Professionnels et agents de l’information. Pour une histoire sociale de l’activité d’informer (XVIe-XVIIIe siècles)
Professionnels et agents de l’information.
Pour une histoire sociale de l’activité d’informer
(XVIe-XVIIIe siècles)
Appel à contributions pour un colloque international
Université Paris Nanterre, 19-20 mai 2022
Organisation : Marion Brétéché (Université d’Orléans, POLEN) et Nicolas Schapira (Université Paris Nanterre, MéMo/Grihl)
Consacré aux agents de l’information aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, ce colloque souhaite analyser des pratiques, des postures et des statuts qui permettent de considérer nombre des activités liées à la circulation de l’information comme de véritables activités professionnelles. À la croisée de l’histoire du livre et de la communication, de l’histoire du travail et des professions, de l’histoire des médias et de l’histoire sociale de la littérature, cette rencontre vise à mettre en évidence les phénomènes et les facteurs qui, sur le long et le court terme, durant les XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, concourent à l’apparition de professionnels de la production et de la circulation de l’information : régularité du travail et autonomisation du marché de l’information, innovations éditoriales et médiatiques, rémunérations, élargissement des catégories d’acteurs et des publics, diversification des médias et de leurs fonctions, reconnaissance nationale et internationale par les pairs et/ou les institutions des médias et de leurs producteurs, etc.
Une telle histoire sociale des médias vise aussi à mieux comprendre la genèse de l’information comme notion et valeur autonomisées par rapport au savoir ou à la connaissance, en examinant comment une gamme d’acteurs très variés promeuvent leurs activités dans ce domaine. Qu’est-ce qui fait qu’il y a des « nouvelles », et pas seulement de nouvelles connaissances ? En quoi consiste l’ « actualité » à l’époque moderne ? Notre hypothèse est que ces notions sont étroitement liées à ceux qui les font vivre par leurs pratiques.
La sociologie des producteurs d’information n’a jusqu’à présent guère donné lieu à des études globales ou approfondies. Bien entendu, les postfaces des Dictionnaires des journaux et des journalistes dirigés par Jean Sgard présentent une exception fondatrice et incontournable pour le cas de la presse imprimée francophone, à partir de laquelle il sera possible de poursuivre la réflexion. De même les études de Mario Infelise (2002), François Moureau (2006), et Filippo de Vivo (2007) constituent des étapes importantes dans notre compréhension des logiques singulières à l’œuvre dans la production des médias manuscrits. Tout en s’appuyant sur ces travaux, on souhaite élargir encore le champ d’observation en prenant en compte les acquis de recherches récentes qui ont envisagé sous l’angle de l’information des objets imprimés singuliers ou des phénomènes éditoriaux (Brétéché, 2015 ; Pouspin, 2016 ; Cerdeira, 2016 ; Schuwey, 2020), des pratiques comme la correspondance (Bély, 1990 ; Boutier, Landri, Rouchon, 2008 ; Gellard, 2014 ; Jouhaud, 2015 ; Alazard, 2020), des types d’acteurs (Schapira, 2020), des événements (Cassan, 2010) ou qui ont exploré l’activité de réseaux d’informateurs (Petitjean, 2013 ; Martignon, 2020).
De ce fait, nous entendons prendre en compte dans la réflexion la plus large gamme d’objets, aussi bien imprimés que manuscrits – nouvelles à la main, journaux, placards, occasionnels, correspondances, rapports, dépêches diplomatiques, etc. – et d’acteurs – rédacteurs, éditeurs, imprimeurs, écrivains, agents, diplomates, intermédiaires divers. De même, la circulation orale de l’information – ses spécificités et son importance au contact des autres modalités de production des nouvelles – ne sera pas écartée. Sensibles aux enjeux et aux méthodes de l’archéologie des médias, on s’intéressera aussi aux expériences inabouties, qui n’ont pas été imitées ou marquées du sceau du succès.
Nous souhaitons réfléchir, dans le cadre de ce colloque, à ce que l’on pourrait appeler des « configurations de professionnalisation par les médias à l’époque moderne », en insistant sur les évolutions entre les XVIe et XVIIIe siècles. Une approche privilégiée relèvera d’une histoire des médias dans le sens où nous souhaitons porter une attention particulière à l’articulation entre la dimension socio-professionnelle des pratiques d’information analysées et leurs interactions avec des conceptions de la médialité forgées ou pratiquées par des acteurs attentifs aux usages différenciés de divers vecteurs de communication à une époque donnée. Nous entendons aussi solliciter les démarches de l’histoire du travail, afin de mettre en lumière les conditions concrètes d’exercice d’activités informationnelles, et notamment le temps que leur accordent ceux qui s’y livrent parmi d’autres tâches, les rémunérations qu’ils en retirent, les divers statuts qui abritent une telle activité ou s’en nourrissent. On aimerait questionner en particulier l’importance de la publication de l’actualité pour les imprimeurs. On s’intéressera dans le même mouvement aux formes de reconnaissance sociale attachée à de telles activités. Les terminologies employées par les contemporains (puis par les historiens et historiennes) pour désigner ces activités, sont elles-mêmes imprécises, restrictives et bien souvent insuffisantes pour rendre compte de la diversité des actions effectuées et des compétences mises en œuvre par les différents acteurs. C’est pourquoi il convient de les inclure dans la réflexion et de les interroger sans pour autant s’y limiter. On s’intéressera ainsi au modelage des figures de « gazetier », « nouvelliste », « journaliste » qui leur sont attachées, sans oublier les figures de lecteurs avides ou contempteurs des nouvelles. Le colloque aura au cœur de son questionnement l’écart entre la présence dans la société d’Ancien Régime de nombreux acteurs dont le capital politique ou l’identité sociale est attachée à une activité informationnelle, et l’absence relative de reconnaissance statutaire de telles activités.
