Atelier

«Jean Cayrol et la collection Ecrire: de l'écriture blanche à l'écriture verte»


Marie-Laure Basuyaux


Pour qui connaît, si peu que ce soit, l'oeuvre de Jean Cayrol, la lecture des premiers ouvrages publiés sous sa direction dans la collection «Ecrire» constitue à n'en pas douter une source d'étonnement.

On sait que l'idée que Cayrol se fait de la littérature est très étroitement liée à une conception de l'Histoirepuisqu'il est l'un des premiers à affirmer l'existence d'une rupture radicale de l'histoire littéraire depuis l'événement concentrationnaire, et à prôner l'avènement d'une littérature lazaréenne, censée porter les stigmates de cette expérience de déréliction, littérature dont il expose dès 1949 les principes dans un texte, intitulé «Pour un romanesque lazaréen»[i].

On sait aussi que Roland Barthes a forgé le concept d'«écriture blanche», énoncé dans le Degré zéro de l'écriture, en s'appuyant sur un corpus comprenant des oeuvres de Camus, Queneau et Cayrol. Dans son incarnation cayrolienne, l'écriture blanche est une écriture privée d'élan, qui donne à voir ses faiblesses, ses ratures, et se déploie dans des fictions qui s'ingénient à miner la cohérence de l'univers qu'elles mettent en place.

Parallèlement à ce travail d'auteur, Cayrol a mené au Seuil une intense activité d'éditeur. Recruté en 1949 comme conseiller éditorial dans la maison de la rue Jacob, il y fonde et dirige pendant dix ans, de 1956 à 1966, la revue Ecrire et la collection du même nom, consacrées à la publication de premiers textes. Si la revue disparaît en 1965, la collection, elle, poursuit son activité durant quelques années. Jean Cayrol en assure encore la direction durant un an, puis la confie à Claude Durand, auteur lui-même issu d'«Ecrire». La collection s'arrête à son tour en 1969. En dix ans, Cayrol aura donc décidé de la publication de 41 auteurs, Claude Durandétant responsable des 18 suivants.

Pour en dresser la silhouette à gros traits, la collection «Ecrire» se compose de textes de facture plutôt classique, qui empruntent davantage à la tradition du récit psychologique qu'au Nouveau Roman qui naît à la même époque. Peu de choses unissent donc de prime abord le manifeste lazaréen et les oeuvres éditées dans la collection.

De cet étonnement initial naît, logiquement, une question: celle de la manière dont s'articulent les deux engagements de Cayrol: engagement d'auteur, au service d'une écriture lazaréenne qui porte la trace de l'événement concentrationnaire ; et engagement d'éditeur, au service d'écritures en formation, qui ne sont pas encore arrivées à maturité. En résumé, et pour reprendre l'expression de Roland Barthes en lui associant la formule de Jean Cayrol, la question est de savoir comment s'articulent la pratique de «l'écriture blanche» et la promotion d'une « littérature verte[ii]».

Cette question demande à être confrontée au principe même d'«Ecrire»: il s'agit d'une collection dédiée à des premiers textes, qui publie donc, dans la grande majorité des cas, des auteurs jeunes. Ce principe de collection peut être considéré de prime abord comme un critère absolument externe, davantage lié à la biographie des auteurs qu'aux oeuvres elles-mêmes; il me semble pourtant que c'est précisément lui qui demande à être interrogé si l'on veut saisir la spécificité du projet éditorial de Cayrol. On peut se demander ce que recouvre cette orientation, autrement dit ce que Cayrol, par ce choix, espère faire entendre.

Les auteurs publiés dans la collection «Ecrire» sont, pour la plupart, des jeunes gens de 25 à 30 ans: ils sont nés dans les années 1930, et furent enfants ou adolescents durant la guerre. Un tel effet de cohorte pousse à lire ce corpus dans une perspective sociologique : c'est bien le portrait d'une génération que construisent ces oeuvres qui choisissent de mettre en scène de jeunes adultes dans des récits d'une singulière amertume. Cette approche permettra peut-être d'éclairer d'un jour nouveau la conception très spécifique que Cayrol a forgée de la notion de témoignage.

