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L’Inaperçu (colloque CRESEM/Visa pour l’image)

L’Inaperçu (colloque CRESEM/Visa pour l’image)

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Dimitri Garncarzyk (maître de conférences, UPVD))

ARGUMENT

Depuis 2017, le CRESEM organise en partenariat avec le Centre International de Photojournalisme et Visa pour l’image un colloque début septembre pendant le festival de photojournalisme. C’est l’occasion de réunir professionnels, artistes et scientifiques pour réfléchir sur la notion d’image au sens large et pour approfondir une dynamique de recherche développée au CRESEM autour de la perception, des liens entre la littérature et l’image et des interactions entre l’image et le son.

Le colloque des 9 et 10 septembre 2022 s’appuiera sur l’axe « Poétique et perception » et prendra pour sujet la thématique développée par cet axe en 2021/2022 : « l’inaperçu ». L’idée est d’exploiter le lien paradoxal établi entre cette notion, « l’inaperçu » — ce qui, délibérément ou fortuitement, échappe aux regards et qui n’existe que dans la mesure où il n’est pas vu — et le sujet développé pendant ces colloques Visa, l’image, qui, elle, a pour vocation de se donner à voir. Les interventions se concentreront sur quatre grands types d’images :

  • l’image fixe (photos, tableaux, dessins, peintures) ;
  • l’image en mouvement (cinéma) ;
  • l’image scénique (théâtre) ;
  • l’image littéraire (comme description ou figure).

Le cadre est pluridisciplinaire et transmédial. Visant à réunir à la fois ceux qui parlent des images et ceux qui les font, ce colloque s’adresse aux scientifiques spécialistes en histoire de l’art, en arts visuels, en théâtre et en littérature et aux artistes et professionnels dans ces domaines. Les réflexions pourront s’organiser de façon diachronique et pourront embrasser la période allant de l’Antiquité jusqu’à nos jours. Elles seront présentées devant un public diversifié, composé de professionnels, d’artistes, d’universitaires, mais aussi de représentants de la société civile et d’étudiants, et devront prendre en compte la diversité de l’auditoire.

On trouvera ci-dessous les principales pistes envisagées.

1. Le hors-champ/le hors-scène

L’inaperçu est d’abord ce qui n’est pas donné à voir. Dans les arts visuels, il se situe hors du cadre du tableau ou hors du champ couvert par l’objectif du photographe ou du cinéaste, au théâtre il se situe hors-scène. S’il peut être exclu du cadre par un souci esthétique de composition, son absence doit être paradoxalement sensible : comment diagnostiquer l’inaperçu, si son manque est réellement imperceptible ?

Premier concept opératoire ici : la notion transversale de point de vue. Le cadreur cinématographique, le photographe sur le terrain, le personnage sur la scène voient et témoignent de perspectives différentes. Le point de vue est le propre du sujet qui s’exprime : on trouve au fondement de l’impressionnisme pictural une idée  de ce genre, exprimée par exemple dans la série consacrée par Manet à la façade de la cathédrale de Rouen. Les pratiques sérielles dans la photographie ou la peinture sont un mode d’expression privilégié de cette variabilité et de ce qu’elle révèle et dissimule en fonction des circonstances. L’image dynamique du film présente la particularité de pouvoir zoomer, et de révéler ainsi le hors-champ, reconfigurant parfois drastiquement le sens de l’image.

Dans les arts du langage, l’inaperçu traduit les points aveugles de la psyché : qu’il soit introspectif comme Marcel ou effacé comme dans le Nouveau Roman, le personnage ne voit pas tout, ni de lui-même ni du réel. Sur scène s’affrontent, du narcissisme sadique du Néron racinien aux héroïnes en quête d’absolu de Tchekov, des points de vue dont l’incompatibilité est l’enjeu de la monstration dramatique, qui demandent au spectateur de voyager constamment entre des perspectives incompatibles. En somme, l’inaperçu se révèle par la confrontation : celle de l’agôn dramatique dans le temps du drame, ou celle de soi à soi-même à travers le temps.

