Atelier


Sur les deux sens de la «répétition»

Par Denis Guénoun (Université Paris Sorbonne)



Le présent essai constitue le texte d'une conférence prononcée le 18 mars 2016 à l'Université de Genève, lors d'une journée de formation doctorale Cuso intitulée «Que répète le théâtre?», à l'invitation d'Éric Eigenmann, Marc Escola et Lise Michel.

Il est également disponible au format pdf sur le blog de l'auteur: http://denisguenoun.org (Théâtre, Philosophie, Littératures).


Dossier Théâtre






Sur les deux sens de la «répétition»


Le projet de s'arrêter un moment sur l'idée de «la répétition» vient d'une question, et d'une hypothèse, qui me travaillent depuis quelque temps — plusieurs années sans doute. Voici la question: comment rendre compte des deux sens que prend, en français, le mot «répétition», lorsqu'il est employé à propos du théâtre ? D'une part, on parle, pour la préparation d'un spectacle, des «répétitions». Ce n'est pas le cas dans de nombreuses langues, au point que je ne sais pas si cette acception a cours ailleurs que dans celle-ci. Mais en français, on «répète» un spectacle. Or, cet emploi est paradoxal: en principe, répéter veut dire refaire un acte ou un geste qui s'est déjà produit; et dans la préparation d'un spectacle, on ne répète que quelque chose qui n'a pas encore eu lieu. J'imagine qu'on use de ce terme parce qu'il fut un temps où on «répétait» d'abord le texte afin de l'apprendre, voire les places ou mouvements pour les mémoriser. Mais, depuis que la mise en scène a endossé la dimension créative que nous lui accordons aujourd'hui, le temps des «répétitions» est censé faire émerger une compréhension neuve d'une pièce, une proposition scénique inventive, une interprétation singulière et, si possible, inédite. Donc les répétitions se voient devenir, par excellence, le temps de parution du nouveau. Bien sûr, elles sont répétitives: on y rejoue un passage, une scène, on y redonne des «filages», des «bout-à-bout», des présentations du spectacle entier avant qu'il soit livré au public. Mais ces répétitions sont, pour l'essentiel, destinées à faire venir quelque chose qui ne s'est jamais montré encore. Il est donc surprenant que ce mot français se soit installé pour les nommer. En tout cas, si on «répète» quelque chose au sens courant — et assurément, on le fait aussi — c'est en déplaçant, au moins un peu, ce sens ordinaire, en le rejouant de façon transformée. Comment rendre compte de ce changement — c'est la première impulsion que, depuis quelque temps déjà, j'aspire à suivre.


Il y en a une seconde. Parce que le théâtre implique la «répétition» dans un deuxième pan de sa vie. S'il est bien quelque chose qui se répète, au sens banal cette fois, c'est ce qui a lieu dans les représentations. Déjà le mot (re-présentation) évoque cet aspect reproductif. Mais c'est surtout le fait lui-même: le théâtre est voué à cette répétition, de soir en soir, si possible sur une longue durée, de ce qu'il montre. L'aspiration ordinaire d'une production (et des participants qui s'y engagent) est de se répéter, de jour en jour, le plus longtemps possible. Le nombre élevé des représentations est signe de réussite, voire de valeur. On l'affiche ou le fait connaître fièrement. Et il s'agit bien de répétition. Chacun dira que chaque représentation est unique. Et c'est vrai, pour le public au moins. Mais si ce lieu commun recèle une vérité, c'est par paradoxe: car d'un soir à l'autre, la plupart des composants du spectacle se répètent — le texte bien sûr, mais aussi les placements, la gestuelle (en grande partie), le déroulement de la soirée, ses événements structurants. S'il arrive qu'un élément du décor mue en cours de route (ou se détériore pour les besoins du récit) il faut le reconstituer pour le lendemain. Ce qu'on appelle la «mise», avant le début, est exactement cette reconstitution des conditions initiales afin que l'évolution, et les changements qu'elle implique, puissent récidiver. Le théâtre est ainsi très ordinairement répétitif. J'y ajoute deux confirmations par différence: d'une part, d'autres arts sont aptes à cette répétition, mais tout de même moins que le théâtre (sauf la danse peut-être, ce qui mérite réflexion). Un concert, me semble-t-il, n'est pas destiné à se reproduire, peu modifié, des dizaines de fois. Son événement (et même son programme), ce jour, en ce lieu, à cette heure, m'apparaît plus concentré sur sa singularité. Et d'un autre côté, l'idée d'un spectacle qui ne connaîtrait qu'une seule occurrence ne concerne le théâtre qu'à la limite, comme limite. Le théâtre n'a pas lieu une seule fois. Et même si cela lui arrive, l'exception n'empêche pas sa nature répétitive, (puisque même dans ce cas il aura dû être «répété»). Sinon, c'est plutôt ce qu'on appelle aujourd'hui une «performance»[1].


Si bien que je propose, pour ma part, l'hypothèse un peu imprévue selon laquelle le théâtre est, exactement, l'art de la répétition. Ce dont il s'y agit est précisément ce qui fait art, ce qui devient matière à pratique artistique, dans cette action mystérieuse et paradoxale qu'est la répétition. D'où l'interrogation que j'aspire à soulever aujourd'hui: qu'est-ce que cela au juste, la répétition ? Afin de contribuer, même de façon infime, à éclairer cette autre demande, sans cesse relancée, répétée: qu'est-ce que cela, le théâtre ?