Bien évidemment, la collection est loin de rendre compte de manière objective de la production de l'époque : un choix a été opéré, qui implique la défense d'une certaine idée de l'écriture. Les oeuvres d'«Ecrire» ont souvent été considérées comme des oeuvres classiques. Cela dit, il serait hâtif de ne voir dans ces auteurs qu'une «couvée néoclassique»[iii]. Un indice doit suffire à nous mettre en alerte: le fait que cette collection, qui n'a rien d'une collection d'avant-garde, contienne des noms qui compteront dans le renouvellement des formes puisqu'ils constitueront précisément la dernière avant-garde littéraire: on songe à Philippe Sollers, Boisrouvray, Michel Maxence, Jacques Coudol, et, pour la revue, à Marcellin Pleynet, Denis Roche ou Jean-Pierre Faye. Comment expliquer un tel hiatus? A lire le corpus d'«Ecrire», on se dit que le classicisme de ces textes a peut-être été décrété de manière quelque peu hâtive. Envisager cette hypothèse nous permettra de prêter attention, moins aux révolutions ou aux ruptures éclatantes que proposeraient ces oeuvres (qu'on n'aurait guère de chance de trouver), qu'au subtil travail de déplacement qu'opèrent certaines d'entre elles.

Enfin, le principe de collection a également son importance lorsqu'il s'agit de comprendre son impact dans le champ éditorial de l'époque. Là encore, il faudra affronter un paradoxe: «Ecrire» est une collection très modeste, de faible visibilité puisque son tirage ne s'élève qu'à 250 exemplaires par oeuvre ; elle ne comporte aucun titre majeur et aucun n'est actuellement disponible. Il s'agit aujourd'hui, littéralement, d'une collection illisible tant elle est invisible. Pourtant, son rôle fut loin d'être négligeable: il suffit, pour s'en convaincre, d'observer l'écho qu'elle reçut dans les médias[iv].

La question se pose donc de l'influence exercée par cette collection dans la construction de l'identité du Seuil et dans son positionnement par rapport aux autres éditeurs. C'est aussi en tenant compte du destin de ses recrues que l'on pourra dire avec plus de justesse si, oui ou non, la collection «Ecrire» fut le vivier d'auteurs qu'elle aspirait à être.

L'obsession des commencements

Déclarations d'intentions

Créer une collection est un geste lourd de présupposés: cela revient à affirmer qu'une lacune existe dans le champ éditorial, que certaines oeuvres jugées importantes ne trouvent pas à être éditées et qu'on entend ouvrir un espace pour les accueillir.

A la manière d'un étendard qui afficherait hautement les raisons de son combat, le principe éditorial d'«Ecrire» est énoncé dès le sous-titre de la collection: «Premières oeuvres publiées sous la direction de Jean Cayrol aux éditions du Seuil». Il est ensuite développé et argumenté dans trois déclarations d'intention.

En 1956, la première, intitulée «Le coin de table»[v] inaugure le principe de la revue-collection en en présentant le projet. Jean Cayrol y légitime son entreprise en adressant des reproches à une certaine pratique éditoriale : «Faire qu'un auteur soit définitif, tel est le projet, l'ambition de certains croquants des oeuvres anciennes et contemporaines». A l'inverse de cette tendance, l'éditeur d'«Ecrire» se propose de nous donner à voir la fabrique de la littérature contemporaine et de nous faire assister à la naissance des écrivains.

Deux ans plus tard, dans Ecrire 5, Cayrol propose un nouveau texte, «Mal à propos», de portée plus nettement critique. Il y déplore la docilité ou plutôt la rouerie des jeunes écrivains qui, pour ne pas rebuter les éditeurs, leur offrent ce qu'ils attendent, quitte à se trahir eux-mêmes[vi]. Là où Cayrol entendait porter au grand jour toute une littérature clandestine, il découvre des auteurs sans révolte. Ce constat, il le résume d'une phrase : selon lui, ces jeunes auteurs «collabore[nt] pacifiquement à l'histoire littéraire[vii]». Et l'on devine de quel poids de condamnation une telle formule est porteuse lorsqu'elle est énoncée par un ancien résistant[viii].

