Atelier

Lettrés contrariés et batailles de voix après Jules Vallès :

Henri Calet, Annie Ernaux, Gaston Cherpillod, Édouard Louis

Par Jérôme Meizoz

Université de Lausanne



Cet essai est initialement paru dans Autour de Vallès, no. 44, 2014 (Actes du colloque Jules Vallès, RIRRA 21, Université Paul-Valéry, Montpellier, mai 2014); il est reproduit dans l'Atelier de Fabula avec l'aimable autorisation de l'auteur et de la revue.


Dossier Champ





«Savez-vous de quoi le monde a l'air, vu d'en bas ?» —August Strindberg, Mademoiselle Julie



L'Enfant comme Le Bachelier et L'Insurgé posent très tôt une question, bientôt mise à l'ordre du jour de la Troisième République, celle de «l'enfant pauvre qui réussit», promu par l'école (Jacques Revel). Ces romans dramatisent l'écart entre la culture populaire (orale) et l'entrée dans l'univers de la bourgeoisie (écrit), ils questionnent la literacy comme processus d'acculturation aux mondes de l'écrit (Meizoz 2011). La trajectoire du transfuge social est un motif littéraire émergent des années 1850-70, nourri chez Jules Vallès de son expérience personnelle mais aussi de la lecture des Confessions de Rousseau et de Dickens.


Jules Vallès


Dans L'Enfant, Jacques admire le franc-parler et le «langage hardi»[1] qu'il surprend dans la rue[2]. Dans ses romans «à la sauce verte»[3], Vallès met en scène la polyphonie sociale qui dément l'unicité factice de la langue réduite à sa grammaire. Il l'aborde à partir d'une des grandes tensions culturelles de la France depuis 1789, celle de l'écart entre le français national scolaire, diffusé par l'état et l'école, et le «patois» que parle une bonne partie de la population.


Cette contradiction culturelle, le romancier la met en scène chez les parents de Jacques:


«La soirée de la bourrée lui a complètement tourné la tête, elle s'est grisée avec son succès ; restant dans la veine trouvée, s'entêtant à suivre ce filon, elle parle charabia tout le temps, elle appelle les gens mouchu et monchieu.

Mon père à la fin lui interdit formellement l'auvergnat.

Elle répond avec amertume :

“Ah ! c'est bien la peine d'avoir reçu de l'éducation pour être jaloux d'une femme qui n'a pour elle que son esprit naturel ! Mon pauvre ami, avec ta latinasserie et ta grécaillerie, tu en es réduit à défendre à ta femme, qui est de la campagne, de t'éclipser !”

Les querelles s'enveniment.

“Tu sais, Antoine, je t'ai fait assez de sacrifices, n'en demande pas trop ! Tu as voulu que je ne dise plus estatue, je l'ai fait. Tu as voulu que je ne dise plus ormoire, je ne l'ai plus dit, mais ne me pousse pas à bout, vois-tu, ou je recommence.”» (L'Enfant, p. 309)


Le plurilinguisme social signalé par les italiques restitue aussi bien la voix de la mère («mouchu») que la perception du dialecte par son époux («charabia»).


Comment ne pas entendre aussi dans ces propos, démystifiant le savoir du père bachelier, un réquisitoire du romancier contre l'inadéquation des modèles scolaires («latinasserie») aux expériences des gens ordinaires ?


Jacques d'ailleurs, dans cette scène, se fait un instant complice de sa mère, s'adressant à son père en auvergnat pour le fâcher (p. 310). Mais cette complicité d'un instant est renversée par la sévère condamnation du personnage de la mère, dans l'ensemble du roman.


Dans Le Bachelier, Jacques se dit encore pris «entre le dictionnaire latin-français de mon père et l'éducation paysanne de ma mère !»[4].


Dans L'Insurgé (1886), la tension entre oral et écrit n'est plus thématisée dans la famille, mais à propos des positions sociales et politiques. Lors de la Commune, Vingtras note avec un plaisir non dissimulé l'accession du cordonnier Rouiller au ministère de l'Instruction publique :


«Dans son sac d'orateur il a de la fantaisie et du solide, de même qu'il porte, dans sa “toilette” de serge, des mules de marquise et des socques de maçon.

Tribun de chand de vin, curieux avec sa gouaillerie et ses colères, maniaque de la contradiction, éloquent devant le zinc et au club, toujours prêt à s'arroser la dalle, défendant toutes les libertés… celle de la soûlaison comme les autres !» (p. 1036) [5].


Et de commenter :


«[…] cet orateur de mastroquet a l'intelligence plus nette, l'esprit plus haut, que les savants au teint jaune, à l'allure vénérable, que j'ai vus pâlir sur les vieux livres […]» (p. 1038)


De même le responsable du Ministère de l'Intérieur, Grêlier, est un garçon de lavoir parisien qui «fusille l'orthographe» et organise «une insurrection terrible contre la grammaire.» (p. 1033)


L'expérience transfuge se manifeste ici dans la cohabitation des langages et cela a été suffisamment souligné chez Vallès pour que je ne développe pas. J'aimerais maintenant interroger ses modalités dans quelques œuvres postérieures à celle de Vallès.


