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Du frisson au thrill : mutations d’un paradigme moderne (XIXe–XXIe siècles) – section du 13e congrès des francoromanistes, Vienne

Du frisson au thrill : mutations d’un paradigme moderne (XIXe–XXIe siècles) – section du 13e congrès des francoromanistes, Vienne

Publié le par Université de Lausanne (Source : Christoph Groß)

Du frisson au thrill : mutations d’un paradigme moderne (XIXe–XXIe siècles)

(Section du 13e congrès des francoromanistes, Vienne, 21–23 septembre 2022)

Qu’est-ce qu’un frisson ? Oscillant entre physiologie et psychologie, le frisson est un phénomène difficile à saisir. Il aime mieux saisir qu’être saisi. Il peut être l’indice corporel d’une angoisse ou d’un effroi, mais aussi la réaction involontaire à un chatouillement, une caresse, un regard, un film à suspense, un air de musique. Dans le frisson, il arrive que, souvent même sans savoir pourquoi, une sensation analogue à celle du froid, sans que celui-ci n’en soit la cause, parcourt soudainement, rapidement, instantanément la surface de la peau, la touche d’une main invisible, d’un souffle glacial. Signe avant-coureur de l’horreur et d’autres expériences dysphoriques, mais aussi de moments de bien-être général, comme ceux appartenant à l’amour ou à l’expérience esthétique, le frisson est un phénomène quotidien, subtile et parfois presque imperceptible, qui module en même temps nos relations au monde, aux autres comme à nous-mêmes. En tant que tel, il apparaît aussi avec sa propre histoire littéraire dont l’apogée coïncide avec les XIXe–XXIe siècles. Or, cette histoire reste encore à écrire.

À partir de 1800, le temps est aux sensations : sensations dont l’intensité touche souvent aux limites du plaisir et qui est susceptible de se renverser, à tout moment, en irritation provoquant frémissement, angoisse, souffrance. Le XIXe siècle se fait héritier de la sensibilité du siècle précédent et invente un culte nouveau de la sensation. Au tournant des Lumières, le Marquis de Sade introduit le frisson dans ses sombres tableaux d’un érotisme voué à un intensivisme de l’excitation. Le romantisme s’acharne sur une phénoménologie des vertiges du sublime et du « vague des passions », à laquelle le roman gothique anglophone joindra ensuite une esthétique du froid et de l’horrible. En puisant à pleines mains dans l’art de donner la chair de poule, le romantisme noir préparera lui la voie à la réception enthousiaste d’Edgar Poe en France. Dans ce sens, la théorie du choc moderne, mise en évidence par la lecture benjaminienne de Baudelaire, est en somme construite sur les fondements d’une esthétique du frisson. Selon Hugo, le poète des Fleurs du mal se fait auteur d’un « frisson nouveau » qui centrera la poésie sur un telos du négatif menant à des « soubresauts de la conscience ». Avec Baudelaire, le grand mot de la névrose hante la deuxième moitié de ce siècle des sensations. Alors, la symptomatologie de la surexcitabilité nerveuse se lie aux figurations littéraires de l’expérience esthétique et crée de nouvelles formes de l’irritation. Effrois, tressaillements, convulsions, évanouissements, accès de fièvre enchaînent le long cortège des mornes bacchanales de l’esthétique « décadente ».

Les poétiques des avant-gardes du XXe siècle reposent largement sur des effets d’intensité. Breton conçoit l’inspiration artistique comme un court-circuit, soit « un moment idéal où l’homme, en proie à une émotion particulière, est soudain empoigné par ce ‘plus fort que lui’ qui le jette […] dans l’immortel » (Manifeste du surréalisme) qu’il s’agira de reproduire dans l’œuvre littéraire. De même, le théâtre de la cruauté ou l’abject art visent à provoquer non seulement une réponse émotionnelle, mais aussi physiologique. Il sera donc question d’examiner comment le concept historique du frisson s’adapte aux codes culturels d’aujourd’hui. Mais ce ne sont pas exclusivement les avant-gardes qui promeuvent une esthétique du frisson. C’est surtout dans les genres dits « populaires », notamment le pulp, le thriller, le policier, le roman d’horreur et la littérature érotique, que le frisson se voit transformé en thrill moderne. L’émergence de ces nouvelles formes (littéraires, cinématographiques, etc.) va désormais de pair avec un nouveau lexique de l’excitation où le thrill fait alors figure d’expression psychologique et physiologique de l’épouvante et de l’angoisse ou, au contraire, de l’extase et du désir. Les romans de Houellebecq sont exemplaires en ce sens que le frisson appartient au domaine de l’excitation sexuelle. Ses représentations de la sexualité humaine, souvent « crues », touchant à la pornographie, ont pour objectif de briser la léthargie de l’homme moderne. De cette façon, Houellebecq incite ses lecteurs à s’investir émotionnellement, à ressentir le frisson que ses personnages désirent afin d’échapper au horror vacui d’une l’existence isolée et insignifiante.

Aujourd’hui, la notion de frisson est devenue un concept clé de la recherche expérimentale sur les aesthetic chills, qui sont considérés comme des gratifications psychophysiques suscitées par des œuvres artistiques. Le frisson ouvre le vaste champ d’une phénoménologie des micro-perceptions et les indexe sur le vécu corporel. En tant que tel, il constitue un plaisir malgré soi : c’est une émotion qui saisit, qui est hors de notre contrôle – mais dont nous tirons une certaine joie en lisant un récit d’épouvante, en regardant un thriller, et bien sûr tout aussi en écoutant un trémolo orchestral. Le frisson est ancré dans une expérience d’hétéronomie qui questionne et déconstruit les mythologies du sujet autonome. Le frisson pourrait donc être interprété comme paradigme d’une expérience spécifiquement moderne.

 

Modalités de soumission
Les propositions de communication n’excèdent pas 500 mots (sans bibliographie). La soumission des propositions se fait à l’aide du formulaire téléchargeable sur le site web du Congrès, à envoyer jusqu’au 15 janvier 2022 à l’adresse suivante : christoph.gross@rub.de. Les notifications d’acceptation seront envoyées avant le 28 février 2022.

Langues de travail : français, allemand