vies ordinaires, vies précaires, Paris, Le Seuil, 2007.

le Blanc, Guillaume. La philosophie comme contre-culture, Paris, Presses universitaires de France, 2014. 

Lefebvre, Henri. Critique de la vie quotidienne. Paris, Grasset, 1947. 

Nussbaum, Martha. Love’s Knowledge. Essays on Philosophy and Literature, New York, Oxford University Press, 1992.  

Mouralis, Bernard. Les contre-littératures, Paris, Presses universitaires de France, 1975. 

Paperman, Patricia et Sandra Laugier (dir.). Le souci des autres. Éthique et politique du care, Paris, Édition de l’École des hautes études en sciences sociales, 2005. 

Perec, Georges. L’Infra-ordinaire, Paris, Seuil, coll. La Librairie du XXe siècle, 1989, p. 11.

Rochon, Gaétan. Politique et contre-culture : essai d’analyse interprétative, Montréal, Hurtubise HMH, 1979. 

Roszak, Theodore. The Making of a Counter Culture. Reflections on the Technocratic Society and Its Youthful Opposition, Berkeley, University of California Press, [1968] 1995. 

Ruffel, Lionel. Brouhaha. Les mondes du contemporain, Lagrasse, Éditions Verdier, 2016. 

Schaeffer, Jean-Marie. L’Expérience esthétique, Paris, Gallimard, coll. NRF essais, 2015. 

Sheringham, Michael. Everyday Life: Theories and Practices from Surrealism to the Present, New York, Oxford University Press, 2006.