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Écrire, transcrire. La scène d'oralisation de la poésie

Écrire, transcrire. La scène d'oralisation de la poésie

Publié le par Université de Lausanne (Source : Jean-François Puff)

Journée d’études

« Écrire, transcrire, la scène d’oralisation de la poésie »

Vendredi 27 mai 2022

 

Il est possible d’envisager, si ce n’est une contre-histoire de la littérature, à tout le moins une histoire seconde, qui en quelque sorte redouble l’histoire littéraire et donne à voir son objet sous l’aspect des pratiques : cette histoire est celle de l’oralisation de la littérature, dont on constate qu’elle est en train de s’écrire, de manière encore parcellaire et non-systématique.

C’est un angle particulier qu’entend adopter cette journée, à la fois plus resserré et plus ouvert : plus resserré, car il s’agit d’envisager l’oralisation non de tout genre d’écrit, mais de la poésie, et de l’envisager précisément dans son passage à l’écriture ; plus ouvert, car il s’agit de s’intéresser à l’écriture de l’oralisation dans différents régimes de discours : dans le récit ethnographique et le récit historique, mais aussi dans l’écriture de création : la fiction romanesque, et la poésie elle-même – quitte à interroger ce partage binaire.

L’enjeu est d’examiner les modalités de transcription, de restitution, et de reconstitution de la scène d’oralisation, et d’en évaluer la portée. La question de la performance poétique, dans le cadre du rituel, est un point-clé de l’écriture ethnographique, qui en révèle les tensions, entre objectivité documentaire et saisie subjective de l’ « atmosphère », comme nous l’indique Vincent Debaene (Debaene, 2010). Son écriture se trouve ainsi saisie dans la tension entre restitution analytique et mise en œuvre du langage poétique (Adell – Debaene, 2018). Les scènes de lecture ou de performance, plus ou moins précisément documentées, doivent quant à elles faire l’objet d’une reconstitution, dans le cadre de l’histoire littéraire, et la même tension entre restitution objective et reconstitution intuitive se trouve impliquée : une fois l’ensemble des données recueillies, l’historien doit bien imaginer son objet, et l’animer par l’écriture. La métaphore du puzzle à assembler, à laquelle Vincent Laisney a recours dans son livre d’enquête En lisant en écoutant, s’avère pleinement opératoire (Laisney, 2017). Le thème de la scène de lecture de poésie dans la fiction (et notamment la fiction romanesque), est de référence de prime abord plus étroite ; on constate néanmoins que ces scènes sont puissamment révélatrices. Elles permettent en effet d’aborder, de manière souvent critique, le mode d’inscription de la poésie dans l’espace social :  on retrouve ici le thème anthropologique.

Enfin, les poètes eux-mêmes ont fait poésie du récit de scènes de lecture, dans une perspective souvent méta-poétique : pour nous borner au contemporain, David Antin examine dans certains de ses talk poems les conditions concrètes de ses propres improvisations ; Jacques Roubaud, dans Dire la poésie, expose une théorie de la lecture publique de poésie ponctuée de récits de scènes exemplaires ; Vincent Broqua restitue dans Récupérer l’un de ses « dépliages parlés », performé à la demande des éditions Contrat maint.  Il existe ainsi tout un corpus à établir, dont les modalités d’écriture et les enjeux de poétique sont à exposer, comme Gaëlle Théval a commencé à le faire à propos du Vocaluscrit de Patrick Beurard-Valdoye, ainsi que de la pratique des comptes-rendus de lectures publiques par Alain Frontier, ou encore de Vestiaire de Jean-Jacques Viton.

Le fil conducteur de cette journée peut être la notion d’anecdote : pensons au titre d’un livre récent de Cyril Martinez, Le poète insupportable et autres anecdotes (2017). « Petit fait historique survenu à un moment précis de l'existence d'un être, en marge des événements dominants », par extension « petite aventure vécue qu'on raconte en en soulignant le pittoresque ou le piquant » dit le Trésor de la langue française, l’anecdote de performance ou de lecture publique participe au « romanesque des lettres » (Michel Murat, 2017), et elle a souvent une fonction emblématique et révélatrice. Alfred Métraux, dans son terrain sur l’île de Pâques, sent qu’il perd le contact avec son principal interlocuteur, Juan Tepano : Christine Laurière (2014) restitue l’anecdote selon laquelle, pour renouer le lien, l’ethnologue s’engage dans une récitation performée de l’Odyssée, tout en l’adaptant à son auditoire.  Il s’agit pour nous d’évaluer la portée et la puissance de fascination de tels récits, en les situant dans leur contexte d’écriture.

Une intention de communication d’une demi-page et une courte biobibliographie sont demandées.

Date de clôture de l’appel : le 15 novembre 2021.

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Bibliographie de l’appel :

David Antin, Ce qu’être d’avant-garde veut dire, trad. V. Broqua, O. Brossart, A. Lang, Les Presses du Réel, 2008.

Vincent Broqua, Récupérer, Les Petits matins, 2015.

Vincent Debaene, L'adieu au voyage. L'ethnologie française entre science et littérature

Collection Bibliothèque des Sciences humaines, Gallimard, 2010.

Vincent Debaene, Nicolas Adell, Anthropologie et poésie, dossier LHT n°21, https://www.fabula.org/lht/21/

Vincent Laisney, En lisant en écoutant, Les Impressions nouvelles, Bruxelles, 2017.

Christine Laurière, L'Odyssée pascuane, Encyclopédie en ligne Bérose, Série « Missions, enquêtes et terrains - Années 1930 », Lahic / DPRPS, 2014.

Cyril Martinez, Le poète insupportable et autres anecdotes, Questions théoriques, 2017.

Michel Murat, Le Romanesque des lettres, Corti, 2017.

Jacques Roubaud, Dors précédé de Dire la poésie, Gallimard, 1981.

Gaëlle Théval, « Du live au livre, du livre au live. Le Vocaluscrit comme archive poétique ? » https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03198340