En 1966, enfin, lors de la disparition de la revue, un dernier texte, «Ecrire change de formule», est chargé de légitimer la poursuite de la collection. Cayrol en appelle de manière plus insistante que les fois précédentes à la responsabilité du lecteur, censé participer à «l'invention d'un jeune écrivain».

Si chacune de ces déclarations a donc sa cible privilégiée (l'éditeur d'abord, le jeune auteur ensuite, le lecteur enfin), toutes ont pourtant en commun le rejet de l'oeuvre achevée, du produit, au profit de l'oeuvre en formation, c'est-à-dire du procès. Les implications de ce principe éditorial ne sont pas négligeables : la collection est donc vouée à éditer des textes qui sont naturellement présentés comme des ébauches[ix] puisqu'ils doivent permettre à un auteur de faire ses premiers pas.

A posteriori, les auteurs d'«Ecrire» eux-mêmes parleront souvent sans ménagement des textes publiés dans la collection. Claude Durand, dont le premier texte, Le Plat du jour, composé à dix-huit ans, fut publié dans «Ecrire», rend hommage au travail d'éditeur de Cayrol en ces termes: «Il fallait évidemment quelqu'un pour animer ça qui se dévoue complètement à lire des textes, des bredouillis d'adolescents, qui les fasse travailler, qui sache reconnaître dans un manuscrit nul de 80 pages, la page qui signale un écrivain[x]».

Une pré-littérature

Publier des «bredouillis d'adolescents» peut difficilement passer pour un argument de collection… Ce handicap apparent est pourtant assumé et même revendiqué par Cayrol qui en fait paradoxalement l'atout de sa collection. Les images auxquelles il a recours dans «Le Coin de table» pour promouvoir celle qu'il appelle une «littérature verte», une «pré-littérature» dessinent de manière très expressive les contours d'une écriture fondamentalement rugueuse et hétérogène, livrée avec ses scories, et dont on peut saisir la genèse en décelant les différents éléments qui la composent[xi].

Quelle forme prend donc cette littérature assurément vigoureuse, pleine de sève, mais dont la métaphore de Cayrol nous avoue qu'elle n'est pas encore tout à fait mûre?

Il s'agit d'abord de textes qui semblent chercher à tester leur voix: ils se présentent sous la forme d'une succession de notations, de styles et de tonalités très variés, se livrent à une sorte d'exploration des possibles et donnent l'impression qu'ils n'ont pas encore véritablement choisi de quelle manière ils comptaient s'emparer de l'écriture[xii]. Ce caractère d'ébauche ou d'inachèvement peut aussi se traduire, selon Cayrol, par la fable des récits. C'est en tout cas de cette façon qu'il interprète certains des textes qu'il publie. L'un d'eux, Le Vent, de Jean Abraham, met ainsi en scène l'errance d'un personnage dans un périmètre limité: un paysage d'estuairequi comprend quelques maisons dispersées, des chemins, la mer, une rivière, des champs, et très peu de présences humaines. Cette déambulation dans un paysage presque vide d'hommes est analysée par le directeur d'«Ecrire» comme le signe d'un texte inachevé, dont le décor aurait été posé mais dont tous les autres éléments, protagonistes ou intrigue, manqueraientencore[xiii].

Cette attention portée à l'émergence d'une écriture, d'un univers fictionnel ou d'un personnage, à tout ce qui conduit à la naissance d'une oeuvre, a l'intérêt de modifier en profondeur l'idée même de littérature et l'appréhension que peut en avoir le lecteur. Donner à voir la littérature actuelle dans son travail de fabrication suggère la possibilité d'une accession progressive à l'espace littéraire et implique une forme de désacralisation. Le choix du titre de la collection en est, dans sa simplicité même, le révélateur: il se place sous le signe de l'écriture, et non de l'oeuvre littéraire, et fait le choix d'un verbe d'action, de production, là où d'autres ont préféré le mot «Littérature». Quelque chose est donc ici en germe, qui tourne autour du couple écrivant/écrivain et qui entretient un dialogue avec les analyses que Barthes formule dans les mêmes années. Cayrol le dit dans les premières lignes du «Coin de table»: «on ne sait pas quand ni comment la littérature se fait ou se défait». En choisissant de montrer comment on écrit aujourd'hui, c'est-à-dire comment on s'achemine vers la littérature, il répond en quelque sorte à la demande de Barthesqui réclamait de remplacer la réflexion sur l'histoire de la littérature par une réflexion sur l'institution de la Littérature[xiv].