Transfuges


La tradition du récit de transfuge, à laquelle on peut attacher Vallès, se perpétue au XXe siècle et chez les auteurs contemporains. Le motif de l'écart entre les milieux sociaux de référence informe à divers degrés les romans de Charles-Louis Philippe, C.-F. Ramuz, Jean Guéhenno, Louis Guilloux, Henry Poulaille, Eugène Dabit, Henri Calet, L.-F. Céline. Il est ensuite repris par Albert Camus dans le récit posthume Le Premier homme. Enfin, plus tard sous d'autres formes chez Annie Ernaux (La Place, 1983), Pierre Michon (Vies minuscules, 1984), Pierre Bergounioux (La Mort de Brune, 1996), Richard Millet (Lauve le pur, 2000) ou Édouard Louis (En finir avec Eddy Bellegueule, 2014). En Suisse, du fait d'un système scolaire très différent, cette tradition est moins institutionnelle, mais néanmoins incarnée par Gaston Cherpillod (Le Chêne brûlé, 1969) ou l'écrivain italophone Alberto Nessi (Le Train du soir, 1992).


Depuis les années 1970, de tels récits empruntent autant aux modèles littéraires antérieurs qu'aux sciences sociales qui ont étudié de près les conséquences de la mobilité sociale à l'ère démocratique. Voire aux sociologues qui ont fait eux-mêmes le récit de ce type de trajectoire, ainsi 33, Newport street. Autobiographie d'un intellectuel issu des classes populaires, de Richard Hoggart (1991), l'Esquisse pour une auto-analyse de Pierre Bourdieu (2004) ou plus récemment Retour à Reims de Didier Eribon (2009). Issus de milieux populaires dont ils se sont en partie détachés par l'école, ces auteurs s'expriment d'une situation contrariée ou clivée de «transfuges». Nombreux sont ceux qui tentent l'anamnèse d'une mémoire familiale et sociale lacunaire, dont dépend leur liberté future. Sur ce thème, plutôt que de citer Annie Ernaux très souvent convoquée, je convoquerai Pierre Bergounioux :


«Le poids du passé est sujet à varier, son emprise sur le présent relative à l'endroit, au moment. Il était doublement accablant sur les marches limousines de ma jeunesse parce qu'il était inscrit dans les structures matérielles sans être écrit nulle part. Il habitait les gestes, les pensées qu'il maintenait informulées, le paysage. Il effaçait ses traces, semait l'oubli. Mon père n'a rien su de rien, prématurément disparu, ni, par suite, de son ascendance. Une partie, au moins, du travail qui m'occupe, vise à retrouver ce qui s'est perdu en février 1917. Le peu que j'appris de cette grande nuit je le tiens, soit des registres impersonnels, fort secs, de l'état civil, soit de la source intime, douteuse, toute subjective, que constituent les tropismes et les phobies auxquels on est sujet dès le début et qui viennent, à l'évidence, de très loin. Ils sont l'énigmatique séquelle, l'inertie puissante d'une histoire oubliée qu'il importe de tirer au clair dans toute la mesure ou cela se peut, si l'on entend être libre, faire un peu ce que l'on veut.

Tout ne commence pas avec nous. […] L'inné, c'est l'acquis antérieur, les pertes aussi, surtout. C'est le récit lacunaire, effacé qui précède notre petit chapitre, celui que nous tentons d'écrire à la clarté de la conscience tardive, effrayante, qui nous a été concédée. Il importe d'identifier ceux que nous avons été, avant, pour leur rendre justice, bien sûr, mais pour s'en libérer aussi, vivre au présent, être soi.»[6]


Ayant quitté sa Corrèze natale, Bergounioux, devenu normalien, s'approprie les outils et concepts qui lui permettront de porter au jour tout ce que sa petite patrie d'origine gardait d'informulé ; qui l'aideront à voir sous l'anecdote locale un idéal-type et sous le détail de la vie ordinaire un système anthropologique. Savoirs qui expliquent la tension culturelle et sociale incarnée en lui et ceux de sa génération, passés en quelques années des rythmes ancestraux à la modernité urbaine, des patois au français, des travaux de force à la vie de lettré :


«J'ai le sentiment qu'on m'a fait un cadeau nonpareil, une grâce très merveilleuse, qu'on a permis que je reste jusqu'à 25 ans à user mes fonds de culottes sur les bancs de l'école. Ceux qui m'ont précédé sont partis au travail à 14 ans. On ne leur a pas donné la possibilité de s'attarder dans ce lieu protégé qu'est l'école, pour se doter des outils, des notions, des armes de l'esprit grâce à quoi on peut comme personne s'emparer de sa propre histoire.»[7]


La topique du transfuge connaît une déclinaison particulière dans le domaine de la langue littéraire. Je propose d'examiner cette question à partir de quelques exemples tirés des œuvres de Calet, Cherpillod, Ernaux et Édouard Louis.


Ethos populaire et oralité


Roland Barthes notait dans sa réflexion sur l'écriture «neutre» ou «blanche» :


«Dans n'importe quelle forme littéraire, il y a le choix général d'un ton, d'un éthos, si l'on veut, et c'est ici précisément que l'écrivain s'individualise clairement parce que c'est ici qu'il s'engage.»[8]


Alors que le style relève selon Barthes du tempérament et de la pulsion biologique, l'écriture quant à elle constitue un choix issu de «la réflexion de l'écrivain sur l'usage social de sa forme et le choix qu'il en assume.» (p.15). C'est dans l'écriture que l'engagement de l'écrivain se joue, au sens où celle-ci engage un positionnement dans le langage et le monde social. D'où les remarques de Barthes sur le neutre et l'écriture blanche d'Albert Camus, par exemple. Renée Balibar (1974) a ainsi montré que le style de Camus s'élabore consciemment et politiquement, sur la base du français de l'école communale, la forme de langue commune au plus grand nombre.


