Émotions, affectivité, sentiments : formes d’expression et effets de style (nouveau numéro des Annales de l’Université de Craiova)
Appel aux articles pour le numéro thématique de la revue Annales de l’Université de Craiova. Série Langues et littératures romanes, no 1/2022
intitulé
ÉMOTIONS, AFFECTIVITÉ, SENTIMENTS : FORMES D’EXPRESSION ET EFFETS DE STYLE
ARGUMENT
La thématique du numéro 1/2022 des Annales de l’Université de Craiova. Série Langues et littératures romanes sera dédiée aux Émotions, affectivité, sentiments : formes d’expression et effets de style.
Nous invitons les contributeurs à se pencher sur la problématique des émotions et des sentiments qui représentent la matière et le fondement de tout discours, étant à la fois un sujet de recherche dans de nombreux domaines de la science. En effet, les psychologues et les neuropsychologues ont découvert l’impact des émotions sur l’activité cognitive et langagière, sur les comportements et les rapports sociaux. À leur tour, les psycholinguistes affirment que les émotions ont une valeur communicative et relationnelle, se trouvant, selon Roman Jakobson, à la base de la communication discursive. C’est pourquoi, nous partons de la prémisse que la mise en exergue des méthodes, des corpus et des résultats obtenus dans la description des émotions et des sentiments pourrait contribuer à clarifier les relations entre émotions et langage à tous les niveaux de l’analyse linguistique, stylistique, traductologique et didactique. Il s’agit, en fait, de réfléchir sur la manière de catégoriser, délimiter, appréhender les émotions à travers les champs lexicaux, la combinatoire lexicale ou la visée discursive de l’énonciateur pour offrir, dans une multitude d’approches, la description des émotions et de leur interaction.
Axe 1 - Approche linguistique des émotions
L’une des préoccupations des linguistes dans ce domaine est la délimitation conceptuelle des termes relevant du champ de l’émotion : « affect — émotion — éprouvé — humeur — passion — pathos — sentiment », sans pour autant pouvoir tracer une frontière : « L'usage quotidien de ces termes est assez flou, et leurs significations peuvent se recouvrir. » (Plantin 2019). Pour ce qui est de la différence entre les émotions et les sentiments, N. Flaux et D. Van de Velde (2000 : 87) postulent que : « L’émotion a ceci de commun avec le sentiment qu’elle présente le sujet comme affecté, mais elle s’en distingue fortement en ce qu’elle n’a pas nécessairement d’objet, alors que le sentiment en a nécessairement un : si j’éprouve une grande compassion, c’est forcément pour quelqu’un ».
Partant du principe énoncé par Wittgenstein que chaque émotion dispose de sa propre grammaire, les dimensions affective et subjective du langage sont devenues l’objet de recherches en linguistique, à l’interface entre la sémantique et la syntaxe et sémantique-pragmatique (Kerbrat-Orecchioni, 1980 ; Rastier, 1995 ; Balibar-Mrabti (éd.), 1995; Grossmann & Tutin (éds), 2005 ; Wierzbicka, 1999). Charles Bally (1965) disait que : « L’émotion structure le matériel verbal ». Par conséquent, la syntaxe affective, un aspect important pour le décodage des réseaux sémantiques des émotions, facilitera une meilleure compréhension de leurs particularités. S’y ajoutent les approches discursives et interactionnelles couvrant des phénomènes verbaux, para-verbaux et non verbaux qui mettent en évidence le rôle communicatif et argumentatif des émotions. L'organisation textuelle-interactionnelle peut générer des études sur « les termes ayant une orientation émotionnelle » qui demandent la prise en compte du cadre fondamental (Expérienceur – Émotion – Situation) de la séquence émotionnelle : Qui éprouve quoi ? Pourquoi ? Dans quelle situation ? (Plantin, 2019). L’étude en diachronie ou en synchronie des émotions dans la multitude de ces approches pourrait ainsi apporter des réponses à la question : Quels sont les marqueurs lexicaux, morphologiques, syntaxiques, prosodiques utilisées pour l’expression des émotions ? En outre, la dimension sociolinguistique de production des émotions peut être analysée en fonction des situations sociales spécifiques.