Cette attention accordée aux écritures naissantes n'a été rendue possible que par l'existence conjointe de la revue et de la collection. Ce fonctionnement double a offert des conditions d'édition particulières qui ont certainement eu un impact sur la nature des oeuvres publiées. Le modèlede la revue-collection n'est certes pas une exception: Les Lettres Nouvelles, Tel Quel ou Le

Chemin adoptent également ce fonctionnement dans les années 1960. Cela dit, le fait de créer simultanément la revue et la collection demeure, me semble-t-il, une spécificitéd'«Ecrire». On observe en général un décalage, même modeste, chez les autres éditeurs: une année d'écart entre la revue et la collection pour Les Lettres Nouvelles, trois ans pour Tel Quel, huit ans pour Le Chemin[xv].

Dans le cas d'«Ecrire», la collection entretient une relation d'étroite dépendance avec la revue. Les textes y paraissent collectivement à raison de trois à cinq oeuvres par numéro, et simultanément en édition séparée, mais à faible tirage. C'est donc la revue et non la collection qui fait fonction de vitrine pour eux et leur assure à la fois publicet rentabilité. Elles n'auraient sans doute pas été éditées dans une collection «normale», destinée à des oeuvres véritablement achevées. Cayrol lui-même le laisse entendre dès la création de la collection, lorsqu'il évoque en ces termes l'avenir des auteurs d'«Ecrire» : «Maintenant je pense qu'ils peuvent publier des livres «comme tout le monde», si l'on peut dire. Ils peuvent avoir un tirage illimité[xvi]». On remarque d'ailleurs qu'à partir de la disparition de la revue, ce ne sont plus tout à fait les mêmes oeuvres qui sont publiées par «Ecrire»: il s'agit désormais de textes plus longs et plus achevés.

C'est en effet l'association de la revue à la collection qui permet d'assurer la promotion de textes de longueur modeste, se limitant parfois à une quarantaine de pages[xvii]. Cette brièvetéqui caractérise le corpus d'«Ecrire» rend possible la publication d'auteurs qui n'ont, comme le dit Claude Durand, «pas le souffle pour faire une oeuvre longue»[xviii], mais elle favorise également les expériences d'écriture, un peu à la manière du court métrage par rapport au long métrage.

Si l'on accepte donc de considérer la collection «Ecrire» comme un espace donné à l'expérience, il reste à déterminer si cette liberté accordée aux auteurs est perceptible à la lecture des oeuvres. L'observation du corpuspublié par la collection frappe évidemment par sa diversité: pour en donner une idée, on peut rappeler qu'elle rassemble en son sein le futur auteur du Bal du Dodo, Geneviève Dormann, et l'auteur du récent Coma, Pierre Guyotat. Mais tout catalogue de collection peut sans doute susciter cette impression d'éclectisme qui demande à être dépassée.

Lorsqu'on parcourt les pages de la revue, et en dépit des contrastes qui opposent l'écriture de ces différents récits, on reste frappé, dès les premiers volumes, par la convergence de leur tonalité. C'est cette unité, qu'on peut interpréter comme un marqueur de génération, qui nous retiendra d'abord.

La collection d'une génération

La plupart de textes publiés par «Ecrire» s'inscrivent dans un cadre contemporain et mettent en scène des protagonistes adolescents ou de jeunes adultes. C'est donc leur propre génération, celle du tournant des années 1950-1960, que les auteurs d'« Ecrire» mettent en scèneà travers le choix de ce personnel romanesque. Lorsqu'on s'interroge sur le visage de cette génération et sur sa manière d'envisager le monde, on est d'abord tenté de rapprocher son cynisme et son apparent dégagement de la posture des Hussards, dont les oeuvres la précèdent de peu.

Cynisme et désenchantement

Car c'est une sombre jeunesse que mettent en scène ces récitsqui déploient, de préférence à tout autre, le motif de la solitude. Il s'agit certes d'un topos de l'adolescence, mais qui a ici l'intérêt d'être abordé hors de tout épanchement, et presque en haine du lyrisme.