Chez les transfuges abordés ici, un point commun se dégage au-delà des différences notoires : une interrogation persistante quant au statut de l'oralité. Tentative de la représenter dans le roman, d'une part, et d'en montrer le statut conflictuel, métaphore des tensions sociales incarnées dans la trajectoire des auteurs.


Henri Calet


Le premier roman d'Henri Calet, La Belle lurette (1935), est paru dans le contexte des premiers succès du «populisme» littéraire (le prix Populiste a été créé en 1931, Dabit l'obtient en 1933, Sartre en 1940). Ce récit d'enfance, dont l'intertexte vallésien est manifeste, traite la question du transfuge sur le plan sociolinguistique par des représentations de l'oralité connotant des différences sociales. Conformément au courant contemporain du «roman parlant»[9], l'oralité y est mise en texte à plusieurs niveaux:


- Sur le plan de la graphie : recours à des orthographes phonétiques à effet comique, comme Queneau : les «ouatters» (p. 146) ou imitant la prononciation d'un personnage («Médème» pour «Madame», p. 57, 134 ; «Pas d'vâne», p. 60), le GAAZ (p. 80)). Dans les dialogues rapportés, la prononciation est représentée par de nombreuses élisions («J'vous r'mercie, M'sieur Antoine, gr'ace à vous j'lai touché.» /«J'te l'avais dit, mon p'tit […]» (124).


- Sur le plan syntaxique : le narrateur s'autorise quelques élisions («Il n'y a pas d'bon dieu.» (p. 136)) ; des usages oralisés du «ça» à la place de l'écrit «cela» («De la filature à l'hôpital, ça c'est le vrai circuit» (p. 96) ; occurrences nombreuses de ce que les stylisticiens appellent les dislocations : «Elle avait changé de route, Ernestine.» (p. 96), «Elle est morte à l'hôpital, la belle putain.» (p. 96) «Quinze ans de printemps, c'était son âge.» (p. 102) «C'était elle la belle vache maintenant.» (p. 118), «L'échelle sociale, il la descendait.» (123), «Elle s'écoutait, Madame Jules» (p. 150). Enfin, de nombreuses exclamations ponctuant la narration : «Au fond, oui», «Voyez-vous ça !» (p. 93), «Une Providence, en un mot.» (p. 94) «C'était chic de sa part.» (p. 97), «Jalousie !» (p. 106).


- Sur le plan énonciatif : dans les fréquents retours à la ligne qui isolent des phrases et rythment donc la lecture à la manière de versets. Cette dramaturgie de la page signale visuellement les zones pathétiques du récit, les jeux de mots, les énoncés ironiques. Elle contribue à théâtraliser l'énonciation du récit, comme chez Vallès.


La dynamique stylistique du récit tient au télescopage constant des niveaux de langage (élevé/bas). En général, le bas se limite dans les dialogues des personnages («J'viens d'pisser», p. 39) ou des expressions attribuées à ceux-ci, comme le sobriquet «Mes Couilles» pour M. Slache (p. 80) ; «Madame Caca» pour la mère du narrateur (p. 93) ; la prostituée Nana alias «Cul pourri» (p. 164). Mais le narrateur recourt aussi parfois au langage bas («Broute ! bouffe ! mon vieux !» (p. 121), «gonzesse» (p. 164)), simultanément à des formules châtiées («Alors, rompant les liens du sang, je m'en suis allé.» (p. 120), «Je m'en suis aller pleurer métaphoriquement dans le gilet de mon autre papa.» (p. 121)).


L'effet de cette coexistence des formes atteint son maximum quand la tension noble/bas implique engage aussi bien le lexique que la visée sémantique globale d'une scène, comme dans le cas suivant :


«Jeune étudiant, j'arborais fièrement la casquette de velours bleu, enrubannée, à longue visière cassée bien propre à couvrir les regards tordus d'un garçon pubère. J'avais un pli de pantalon épatant. Le poil m'était venu au menton, au ventre, au creux de la poitrine. Partout, ce qui d'abord me surprit et me désola. Je devais en avoir aussi sur ma jolie petite âme. Et, ma voix muait sans qu'il me fût possible d'en maîtriser les écarts de l'aigu au grave. Malgré ces avatars, inévitables, le moral, sinon la morale, était bon.» (La Belle lurette, p. 98)


L'opposition poil/âme recouvre celle entre le moral/la morale, autrement dit la contradiction pascalienne entre la bête et l'ange, le matériel et le spirituel. Le garçon peine à dissimuler l'émergence des exigences corporelles (puberté) sous le masque des apparences morales.


Même effet lors de la grève, quand le langage du patron est juxtaposé à celui de l'ouvrier devenu le narrateur:


«[Le patron] s'était choqué comme on l'est quand quelqu'un s'oublie en société. Amer, il continua :

— Puisque c'est ainsi que l'on récompense ma bonté, je sévirai.

(On est obligé d'être vache).

Les contremaîtres dressèrent les listes d'éléments douteux.

J'en fus.» (p. 160)


L'énoncé patronal, en langage châtié, est immédiatement retranscrit dans le langage dé-censuré du narrateur-ouvrier. L'argument pro domo du patron est retourné, par cet effet de traduction parodique et ainsi réduit à de la pure mauvaise foi. Des procédés analogues sont à l'œuvre dans Mort à crédit de Céline (1936), roman paru un an plus tard, à l'intrigue par ailleurs très voisine : la dérive progressive d'un fils de pauvre, dans le monde de l'école et du travail, vers une forme de petite délinquance de banlieue.