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Ce concept a fait l'objet de questionnements philosophiques poussés. Pour la pensée récente, c'est le cas —entre autres, mais de façon éminente — de l'ouvrage majeur de Gilles Deleuze, Différence et répétition[2]. Je ne vais pas l'interroger aujourd'hui (même si j'espère le faire ailleurs), mais une de ses sources, l'étrange petit volume de Kierkegaard intitulé, le plus souvent, La Répétition, précisément, et qui date de 1843. Etrange, pour deux raisons principales, au moins. D'abord parce que ce n'est pas tout à fait un livre de philosophie, au sens habituel: plutôt un récit, intensément littéraire, un court roman. Ensuite parce que, dès qu'on s'y intéresse, on découvre que son titre pose un problème, et que le mot choisi par l'auteur n'est peut-être pas tout à fait celui dont fréquemment il a été fait usage pour le traduire — le mot «répétition», précisément. En 1990, a paru aux éditions GF-Flammarion une traduction remarquée, et remarquable par la précision de ses commentaires, de Nelly Viallaneix (éminente spécialiste du philosophe danois, disparue en 2005), sous le titre La Reprise. Le choix de ce titre, longuement argumenté, n'est pas une trouvaille de cette édition, même si celle-ci a largement contribué à faire connaître le problème: déjà le traducteur «historique» de Kierkegaard, Paul-Henri Tisseau, indiquait que le sens littéral du terme danois Gjentagelse était plutôt re-prise[3]. Pour ma part, je vais naviguer entre les deux vocables, puisque Kierkegaard emploie aussi le terme latin de «répétition», par différence avec celui de «reprise»[4].


De quoi s'agit-il dans ce petit roman ? Comme on peut l'attendre avec son appellation, il se présente dans une structure double: deux personnages, deux parties, deux scénarios croisés, sans cesse dédoublés et répliqués dans le jeu d'une composition vertigineuse. L'auteur déclaré du livre, Constantin Constantius — puisque l'ouvrage n'est pas signé de Kierkegaard mais de ce nom d'emprunt, comme il a fait souvent, ainsi que plus tard Pessoa, en multipliant les pseudonymes — le signataire raconte, donc, dans la première partie, des événements de sa vie, centrés autour d'un voyage à  Berlin qu'il a voulu refaire — après l'avoir déjà fait — afin d'explorer la possibilité de la reprise (ou de la répétition, selon les traducteurs). Question surprenante, on le voit: loin de considérer la répétition comme un fait d'expérience banal, il s'interroge sur sa possibilité, sur le fait de savoir si la «reprise» peut vraiment avoir lieu. Il faut alors déterminer avec précision ce que serait une telle «reprise», et ce qu'il cherche. Dans la seconde partie (elle-même appelée La Reprise, comme le livre entier, alors que la première n'a pas de titre), le point de vue change. C'est le même narrateur, mais il raconte une séquence de la vie d'un jeune homme, jamais désigné par un nom propre, et dont on a fait brièvement connaissance dans une sorte de digression de la première partie. Ce second personnage a choisi Constantin comme son confident, et lui envoie une série de lettres que le narrateur donne à lire et commente, où le jeune homme relate, en mode exalté, une séquence de sa vie amoureuse: assez passionnément épris d'une jeune fille, sans nom elle aussi, il a néanmoins choisi de rompre brutalement leurs fiançailles. Constantin annonce au début de son commentaire que «le problème sur lequel il [le jeune homme] achoppe c'est, ni plus ni moins, celui de la reprise»[5]. Et le correspondant reprend en effet la question, et le terme, en particulier au cours de sa dernière lettre[6]. Dans un épilogue en forme d'adresse au lecteur, Constantin révèle que ce jeune homme (qu'il caractérise comme «poète») est en fait son invention, et revient sur l'espoir de «reprise» que cet être inventé exprime[7].


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On a pu penser que les deux tentatives (celle de Constantin et celle de son correspondant) aboutissent à un échec. Pour Constantin, c'est explicite: il le dit (au moins deux fois) à la fin de la première partie: «il n'existe aucune reprise»[8]. Pour le jeune homme, l'échec est moins avéré, puisque sa dernière lettre est au contraire un chant de victoire, où il clame: «je tiens ici la reprise»[9]. Mais la commentatrice conteste cette réussite[10]. Peu importe pour nous ici. Qu'elles conduisent à un déboire franc ou à une victoire douteuse, chacune des deux parties de l'ouvrage présente, en son cœur, une sorte d'excursus, comme une greffe qui déporte la lecture à l'extérieur de l'histoire racontée pour établir un rapport avec une autre «reprise», elle parfaitement accomplie, indiscutable, et où nous allons pouvoir chercher, un peu mieux, ce qu'est cette forme de répétition dont il s'agit d'explorer l'existence, ou la possibilité. La digression, dans la seconde partie, est très connue, et commentée: c'est la longue référence faite par le jeune homme au livre biblique de Job. La première excursion, elle, quoi que très consistante, est lue moins attentivement, à ma connaissance.