L’inaperçu peut aussi être ostensiblement absent : c’est une masse qui déborde un peu dans le cadre ou, au contraire, le regard d’un sujet hors du cadre, vers le côté ou vers le spectateur (ou, au théâtre, vers les coulisses), qui convoque la cognition et l’imagination du spectateur (de la pièce, du film, de l’exposition) : quelque chose lui échappe irrémédiablement, vers quoi la composition fait délibérément signe. Ce régime allusif correspond dans le langage à toutes les figures de la suggestion, de l’insinuation (sous-entendus, périphrases, suspension du discours comme l’aposiopèse…), voire de l’atténuation (euphémisme et litote, méiose et tapinose). L’engagement cognitif du récepteur de l’œuvre se construit autour d’une absence délibérée : ainsi se définit une pragmatique du hors-champ commune aux arts.

Au théâtre, les théoriciens antiques de la scène (canoniquement, Aristote et Horace) délèguent au langage ce que la mise en scène ne saurait montrer, par impossibilité matérielle (une bataille) ou interdit moral (la mort ou la mutilation) ; le récit de mort dans la tragédie racinienne représente l’aboutissement classique de cette théorie de la bienséance. Mais quelles ressources le langage poétique et dramatique convoque-t-il pour dire ce qu’on ne veut pas voir ? Quel statut et quelles caractéristiques a le discours de celui qui a vu ce que les autres ne sauraient voir — par indifférence, par pudeur, ou simplement en vertu des circonstances ? Plus largement, cette posture a quelque chose de paradigmatique, et le photographe ou le reporter de guerre, le survivant, le témoin, sont dans la position de Théramène : ils ont vu l’événement qui a (quelle qu’en soit la raison) échappé à leur public. 

En étudiant l’un ou l’autre de ces cas de figure, on pourra par exemple réfléchir sur le processus qui préside au choix exclusif de telle ou telle perspective, ou on pourra se demander au contraire quels sont les moyens utilisés pour faire apparaître ce qui, officiellement, n’est pas donné à voir, et quel impact cela peut avoir sur ce qui est en pleine lumière, pour comprendre comment se joue la confrontation entre le perçu et l’inaperçu.

2. Le détail

Au contraire du hors-champ, dont l’absence est définie plus ou moins ostensiblement par le point de vue, le détail est « toujours déjà » là : simplement, il échappe au regard, même en plein milieu du cadre, telle la panthère des neiges que poursuivent Vincent Munier et Sylvain Tesson (La Panthère des neiges, 2019). Le même zoom qui peut révéler le hors-champ (zoom out) peut aussi bien révéler le détail (zoom in) ; mais alors que le hors-champ représente une confrontation avec l’inconnu ou l’insoupçonné, le détail inaperçu est confrontation avec l’évidence et l’a priori. Plus qu’un simple problème d’échelle (évidemment présent), il engage la préconstruction du regard : prêter attention aux détails, c’est remettre en jeu les grilles cognitives qui encadrent notre approche des images et des discours.

Cette remise en cause a été paradigmatiquement explorée par Daniel Arasse (Le Détail. Pour une histoire rapprochée de la peinture, 1992). La réflexion qu’il mène sur la peinture peut sans doute être transposée à toutes les images dont il sera question dans ce colloque ainsi qu’au processus de mise en scène (verra-t-on vraiment les boutons du costume de scène depuis la salle ? Et pourtant ils y sont, et pour une raison). Interrogeant simultanément l’acte de création, la perception qu’en a le spectateur/lecteur et l’interprétation qu’il en donne, la sensibilité au détail est un parti-pris qui jette un doute sur les conventions et les catégories classiques. En mettant au centre ce qui est donné comme insignifiant et secondaire, l’analyse du détail choisit le chemin de traverse, l’écart pour revisiter une œuvre. Cette analyse peut également mettre en lumière l’inscription de l’auteur dans son œuvre sous la forme, par exemple, d’un autoportrait glissé dans un coin du tableau ou par l’insertion discrète d’un élément biographique. L’inaperçu est alors ce qui permet de percevoir autrement. 

Il touche également les stratégies discursives relatives à la description, dont Daniel Arasse a étudié les enjeux dans la critique et l’interprétation de l’art (On n’y voit rien !, 2001). Le tableau a beau être là tout entier, ce n’est qu’en en parlant (même à soi-même), c’est-à-dire en en faisant un objet de langage, que l’on construit son rapport à l’image. L’apport des disciplines textuelles est alors déterminant.