Le roman met en scène les formes du «plurivocalisme» social dont parlait Bakhtine. Mais surtout, en confiant au narrateur un langage à connotation ordinaire voire bas, il touche au dispositif classique du roman. En effet, la régie narrative n'a plus le privilège de la langue noble, accordant au passage le langage relâché aux personnages populaires. Ici, même la voix narrative est touchée par l'effet plurivocal. Une telle discordance formelle peut se comparer à celle qu'on a observé en peinture entre le format et le sujet : ainsi Gustave Courbet a-t-il donné un cadrage large et le grand format de la grande peinture historique à un sujet bas (un enterrement de campagne). Ce n'est pas le thème de Courbet qui a choqué les spectateurs, mais l'inadéquation entre le format et la sujet. De même, dans le récit de Calet, le conflit porte non seulement sur la démocratie linguistique (l'affrontement de classe entre les langages) mais, comme chez Céline ou Queneau, sur la transgression de conventions représentationnelles.


Gaston Cherpillod


Je disais que la tradition du transfuge n'est pas très visible en Suisse, à quelques notables exceptions. Ainsi de l'écrivain tessinois Alberto Nessi (né en 1940), qui a chroniqué son enfance de fils d'un ouvrier et d'une couturière et l'accès au monde des livres dans Le Train du soir (Tutti discendono, 1989[10]). Dans ce récit d'enfance à la fois nostalgique et ironique, marqué par la figure de l'oncle anarchiste adoré, et par l'affection pour le petit peuple de la région du Mendrisiotto, bien des motifs évoquent Jules Vallès. Ainsi le rapport à l'écriture, quand l'enfant s'initie, en classe, à la composition:


«Au vol lyrique du martin-pêcheur de mes classes primaires succéda au collège le crachat de Lirun, un manœuvre que je voyais travailler au chantier des égouts, en dessous de chez nous. Ma composition, lue devant la classe, sema l'effroi dans le premier rang où avaient pris place les filles qui me plaisaient le plus […]» (Le Train du soir, p. 43).


Peu après, la mère reçoit une lettre officielle de l'école, avec ce verdict : «Écrit des phrases qui ne sont pas dignes d'un futur instituteur.» (p. 54). Et lors de la réunion des professeurs, un pédagogue s'exclame au sujet du jeune garçon:


«“Si l'un de mes élèves avait écrit une phrase de ce genre, voilà ce que j'aurais fait !” — et il déchire le cahier sous le nez de ces collègues. […]


Cette histoire d'indignité avait commencé dans la salle de classe du rez, quand le professeur avait écrit sur le tableau noir les titres de composition et moi, sentant dans l'air un parfum de raisin américain, je compris que mon monde le plus vrai, c'était celui que j'avais laissé dans la ferme jaune, au village. Et c'est sur ce monde-là que je décidai d'écrire.» (Le Train du soir, p. 55).


Comme chez Vallès, ce qui est donné comme l'origine de l'écriture, c'est le choix d'une fidélité à l'expérience initiale, par delà les acquis de l'apprentissage social.


Traitement très différent chez l'écrivain suisse Gaston Cherpillod (1925-2013), communiste dans sa jeunesse, libertaire de cœur, auteur d'un essai intitulé Jules Vallès peintre d'histoire (1991). Dans son récit autobiographique Le Chêne brûlé (1969) qui évoque lui aussi une trajectoire de transfuge, il note à propos de son goût pour les nourritures fortes et la bombance :


«C'est pour cela que je déteste Proust avec ses “petits pois comme des billes vertes dans un jeu”. Sale fils à papa, tu joues avec la bouffe, toi. On voit bien que du côté de chez Swann on n'a jamais souffert de la faim : on respectait la nourriture, maigre et chèrement acquise, du côté de chez Cherpillod. Il ne nous serait pas venu à l'esprit de considérer le légume comme du verre, de traiter de minéral un produit comestible ; nous n'avions pas la fibre artiste au sens où l'entendent les professeurs ; notre goût siégeait dans la bouche et il me faudra du temps pour comprendre l'autre acception. Je hais en Proust — criez au sacrilège : je sais que vous préférez les morts fameux aux inconnus vivants. Quelle brute, ce Cherpillod, de s'attaquer ainsi à la petite madeleine et aux intermittences du cœur ! [….] — je hais en Proust l'archétype de l'écrivain bourgeois.» (Le Chêne brûlé, p. 40).


Autour de la nourriture et de la littérature s'organisent ici des dispositions sociales inconciliables qui opposent le grand bourgeois esthète et la concrétude du jeune homme pauvre comme le jugement esthétique s'oppose à l'usage pratique.