C'est qu'elle a, plus que l'autre, l'allure d'une digression, presque gratuite. En effet, dans la première partie le narrateur, Constantin Constantius, refait donc un voyage à Berlin, déjà effectué plus tôt, après un délai qui, sauf erreur, n'est pas précisé. Ce second voyage sera fortement déceptif, parce que les faits et gestes du premier périple, que Constantin tente de reproduire, s'avèrent affaiblis, non reproductibles, ou comme fanés, au point que «la reprise n'a pas lieu», et même «qu'il n'y a aucune reprise»[11]. Mais avant de parvenir à cette conclusion, Constantin a relaté, dans un certain détail, une activité à quoi il s'est livré avec beaucoup de plaisir lors du premier voyage: la fréquentation d'un théâtre. Et il décrit, de façon détaillée, ce qu'il y a trouvé, vu–et qui l'a réjoui[12]. Au début, il évoque l'attrait de tout être jeune pour le «charme du théâtre», en tant que désir de «se trouver lui-même dans cette réalité factice, pour se voir et s'entendre lui-même comme son double»[13]. On peut voir là un premier désir de reprise, de reproduction ou réplication de soi. Pourtant, est-il indiqué plus loin, «ce désir de se produire et de s'épancher sur la scène ne dénote nullement une vocation théâtrale»[14]. C'est qu'il existe plus d'une sorte de reprise ou de répétition. Dès les premières lignes de l'ouvrage, Kierkegaard a opposé, dans un passage célèbre[15], la reprise qu'il cherche à deux formes voisines, apparemment proches. D'une part, elle s'oppose au ressouvenir. Celui-ci, depuis les Eléates, définissait la répétition comme réminiscence. C'est ce que Kierkegaard appelle la répétition en arrière. Pour le dire déjà dans des termes que nous justifierons, le ressouvenir est prisonnier de l'immanence. Il enferme la répétition dans la reproduction de ce qui a eu lieu. Il interdit toute émergence d'une nouveauté. Alors que la reprise (la véritable, qui fait l'objet de l'enquête) est, dit Kierkegaard, une répétition en avant. Remarquons au passage que cette distinction (répétition en arrière / répétition en avant) pourrait déjà servir de guide pour différencier les deux sortes de «répétitions» observables au théâtre — la répétition reproductive (la remémoration, l'apprentissage reproductif, ou la part strictement reproductive de la re-présentation: en arrière) et la répétition novatrice, susceptible d'invention, qui répète pour faire advenir et constituer ce qui n'a pas encore eu lieu : en avant. Je réserverai alors, ci-dessous, pour tenter d'être plus clair, le mot «reprise» à cette répétition créative, dont Kierkegaard et ses personnages cherchent la voie, et j'utiliserai le terme «répétition» pour les autres, même si dans le livre il s'agit de la même expression, différenciée par son contexte. Et ce n'est pas la seule ressemblance à quoi la reprise s'oppose. Elle se distingue aussi de l'espérance, qui, elle, se figure l'avenir de manière imaginaire, rêveuse. L'espérance n'est pas créatrice, mais fantomatique. On voit ainsi s'installer une triade : répétition (en arrière) / reprise / espérance, que l'on pourrait rapporter aux célèbres modalités du passé, présent et futur selon Augustin[16]. À ceci près que si la répétition en arrière est bien dépendante du passé comme passé, et si l'espérance se soumet au futur comme imaginaire, le présent ainsi caractérisé, lui, est comme scindé, divisé, puisqu'il convoque une répétition aussi, en avant, qui n'est donc pas une ponctualité pure, mais un mouvement de reprise dont il va nous falloir tenter de mieux approcher le caractère.


C'est ainsi, en tout cas, que je comprends en quoi la fascination juvénile pour le fait de se «redoubler» sur scène n'équivaut pas à une authentique vocation théâtrale. Cette duplication désirée me semble fonctionner comme un ressouvenir de soi que l'on veut voir reproduit, une sorte d'automimétisme qui s'assujettit à l'en-arrière de l'identité, de l'image de soi-même. Comme un passé immédiat, accolé à sa reproduction et qui la commande. Dans le même passage, Kierkegaard établit une analogie, inattendue à la première lecture, avec le réalisme scénique, qui voudrait revoir en scène le monde comme «les forêts vierges de l'Amérique du Nord»[17]. C'est bien là cette dépendance à l'égard du réel comme passé supposé de la représentation, toujours convoqué, toujours manquant. Mais simultanément, l'être jeune, captif du charme du théâtre, aspire à se disperser dans la multiplicité des rôles, pures figures imaginaires de soi–qui sont sans doute alors les possibles de l'espérance[18]: «l'individu encore enfoui exige un environnement léger et passager comme en offrent les personnages, où les paroles pétillent, bruissent et résonnent sans écho. La scène est précisément cet environnement-là; c'est pourquoi elle se prête tout juste au jeu des fantasmes de l'individu encore enfoui», lequel ne permet pas alors que «s'imprime la marque de son Moi réel»[19]. Ce «moi» n'est pas celui du ressouvenir, et nous allons avoir à en découvrir la nature.


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À ces deux figures voisines, s'oppose donc l'authentique «reprise», dont Kierkegaard et son porte-parole fictif, Constantin Constantius, et la créature inventée de celui-ci, le jeune homme, cherchent tous trois passionnément la venue[20].  À travers la forêt obscure des textes, multiples, où Kierkegaard l'évoque, et aussi de quelques commentaires éclairants, voici comment j'en comprends le processus.


a) au point de départ, la reprise vise quelque chose qui a eu lieu, mais qu'elle aborde non pas comme événement, comme fait accompli, mais en cherchant à ressaisir sa possibilité. Kierkegaard ne cesse de renvoyer à la détermination aristotélicienne du mouvement (kinesis)[21], en tant que passage du possible au réel. La reprise, dit-il, est à penser comme mouvement, c'est-à-dire comme passage. Elle vise le passé comme possible, et s'en empare à titre de «seconde puissance»[22].


b) mais pour se produire, ce passage suppose de s'extraire de l'immanence de ce qui a eu lieu (où s'enferme le ressouvenir, la répétition en arrière). L'extraction s'effectue par une transformation, une conversion de la possibilité en idéalité. — Et c'est exactement ce point que touche la pratique de l'acteur, lorsqu'elle atteint à sa meilleure puissance. Dans un texte ultérieur, aussi remarquable que déroutant, et intitulé bizarrement «La crise et une crise dans la vie d'une actrice», Kierkegaard s'interroge sur l'histoire, anonyme mais reconnaissable, d'une actrice ayant connu un immense succès dans sa première jeunesse, par l'interprétation du rôle shakespearien de Juliette, et qui le reprend quatorze ans plus tard, donc dans la trentaine, alors que la vraisemblance de sa distribution s'y est émoussée. L'opinion grogne, cependant que Kierkegaard, lui, considère que l'actrice développe là, et là seulement — bien plus que dans ses premières apparitions — la véritable teneur artistique du jeu[23]. La valeur du jeu s'exprime au mieux dans une reprise du rôle, au sens théâtral classique du mot (reprise). «Tout ce qui est soumis à une loi naturelle atteint d'emblée son apogée» (d'emblée, donc: dès la première et seule fois–ce qui définit le règne de la nature, et non de l'esprit), «l'idéalité n'y accède que la seconde fois, car qu'est-elle elle-même, sinon cette seconde fois?». Et, un peu plus loin: «L'actrice a perdu aux yeux de la galerie, elle a gagné au sens de l'idéalité»[24]. L'idéalité se déploie grâce à la répétition (la reprise tardive), car, dit Kierkegaard dans un saisissant raccourci, l'idéalité est elle-même, exactement, une seconde fois: elle consiste essentiellement en ce redoublement, cette reprise[25]. L'idée est ce qui recommence le réel, autrement, et qui par ce redoublement même touche à une vérité, à un réel plus profond.


