Colloque 2022 de l'APFUCC au Congrès de la Fédération des sciences humaines
Congrès virtuel
14-17 mai 2022
Atelier 8 : L’erreur dans les arts, lettres, langues et enseignements francophones
« Faire erreur prend mille formes » écrit Aristote dans Ethique à Nicomaque (II. 6). La notion d’erreur recouvre en effet un vaste ensemble de situations, de valeurs et de nuances, de la maladresse à la faute morale, de l’égarement au manque de discernement, de la sérendipité à l’échec. Intuitivement associée à un jugement négatif – bien que plus aisément pardonnable que la faute en ceci qu’elle est généralement (mais pas toujours) involontaire –, l’erreur est d’ordinaire considérée comme le signe d’un défaut ou d’un manque de connaissance ou de discernement qui amène à enfreindre ce qui est tenu pour vrai ou normal. Si elle est, dans les champs qui nous occupent, celle que l’on représente ou à laquelle on réfléchit, l’erreur est aussi celle qui est commise par les différents actants d’une œuvre : l’auteur ou l’artiste fautif, le « mauvais » lecteur, spectateur ou critique qui se livre à des interprétations fautives, le « mauvais » traducteur dont les erreurs peuvent confiner à une « trahison » du texte ou de la langue source, comme le veut une expression fort répandue, ou, si l’on songe à la traduction des textes sacrés, avoir des conséquences socio-culturelles tout à fait concrètes. De même que la faute peut être pensée en lien avec le pardon, l’erreur peut être articulée à l’idée de correction. De cette dernière procèdent par exemple les contre-enquêtes littéraires d’un Pierre Bayard qui, postulant qu’une « vérité [est] quelque part inscrite dans la fiction » (Bayard, p. 104), entreprend de mettre en lumière les erreurs des personnages enquêteurs et, par-delà eux, celles de la structure narrative elle-même.
L’erreur jouit toutefois depuis quelque temps d’une réévaluation positive, se voyant envisagée non plus seulement dans sa dimension fautive mais également dans son potentiel créatif, heuristique et cognitif. Comme le note Frédéric Lambert (2020), la notion d’erreur, ainsi que son parent verbal se tromper, conserve en français contemporain l’image du cheminement contenue dans le verbe latin errare (« aller çà et là », « s’égarer ») : loin de devoir à tout prix être évitée, elle devient partie prenante d’un processus positif. Dans la sphère éducative, l’influence des modèles pédagogiques constructivistes contribue ainsi, depuis une quarantaine d’années, à conférer à l’erreur un statut plus positif et à en faire un élément à part entière des processus d’apprentissage (Astolfi). Exhibées, voire revendiquées, par certains artistes, les erreurs se voient parfois érigées en véritable stratégie créative, ce dont l’œuvre du plasticien américain Robert Morris Card Files (1962) offre un exemple paroxystique. Uniquement composé de fiches inventoriant ses étapes d’élaboration, ce dispositif autoréférentiel recense toutes les erreurs qui ont jalonné le parcours créatif (éléments égarés, faux-pas, « fautes » d’orthographe et oublis). Si l’on associe plus spontanément cette démarche, qui tient tout autant d’une posture d’humilité que d’une entreprise autoréflexive, aux époques postmoderne et contemporaine, l’on se souviendra que Montaigne plaçait déjà en son temps ses erreurs, errances et « fantaisies » – sincères ou feintes – au cœur du projet d’écriture des Essais. Les documents intermédiaires de création (brouillons, épreuves, croquis, maquettes, …) fournissent en outre un champ passionnant d’investigation sur la fécondité de l’erreur.
Parce que l’erreur n’a d’existence que par rapport à une norme (morale, scientifique, esthétique), à des règles (mœurs, goût) et plus généralement à une certaine idée de la « vérité », elle constitue une marge depuis laquelle penser les paradigmes dominants, et même défricher de nouveaux sentiers. On peut, entre autres exemples, penser au rapport problématique que les écrivains francophones entretiennent avec les normes linguistiques, allant de phénomènes d’hypercorrection à des entreprises de sape poétique de la « belle écriture » (Raharimanana), c’est-à-dire d’une langue « correcte » fondée sur des normes érigées dans l’Hexagone. Envisagée dans un contexte où la concurrence entre les langues suscite chez l’auteur une « surconscience linguistique » (Gauvin) et une « insécurité linguistique » (Labov, Francard), l’erreur de langue charrie des enjeux d’ordre à la fois poétique et politique.
On pourra enfin s’interroger sur un au-delà de l’erreur, en particulier concernant l’époque (post)moderne. Peut-on considérer qu’il existe une « vérité » ou une « fausseté » – et donc une erreur possible – de/dans la fiction ou la poésie ? L’art contemporain ne rend-il par ailleurs pas caduque l’idée d’une interprétation erronée ? Dans le prolongement de cette érosion de la frontière entre vérité et erreur, il pourrait être intéressant d’interroger la façon dont l’art se saisit d’un sujet aussi actuel et polémique que celui des fake news ou de la post-vérité (et des perceptions trompeuses du monde que celles-ci peuvent engendrer), à l’exemple du récent roman de Sabri Louatah 404 (2020).