3. Le spectateur/lecteur

L'inaperçu, enfin, peut prendre les traits du spectateur/lecteur, de celui qu’on ne voit pas directement et a priori sur l’image ou sur scène, mais qui est invariablement présent en tant que destinataire. En ce sens, l’inaperçu, c’est celui qui perçoit l’image au final, telle qu’elle a été créée, avec et sans lui. La place du spectateur est une question centrale au théâtre, mais elle se pose également pour les autres arts. Elle est au cœur de l’étude du phénomène de réception, mais touche également à la création et elle peut être envisagée selon deux perspectives complémentaires. L’analyse de la façon dont le spectateur peut être pris en compte, intégré, inclus ou, au contraire, rejeté par celui qui fait l’image est indissociable d’une étude des moyens par lesquels le spectActeur peut intervenir sur ce qu’il voit. On portera son attention sur les mises en abyme, les jeux de miroir ou les formes de mimétisme et également sur l’importance des stimuli et des réactions sensorielles, des réponses cognitives et émotionnelles face à un spectacle ou à une image et on essaiera de voir dans quelle mesure ils peuvent, ou pas, les transformer. Dans la lignée des recherches récentes sur la « cognition incarnée » (embodied cognition), on pourra s’appuyer sur les apports des neurosciences pour essayer de comprendre « l’engagement physique et intellectuel du spectateur ». Cet axe de réflexion peut aboutir, pour ceux qui interviendront sur le théâtre, à un essai de théorisation sur le phénomène théâtral. Comme le dit en effet Luk Van den Dries, « nous devons laisser l’axe dominant de distance et de proximité, un axe qui a surplombé  le  théâtre  de  Stanislavski  à  Brecht,  derrière  nous.  Distance  et proximité  impliquent  un  dualisme  entre  regarder  et  montrer.  Si  nous voulons   décrire   la   place   et   le   rôle   du   spectateur   dans   le   théâtre contemporain,  nous  devons  quitter  ce  dualisme  et  développer  une  nouvelle terminologie  plus  apte  à  décrire  le  processus  unifiant ». Ce jugement porté sur le théâtre contemporain pourra être mis à l’épreuve d’autres types de théâtre, et notamment du théâtre antique (d’autant que se prolongent là des réflexions présentes dès la Poétique d’Aristote). Ce questionnement remettra naturellement en cause le statut du spectateur qui, à ce moment-là, sort de l’inaperçu pour se placer au centre du dispositif créatif.

MODALITÉS DE SOUMISSION DES PROPOSITIONS

Les propositions de communication doivent être transmises par courrier électronique jusqu’au 1er avril 2022 dernier délai aux deux adresses suivantes : dimitri.garncarzyk@univ-perp.fr et jay-robert@univ-perp.fr.

La réception de chaque proposition donnera lieu à un accusé de réception par courriel.

La proposition livrée en fichier attaché aux formats rtf, docx ou odt, sera composée :

  • d’un titre provisoire,
  • du projet de communication de 10 à 15 lignes maximum,
  • du rappel des travaux de l’auteur en lien avec le sujet proposé.

Le comité scientifique s’engage à remettre son avis circonstancié au plus tard le 2 mai 2022.

PARTICIPATION AU COLLOQUE

Les auteurs retenus seront conviés à venir présenter leurs travaux à Perpignan dans le cadre d’une communication orale de 20 minutes.

Les résumés des communications, les notes biographiques et les éléments de positionnement scientifique seront mis à disposition avant le colloque sur un site dédié.

PUBLICATION

La publication dans les actes est conditionnée à la participation au colloque.

Une publication ultérieure dans une revue scientifique à comité de lecture sera effectuée. Les textes seront soumis au conseil scientifique du colloque qui fera le travail d’édition et au comité de lecture de la revue.

CALENDRIER (DATES IMPORTANTES)

  • Date limite d’envoi des propositions : vendredi 1er avril 2022.
  • Notification d'acceptation des propositions : lundi 2 mai 2022.
  • Colloque : vendredi 9 et samedi 10 septembre 2022, en centre-ville de Perpignan.