Je suis très sensible à la solidité des arguments présentés dans ce texte, entre autres au panorama extrêmement précis et nuancé des conditions de la diffusion des livres et à l'évolution de la fonction de la critique littéraire journalistique. Quelques interrogations provoquées par cette mise au point :
Si la presse a abandonné sa fonction d'institution de valorisation de la littérature, il reste le fait que l'Université n'y est pas forcément adaptée non plus. C'est-à-dire : les méthodes d'analyse littéraire modernes (celles nées avec la création de l'Agrégation de Lettres Modernes), étaient fondées sur une présomption de valeur littéraire de leur objet. Ainsi, leur fonction restait, malgré tout, d'essence descriptive, du moins quant au jugement de la valeur littéraire : leur objet était a priori littéraire. Le fait de commencer par un corpus déjà littéraire n'a pas empêché d'aboutir à des théories de la littérarité, mais même celles-ci n'ont, en général, rien de prescriptif ; il s'agit en effet plutôt d'identifier les caractéristiques essentielles et définitoires d'un ensemble de textes dont on ne met pas en cause les frontières. Ainsi, les méthodes de la critique universitaire traditionnelle ne visaient pas à l'origine la formulation d'un jugement, puisque ce jugement était considéré comme acquis.
Si aujourd'hui l'Université doit s'accorder le rôle d'instance de valorisation, voire de « sacralisation », de la production contemporaine - ce qui est inévitable dès lors qu'on choisit d'étudier certains auteurs et non pas d'autres, et souhaitable, puisque l'argument est convaincant selon lequel une littérature vivante requiert une instance de valorisation plus durable que l'effet médiatique des rentrées littéraires -, sa méthode doit également trouver les moyens de justifier ses choix. Et, à moins de remplacer le système des salons, ces moyens se doivent d'être en quelque sorte scientifiques, au sens où leurs fondements devraient pouvoir être rendus explicites. Le goût ou une « compétence culturelle » liés à l'autorité des universitaires ne sauraient être les seuls critères de cette validation. Seul un retour sur soi de l'Université dans sa fonction d'instance de jugement peut éviter que ce jugement soit autre chose qu'une opinion. Certains des travaux existants sur la littérature contemporaine répondent à cette question individuellement, à propos des auteurs et des oeuvres étudiées. Il semble intéressant de la poser pour l'institution en général.
L'exigence de l'explicitation des fondements du jugement universitaire mène cependant à une aporie, ou du moins à une autre question : si l'Université formule ses critères, comment ceux-ci peuvent-ils ne pas être déjà dépassés, par le fait même d'être formulés ? Les « vrais littéraires » - dans le contexte toujours moderne ou moderniste qui est le nôtre - ne seront-ils pas justement ceux qui sont en avance par rapport aux critères universitaires, et donc en contradiction avec eux ? Si l'Université cherche à atteindre, dans son rôle de valorisation, un statut scientifique, comment peut-elle échapper au piège d'une sorte d'Académisme, fût-il moderne ou postmoderne ?
Loin de moi l'idée de m'opposer par là à une présence de la littérature contemporaine à l'Université. La clarté et la pertinence de l'exposé de Dominique Viart permettent de mieux poser de telles questions mais il me semble, cependant, qu'à partir du moment où l'Université est un acteur sur la scène littéraire contemporaine, elle peut de moins en moins faire l'économie d'une réflexion sur les valeurs.
Dominique Vaugeois vaugeois@fabula.org
Pages associées: Contemporain, Valeur, Littérature contemporaine et valeur.