Dans un domaine voisin de la bonne chère, celui de l'Éros, Cherpillod fait voir un affrontement du même type entre les désirs physiques et la métaphysique scolaire:


«Le christianisme a systématisé la folie platonique : comme des millions d'hommes avant, en même temps que moi, la répression sexuelle m'accabla. Jamais je ne pardonnerai au vieux mort ni à ses légataires innombrables : mon sexe, ils l'ont mis en cabane jusqu'à ma vingtième année. C'est pour cela qu'à seize ans je déclinai les offres d'une jeune fille qui avait le sang aussi vif que le mien, mais plus pur : elle n'avait pas suivi les cours de l'école secondaire. Ouvrière, elle ne transformait pas le pucelage en une dot : elle n'avait rien à perdre. L'instruction religieuse glissait sur son cœur tandis qu'elle m'imprégnait, cette eau baptismale croupie. Sinistre dualiste, à la suite de cent crétins, je séparai l'âme du corps : respectant l'odieuse hiérarchie — de la bête avilie à l'ange qu'on exalte — je donnai dans le classique panneau bourgeois, moi qui étais assailli de besoins, gros garçon, tout prolétariens. Que résultat-il de l'affrontement d'Eros et du Châtreur en chef ? On le devine aisément : plus souvent que la décence, je sacrifiai aux jeux auto-érotiques ; Onan put faire le pied de nez à Jésus. J'étais devenu le champ de bataille que se disputaient les deux faux dieux. A dix-neuf ans, je m'amourachai d'une môme plate comme la main ; comme il se doit, je la diviniserai ; j'en ferai, autre avatar de la mère froide, une sainte. Une amie qui l'a connue aujourd'hui s'indigne : — Toi qui avoues tes gros goûts, comment as-tu pu être pincé pour Odile ? Elle n'avait pas de seins. Justement, je les lui avais tranchés… Le sacrificateur m'avait refilé le couteau.» (Le Chêne brûlé, pp. 81-82, c'est moi qui souligne ).


La différence des univers sociaux s'exprime ici, non plus dans la seule dimension thématique des habitus divergents, mais dans la langue même du récit : le français cultivé, aux références littéraires et théologiques que le narrateur a acquis, premier de sa lignée, sur les bancs de l'université s'affronte dialectiquement à l'oralité (signalée en italiques) du monde d'origine. Oralité contre literacy, sexe joyeux contre abstinence vertueuse, bonne chère contre minceur ascétique, le monde de valeurs du narrateur s'organise dans la tension entre des référents inconciliables.


Annie Ernaux


La signification proprement sociale et politique de l'acte d'écriture, Annie Ernaux l'assume pleinement et en réfère d'ailleurs explicitement à l'«écriture» selon Barthes[11]. Ce qu'elle a nommé l'«écriture plate» permet de contrôler l'énonciation et ses valeurs, d'«éviter la complicité, la connivence de classe, avec le lecteur supposé dominant» afin de «l'empêcher de se situer au-dessus de [son] père. C'est un choix politique, nécessaire, intransigeant.»[12]. Pour maintenir cet effet, le matériau du récit se compose avant tout des mots venus de l'origine, avant tout de l'oralité familiale.


Elle assume donc la fracture entre l'oralité familiale et le français lettré. La volonté de ne pas reconduire les hiérarchies sociolinguistique se lit dans la manière de traiter les mots du monde qualifié par condescendance «d'en bas». Cités en discours rapporté (guillemets ou italiques), ces langages occupent une place importante dans les récits où ils agissent comme témoins d'un plurilinguisme social conflictuel. La narratrice s'efforce de ne pas adopter un point de vue normatif, issu du jugement scolaire, sur ces manières de dire.


La «littérature», conçue comme un canon de textes diffusés par des institutions savantes, suscite un effet d'intimidation culturelle sur ceux qui ne possèdent pas les codes d'appropriation, ici le père de la narratrice[13].


«Puisque la maîtresse me “reprenait”, plus tard j'ai voulu reprendre mon père, lui annoncer que “se parterrer” ou “quart moins d'onze heures” n'existaient pas. Il est entré dans une colère violente. Une autre fois [j'ai dit] : “Comment voulez-vous que je ne me fasse pas reprendre, si vous parlez mal tout le temps !”. Je pleurais. Il était malheureux.» (La Place, pp. 57-58)


La narratrice, devenue adulte, rejette les valeurs au nom desquelles la jeune fille scolarisée jugeait la parole de son père. Une neutralité de jugement s'impose selon l'éthique d'ethnologue, en quelque sorte, qu'affirme Ernaux ou telle qu'elle est pratiquée par la sociolinguistique[14]. Pourtant nombre de commentaires narratifs portent un jugement sévère à l'encontre des usages littéraires de la langue populaire. Comme chez Cherpillod, on retrouve ici Proust en repoussoir bourgeois:


«Le patois avait été l'unique langue de mes grands-parents.

Il se trouve des gens pour apprécier le “pittoresque du patois” et du français populaire. Ainsi Proust relevait avec ravissement les incorrections et les mots anciens de Françoise. Seule l'esthétique lui importe parce que Françoise est sa bonne et non sa mère. Que lui-même n'a jamais senti ces tournures lui venir aux lèvres spontanément.» (La Place, p. 56)


Non contente de faire voir la guerre des registres et ses fondements sociaux, mettant en question par là-même le français national scolaire comme modèle unique, Ernaux attaque (après Céline) le jugement linguistique d'un monument littéraire, Marcel Proust. Tout en dénonçant la perception déréalisée des milieux populaires qui a cours dans la culture lettrée, Ernaux s'est appropriée ces outils de pensée et d'écriture, allant même jusqu'à dire qu'elle «utilise le savoir-écrire “volé” aux dominants.»[15]. Cette «posture» littéraire explicite, se signale par son ambivalence à l'égard de la tradition lettrée.


D'Eddy à Édouard


En finir avec Eddy Bellegueule (2014), le «roman» signé du pseudonyme d'Édouard Louis, constitue un récit autobiographique à peine transposé, puisque l'auteur s'y présente sous son nom civil[16]. Il ne s'agit pourtant pas d'une autofiction puisque dans la presse, Louis précise la dimension sociologique et testimoniale de son entreprise. Fils de famille nombreuse de Picardie, d'un milieu guetté par la misère, de père alcoolique et sans travail, il a fui sa famille et signe ce roman sous un nom nouveau qui symbolise sa seconde vie. Le parcours de l'enfant pauvre jusqu'à la découverte libératrice des livres et du savoir forme le point de fuite du récit. De son point de vue d'étudiant boursier à Paris, Édouard Louis relate la misère économique, culturelle et morale dont Bellegueule est issu.