Ce motif s'incarne parfois de manière très concrète lorsqu'il prend la forme d'un éloignement spatial. Dans La Tentative, Gérard Clérot isole son protagoniste, un détenu en cavale, dans une grange cernée par les eaux d'une inondation; il nous donne à lire sa longue attente, vouée à l'échec. Comme un serpent heureux, de Françoise Volclair, place son héros «seul dans la montagne, assis sur un rocher, entouré de glace, comme en attente, et n'attendant rien»[xix].

Cela dit, ce sentiment de solitude est loin de s'atténuer dans le contact avec d'autres corps, et c'est paradoxalement dans les situations de proximité physique qu'il s'exprime de la manière la plus nue. La relation amoureuse est ainsi placée, de manière symptomatique, sous le signe d'une destruction. Elle prend la forme de la prédation (dans Les Sauterelles de Béatrice Mabillais), de la torture mentale (chez Philippe Sollers), du fantasme de domination (pour L'Amazone de Michel Braudeau), de la manipulation (dans le texte d'Ange Christine[xx]) ou encore de l'humiliation systématique (chez Louis Sermaise[xxi]). Quant à la sexualité, elle est envisagée comme une mise à mort (chez Philippe Sollers, Michel Braudeau et Béatrice Mabillais) ou se limite à une pratique onaniste (chez Raphaël Sorin ou Pierre Guyotat). Toute forme d'unionapparaît comme un impensable, voire comme une menace pour ces êtres qui cultivent avec acharnement une forme de distance intérieure[xxii].

C'est donc l'amertume et la cruauté de ces textes qui frappent dans un premier temps et qui constituent la tonalité dominante du corpus d'«Ecrire». Cette noirceur est sans doute ce qui distingue ces récits de ceux des Hussards: là où Roger Nimier et Antoine Blondin proposaient des récits mêlant amertume et allégresse, verve et désinvolture, quelque chose semble s'être perdu pour les auteurs d'«Ecrire» chez qui il ne reste bien souvent qu'un cynisme désespéré.

Le poids de l'Histoire

La solitude et l'impossibilité de toute relation humaine sont placées au coeur de ces textes de manière si exclusive qu'elles paraissent conduire à l'éviction de toute représentation du monde. Uniquement préoccupés qu'ils sont de la description d'un état intérieur ou d'une relation, beaucoup d'entre eux donnent le sentiment d'une sorte d'abstraction du monde. Le narrateur de Françoise Volclair montre bien que toute attention portée à ce qui ne relève pas de son intériorité est considérée comme accessoire : «Que de fois on avait tenté de le secouer, de le réveiller, de lui faire voir le monde, de le jeter dans les détails[xxiii]».

Loin donc de se jeter dans les détails, et même si les récits adoptent, à quelques exceptions près, un cadre contemporain, ils n'accordent en général que peu d'attention à l'inscription de leur action dans un environnement réaliste. Sur ce fond d'abstraction, qui fait office de mise à distance du réel, les quelques bruits du monde qui transparaissent malgré tout de manière assourdie n'en ont que plus de sens. Or cette réalité qui affleure à la périphérie des récits est exclusivement celle de la guerre; guerre parfois lointainedans l'espace ou dans le temps, mais dont les échos parviennent jusqu'aux protagonistes.

Trois récits sont ainsi mis en relation avec la guerre d'Algérie, contemporaine de leur écriture. Elle occupe une place assez importante dans Les

Indolents, de François Jousselin, qui instaure un parallèle entre un amour adolescent et le destin d'un jeune appelé. Dans Le Plat du jour[xxiv], la guerre est posée comme une condition générale d'existence, un fond de pensée sur lequel se détache le récit : «Tout le monde a un parent là-bas, moi j'ai Maxime[xxv]» déclare incidemment le narrateur de Claude Durand. Si dans Le Monsieur imaginaire, on ne trouve qu'une seule allusion à la guerre, sous la forme d'un souvenir de chaleur, de vent, de sable et de sueur[xxvi], l'hypothèse que le protagoniste soit un soldat de retour d'Algérie donne pourtant un sens tout particulier au monologue intérieur de ce professeur de trente ans qui, de retour chez lui après sa journée de cours, gravit péniblement ses escaliers, se couche et meurt. On peut voir en lui un être qui ne parvient pas à revenir véritablement dans le monde, à la manière de certains des personnages lazaréens de Cayrol.

