« Décoloniser le regard écologique ? Les arts et les représentations du vivant » (revue Les Chantiers de la Création)
En vue de sa Journée d’étude annuelle, la revue pluridisciplinaire en lettres, langues, arts et civilisations, Les Chantiers de la Création, s’intéresse au thème « Décoloniser le regard écologique ? Les arts et les représentations du vivant ».
Pour cette Journée d’étude, nous souhaiterions introduire de nouvelles problématiques au sein de l’écocritique en dépassant le sujet des catastrophes naturelles (qui, par ailleurs a été l'objet de la J.E. 2018 intitulée " Migration et exil environnemental : du Déluge à nos jours ") pour nous concentrer sur la représentation du monde vivant et le décentrement du regard humain.
À l’heure des extinctions de masse, de la fin possible de ce qu’on a appelé l’anthropocène, le sujet écologique est au cœur des préoccupations contemporaines. Pourtant, le rapport au vivant et à ses représentations évolue peut-être plus lentement que les discours médiatiques : c’est précisément cet espace que notre appel entend interroger. Ainsi, à la suite de Philippe Descola, qui propose dans son dernier ouvrage, Les formes du visible (2021) de « décoloniser la sensibilité », nous souhaiterions interroger notre regard sur le monde vivant, en nous demandant s’il est seulement possible de décoloniser, décentrer, reformuler le rapport au monde de l’être humain. Le monde vivant, notre oikos, est un sujet vieux comme le monde lui-même, depuis les grottes ornées où les ancêtres de l’humanité représentaient les hommes et les animaux, depuis qu’Aristote a écrit son Histoire de animaux, son Traité du ciel ou ses Météorologiques, depuis que Lucrèce a écrit De la nature des choses.
Une idée reçue voudrait que l’époque contemporaine chercherait à accorder une place plus juste au vivant ; et qu’a contrario, l’approche précédente du vivant dans les arts était inféodée à des intérêts exclusivement anthropocentrés. Esope ou la Fontaine ne cèdent-ils pas à l’anthropomorphisme ? Descartes ne parle-il pas d’animaux machines ? Pourtant, la question de l’évolution des représentations du vivant est plus vaste et plus complexe qu’on ne le pense ; l’interroger, c’est remettre en perspective un regard ou une méthode dans son époque, puis de voir en quoi elle nous éclaire aujourd’hui tant sur le passé que le présent – et en dernier lieu, sur l’avenir. Car l’écocritique est aussi une manière de lire, de contextualiser, d’interroger en synchronie comme en diachronie.
Alors que l’écocritique est un axe de réflexion de plus en plus répandu dans les sciences humaines et sociales, nous nous intéresserons ici à l'approche interdisciplinaire de cette réalité. La revue Les Chantiers de la Création ayant vocation à se positionner dans une vision pluridisciplinaire, les propositions faisant le dialogue entre les arts seront particulièrement appréciées. Que signifie peindre le vivant, le filmer, l’enregistrer ? Quelles sont les modalités et les problématiques propres à chaque support ? Sous quel angle, quelle optique, dans quel but, selon quelles modalités la représentation du vivant se fait-elle ?
Si nous partons du présupposé que l'œuvre d'art se crée en lien avec l'état d'une société, et qu'en ce sens l'Art n'est pas neutre, il faut interroger frontalement ces deux éléments et approfondir la disjonction qu’ils constituent : comment les différents médiums artistiques ontils proposé des alternatives aux représentations dominantes du vivant ? Est-ce que le décentrement du regard de l’homme sur son environnement est seulement possible, et si oui, à quelles conditions Dans quelle mesure les choix de représentation du vivant par les artistes ont pu générer de véritables actes écologiques – voire une dynamique de renversement du mode de domination de l'homme sur le vivant ?
D’autres approches, historiques et chronologiques, sont aussi envisageables. Comment peut-on relire les œuvres du passé selon le prisme écocritique, dans une approche qui historicise et actualise en même temps ? On pourra aussi privilégier des approches conceptuelles, réfléchissant aux grandes théories de la représentation du vivant dans le cadre de la pensée écologique.
Axes proposés
Les communications pourront s’articuler autour des axes suivants (liste non exhaustive, une communication peut couvrir aussi plusieurs axes) :
- Agir. Du militantisme à la simple prise de conscience, du choc brutal à la finesse du doute, les manières d’impliquer le public dans l'œuvre artistique sont nombreuses et proposées comme alternatives à la relation que nous entretenons avec le vivant, à un moment de l'Histoire. Dans quelle mesure les productions artistiques contemporaines qui choisissent de s’emparer des questions écologiques, impactent-elles les modalités d’action écologique dans le spectre sociétal ? Comment les œuvres ainsi créées pensent-elles leur rapport au public et à sa manière d’être au monde ? Comment ces œuvres dépassent-elles parfois le champ de la représentation pour inviter le spectateur à l’action ?
- Dépayser. Parler d’imaginaire écologique c’est aussi parler de décentrement du regard. Et l’on pourra rattacher ce décentrement à une forme de dépaysement. Entendu à la fois comme ce moment où le regard fait face à un environnement nouveau et se pose sur l’inconnu — mais également, comme ce pas de côté qui fait poser sur le connu un regard neuf, inattendu, et par là même dépaysant. Quelles formes prennent ces décentrements du regard et quelles sont les techniques employées par artistes et écrivains ? Quelles stratégies de représentations artistes et écrivains embrassent afin de questionner nos idées reçues concernant la représentation du vivant ?