Axe 2 – Littérature, émotions, affectivité
La littérature et les arts ont toujours joué, et continuent de le faire, un rôle essentiel dans la compréhension des phénomènes affectifs tels « emotions, feelings, sentiments, dispositions and moods » (Sætre, Lombardo & Zanetta, 2014 : 10). Par conséquent, pour la critique, la théorie littéraire, ainsi que pour l’histoire de la littérature contemporaines, l’étude de ces phénomènes constitue un centre d’intérêt constant. Pour Carrière, Mathis-Moser & Dobson, qui envisagent l’affect « en tant qu’assemblage de la pensée et de l’émotion » (2021 : XXIX), l’émotion est « à la fois interne et externe, tant privée que publique ; […] elle opère en croisement plutôt qu’en conflit avec l’esprit, le corps, les actions, les croyances ; […] les affects comme la joie, la honte, l’optimisme, ou la mélancolie, émanent tant de nous-mêmes que des structures sociales qui nous organisent ; et […] l’affectivité est à la fois une source et un effet de nos gestes et mécanismes de pensée individuels et collectifs (ibidem). L’étude de ces croisements particuliers, des relations d’(inter)dépendance, ainsi que de la typologie complexe des émotions et des sentiments, est une première direction d’analyse proposée aux contributeurs. Une autre direction d’analyse est représentée par les moyens directs ou indirects d’exprimer, de représenter ou de susciter l’émotion dans et à travers le texte narratif, poétique ou dramatique. En outre, on pourra s’interroger sur « la place accordée à l’affectivité dans le processus créatif » (Gefen, 2016), sur « la relation que le créateur entretient avec son propre espace affectif » (ibidem).
Axe 3 - Contrastivité et traductologie
Observer les émotions permet, par ailleurs, de comprendre comment elles sont conceptualisées dans chaque langue-culture. Les analyses lexicales et syntaxiques contrastives donneront aux chercheurs des informations utiles sur la façon d’exprimer des affects dans des langues différentes, dont les systèmes sont plus ou moins rapprochés. L’analyse des traductions littéraires portant sur l’expression des sentiments montrera que leur charge culturelle ne se recouvre pas toujours et que l’intensité d’un état d’âme est transférée différemment, même à l’intérieur de la même famille de langues. Ainsi, le questionnement contrastif et interculturel pourrait consister, selon Wierzbicka (1999), dans l’étude d’une émotion particulière et des moyens langagiers utilisés pour son expression. Les contributions attendues pourront donc répondre aux questions : Les émotions sont-elles universellement exprimées de la même façon ? Quel est impact de la société et de la culture sur la perception et l’expression des émotions ?
Le corollaire de l’étude contrastive porte donc sur les corpora plurilingues, ce qui permettra de focaliser l’attention sur l’impact des émotions dans l’acte traductif et, d’autre part, sur les problèmes concrets de traduction, avec toutes les implications de leur passage d’une culture à une autre : moyens de transférer les émotions dans d’autres langues, stratégies de compensation dans l’expression des affects, inscription du sujet traduisant dans le texte.
Axe 4 - Humanités numériques et analyse des émotions
Dans le domaine des humanités numériques, l’objectif est de présenter des méthodes exploratoires utilisées pour le développement des recherches linguistiques ou littéraires pour l’analyse des genres textuels, d’un auteur ou d’un courant littéraire. Les contributions circonscrites à ce domaine de recherche pourraient présenter des outils informatiques capables d’observer les éléments susceptibles de catégoriser les formes des émotions par la reconnaissance et la caractérisation computationnelle dans les corpus oraux ou écrits. En même temps, sont attendues des contributions mettant l’accent sur la représentativité des corpus dépassant le niveau des phrases simples afin de suivre la trame narrative du personnage dans son ensemble (cf. Kim E. & Klingler, R. 2021).
Axe 5 - Émotions et didactique des langues
Le rôle des émotions dans l’enseignement/apprentissage d’une langue-culture a fait l’objet de recherches dans la pédagogie des langues vivantes depuis plusieurs décennies. À titre d’exemple, le numéro 2/2020 de la revue Langues modernes est consacré aux « Sens et émotions dans l’apprentissage-enseignement des langues-cultures », offrant « aux lecteurs des ressources théoriques et pratiques leur permettant de poursuivre leurs réflexions et leurs actions engagées sur le terrain » (Émilie Perrichon et Laure Peskine). Les contributions pour ce numéro thématique pourront mettre en évidence les relations entre émotions et activité cognitive afin de stimuler la conception des dispositifs d’apprentissage offrant à l’apprenant l’espace nécessaire et favorable à ses caractéristiques personnelles et à son vécu affectif. En même temps, il s’agit de s’interroger sur les pratiques pluri- ou interdisciplinaires susceptibles de mettre en jeu les émotions, à partir d’expériences favorisant le visuel, le corporel ou l’imaginaire.
Les contributions, rédigées uniquement en français, seront envoyées jusqu’au 1er juillet 2022 à l’adresse de la revue : annales.langues.romanes@gmail.com
Elles ne devront pas dépasser 6 500 mots, y compris résumés, mots-clés et Bibliographie.