D'autres auteurs choisissent quant à eux d'inscrire leur texte dans une relation avec la Seconde Guerre mondiale en montrant ses conséquences dans le présent. Une triste nouvellede Michel Jourdain met en scène le retour d'un fils de collaborateur dans le village de son enfance. Le récit, organisé en une succession de monologues intérieurs, orchestre les rumeurs et la remontée des souvenirs que l'événement fait naître dans les consciences de chacun. Le Havre, la nuit, de Daniel Tougard, constitue en quelque sorte le négatif du récit de Michel Jourdain: la déambulation d'un fils dans les ruines du Havre est mise en relation avec l'existence d'un père lui-même détruit par la guerre.

Ces oeuvres semblent n'avoir choisi de s'ancrer dans une temporalité que pour dire l'impact d'une guerre contemporaine ou la résonance d'une guerre passée. Ainsi les intériorités sinistrées que ces oeuvres mettent en scène peuvent-elles être entendues comme le témoignage du désenchantement qui touche la génération d'après-guerre. Ce principe établi, il reste à déterminer quel type d'écriture Cayrol a promu au sein de sa collection.

Déplacements plutôt que révolution

Réaction vs innovation

Le principe d'«Ecrire», tel qu'il est présenté par Jean Cayrol dans la presse ou à la télévision, avait toutes les chances de susciter un vif intérêt chez les lecteurs, précisément sur cette question de l'écriture : on ne pouvait qu'être curieux de découvrir ce qu'une génération de jeunes écrivains entendait apporter ou bouleverser dans le champ littéraire contemporain.

«Ecrire» a pourtant laissé l'image d'une collection relativement traditionnelle, qui, si elle rend compte de son époque, le fait dans des formes souvent anciennes. Jean Cayrol lui-même alimente cette impression en critiquant la docilité excessive de ce qu'il appelle une «jeune littérature de notables». Reconnaissons que, pour un certain nombre d'oeuvres du corpus, le reproche est mérité. Les Jours de pluie de Jean Linnemer nous propose une sorte de réécriture maladroite de Mme Bovary; le texte de François Jousselin fait quant à lui le choix d'une écriture poétique un peu affectée, souvent émaillée de platitudes et des clichés. D'autres textes, dépourvus, eux, de toute maladresse, utilisent la forme classique du récit psychologique à narration ultérieure, et se caractérisent davantage par leur goût de l'aphorisme que par leurs expériences d'écriture.

Et pourtant, si l'on accepte de prêter attention à ces oeuvres, on découvre chez nombre d'entre elles un travail de renouvellement formel - sans doute discret et quelque peu désordonné - mais mené de manière continue au fil des volumes et auquel le directeur de collection ne put être étranger.

Peut-être l'horizon d'attente un peu ambitieux que suscita la collection explique-t-il l'incapacité des lecteurs d'«Ecrire» à apprécier l'insidieux travail de déplacement auquel se livrent ses jeunes auteurs. Plus que par une révolution ou même une franche opposition, c'est en effet par un art du décalage que se singularisent les textes d'«Ecrire». Certains de leurs titres ont à cet égard une valeur symbolique et disent, avec beaucoup de modestie, leur volonté d'emmener l'écriture vers un espace différent: on songe à «Bidules», «Autre chose» ou «La Tentative». Chacun de ces termes suggère une démarche expérimentale et une volonté de se placer en dehors des catégories préétablies.

De même, malgré l'impression que produit la présence de certains textes d'esthétique très classique, on remarque que ces oeuvres n'entretiennent pas toutes, loin s'en faut, une relation d'évidence avec l'écriture: nombre d'entre elles la donnent à voir et en font un objet de pensée. On relève ainsi au fil des volumes de Boisrouvray, Coudol, Maxence ou Sollers d'abondantes notations métapoétiques, remarques formulées par un auteur qui observe le mouvement de son écriture ou commentaires d'un narrateur qui critique le déploiement de sa propre parole[xxvii].

