Par quelle magie, quand l’humour de tous les autres grands auteurs ne cesse de s’affadir avec le temps, sa force comique conserve-t-elle, aujourd’hui encore, toute sa puissance ? Pourquoi ses héros, réduits à quelques traits ou traversés d’aspirations contradictoires, animés par des lubies, aveugles à eux-mêmes, parviennent-ils à nous révéler des dimensions insoupçonnées de la condition humaine ? Comment le pur plaisir du jeu théâtral et de ses variations, premier moteur de ses pièces, devient-il, sous sa plume, un instrument de précision capable de dévoiler les motivations les plus secrètes des personnages ?
C’est que Molière est le seul auteur (hormis peut-être, à ce niveau, Charlie Chaplin) dont le génie découle entièrement de celui qu’il avait comme acteur. Au demeurant, si l’on veut en révéler toute la profondeur, il faut aborder ses comédies comme des partitions musicales : pour nous faire ressentir les vrais enjeux de la pièce, les acteurs doivent y déchiffrer les émotions, sans cesse changeantes et surprenantes, qu’ils auront à vivre sur la scène. Chez Molière, en effet, ce sont les émotions qui révèlent et jugent ce que les actes, les pensées et les paroles des personnages travestissent.
Sous cet angle, l’originalité de Molière apparaît avec une évidence et une simplicité nouvelles : les milliers d’ouvrages brillants qui lui ont été consacrés ont eu tendance à estomper les intentions du dramaturge, à force d’interprétations conceptuelles, morales, esthétiques ou historiques. Ce retour amoureux au Molière des origines, qui est le Molière de toujours et de demain, est celui que nous propose ici le 463e Sociétaire de la Comédie française, Francis Huster.