c) la reprise peut alors se produire comme répétition en avant, passage, mouvement de l'idéalité au réel où elle se réengage. C'est ce qui conforme la reprise comme devenir, comme re-nouveau[26]. «Quand l'idéalité et la réalité se rencontrent, écrit plus tard Kierkegaard, alors surgit la reprise; car ce qui est, est ensuite d'une autre manière»[27].


Possibilité / idéalité / mouvement ou devenir : tel me paraît être le schéma reconstitué, peut-être simplifié, de la reprise vraie dont Kierkegaard inlassablement élabore le concept. L'action des acteurs y occupe une place singulière: car dans cette première partie de l'ouvrage, où le narrateur désespérera bientôt de la possibilité de la reprise (parce qu'il la cherche comme répétition de ce qui a eu lieu — son voyage à Berlin, sa visite au théâtre­ — donc dans le régime clos de l'immanence qui sans cesse se reconduit elle-même, en elle-même) ce que produisent les acteurs contredit par avance cette impossibilité, cette im-puissance. Mais c'est au prix d'un déplacement inattendu, que je laisse provisoirement de côté, et sur lequel je vais revenir. En tout cas, pour ce qui nous occupe, nul doute que le théâtre, par sa faculté de répétition en avant, ne réussisse à produire du nouveau — au cœur même de son acte répétitif, qu'on pouvait croire si enclos dans la redite du même.


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Venons-en alors au second excursus, à la deuxième quasi-digression située dans la deuxième partie de l'ouvrage. Je rappelle que cette partie est consacrée au second personnage — deuxième excursus, deuxième partie, deuxième personnage, le terrain de la reprise est largement préparé — c'est-à-dire au jeune homme empêtré dans sa question amoureuse. Celui-ci, dont le problème est de savoir si la reprise est possible — en l'occurrence celle de son amour rompu — se déplace brusquement, dans sa deuxième lettre, sur un tout autre terrain, par une lecture biblique. «Job! Job! ô Job!» est l'entame exclamative qui annonce une longue séquence et plusieurs lettres[28].


L'histoire et le livre de Job vont brusquement donner corps à la vraie reprise. Pourquoi? Qu'apportent cette référence, cette lecture, au jeune homme désemparé­? Et pour nous, lecteurs, qu'ajoutent-elles à ce que nous avons précédemment appris, sur la reprise et sa possibilité?


a) On sait l'argument du livre (de Job): un homme, droit et juste, est frappé par une série de malheurs abominables, que rien ne semble pouvoir expliquer, ni justifier. Dans ce récit, ce qui confirme d'abord la reprise (aux yeux du jeune homme, qui en fait une lecture ardente), c'est sa fin: «Le Seigneur et Job se sont compris l'un l'autre: ils sont réconciliés, “de nouveau Job habite sous sa tente dans l'intimité du Seigneur, comme aux jours d'autrefois”— Les hommes ont compris Job: ils viennent maintenant vers lui pour manger le pain avec lui, le plaindre et le consoler; ses frères et sœurs lui font chacun présent d'un denier et d'un bijou en or–Job est béni est il a tout reçu au double. Cela s'appelle une reprise[29]


b) Cette reprise répète donc, en un sens, le bien-être initial, dans lequel l'histoire avait commencé[30]. Mais elle contredit la façon dont s'était engagée la crise, et les premières paroles de Job. Sous les abominations qui le frappaient, Job avait d'abord déclaré en effet: «Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté; que le nom du Seigneur soit loué»[31] Ces mots bénissaient le malheur et semblaient y consentir. Ce n'est pas cette façon de fléchir sous le poids du désastre et de paraître s'y résoudre qui éblouit le jeune découvreur de Job[32]. Car ce qui forme la singularité de cet être humain (et par lui de ce livre), c'est son attitude tout à l'opposé: «Non!», s'exclame le jeune homme, «tu devins alors la bouche du souffrant, la clameur de l'écrasé […] tu devins le fidèle témoin de toute la détresse […] le loyal défenseur qui osait se plaindre “dans l'amertume de son âme” et combattre avec Dieu[33] Le fondement du soutien que notre personnage trouve dans Job, est que «le secret, la force vitale, le nerf, l'idée de Job, c'est qu'il a, malgré tout, raison.»[34] C'est ce qui permet à son lecteur — il faudrait dire son auditeur, tant il semble entendre sa voix — de clamer, dans sa propre détresse: «Si le monde entier se levait contre moi, si tous les scolastiques voulaient disputer avec moi, s'il m'en coûtait la vie: j'ai néanmoins raison. C'est ce que personne ne pourra m'arracher, quoi qu'il n'y ait aucune langue où je puisse le dire. J'ai agi droitement.»[35] Protestation catégorique, sans réserve, dont le jeune homme a trouvé la ressource dans sa lecture, et qui renverse du tout au tout son sentiment de la situation. En quel sens cette protestation permet-elle alors la reprise? C'est, me semble-t-il, parce qu'elle se réfère à une idée, une idéalité, qui arrache le protestataire au consentement à ce qui a eu lieu (le malheur) pour lui faire clamer, à la face de l'interlocuteur divin, qu'il pouvait en être autrement, et que l'idée de la possibilité n'a pas à céder devant le fait, par ce seul fait qu'il est accompli.