Ainsi les mots ont échoué sur ma page, chargeant ce terrain vague d'un fatras où quelque formule attend peut-être qu'on s'y penche. Et certes l'écriture est le véritable inventeur de mon univers: je découvre à mesure ce que je nomme. En la décrivant je m'ajoute cette plage, intérieure[xxviii].

Ce questionnement de leur écriture a conduit certains auteurs à mettre en oeuvre des stratégies proches de ce que pratiquent au même moment les Nouveaux Romanciers. Ainsi plusieurs d'entre eux refusent-ils de manière plus ou moins provocatrice d'asseoir leur texte sur une trame narrative : Le Vent de Jean Abraham nous entraîne dans une déambulation totalement dépourvue de motivation ou d'orientation, qui affiche avec le plus grand naturel sa gratuité; Comme un serpent heureux déclare très nettement, par la bouche de son héros, son rejet de l'intrigue: «Qu'on ne me raconte plus l'histoire de ma naissance. Elle ne m'intéresse pas plus que l'histoire de ma mort, que l'histoire du monde. Aucune histoire, maintenant, ne me distraira»[xxix].

Compagnons du Nouveau Roman, les textes d'«Ecrire» le sont aussi dans leur manière de construire un regard spécifique par le biais d'une écriture qui se donne pour objective. On en trouve l'écho dans l'écriture plate du Vent[xxx] ou dans le souci de précision géométrique et l'obsession du mesurable qui caractérisent Serge à trois tempsdont l'incipit «sonne» indéniablement comme un Nouveau Roman[xxxi].

Mon propos n'est certes pas de faire des auteurs d'«Ecrire» des épigones du Nouveau Roman, ce qui donnerait d'eux, à n'en pas douter, une image étrangement déformée. Si certains de ces textes font entendre une voix proche de celle de l'«Ecole du regard», d'autres vont chercher ailleurs leur modèle. Quelques-uns sont habités par la «rage de l'expression» qui caractérise l'oeuvre de Francis Ponge(on songe notamment à la savoureuse description que Michel Maxence fait de l'athlète[xxxii]); quelques autres font écho au romanesque lazaréen de Cayrol, par l'attention qu'ils accordent au réel quotidien (chez Jean Abraham), aux objets modestes et méprisés (la description du mégot chez Boisrouvray), ou à la vie élémentaire du corps (par exemple la mastication telle qu'elle est décrite par Gérard Clérot).

L'énumération de ces pôles d'influence donne sans doute le sentiment d'une grande hétérogénéité ou d'une incapacité de la collection à établir une ligne dominante. Elle montre pourtant que les textes d'«Ecrire», bien loin d'être le produit d'une couvée néoclassique, comme on a un temps pu le penser, demeurent extrêmement sensibles aux recherches menées à leur époque.

En haine de la frontière

Et si la plupart des expériences menées par les auteurs d'«Ecrire» peuvent être placées sous le signe d'une influence contemporaine bien précise, il en est une dont l'origine semble moins aisément repérable et qui domine pourtant ce corpus. Il s'agit du travail portant sur l'inscription générique. Les textes de la collection s'efforcent en effet de déplacer leurs frontières et d'empêcher ou de complexifier leur intégration à une catégorie. Ainsi Le Défi, de Philippe Sollers, dont on a vu qu'il constitue un très classique récit psychologique, a-t-il l'intérêt d'envisager son appartenance à un genre de manière volontairement provocatricedans la postface de son récit: «Le Défi ne pourrait se classer sans arbitraire dans un genre bien défini et, si l'on devait à toute force l'y contraindre, il vaudrait mieux, je crois, le prendre pour un essai[xxxiii]».

Là où la position de Sollers est théorique, celle de Boisrouvray, Jacques Coudol, Michel Maxence, Claude Durand, Dominique Tassel, Raoul Delaville, Françoise Volclair et bien d'autres, relève d'une pratiquevéritable : les textes de ces auteurs se caractérisent tous, à des degrés divers, par un travail de mélange des genres: essai, poème en prose, vers libres et récit s'y interpénètrent constamment. La Roue sous les tempes, de Dominique Tassel fait même de la relation entre les trois genres qui le composent, poème, critique et prose, sa raison d'être : «Ces trois écritures (…) ont donc une raison commune d'exister côte à côte: cette raison est critique. La critique est proprement leur seul mode de relation, donc ce qui les fonde».