Le roman se compose de courts chapitres dont les titres rappellent ceux de L'Enfant de Vallès («Les manières», «Au collège», «Les histoires du village»). La vie familiale et sociale y est relatée sous forme de scènes voire de sketches (s'ils n'étaient pas aussi sordides ou tragiques) dont l'action est avant tout verbale. En effet, il s'agit moins de raconter une suite d'actions qu'une série d'interactions verbales où se creuse le fossé entre le langage familial et celui adopté par l'auteur. Fossé phraséologique, culturel et idéologique en même temps. Cette dialectique verbale constitue un autre point commun avec Jules Vallès qu'Édouard Louis, vingt et un ans en 2014, précise ne pas avoir lu[17].


Alors que le récit du narrateur est donné en français national standard, dans une langue explicative voisine de la norme scolaire, celle des parents, de la fratrie et des jeunes du village est entièrement représentée en italiques, pour souligner ses tournures :


«Les repas étaient faits uniquement de frites, de pâtes, très occasionnellement de riz, et de viande, des steaks hachés surgelés ou du jambon achetés au supermarché hard-discount. Le jambon n'était pas rose, mais fuchsia et couvert de gras, suintant.

Une odeur de graisse, donc, de feu de bois et d'humidité. La télévision allumée toute la journée, la nuit quand il s'endormait devant, ça fait un bruit de fond, moi je peux pas me passer de la télé, plus exactement, il ne disait pas la télé, mais je peux pas me passer de ma télé.

Il ne fallait pas, jamais, le déranger devant sa télévision. C'était la règle lorsqu'il était l'heure de se mettre à table : regarder la télévision et se taire ou mon père s'énervait, demandait le silence, Ferme ta gueule, tu commences à me pomper l'air. Moi mes gosses je veux qu'ils soient polis, et quand on est poli, on parle pas à table, on regarde la télé en silence et en famille.

À table, lui (mon père) parlait de temps en temps, il était le seul à en avoir le droit. Il commentait l'actualité Les sales bougnoules, quand tu regardes les infos tu vois que ça, des Arabes. On est même plus en France, on est en Afrique, son repas Encore ça que les boches n'auront pas.

Lui et moi n'avons jamais eu de véritable conversation.» (En finir avec Eddy Bellegueule, p. 111)


On le devine, Édouard Louis a lu Pierre Bourdieu et Annie Ernaux. Alors que l'argumentaire légitimiste de Bourdieu gouverne tout le récit, c'est avant tout l'intertexte de Ernaux que l'on identifie dans l'extrait ci-dessus : la tension entre la langue du père et celle du fils, le malaise éprouvé devant cette manière de s'exprimer. Notons encore ici un procédé formel : l'usage répété d'adverbes ou d'adjectifs à modalité exclusive : «Les repas étaient faits uniquement…», «Il ne fallait pas, jamais, …», «il était le seul…», «Lui et moi n'avons jamais eu…» (je souligne). Ce procédé affiche une radicalité sans exception : les scènes permettent ainsi une généralisation emblématique des mœurs populaires présentées comme une suite de situations figées ou prévisibles. Or, procédé de l'écriture sociologique, la montée en généralité se conquiert ici par un tour de force stylistique.


Ce qui est neuf, par contre, dans la tradition du récit de transfuge, c'est la découverte concomitante, dans un milieu populaire exaltant la virilité sous toutes ses formes, de sa condition homosexuelle, qui vaut à Bellegueule insultes, humiliations et même des violences. Édouard Louis a été élève de Didier Eribon à Amiens, il dit avoir été bouleversé par la lecture de Retour à Reims (2009), ouvrage voué à illustrer de manière presque didactique la théorie de Bourdieu, qui rend compte d'une expérience de transfuge doublée de la découverte de sa propre homosexualité.


Mais quelque chose se distingue fondamentalement de l'expérience relatée par Vallès, Calet ou Ernaux : alors que chez ceux-ci, comme chez Céline, la langue ordinaire est présentée sur un mode populiste comme une manière crue mais authentique de dire le monde, Édouard Louis met en scène la langue des parents de manière inverse : la voilà perçue sur un mode misérabiliste, au sens de Grignon et Passeron (1989), véhicule de l'aliénation (alimentaire, médiatique, éducative, etc.) et de l'ignorance des pauvres. Phraséologie violente, raciste et autoritaire aussi, prototype de la langue «fasciste» selon Barthes, incarnée ici dans celle du Front national. Langue d'insultes et d'exclusion, présentée comme une lacune, un stigmate, bref une privation émotionnelle, culturelle ou sociale[18].


Le jeune Eddy subit ce langage sans le reconduire au-delà de sa personne. Tout le récit postérieur de l'adolescence souffrante, donné dans un français national scolaire, s'en distancie avec soin. Autrement dit, cette langue dite populaire se trouve rejetée dans l'indignité sociale et politique. De même, on «en fini[t] avec Eddy» pour signer désormais d'un «Édouard» aux connotations bien plus prestigieuses, voire aristocratiques comme d'ailleurs le pseudonyme patronymique «Louis». Ainsi le roman conduit-il, en creux, à un éloge de l'accès à l'éducation, seule chance d'échapper à l'obscurantisme provincial.