c) Ce par quoi la clameur de Job s'arrache à l'incarcération dans l'immanence et ses déterminations nécessaires. Nous avons souvent cité, comme par anticipation, cette rupture. C'est ici seulement qu'elle prend sa justification exacte. La protestation de Job fait apparaître une dimension de la reprise que la séquence précédente laissait voilée: la reprise est transcendante. Elle excède l'ordre de ce qui est, enclos dans le réel immanent de ce qui a eu lieu, qui se légitime par sa nécessité, du seul fait que le fait a eu lieu. Dans son commentaire anticipé de la première lettre du jeune homme, Constantin écrit : «la philosophie moderne ne fait aucun mouvement[36] […] et si toutefois elle fait un mouvement, celui-ci se trouve toujours dans l'immanence; la reprise au contraire est et demeure une transcendance». Et il ajoute alors : «J'ai de la chance que le jeune homme ne cherche auprès de moi aucune explication; car j'ai renoncé à ma théorie, je vais à la dérive. La reprise est aussi trop transcendante pour moi[37] Ce en quoi l'irruption de Job modifie ce qui la précède, et qui fait donc la différence entre la deuxième partie du livre et la première–entre la reprise ici rencontrée par le jeune homme et celle qu'avait tentée le narrateur, entre la réussite et l'échec— c'est l'entrée de la transcendance dans la compréhension. Cette dimension éclaire ce que nous appelions l'idéalité.  Car si la reprise s'arrache à la reproduction répétitive — si elle est apte au nouveau, comme re-nouveau — c'est par la transcendance qui l'habite et l'extrait à l'immanence de la répétition. Ce «saut» est celui qu'on caractérise d'ordinaire, dans la pensée de Kierkegaard, comme passage au stade religieux, même si dans le discours du jeune homme le mot n'apparaît pas — mais sous la plume de Constantin, c'est-à-dire de celui qui y est inapte. Comme si «religieux» désignait, ici au moins, une transcendance vue du dehors, ainsi nommée seulement quand on y reste extérieur.[38]


La transcendance désigne une ouverture des limites, l'extension du possible. Une célèbre formule kierkegaardienne, diversement traduite, s'exprime parfois ainsi : «Dieu est : tout est possible»[39]. Que le vocable usuel «Dieu» signifie strictement la non-clôture, la possibilité de s'extraire de la nécessité immanente, est ici équivalent, on le voit, avec ce qui distingue la reprise de la répétition en arrière, assujettie au ressouvenir et donc à la reproduction du même — mais aussi ce qui l'écarte de la fantasmagorie, de l'imaginaire rêveur de l'espérance. Car c'est du réel qu'il s'agit, dans cette capacité à reprendre en faisant émerger le nouveau — relance du possible dans l'effectif. Dans son dialogue avec Job, le texte en donne une autre formulation: «L'éternité est la vraie reprise», écrit le jeune homme dans sa dernière lettre[40]. Ce qui ne signifie en rien que ce mouvement soit à renvoyer hors du réel. C'est toute l'originalité de la conception que Kierkegaard exprimera plus tard dans le concept d'instant. Je cite le commentaire de Nelly Viallaneix : «La dialectique de la reprise consiste, dans la perspective qu'ouvre ainsi Kierkegaard, à exprimer l'éternel dans la succession de la temporalité. Elle est, en effet, un mouvement qui met en rapport les contradictoires possible-réel, idéalité-réalité, ainsi que l'affirme Johannes Climacus [un des pseudonymes de Kierkegaard] : “quand l'idéalité et la réalité se rencontrent, alors surgit la reprise; car ce qui est, est ensuite d'une autre manière”. […] La reprise est ce double mouvement par lequel l'éternité “pénètre” le temps, au cœur de l'instant, tandis que le temps déploie l'éternité dans la réalité[41]


Résumons ce parcours. Si la reprise est : a) la ressaisie d'un passé, non comme fait accompli, mais en plongeant à la source de sa possibilité (je pense à l'exigence de Brecht, enjoignant à l'acteur de jouer — et à l'auteur d'écrire — non pour déployer les événements comme destin, dans le cours de leur fatalité inéluctable, mais au contraire pour faire apparaître que ce qui a eu lieu pouvait ne pas avoir lieu, ou bien qu'il pouvait se produire autre chose, autrement, l'acteur devant alors faire émerger dans son jeu — et l'auteur dans son écriture — cette non-nécessité de l'histoire, son ouverture, son accès à la liberté; b) l'extraction de cette possibilité par l'idée, l'idéalité — comme le traitement de la jeunesse de Juliette par le vieillissement de l'actrice — et la compréhension de l'idéalité comme transcendance, non-assujettissement du cours des actions humaines à la régie de la nécessité immanente; et c) la réinscription de la transcendance comme éternité fracturant le temps, reprise dans la nouveauté de l'instant; si donc la reprise fait se conjoindre ces trois opérations, alors il n'est pas impossible que le modèle kierkegaardien nous aide à comprendre ce qui se joue dans la répétition de théâtre, et en quoi celle-ci n'est pas la reproduction à l'identique de ce qui a déjà eu lieu — ni dans «les répétitions» antérieures à la venue du public, ni dans le cours des représentations réitérées. L'acte de théâtre est peut-être un exemple adéquat pour comprendre et vivre ce que la reprise introduit de neuf dans la réitération — à la condition de s'ouvrir à sa saisie du possible comme ouverture transcendante. Cela explique peut-être l'intérêt attentif que Kierkegaard n'a cessé de porter, dans sa pratique assidue de spectateur comme dans ses écrits, à ce pan de vie étrange — le théâtre.