- Décoloniser. L’écologie vise aussi à déconstruire le rapport de force existant entre l’être humain et la nature. De quelle manière les arts ont-ils interrogé la hiérarchie qui fait de l’être humain le maître des autres espèces vivantes ? Quelles représentations, quelles pratiques, pour questionner et transformer cette dynamique dominante ?
- Inventer. L’imaginaire permet de renverser les perspectives : inventer des mondes très différents et hétérogènes, ou représenter des mondes-miroir du nôtre. De quelle manière l’imagination devient-elle un « opérateur écologique »? Comment la représentation d’autres espèces fictives contribue-t-elle à l’écocritique ? Quelle est la place de la
représentation imaginaire dans la dérision ou la remise en question de l’ordre écologique établi ?
La revue Les Chantiers de la Création étant une revue de jeunes chercheurs, cet appel s’adresse exclusivement aux doctorant.e.s et jeunes docteur.e.s (dont la thèse a été soutenue dans les deux dernières années).
Les propositions d’intervention devront être envoyées à l’adresse suivante : revue.lcc@gmail.com avant le 15 janvier 2022. Celles-ci comprendront 300 mots (+ ou –10%), hors notes de bas de page, et seront accompagnées d’une courte notice
biobibliographique de l’auteur.e de la proposition et son institution de rattachement.
Les propositions d’installation plastique et performative sont aussi les bienvenues.
Merci de nommer vos fichiers comme suit : NOM_decoloniser
La journée d’étude se tiendra le 14 avril 2022, dans le bâtiment Turbulence du site Saint-Charles à Marseille et sera suivie de la publication des actes dans le prochain numéro des Chantiers de la Création à l’automne 2022.
Les communicants devront ensuite soumettre leur article à paraître à une date qui leur sera communiquée ultérieurement (entre 20 000 et 30 000 caractères espaces comprises au format Word et répondant à la feuille de style de la revue, consultable à l’adresse suivante https://journals.openedition.org/lcc/4001). Il sera ensuite évalué par le comité de
lecture.
Bibliographie indicative
Arnaud J, De Beauffort A, Bernard J, "Biomorphisme", in Réalités de la recherche (collective) en arts, sld. Pierre Baumann, Presses universitaires de Bordeaux, 2019, p. 47-74.
Blanc Nathalie, Vers une esthétique environnementale, Ed. Quae, 2008.
Blanc Nathalie, Ecoplasties, Ed. Manuella, 2010.
Boidin Capucine, Hurtado López, Fátima, « Philosophie de la libération et tournant décolonial », dossier, Cahiers des Amériques latines, 62 (3), 2009.
Brown Andrew, Art & Ecology Now, Paris, Corti, 2021.
Castellucci Romeo, « The Animal Being on Stage », Performance Research On Animals, V, 2 (2000), pp. 23-28.
Clark Timothy, The Cambridge Introduction to Literature and the Environment, Cambridge, Cambridge University Press, 2010.
Collot Michel, La pensée-paysage, Arles, Actes Sud, 2011.
de Sousa Santos Boaventura, Épistémologies du Sud. Mouvements citoyens et polémique sur la science, Paris, Desclée de Brouwer, 2016.
Descola Philippe, Par-delà nature et culture, Paris, Folio, 2015.
Descola Philippe, Les formes du visible, Paris, Seuil, 2021.
Escobar Arturo, Sentir-penser avec la terre. L’écologie au-delà de l’Occident, Paris, Éditions du Seuil, 2018.
Fel Loïc, L'Esthétique Verte, Ed.Champ Vallon, 2009.
Ferdinand Malcom, Une écologie décoloniale. Penser l’écologie depuis le monde caribéen, Paris, Éditions du Seuil, 2019.
Haraway Donna, Vivre avec le trouble, Vaulx-en-Velin, Les éditions du monde à faire, 2020.
Kopenawa Davi, Bruce, Albert, La Chute du ciel. Paroles d’un chaman yanomami, Paris, Plon, Terre Humaine, 2010.
Latour Bruno, Face à Gaïa, Paris, Éditions de la Découverte, 2015.
Latour Bruno, Nous n’avons jamais été modernes – Essai d’anthropologie symétrique, Paris, La Découverte, 1991.
Mairesse Anne et Simon Anne, éd. Facing Animals/ Face aux bêtes, numéro monographique de L’esprit créateur, no. 51, 4, 2011.
Marchesini Roberto, Epifania animale. L’oltreuomo come rivelazione, Udine, Mimesis, 2014.
Mourey Jean-Pierre, Relation paradoxale de l'art à la nature, Publications de L'université de Saint-Etienne, 2013.
Nils Udo, L'art dans la nature, Ed. Flammarion, Paris, 2012.
Orozco Lourdes, Theatre and Animals, Palgrave Macmillan, Basingstoke, 2013.
Ricard Lanata Xavier, « Pluraliser les mondes et perdre le monde ? », Terrestres, 2, 15 novembre 2018.
Romestaing Alain, Schoentjes Pierre et Simon Anne, éd., Écopoétiques, numéro monographique de Revue critique de fixxion française contemporaine, 11, 2015.
Scaffai Niccolò, éd. Ecopoetry, numéro monographique de Semicerchio. Rivista di poesia comparata, no. 58-59, 2018.
Schoentjes Pierre, Ce qui a lieu. Essai d’écopoétique, Paris, Wildproject, 2015.
Simon Anne, Une bête entre les lignes. Essai de zoopoétique, Paris, Wildproject, 2021.
Suberchicot Alain, Littérature et environnement. Pour une écocritique comparée, Paris, Champion, 2012.
Zapf Hubert, Literature as Cultural Ecology, London, Bloomsbury Academic, 2016.