Centenaire de Jacques Stephen Alexis (1922-2022). Revisiter l'oeuvre et la pensée de Jacques Stephen Alexis (ENS Haïti & en ligne)
UNIVERSITE D’ÉTAT D’HAÏTI (UEH)
ÉCOLE NORMALE SUPÉRIEURE (ENS)
Centenaire de Jacques Stephen Alexis (1922-2022)
Colloque international
« Revisiter l’œuvre et la pensée de Jacques Stephen Alexis »
Appel à communications
Le 22 avril 2022 ramène le centième anniversaire de naissance de Jacques Stephen Alexis, écrivain et théoricien du roman et de la culture mondialement connu, médecin-neurologue et homme politique marxiste. Marquer ce centenaire par un nouvel examen de l’œuvre et de la pensée d’Alexis constitue un geste hautement significatif et utile. Rien que parce qu’un centenaire représente toujours une occasion très rare, il faudra attendre une dizaine de décennies et plusieurs générations pour en revoir un autre. Parce que, malgré la grande reconnaissance dont jouit déjà Alexis, son héritage littéraire et théorique reste d’une grande actualité et, de ce fait, mérite d’être glosé à l’attention des plus jeunes générations notamment. D’autant que l’œuvre et la pensée d’Alexis portent en elles un ferment politique susceptible d’aider à interroger le présent.
En surgissant sur la scène littéraire au cours des années 1950, et malgré son parcours éclair (1955-1960), Alexis s’impose comme un écrivain-carrefour et une figure de proue de l’intelligentsia haïtienne du milieu du XXe siècle. Témoin d’une décennie considérée comme déterminante dans le devenir d’Haïti, Alexis est l’auteur d’une œuvre forte et d’une réflexion de première importance alimentées aux sources des idéologies marquantes de l’époque (l’indigénisme et le marxisme). En effet, dans son œuvre et surtout dans ses différentes interventions réflexives (« Où va le roman ? », 1957 et « Florilège du romanesque haïtien », 1959), il assume pleinement ses dettes, sa filiation pour ainsi dire. Son option littéraire intègre à la fois ce qu’il a identifié comme composante d’une certaine tradition nationale du récit (areytos, contes populaires, lodyans, « réalistes » haïtiens) et les différents apports de la littérature universelle. Autant dire que, tout en proposant une œuvre clairement située, Alexis ne s’est embarrassé d’aucun nationalisme étriqué. L’analyse de plusieurs de ses œuvres n’a pas manqué d’éclairer cette filiation, ses « parenté[s] esthétique[s] »[1]. Dans le domaine haïtien, par exemple, son œuvre est souvent rapprochée de celle de Jacques Roumain, notamment son roman Compère Général Soleil. Ce roman est intégré en même temps que Gouverneurs de la rosée de Roumain dans de nombreux corpus d’analyse (Claude Souffrant : Une négritude socialiste, 1978 ; Yves Chemla : La question de l’autre dans le roman haïtien 2002). La place prépondérante qu’Alexis a lui-même accordée à ce roman de Roumain dans la littérature haïtienne de son époque semble accréditer cette tendance. Dans cette optique, et un peu au-delà, Rafael Lucas s’attache à examiner ce qu’il appelle l’« haïtianisation » de son écriture[2].
Pendant le même temps, Alexis a œuvré à apporter sa pierre à un domaine littéraire alors en pleine mutation. On lui reconnaît une contribution significative à l’avènement de la modernité littéraire haïtienne. L’espace d’un cillement (1959), le dernier roman publié avant sa disparition, est souvent cité dans cette perspective. Le choix d’Haïti comme lieu d’une rencontre caribéenne, à travers l’évocation d’une maison close, et l’organisation du récit en « mansion » via la référence au système des sens humains contribuent, entre autres, à conférer à ce roman ce statut d’œuvre novatrice. D’autres, des années après, lui attribuent un apport notable à la consécration du lodyans comme genre constitutif du romanesque haïtien depuis le geste inaugural de Justin Lhérisson[3]. Son recueil de contes Romancero aux étoiles (1960) est de ce fait associé à sa découverte du lodyans et son intérêt pour cette forme, qu’il aurait cherché à transmettre à la postérité comme patrimoine haïtien, selon Georges Anglade. Dans la foulée, une étude récente a proposé une analyse de chansons et du rire populaire dans l’œuvre d’Alexis[4].
Alexis s’intéresse à l’histoire d’Haïti qu’il réinvestit autant dans son projet romanesque que dans ses écrits esthétiques et politiques. A ce titre, sa référence aux thématiques : bourgeoisie nationale, peuple, arts populaires…ne fait que donner un gage théorique à sa vision de la modernité haïtienne. Le manifeste du Parti Entente Populaire réengage ces questions à partir des référents marxistes, tel qu’il fut conçu à un certain moment et dans certains milieux. C’est à partir de l’investissement du schéma marxiste d’analyse historique que l’histoire nationale, auréolée de son héritage africain, amérindien et européen, est mobilisée au profit de la création romanesque et de l’invention de l’action politique. Nul doute que cette expérience littéraire et politique soit ponctuée de torsions de lecture, d’usages et de « contre-usages » théoriques ; en sorte que l’écrivain comme le politique n’a de cesse que de frayer des sentiers neufs, sans jamais cependant négliger les traits saillants du lieu d’où il théorise et lutte.
Ce sont ces questions que le colloque ambitionne d’explorer, de brasser ensemble en vue d’en tirer de quoi re-penser une tradition littéraire et politique en articulation avec les grands défis de notre vécu actuel. Il s’agit de revisiter l’œuvre et la pensée d’Alexis. Dans cette optique, quatre axes d’interventions sont soumis à votre appréciation.