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Je voudrais, pour finir, en donner une illustration inattendue, et qui me réjouit. En lisant le développement que le narrateur consacre à ses visites au théâtre, dans la première partie de l'ouvrage, j'ai laissé de côté, vous vous en souvenez peut-être, une dimension que je disais surprenante. Kierkegaard y porte beaucoup d'intérêt. Lors de sa deuxième visite à Berlin, en vue d'examiner la possibilité d'une reprise, d'une répétition en avant, il cherche à retrouver les expériences, les joies marquantes de son premier séjour. Or, qui se rend à Berlin, dit-il, doit aller au théâtre. Comme à Londres il faut voir le Tunnel — sous la Tamise, récemment construit pour le nouveau chemin de fer —, et à Rome les curiosités, à Berlin ce qui doit attirer le voyageur, c'est le théâtre. A cette époque, Berlin en a trois. Lui fonce au Königstadter Theater, même si «les voyageurs officiels le fréquentent rarement»[42]. Pourquoi? C'est son explication à ce propos qui donne lieu au long développement sur le théâtre. La raison de son choix paraît après quelques pages: «Au Königstadter Theater, on représente des farces.»[43] Si les théâtres sont «la curiosité» éminente de Berlin, l'éminent intérêt du théâtre est la farce. C'est-à-dire le comique, et dans le comique sa forme la plus extrême, affirmée, le rire le plus bruyant: le comique qui secoue les classes les plus basses, le comique populaire. «La jubilation et les grands éclats de rire du paradis et des secondes galeries sont d'un tout autre genre que les applaudissements d'un public cultivé et critique: sans cet accompagnement constant, la farce ne pourrait absolument pas être représentée. L'action de la farce se déroule, en général, dans les classes inférieures. C'est pourquoi le paradis et les secondes galeries s'y reconnaissent aussitôt. Leur vacarme et la clameur de leurs bravos ne sont pas une appréciation esthétique de tel ou tel artiste particulier, mais l'explosion purement lyrique de leur bien être[44] À Berlin, les théâtres. Parmi les théâtres, le comique. Dans le comique, la farce. Et par la farce, le peuple.


Quel rapport pourrons-nous trouver entre cet élan vers le comique et la question de la reprise? À notre surprise, il est étroit — même si on s'attend peu à en trouver l'apologie chez Kierkegaard, le craintif et tremblant, le malade à la mort, l'angoissé. Le comique dispose d'une modalité propre pour arracher ce qui a eu lieu à la régie de l'immanence, du fait accompli. À rebours de la tragédie, qui dépend sans ouverture possible, de la prescription de l'avoir-lieu («l'accompli est bien», dit Eschyle[45]), c'est-à-dire de l'autorité du destin, de la pré-destination, de la fatalité de ce qui est comme facticité close, sans échappée, le comique, lui, s'extrait de ce qui a eu lieu. Kierkegaard nomme cette possibilité «le général». L'accompli qui s'y oppose est particulier: c'est cette vie, cette histoire, nommée, dénommée (les personnages tragiques ont un nom propre), censée avoir eu lieu (fût-ce comme légende) — il est né, il a vécu, il est mort. À l'opposé, dit Kierkegaard, «les personnages de la farce sont tous dessinés à la mesure abstraite du général. Situation, action, répliques, tout est à cette mesure.»[46] Si l'on comprend bien, cela désigne le fait, très commenté, que les personnages comiques, et en particulier farcesques, sont des types plutôt que des individus: l'Avare, Le Misanthrope, mais plus encore la soubrette, le jaloux, le barbon etc. Surgit alors une question. Comment le théâtre peut-il représenter une généralité, dans la personne d'un acteur, lui, évidemment singulier? «Quand on veut, au théâtre, se faire une idée de l'homme, il faut exiger une créature concrète incarnant parfaitement l'idéalité qu'elle représente, ou bien…»[47]. Suspendons l'alternative. Car cette prétention à rejoindre l'idéalité pour la présenter au mieux est nécessairement vouée à l'échec, bien entendu. C'est, semble dire Kierkegaard, le sort malheureux du tragique. Quand il se risque à la scène. Le personnage tragique est un individu, élevé à la hauteur d'un destin, idéalisé. C'est pourquoi, ajouterai-je, la représentation de la tragédie aspire à s'épurer de la scène, à en amoindrir ou en éclipser la consistance pratique, physique, à l'affaiblir ou, si l'on ose dire, à la diaphaniser. (Par parenthèse, j'ai défendu récemment l'idée que le théâtre, sous le régime de la tragédie, n'a pas d'essence propre, ou, pour ainsi dire, de théâtralité. Son essence lui est externe: c'est le poème. Le théâtre, en tant que tragique, est le dire du poème — c'est tout. La théâtralité vient par la comédie, qui conduit à l'affirmation, à l'épaississement de la réalité proprement scénique, de la teneur physique et visible du plateau[48]. Or, puis-je dire ici pour clore cette parenthèse, la comédie est toujours une reprise: elle advient comme reprise parodique d'un modèle tragique qui la précède. Mais revenons à Kierkegaard.) Si donc la tragédie cherche à faire mincir la réalité physique du plateau pour figurer l'idéalité, comment procède le comique ? C'est la deuxième branche de l'alternative. «Quand on veut, au théâtre, se faire une idée de l'homme, il faut exiger une créature concrète incarnant parfaitement l'idéalité qu'elle représente, ou bien une créature prise au hasard.» La modalité par laquelle le comique assume son rapport à la généralité est celle-ci: le hasard. Kierkegaard nous avait prévenus, quelques lignes plus tôt. «Même pas besoin d'exclure quelqu'un pour cause de défaut corporel. Au contraire, pareil hasard produit, en l'occurrence, le meilleur effet. Si quelqu'un a les jambes arquées ou les genoux cagneux, s'il a poussé trop vite ou s'est précocement noué, bref, s'il est un exemplaire défectueux, d'une façon ou d'une autre, il peut bien trouver un emploi dans une farce et l'effet qu'il provoque peut être incalculable. Juste après l'idéal, en effet, vient le hasard comme ce qui en est le plus proche.»[49] C'est donc le hasard qui permet de s'extraire de la facticité, non par l'idéalisation destinale, mais par le fortuit: «le spectateur s'en accommode, en voyant le hasard prétendre comiquement être l'idéalité.»[50]