Cet atelier se donne ainsi pour objectif général de réfléchir aux représentations, aux enjeux et aux fonctions de l’erreur au sein de différents champs disciplinaires : arts, lettres, linguistique, traduction, didactique ou encore études culturelles. Nous accueillons toute proposition d’analyse portant sur le champ francophone, sans restriction d’époque ni d’aire culturelle.
Pistes et axes de recherche (non exhaustifs) :
- Représentations de l’erreur et de l’errance : approches thématiques
- Erreur (intentionnelle ou non) d’auteur/d’artiste : erreur d’intertexte, erreur ou approximation historique, géographique, incohérences (du récit, de la perspective, des proportions, etc.), erreur morale, posture liée à l’erreur
- Erreur et réception : mauvaise attribution, erreurs d’interprétation, figure du mauvais lecteur / du mauvais critique, erreur des instances de légitimation dans l’évaluation de l’œuvre
- Erreur technique/matérielle : erreur de copiste, d’impression, erreur de frappe
- Erreur et processus de création : potentiel créateur et fécondité de l’erreur, valorisation/déni de l’erreur dans le processus de création, …
- Lexico-sémantique de l’erreur et de notions proches : erreur, faute, échec, se tromper …
- Erreur et langue : lapsus, contresens, insécurité linguistique, erreur d’orthographe, l’erreur comme liberté créatrice ou levier d’émancipation, …
- Erreur et traduction
- Erreur et démarche intellectuelle : erreur et recherche, fonction heuristique de l’erreur
- Erreur, didactique et pédagogie : le statut et la place de l’erreur dans les apprentissages et dans les enseignements
Date limite pour l’envoi des propositions (titre, résumé de 250-300 mots, adresse, affiliation et notice bio-bibliographique de 150 mots) : le 15 décembre 2021.
Le colloque annuel 2022 de l’APFUCC sera virtuel et se tiendra dans le cadre du Congrès de la Fédération des sciences humaines. Les personnes ayant soumis une proposition de communication recevront un message des personnes responsables de l’atelier avant le 15 janvier 2022 les informant de leur décision. L’adhésion à l’APFUCC est requise pour participer au colloque. Il est également d’usage de régler les frais de participation au Congrès des Sciences humaines ainsi que les frais de conférence de l’APFUCC. De plus amples informations vous seront envoyées à ce sujet. Vous ne pouvez soumettre qu’une seule proposition de communication, présentée en français (la langue officielle de l’APFUCC), pour le colloque 2022.
Bibliographie indicative
Anokhina, Olga, Davaille, Florence et Sanson, Hervé (coord.), Dossier « Bien écrire, mal écrire », Continents manuscrits, n°2, 2014.
Astolfi, Jean-Pierre, L’Erreur, un outil pour enseigner (1997), Paris, ESF Sciences humaines, 2020.
Basset, Bérangère, Brancher, Dominique et Roussel, François (dir.), Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne, n°62 & 63, 2015/2016 – Actes du colloque « L’erreur chez Montaigne » Bibliothèque Mériadeck de Bordeaux, 3-5 décembre 2014, pp. 19-191 et pp. 23-197.
Bayard, Pierre, Qui a tué Roger Ackroyd ?, Paris, Minuit, 1998.
Besson, Florian et Kikuchi, Catherine (dir.), « L’Erreur, l’échec, la faute », Questes, 30, 2015.
Cerquiglini, Bernard, Le Roman de l’orthographe. Au paradis des mots, avant la faute 1150-1694, Paris, Hatier, 1996.
Degos, Laurent, Eloge de l’erreur, Paris, Ed. du Pommier, 2013.
Duplaix, Sophie (dir.), « Robert Morris. Card File (Fichier) », Collection art contemporain - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne [en ligne]. Page consultée le 19 juillet 2021. URL : https://www.centrepompidou.fr/fr/ressources/oeuvre/cXbkeg6
Francard Michel, « Insécurité linguistique », in Moreau, Marie-Louise, Sociolinguistique. Concepts de base, Liège, Mardaga, 1997, pp. 171-172.
Gauvin, Lise, « D’une langue l’autre. La surconscience linguistique de l’écrivain francophone », in Lise Gauvin (éd.), L'écrivain francophone à la croisée des langues, Paris, Karthala, 2009, pp. 5-15.
Lambert, Frédéric, « La place du nom erreur et du verbe se tromper dans la langue française et la fonction heuristique de l’erreur dans la recherche », in Myriam Métayer et François Trahais (dir.), Essais, vol. n°8, 2016, pp. 18-25.
Métayer, Myriam et Trahais, François (dir.), « Erreur et création », Essais, vol. n°8, 2016.
Morin, Edgar, Enseigner à vivre, Paris, Actes Sud, 2014.
Raharimanana, Jean-Luc, « Za, par-delà la torture, le rire… », dans Fabula-LhT, n° 12 [en ligne], mis en ligne en mai 2014, consulté le 14 mai 2021. URL : http://www.fabula.org/lht/index.php?id=1215.
Schwerter, Stéphanie, Gravet, Catherine et Barège, Thomas (dir.), L’erreur culturelle en traduction : Lectures littéraires, Villeneuve d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2019.
Vezin, Jean, Les Scriptoria d’Angers au XIe siècle, Paris, Champion, 1974.
Actualité
Appels à contributions
Publié le par Université de Lausanne (Source : Marion Ott)