Certes, les personnages, tels le cousin Sylvain, sont décrits comme des victimes de la «violence de classe» et le narrateur ne les charge pas explicitement. Soit. Mais le jugement implicite qui en découle n'est-il pas plus dévastateur encore ? En effet, le point de vue du narrateur suscite un effet de distance axiologique pour ne pas dire de description stigmatisante, que la sociologie classique s'efforce de bannir. Constat fâcheux, puisqu'il implique que le dispositif narratif a échappé à son auteur.


L'auteur se défend de tout mépris de clase dans les médias : à son frère, il présente le livre comme une «déclaration d'amour pour maman» mais «que personne ne [le] comprendrait»…[19] Cette incompréhension programmée tient à l'ambiguïté générique du livre, qui joue en quelque sorte sur deux tableaux : Louis présente l'ouvrage comme un «roman» mais veut bénéficier de l'effet d'objectivation propre à l'étude sociologique. Avec, au cœur du «roman», des énoncés d'allure bourdieusienne comme : «[…] il n'existe d'incohérences que pour celui qui est incapable de reconstruire les logiques qui produisent les discours et les pratiques.» (En finir avec Eddy Bellegueule, p. 75) Ce livre, assure-t-il encore au même journal, aurait pu s'intituler Les Excuses sociologiques.


Le jeune écrivain, on le voit, s'inspire d'intimidants modèles et l'on devine combien, à vingt ans, il est difficile de les tenir à juste distance. Sans mettre en doute la bonne foi d'Édouard Louis, on réaffirme qu'il est pertinent de lire son récit comme une ode (à l'insu de son plein gré ?) au monde de la culture et aux valeurs de la bourgeoisie qui ont rendu lucide un jeune provincial pauvre quant à sa trajectoire.


Il n'est pas possible, à ce stade, d'identifier les lecteurs empiriques de ce roman, mais son succès commercial rapide (près de 50'000 exemplaires en moins de deux mois) permet d'interroger la perception que les lecteurs issus de diverses fractions de la bourgeoisie dotée de capital culturel, et peut-être de l'aristocratie ouvrière, se font des «misérables». Selon moi, Édouard Louis a livré ici moins la vérité de son monde social d'origine que le parfait cliché, outré et caricatural, qu'en attendent une partie de ses lecteurs. Nous voilà très loin des propos du chapitre «Comprendre» dans La Misère du monde de Bourdieu (1993)[20]. Dans ce contexte, la réaction effarée de la famille du jeune homme à son livre n'est guère surprenante, recueillie par Le Courrier Picard (2 février 2014), de même que les premiers signes d'une polémique médiatique entamée après le compte-rendu critique d'un libraire, reprochant au romancier le «massacre symbolique des siens»[21]. Didier Éribon a quant à lui rédigé un compte-rendu admiratif du livre de son ancien élève et poulain[22].


Exercé au nom de la littérature, un tel usage misérabiliste de la sociologie présente une population paupérisée sur le mode légitimiste du manque et de l'aliénation. Comme si les théories de Pierre Bourdieu étaient mobilisées sans les nuances qu'y a apportées le sociologue. Le récit sert alors d'instrument de revanche affective, certes mise en forme, mais nullement redevable de la méthode sociologique. En effet, la distance critique à l'égard des valeurs attendue des sciences sociales demeure à sens unique : les outils symboliques acquis dans le monde cultivé (savoirs, concepts, etc.) ne font pas, eux, objet d'un regard réflexif, comme c'est le cas dans l'œuvre d'Annie Ernaux, infiniment plus complexe et mesurée sur ce plan. Le dispositif romanesque d'Édouard Louis (avec peut-être l'excuse de son jeune âge et de la souffrance éprouvée) me semble en fin de compte ambigu si ce n'est suspect, dès que l'on accepte d'aller au-delà d'une première lecture empathique ou étonnée du roman[23].


Conclusions


Très brièvement, j'ai cherché à montrer que dans les romans de transfuges abordés ici, la question bakhtinienne de la guerre des langages se pose en permanence, non seulement dans la thématique des dialogues entre personnages, mais également dans la langue narrative même, truffée d'effets de plurivocalisme social conflictuel[24]. Alors que chez Vallès, Calet, Cherpillod ou Nessi, ce plurivocalisme engage une critique de la phraséologie bourgeoise, chez Annie Ernaux il se décrit lui-même, faisant apparaître les limites inhérentes à chaque langage social, qu'il soit populaire ou scolaire. Dans le récent «roman» d'Édouard Louis, enfin, prisonnier d'un argumentaire misérabiliste dénué de réflexivité, l'effet polyphonique glisse vers une caricature du parler populaire présenté sur le seul mode de l'aliénation et du manque.



Jérôme Meizoz, 2014.


Mis en ligne dans l'Atelier de Fabula en mai 2019.



Corpus


Calet Henri, La Belle lurette, Paris, Gallimard, 1935, rééd. coll. L'Imaginaire, 1979.

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Saminadayar Perrin Corinne, Jules Vallès, Gallimard, Folio Biographies, 2013.

Wolf Nelly, Proses du monde. Les enjeux sociaux des styles littéraires, Lille, P.U. du Septentrion, 2014.





[1] Jules Vallès, L'Enfant, in Œuvres, t. 2, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1990, p. 283. Je renvoie aux seules pages de cette édition.