Dans le comique, en particulier le plus poussé, le plus populaire, se noue cette rencontre paradoxale entre le type général et l'individualité singulière, fortuite. Ainsi fonctionne, de façon théâtralement accusée, appuyée, la reprise, qui ouvre à ce que notre auteur appelle, un peu plus loin, «une compréhension lyrique du rire»[51]. Lyrique parce qu'idéale sans doute, à hauteur de l'idéal dans le burlesque et le singulier. La généralité assume alors, dans le comique, une fonction exactement analogue à celle de l'éternité dans la lecture de Job. J'y vois une parenté, inattendue mais réjouissante avec, selon Novarina, la gloire de Louis de Funès : «Insoumis, hérétique, balanceur de grimaces, sur la corde, c'est un singe très saint, qui rend très saintes les choses comiques et très comiques les choses sacrées.»[52]


*


Si la répétition agit au théâtre de façon permanente, générale, essentielle — si elle touche à son essence, si le théâtre doit se voir défini comme art de la répétition — la traque par Kierkegaard et ses créatures de la reprise, si difficile, nous fournit un élément d'éclaircissement. Pour en reprendre les termes, on peut dire que ce qui se répète au théâtre, d'une répétition à l'autre (je veux dire: d'une séance de travail à la suivante, dans la recherche d'une nouveauté, d'un non-encore advenu), mais aussi d'un public à celui du lendemain (dans la poursuite répétitive de la singularité du jouer, au cœur de cette réitération incessante, comme cette réitération même) ce serait l'extraction du passé hors du fait accompli, pour en exhiber–de façon brechtienne — la possibilité, la variation possible, et pour la réinscrire dans le cours du temps comme devenir. Ainsi entendue — de façon théâtrale — cette réinscription ne peut se faire que comme reprise. D'un événement qui se voudrait tout neuf, sans être reprise de rien, je ne sais s'il faudrait récuser la possibilité, mais il est certain qu'il serait extérieur à ce que nous appelons théâtre. Le «théâtre» saisit l'événement comme réitération, dans sa nouveauté. Sans reprise ainsi entendue, il cède à la capture d'un passé identique, ou à la rêverie d'un futur fantôme. Le réel produit le nouveau comme répétition: mais répétition en avant, inventive, créative. Que cette reprise soit à entendre comme transcendance, rupture de l'immanence selon le mot de Lévinas[53], c'est sans doute une question que nous adresse, d'outre-tombe, la voix lointaine du jeune homme danois dont j'ai tenté de faire résonner ici, un instant, le surprenant écho.[54]



Denis Guénoun, (Université Paris Sorbonne)
Mars 2016



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[1] Certes, le modèle de la performance, son concept, son dispositif, font aujourd'hui question pour le théâtre, renouvelant ainsi le problème classique de l'improvisation, si lié à son histoire. Mais c'est une sollicitation, un bousculement: comme le font ou l'ont fait en d'autres temps, le cinéma, la danse, la peinture etc. Le théâtre semble voué à cette inquiétude du voisinage, de la croisée. Ce qui ne l'empêche pas de creuser son chemin.

[2] G. Deleuze, Différence et répétition, PUF 1968.

[3] S. Kierkegaard, Œuvres complètes, tome V, Éditions de l'Orante 1972, pp. xv et 231. (Edition ci-dessous citée comme O5.) Cf. la note détaillée de N. Viallaneix dans S. Kierkegaard, La Reprise, GF-Flammarion 1990, pp. 56-57. (Édition ci-dessous citée comme R.)

[4] R, p. 87. O5, P. 20.

[5] R, p. 130. , p. 54.

[6] R., pp. 163-165. , pp. 86-87.

[7] R, pp. 172-174. O5, pp. 94-95.

[8] R, p. 115 et aussi p. 119. O5, pp. 43 et 46.

[9] R, p. 163, et aussi pp. 164-165. O5, pp. 86-87.

[10] «Les cris d'allégresse du jeune homme semblent donc sonner faux. A vrai dire, l'exposé de Kierkegaard ne va pas sans artifice. Il cherche, semble-t-il, à camoufler son dépit en présentant l'échec qu'il subit comme une victoire depuis longtemps désirée». R, p. 216, n. 145.

[11] R, pp. 111-120. O5, pp. 40-46.

[12] R, pp. 93-114. O5, pp. 26-42.

[13] R, p. 94. O5, p. 26 (Tisseau traduit: son sosie).

[14] R, p. 97. O5, P. 29.

[15] R, pp. 65-68. O5, p. 3-5.

[16] «C'est clair et net. Ni le futur ni le passé ne sont. Il est impropre de parler des trois temps, passé, présent, futur. Il serait plus approprié de parler des trois temps, présent du passé, présent du présent, présent du futur.» Saint Augustin, Les Aveux, nouvelle traduction des Confessions par Frédéric Boyer, P.O.L. 2008, Livre XI, p. 323. L'idée d'un «présent du présent» introduit déjà, au sein de l'instant présent, mais dans un tout autre dispositif, un certain redoublement.

[17] R, p. 97. O5, p. 29.

[18] «La personnalité n'est pas encore découverte. Son énergie s'annonce seulement dans la passion de la possibilité.» R, p. 94. O5, p. 27.

[19] R, p. 96. O5, p. 28.