Les contributeurs sont priés de respecter les consignes de rédaction de la revue et de remplir la déclaration d’authenticité téléchargeable sur le site http://litere.ucv.ro/litere/node/131.
Nous rappelons que, dans le dossier Varia, nous ne retenons que 3 ou 4 articles hors thématique, mais d’intérêt général.
Calendrier :
Date limite de soumission des articles : le 1er juillet 2022.
Confirmation de la réception des articles : le 15 juillet 2022.
Retour des articles aux auteurs, après évaluation anonyme, pour des corrections et des modifications éventuelles : le 1er octobre 2022.
Réception de la variante finale de l’article : le 1er novembre 2022.
Date estimée de la parution du volume : le 30 décembre 2022.
Url de référence
http://litere.ucv.ro/litere/node/131
Bibliographie
Balibar-Mrabti, A. (1995), « Une étude de la combinatoire des noms de sentiment dans une grammaire locale », Langue française, 88-97.
Bally, Charles (1965), Linguistique générale et linguistique française. Berne.
Baider Fabienne et Cislaru Goergeta (2013), Cartographie des émotions, Paris, PUS.
Carrière, Marie / Mathis-Moser, Ursule / Dobson, Kit (éds.) (2021), « Writing Affect in Canadian, Indigenous and Québécois Litteratures » /« Écrire l’affect dans les littératures canadiennes, autochtones et québécoises » (traduction par Dominique Hétu et Marie Carrière) Introduction à All the Feels/Tous les Sens. Affect and Writing in Canada/Affect et Écriture au Canada, University of Alberta Press, Edmonton, Alberta, Canada.
Chateau, Anne & Ciekanski, Maud & Costa, Eglantine & Pereiro, Myriam & Normand, Claude (2014), Émotions et réflexivité dans l’apprentissage des langues : le rôle du sentiment d’efficacité personnelle au regard de l'autonomie de l'apprentissage, ResearchGate
Chuquet Hélène, Nita Raluca et Valetopoulos Freiderikos (2012), Des sentiments au point de vue : études de linguistique contrastive, Rennes, PUR.
Flaux Nelly / Van De Velde Danièle (2000), Les noms en français : esquisse de classement. Paris, Ophrys.
Gefen, Alexandre (2016), « La place controversée de la théorie des émotions dans l'histoire de la critique littéraire française », L’Atelier du Centre de recherches historiques [En ligne], 16 | 2016, mis en ligne le 27 mai 2016, consulté le 17 décembre 2021. URL : http://journals.openedition. org/acrh/7321 ; DOI : https://doi.org/10.4000/acrh.7321
Grossmann, F., & Tutin, A. (2005). « Sémantique des noms et adjectifs d’émotion », Lidil, 32, 5-15.
Jakobson, Roman (1991), Essais de linguistique générale, Paris : Les éditions de Minuit.
Kerbrat-Orecchioni, Catherine (1980), L’énonciation : De la subjectivité dans le langage, Paris, Armand Colin.
Krzyżanowska Anna et Wołowska Katarzyna (2016), Les émotions et les valeurs dans la communication, Francfort-sur-le-Main, Peter Lang.
Kim E. & Klingler, R. (2021), « A Survey on Sentiment and Emotion Analysis for Computational Literary Studies », Zeitschrift für digitale Geisteswissenschaften.
Plantin, Christian (2020), Une méthode d'approche de l'émotion dans le discours et les interactions, SHS Web of Conferences. 81. 01001. 10.1051/shsconf/20208101001.
Plantin, Christian / Traverso, Véronique / Vosghanian, Liliane (2008), « Parcours des émotions en interaction », Émotions et discours : L'usage des passions dans la langue [online]. Rennes : Presses universitaires de Rennes, (generated 10 décembre 2021). Available on the Internet: <http://books.openedition.org/pur/30432>. ISBN : 9782753546752. DOI : https://doi.org/10.4000 /books.pur.30432.
Rastier, François (1995), « La sémantique des thèmes. Ou le voyage sentimental », in Rastier, François (dir.), L’analyse thématique des données textuelles. L’exemple des sentiments. Paris, Didier Erudition, p. 223-249.
Sætre, Lars / Lombardo, Patrizia / Zanetta, Julien (éds.) (2014), « Text and emotions », Introduction à Sætre, Lars / Lombardo, Patrizia / Zanetta, Julien (éds.) Exploring Text and Emotions, Acta Jutlandica, Humanities Series 2014/13, Aarhus University Press.
Wierzbicka, A. (1999), Emotions Across Languages and Cultures: Diversity and Universals, Cambridge, DOI : 10.1017/CBO9780511521256
Wittgenstein, L. (2004) [1933-1935], Le Cahier bleu et le Cahier brun, Paris, Gallimard.