Les contributions pourront aussi bien être consacrées à des trajectoires individuelles qu’à des portraits de groupe, en prenant pour point de départ (sans exclusive) des acteurs, des médias, des configurations singulières ou encore des lieux spécifiques. En effet, on souhaite prendre en compte la diversité géographique des pratiques pour être en mesure d’interroger les conditions sociales, économiques, politiques, institutionnelles, etc., des pratiques professionnelles mises au jour. La comparaison entre différentes aires géographiques et les écarts ou les proximités qui apparaîtront seront donc également pertinentes.
Ainsi, à rebours d’une conception qui cantonne la production de l’information sous l’Ancien Régime à une affaire de curieux de nouvelles ou de plumitifs pensionnés par un patron, ce colloque souhaite interroger la nature protéiforme et la complexité d’une activité informationnelle inventive et concurrentielle.
Modalités pratiques
Les propositions de contribution (titre, mots-clés, résumé en 3 000 signes maximum et courte bio-bibliographie) devront être adressées avant le 15 octobre aux adresses suivantes : marion.breteche@univ-orleans.fr et nschapira@parisnanterre.fr
Les réponses seront adressées aux auteurs autour du 15 novembre 2021.
Le colloque se tiendra à l’université Paris Nanterre les 19 et 20 mai 2022
Références citées
Alazard Florence (dir.), Correspondances urbaines. Les corps de ville et la circulation de l’information en Europe, XVe – XVIIe siècles, Turnhout, Brepols, 2020.
Bély Lucien, Espions et ambassadeurs au temps de Louis XIV, Paris, Fayard, 1990.
Brétéché Marion, Les Compagnons de Mercure. Journalisme et politique dans l’Europe de Louis XIV, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2015.
Boutier Jean, Landi Sandro et Rouchon Olivier (dir.), La politique par correspondance. Les usages politiques de la lettre en Italie (XIVe-XVIIIe siècle), PUR, 2008.
Cassan Michel, La grande peur de 1610 : les Français et l'assassinat d'Henri IV, Seyssel, Champ Vallon, 2010.
Cerdeira Virginie, Le Mercure François. Écrire et publier l’histoire du temps présent (1611-1648), thèse de doctorat sous la direction de Guy Le Thiec et Isabelle Luciani, soutenue le 8 décembre 2016 à l’Université Aix-Marseille.
De Vivo Filippo, Information and Communication in Venice. Rethinking Early Modern Politics, Oxford,Oxford University Press, 2007.
Gellard Matthieu, Une reine épistolaire. Lettres et pouvoir au temps de Catherine de Médicis, Paris, Garnier, 2014.
Infelise Mario, Prima dei giornali. Alle origini della pubblica informazione (secoli xvie-xviie), Rome-Bari, Laterza, 2002.
Jouhaud Christian, Richelieu et l’écriture du pouvoir. Autour de la journée des Dupes, Paris, Gallimard, 2015.
Martignon Maxime, Publier le lointain à l’époque de Louis XIV : réseaux savants, activité politique et pratiques d’écriture (France, 1670-1720), thèse de doctorat dirigée par Corine Maitte et Nicolas Schapira, soutenue à l’Université Gustave Eiffel, le 20 novembre 2020.
Moureau François, La Plume et le Plomb. Espaces de l’imprimé et du manuscrit au siècle des Lumières, Paris, PUPS, 2006.
Petitjean Johann, L’intelligence des choses. Une histoire de l’information entre Italie et Méditerranée (XVIe-XVIIe siècle), Rome, École française de Rome, 2013.
Pouspin Marion, Publier la nouvelle : les pièces gothiques, histoire d'un nouveau média : XVe-XVIe siècles, Paris, Publications de la Sorbonne, 2016.
Schapira, Nicolas, Maîtres et secrétaires. L’exercice du pouvoir dans la France d’Ancien Régime, XVIe-XVIIIesiècles, Paris, Albin Michel, 2020.
Schuwey Christophe, Un entrepreneur des lettres au XVIIe siècle. Donneau de Visé, de Molière au Mercure galant, Paris, Classiques Garnier, 2020.
Sgard Jean (dir.), Dictionnaire des journalistes, 1600-1789, Paris-Oxford, Universitas-Voltaire Foundation, 1999.
Sgard Jean (dir.), Dictionnaire des journaux, 1600-1789, Paris-Oxford, Universitas-Voltaire Foundation, 1991.