Inadmissible littérature
Appel à contributions pour un ouvrage collectif à paraître à l’automne 2022.
sous la direction d'Olivier Penot-Lacassagne
Moins « émancipatrice » que « réparatrice », la littérature du XXIe siècle serait, dit-on, thérapie, clinique du monde social, récit des fragilités du moi. Enfin sortie du « littératurisme » (J. Benda), enfin émancipée de sa fixation autotélique, débarrassée de sa maladive souveraineté ou de ses prétentions révolutionnaires, s’épanouissant dorénavant entre la plainte, le docu-fiction, la solidarité, le care et la guérison, elle serait à la fois prise de conscience citoyenne, nouvel engagement écoresponsable (après les méfiances et les dénis d’une modernité littéraire triomphante diversement « impliquée »), chambre d’enregistrement des troubles privés, enquête sur les difficultés du corps social, et, après deux décennies de « fatigue d’être soi » (A. Ehrenberg), promesse décomplexée de résilience, de réparation historique ou de sagesse intérieure. Sociétale et normalisée, elle « ferait du bien » et « ferait du lien ».
Faisant état d’une tendance actuelle que l’on dit dominante, ce diagnostic académique propose une version généraliste du fait littéraire qui mérite d’être interrogée. La transformation dont nous serions les témoins relègue-t-elle les radicalités d’hier dans les fosses du passé et celles d’aujourd’hui dans des marges négligeables ? Est-il pertinent de prétendre que la littérature moderne, forclose, a « voulu tout essayer, tout expérimenter[1] », et que son histoire s’apparente volontiers à une succession cumulative d’« expériences » qu’il s’agirait, en plus de commenter, de répertorier, de classer, voire de comparer ? La notion fourre-tout d’expérience ne réduit-elle pas les singularités au rang de particularités d’un ensemble aplati – « la littérature » ?
L’indéniable attraction du moment pour les livres-reflets, les livres-miroirs et les livres-pansements, pour les romans du trouble et les narrations existentielles, se heurte à ce qui peut être désigné comme l’incurable du contemporain : « L’incurable est l’inopérable – ce qui dans l’opération réparatrice reste inguérissable. En tous points du corps, en tous points de la langue, en tous points de l’âme.[2] »
La littérature est agencement plus-que-personnel, branchement sur le monde, devenir, affirmait Gilles Deleuze : nullement la relation d’une « petite affaire privée[3] ». Insolente, motile, elle déserte les codes, les cadres, les catégories, les langues mécaniques, le « parler faux » comme le « parler vrai ».
Le présent appel, pour un ouvrage collectif à paraître à l’automne 2022 – esquisse d’une histoire parallèle ou contre-histoire, « celle de la langue qui fourche[4] » –, entend réaffirmer l’inadmissible qui/que désigne, sans jamais l’essentialiser, la littérature (paraphrasant en cela Denis Roche). Rejetée, refusée ou discréditée parce qu’inacceptable – de Dada et des surréalistes aux extrêmes limites du contemporain, la répulsion qu’elle suscite n’a pas fléchie –, elle peut être aussi l’« ennemi du dedans » (G. Bataille) : mise en récit de ce qui ne saurait être admis, et questionnement dès lors de sa place dans l’espace social.
Nullement essence, mais exigence d’un après la « certitude moderne » qui s’effondre de toutes parts, la littérature (« merde pour ce mot », déclara Francis Ponge à propos de la poésie) est écriture(s). Entre « mécréance absolue » et « reconstitution d’un crédit » en un temps de profonde désorientation (B. Stiegler), ces écritures singulières en relancent la fiction en mille directions.
Écritures de l’intranquillité (F. Pessoa), de l’impansable, de l’abject ; écritures de l’inconciliable, de l’irréparable, de l’inopérable, de « l’innommable » (S. Beckett) ; écritures du « court-circuit » (M. Blanchot), de la disjonction, de l’inservitude, de la rupture.
« Cataclysme » (R. Daumal), « cochonnerie » (A. Artaud), « babil » (V. Novarina), « violangue » (J.-P. Verheggen). Mais aussi « lignes d’évolution, chemins et champs » (K. White), surgissement du monde dans la langue, jubilation, éclaircissement, gai savoir, affirmation, joie.
La littérature, ainsi appelée, ainsi appelante : la violente action d’écrire, hier comme aujourd’hui, qu’elle peut être.
— O.P.L.
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Modalités de participation
Les propositions devront être adressées avant le 30 septembre 2021 à l’adresse suivante :
olivier.penot-lacassagne@sorbonne-nouvelle.fr
Les auteurs et autrices seront informé.e.s des résultats fin octobre 2021.
Les articles devront être rendus avant le 31 janvier 2022.
[1] Appel à contribution, « Expériences », Congrès 2022 de la Société d’étude de la littérature de langue française du XXe et du XXIe siècles, mars 2021.
[2] Olivier Penot-Lacassagne, « Survivre : l’avant et l’après 13 novembre 2015 », Contemporary French & Francophone Studies, « Writing Terrorism », Catherine Brun (dir.), vol. 24, Issue 4, September 2020, p. 394-405.
[3] Gilles Deleuze, « A comme Animal », in L’Abécédaire de Gilles Deleuze (avec Claire Parnet), Éditions Montparnasse, 2004.
[4] J’emprunte cette formule à Bernard Stiegler, Qu’appelle-t-on panser ? 2. La leçon de Greta Thunberg, Paris, Éditions Les Liens qui Libèrent, 2020, p. 365.