[2] L'admiration pour les «francs-parleurs» est au cœur du recueil Les Réfractaires (1866).

[3] Jules Vallès, Correspondance avec Hector Malot, septembre 1874, citée dans Œuvres, t.2, op. cit., 1990, p. 1498.

[4] Jules Vallès, Le Bachelier, Œuvres, t.2, op. cit., p. 545, voir aussi p. 596.

[5] Jules Vallès, L'Insurgé, in Œuvres, t.2, op. cit.

[6] Bergounioux Pierre, La Puissance du souvenir dans l'écriture, Nantes, Pleins Feux, 2000, p. 34.

[7] Bergounioux Pierre, «J'aurais aimé écrire pour les morts», entretien, Le Matricule des anges, Montpellier, juillet 1996, p. 34.

[8] Barthes, «Qu'est-ce que l'écriture ?», in Le Degré zéro de l'écriture [1953], Points-Seuil, 1972, p. 14.

[9] Meizoz Jérôme, L'Âge du roman parlant 1919-1939, préface de P. Bourdieu, Librairie Droz, 2001.

[10] Alberto Nessi, Le Train du soir, trad. fr. Christian Viredaz, Genève, Zoé, 1992. Je cite la pagination de cette édition.

[11] Annie Ernaux & Frédéric-Yves Jeannet, L'Ecriture comme un couteau, Paris, Stock, 2003, p. 79.

[12] Annie Ernaux, «La littérature et une arme de combat…» (entretien avec Isabelle Charpentier), in Mauger Gérard, (dir.), Rencontres avec Pierre Bourdieu, Paris, éditions du Croquant, 2005, p. 169.

[13] Voir mon article, «Annie Ernaux, une politique de la forme», in Durrer S. et Meizoz J. (dir.), La Littérature se fait dans la bouche, Versants, no. 30, Champion, 1996, pp. 45-62.

[14] Ernaux connaît les travaux de P. Bourdieu datés des années 1975-1977 repris dans Ce que parler veut dire, Fayard, 1982 puis dans Langage et pouvoir symbolique, Points-Seuil, 2001.

[15] Annie Ernaux & Frédéric-Yves Jeannet, L'Ecriture comme un couteau, op. cit., p. 33.

[16] L'étiquette générique «roman» a-t-elle été imposée par l'éditeur pour des raisons commerciales et juridiques ? En effet, la transposition autobiographique reste minimale dans ce récit qui ne mobilise guère de procédés fictionnels. Ceci dit, on peut aussi interpréter le choix du genre romanesque par le fait que l'ouvrage est signé du pseudonyme d'Édouard Louis, nom donné pour «en finir avec Eddy Bellegueule», l'homme civil. Il y a un effet romanesque à signer d'un nom fictif un texte désignant désormais un être aboli, désormais hors scène, sur lequel, littéralement, on a tourné la page.

[17] Courriel personnel du 14 février 2014, en réponse à ma question. Déclaration identique dans Les Matins de France-Culture, quelques jours plus tôt.

[18] Quant à la famille de Louis, elle-même, elle affirme dans Le Courrier Picard du 2 février 2014 ne pas se reconnaître dans la langue et les propos qui lui sont attribués. Pour elle, la dimension caricaturale et agressive de cette représentation romanesque ne fait pas de doute.

[19] Le Courrier picard, 2 février 2014.

[20] Âgé de 20 ans, l'étudiant a récemment dirigé un volume scientifique consacré au sociologue : Édouard Louis (sous la dir. de), Pierre Bourdieu, l'insoumission en héritage, PUF, 2013.

[21] Thibault Willems, «Suis-je le seul à être choqué ?», Rue 89 en ligne, http://rue89.nouvelobs.com/rue89-culture/2014/02/16/eddy-bellegueule-suis-seul-a-etre-choque-249946, consulté le 19 février 2014. Le présent article était achevé quand la polémique s'est étendue, par exemple voir David Belliard, «Pour en finir vraiment avec Eddy Bellegueule», Libération, 2 mars 2014, http://www.liberation.fr/culture/2014/03/02/pour-en-finir-vraiment-avec-eddy-bellegueule_983980, consulté le 5 mars 2014.

[22] Didier Éribon, «C'est toi le pédé», 12 janvier 2014, http://bibliobs.nouvelobs.com/romans/20140109.OBS1899/c-est-toi-le-pede-en-finir-avec-eddy-bellegueule.html, consulté le 15 février 2014.

[23] Comme je travaille sur les récits de transfuge et connais bien leur corpus, j'ai immédiatement acquis ce livre. Au premier tiers de la première lecture, l'émotion m'a saisi, j'ai écrit un message à l'auteur pour le féliciter. Annie Ernaux, que j'estime énormément, avait recommandé ce livre dans Le Monde. A la fin de ma lecture, l'ambiguïté m'est apparue. À la deuxième puis troisième lecture s'est forgée l'interprétation que je propose ici, à rebours de celles, majoritairement élogieuses, qui ont dominé dans la presse quotidienne. Cette réception en dit d'ailleurs beaucoup sur les valeurs implicites qui animent les journalistes littéraires : une telle unanimité trahit sans doute un consensus sur la fonction transgressive du récit testimonial, mais aussi sur la perception des milieux populaires paupérisés.

[24] Sur la socialité de ces usages stylistiques, voir l'ouvrage de Nelly Wolf, Proses du monde. Les enjeux sociaux des styles littéraires, 2014.




Jérôme Meizoz

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Dernière mise à jour de cette page le 5 Mai 2019 à 11h33.