AXE 1. Sources et héritage (s) littéraires et politiques de l’œuvre et de la pensée de Jacques Stephen Alexis :
Sources et héritages littéraires. Cet axe propose de dépoussiérer la bibliothèque d’Alexis : Jean Price-Mars, Maurice Casséus, Jacques Roumain, Aimé Césaire, Léopold Sedar Senghor et Alejo Carpentier par rapport à sa référence au merveilleux, etc. Que peut révéler une analyse de certaines traces des lectures d’Alexis dans ses écrits au sujet de sa créativité et de sa pensée ? Qui sont ses « héritiers » littéraires potentiels ? Par quels types de dialogues assument-ils et perpétuent-ils l’héritage ? Sources et héritages politiques. Jacques Stephen Alexis demeure un politique et une figure éminente du marxisme haïtien. A-t-on fait vraiment le bilan de sa pensée politique ? Quel héritage théorique demeure de cette expérience près d’une soixantaine d’années après ? La reprise machinale du projet par de « cercles » sans grande envergure, tient-elle compte des questions qui se sont posées au marxisme, au communisme historique ? En tant qu’homme de parti, quel mode de rapport Alexis va-t-il entretenu avec le pouvoir soviétique de l’époque? Alexis s’est-il soustrait à une certaine vulgate quant à la manière dont il a « pratiqué » l’histoire nationale et la littérature ? Peut-on envisager un renouveau de la pensée d’Alexis à partir des expériences de la Chine, de l’Amérique latine, de l’Afrique, de celles de l’Europe des années 1960 et de la fin du XXe siècle ?AXE 2. La culture populaire dans les écrits d’Alexis (musique, tradition orale, image de la paysannerie, vaudou). Les écrits d’Alexis, du roman aux textes esthétiques, se préoccupent essentiellement de la mise en espace des scènes du populaire, de la tradition nationale. Quels sont les principaux éléments de la culture populaire dont Alexis peuple son imaginaire littéraire ? Comment les inscrit-il dans son œuvre et sa pensée ? Quelles fonctions Alexis confère-t-il dans son œuvre aux éléments de la culture populaire qu’il y mobilise ?
AXE 3. L’amour humain : le Médecin et la question du soin. En lisant Alexis, on ne peut manquer de constater les occurrences quant à sa profession de médecin. Dans quelle mesure l’œuvre d’Alexis s’enrichit-elle de sa formation et son expérience de médecin ? Comment saisir cette rencontre entre la science et la politique chez Alexis ?
AXE 4. La modernité d’Alexis. Trois questions centrales parmi les plus en vue à l’époque contemporaine se retrouvent au cœur des écrits et de la pensée d’Alexis. Il s’agit de celles du genre, de l’environnement et du renouvellement de l’écriture romanesque qui font de lui un incontournable dans la réflexion sur la modernité haïtienne, sans tomber pour autant dans ce que l’on appelle, au sens courant, l’anachronisme.
La question du genre. Comment les femmes sont-elles représentées dans l’œuvre d’Alexis ? Quelle place leur accorde-t-il dans le personnel de ses romans et récits ? En quoi le traitement de ce type de personnages peut-il concourir à l’élaboration de l’esthétique Alexisienne ? La place de la question environnementale. Comment comprendre l’importance de la nature dans les écrits d’Alexis ? Quelle contribution l’analyse de sa vision de la nature peut-elle apporter aux préoccupations actuelles en matière d’« écopoétique » ? Le renouvellement du romanesque haïtien. Dans quelle mesure peut-on recevoir L’espace d’un cillement comme un roman novateur ? Est-ce soutenable ? En quoi la théorie du « réalisme merveilleux » et la publication de L’espace d’un cillement d’Alexis ont-ils concouru au renouvellement de l’écriture romanesque haïtienne et/ou caribéenne ?*
Format de soumission des propositions :
Chaque proposition se présente sous la forme d’un résumé de 350 à 400 mots en lien avec l’un des axes du colloque. Elle comprend notamment un titre accompagné des coordonnées de son auteur (Nom et prénom, courriel). La proposition peut être énoncée en français, créole, anglais ou espagnol.
Délais :
30 octobre 2021 : réception des propositions répondant à l’appel ;
30 décembre 2021 : communication des propositions retenues ;
15 mars 2022 : réception des textes pour publication ;
21-22 avril 2022 : tenue du colloque (à distance et en présentiel).
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Courriel : colloque.centenairejsa@gmail.com
Secrétariat exécutif :M.Qualito Estimé
M.Fritz Berg Jeannot
M.Jethro Antoine
[1] BOULAY, Ch., « Une parenté esthétique : Jacques Stephen Alexis et Victor Hugo », Relire l’histoire littéraire et le littéraire haïtiens, Port-au-Prince, Presses Nationales d’Haïti, coll. « Pensée critique », 2007, p. 409-439.
[2]LUCAS, Rafael, « L’haïtianisation de l’écriture chez Jacques Stephen Alexis », Cultures Sud, [En ligne] dans www.culturessud.com/contenu.php?id=614, consulté le 8 janvier 2012.
[3]ANGLADE, Georges, Le dernier codicille de Jacques Stephen Alexis, Montréal, Plume et Encre, 96 p.
[4]DIEUMETTRE, Jean, « Le rire haïtien : rires et chansons dans Compère Général Soleil, de Jacques-Stéphen Alexis », Cerrados, n° 51, Brasília, décembre 2019, p. 125-148, version PDF [En ligne], consulté le 24 janvier 2021.