[20] Par ex.: «il me faut constamment le reprendre: c'est à l'occasion de la reprise que je dis tout cela. La reprise est la nouvelle catégorie qui doit être découverte». R, pp. 87-88. O5, pp. 20-21.

[21] R, p. 87 (et les commentaires de la traductrice en notes, qui renvoient à Aristote, Physique, III, 1). O5, p. 21. Cf. S. K., Les Miettes philosophiques, trad. P. Petit (1947), Seuil (1967), Points 1996, pp. 124-127.

[22] R, p. 174. O5, p. 95.

[23] «La crise et une crise dans la vie d'une actrice», trad. P. H. Tisseau, O5, vol XV (1981), désormais repris en volume sous ce même titre, éd. Rivages-poche, 2012.

[24] S. K. La Crise… éd. Rivages-poche, op. cit. pp. 74 et 79. Je souligne.

[25] On peut penser, dans une analogie apparemment très extérieure, à la réflexion de Stanley Cavell sur l'Amérique comme «seconde chance», par exemple dans son travail sur La Comédie du remariage dans le cinéma américain. Cf. S. Cavell, A la Recherche du bonheur–Hollywood et la comédie du remariage (1981), Editions de l'Etoile–Cahiers du Cinéma, 1993.

[26] «“Re-nouveau” serait son nom le plus fidèle», écrit N. Viallaneix. R, p. 19.

[27] Cité dans R, p. 22-23.

[28] R, pp. 141-158. O5, pp. 64-79.

[29] R, p. 156. O5, pp. 78. Jb 42, 7-17. Souligné dans le texte.

[30] A l'exception de la mort des enfants. Cf. R, p. 164. O5, p. 87.

[31] R, p. 141. O5, p. 64. Jb 1, 21.

[32] Ibid.

[33] R, p. 142. O5, pp. 64-65. Jb 7,11; 10,1; 27,2. Je souligne. «Combattre avec»–si je comprends bien–au sens ici de «lutter contre».

[34] R, p. 151. O5, p. 74. Je souligne. Aussi: «il maintient hardiment sa conviction. Il prétend être en bonne intelligence avec le Seigneur; il sait qu'il n'est pas coupable (…)», R, p. 152. O5, p.74.

[35] R, pp. 145-146. O5, p. 68. Je souligne.

[36] Je souligne. C'est Hegel qui est visé, et ses «dépassements», qui ne font aucun mouvement réel, mais sont une simple médiation logique, un mouvement abstrait.

[37] R, p. 130. O5, pp. 54-55. Je souligne.

[38] Cf. par ex.R, pp. 173-175. O5, pp. 94-96.

[39] Cf. C. Carlisle, «Kierkegaard and Heidegger», The Oxford Handbook of Kierkegaard, 2013, http://www.oxfordhandbooks.com/view/10.1093/oxfordhb/9780199601301.001.0001/oxfordhb-9780199601301-e-23 . L. Chestov, Kierkegaard et la philosophie existentielle, Vrin rééd. 2006, p. 27. S.K. Traité du désespoir (La Maladie à la mort), trad. Ferlov et Gateau (1949), Folio-Gallimard, 1996, pp. 101-108. La formule «Tout est possible», bien en dehors de ce contexte kierkegaardien, a eu aussi une fortune particulière (et non exempte d'équivoques) dans l'histoire politique.

[40] R, p. 165. O5, p. 87.

[41] R, pp. 22-23, avec les références en notes 19 et 20, pp. 45-46. Je souligne.

[42] Sur tout cela, R, p. 93. O5, p. 26.

[43] R, p. 99. O5, p. 30.

[44] R, p. 99. O5, p. 30. Je souligne. Le «paradis»: au sens des Enfants du paradis, c'est à dire des troisièmes ou quatrièmes galeries, places à très bon marché.

[45] Eschyle, Agamemnon, v. 551 (Eu gar pepraktai). Trad. D.G. (1977), à paraître.

[46] R, p. 101. O5, p. 32.

[47] R, p. 103. O5, p. 34.

[48] Cf. «Théâtre et poésie: propositions», http://denisguenoun.org/2016/01/21/le-texte-de-lintervention-a-la-rencontre-theatre-et-poesie/

[49] R, p. 103. O5, p. 33. Je souligne.

[50] R, p. 104. O5, p. 34. Je souligne.

[51] R, p. 106. O5, p. 36.

[52] V. Novarina, Pour Louis de Funès (1985), in Le Théâtre des paroles, P.O.L 1989-2000, p.148.

[53] E. Levinas, De Dieu qui vient à l'idée (1982), rééd. Vrin 1998, p. 15.

[54] J'ajoute ici l'écho d'un hasard biographique, par fidélité à un disparu. Lorsqu'en 1971, Robert Gironès m'invita à m'associer à la création de sa nouvelle, et très jeune, compagnie de théâtre, je réfléchis avec lui sur le nom à lui donner. Au milieu d'une conversation, et parmi bien d'autres possibles, je jetai un peu au hasard le terme provocant de «reprise». Kierkegaard, que je n'avais pas lu, n'avait rien à y faire. C'était plutôt, au milieu de tant d'apologies de la création dont le concept ou au moins la notion en usage me paraissaient un peu suspects, une référence à Derrida, qui préférait à l'apologie d'une nouveauté sortant de rien la compréhension des coutures, des renvois et relances, du re-travail d'un matériau. C'était provocant, parce qu'à l'époque on aurait pu croire que ce nouveau groupe ne prétendait à rien de neuf, mais seulement à refaire des spectacles déjà produits avant lui. Gironès ne recula pas, et le Théâtre de la Reprise commença une carrière qui devait le conduire, au cours d'une belle et vivante histoire, jusqu'à la mort de son fondateur en 2000.



Denis Guénoun

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Dernière mise à jour de cette page le 8 Avril 2016 à 11h10.