Ce travail sur l'estompe et l'ambiguïté générique peut être lu comme l'expression d'une haine à la fois esthétique et idéologique de la frontière. C'est le texte de Michel Maxence qui nous y invite avec le plus de force: si son titre, «Les Contours» semble d'abord se placer sous le signe de la délimitation la plus stricte; on y découvre pourtant bien vite une satire du goût de l'homme pour la frontière sous toutes ses formes, et avant tout celle, exemplaire, de la Grande Muraille de Chine:

«Je pense à cette loufoque passion pour la limite qui nous saisit quelquefois, entre autres à cette muraille de Chine, chef-d'oeuvre farfelu du bornage. On n'a rien tenté depuis de plus massif pour poser une fois pour toutes que l'en-deçà n'est surtout pas l'au-delà, et qu'il s'ensuivrait du désordre si, tous gardiens égorgés sur cette grande et louche continuité de pierres, les deux venaient à faire un par amour[xxxiv]»

A cette obsession maniaque pour le contour, Michel Maxence répond par l'affirmation sexuelle et poétique du débordement, du «giclement», et par une esthétique du brouillage des frontières.

On voit vers quel horizon pointent ces recherches: cette mise à distance du genre au profit du texte n'est pas sans rappeler la dynamique qui anime le champ littéraire et critique de l'époque. Alors même qu'«Ecrire» n'a rien d'une collection d'avant-garde et qu'elle publie presque indifféremment des textes expérimentaux et des textes d'esthétique traditionnelle, elle n'est pas étrangère aux questions que soulève au même moment la Nouvelle critique.

D'autres collections, on le sait, tiendront pourtant ce rôle bien mieux qu'elle. Et lorsqu'on s'interroge finalement sur la place tenue par la collection dans le champ éditorial de l'époque, on est forcé de reconnaître que c'est pour tout autre chose que pour ses expériences d'écriture qu'elle a exercé une influence.

Place dans le champ

Destin d'une oeuvre vs destin d'un auteur

Le principe même d'«Ecrire» rend l'observation de son impact fort délicate. En effet, si l'on retient comme critère d'analyse la postérité des oeuvres de son catalogue, on a de fortes chances de conclure à la nullité de son action dans la mesure où «Ecrire» ne compte aucun texte majeur. A une exception près[xxxv], les écrivains qui ont vu leur première oeuvre paraître au sein de la collection se hâtent aujourd'hui de bannir de la liste de leurs publications ce texte qui montre des débuts souvent fort éloignés de leur écriture ultérieure.

Une évaluation plus juste de l'impact de la collection devrait donc s'appuyer moins sur le destin de ses oeuvres que sur celui de ses auteurs. Puisque la vocation d'«Ecrire» était de faire naître des écrivains en donnant à voir leur potentiel, on peut chercher à mesurer le succès de cette entreprise en observant l'évolution de leur carrière. On constate que si la moitié des auteurs n'ont, par la suite, publié aucune oeuvre (le texte d'«Ecrire» faisant figure d'hapax dans une carrière professionnelle parfois tout autre, par exemple scientifique), la revue a cependant joué son rôle d'accoucheur de talents pour un quart d'entre eux : cette première publication fut alors le point de départ d'une oeuvre relativement abondante[xxxvi].

Cette évaluation quantitative ne tient évidemment pas compte de la nature des publications: ici, un roman de Geneviève Dormann «compte autant» qu'un texte de Pierre Guyotat. Elle efface également l'existence d'auteurs poursuivant une carrière qui, sans être celle d'un écrivain, demeure liée à l'écriture: on songe aux journalistes, aux critiques et aux traducteurs qui firent leurs débuts dans «Ecrire»[xxxvii].

On doit pourtant s'arrêter sur une particularité de la collection, qui peut sembler anecdotique, mais qui vaut sans doute la peine d'être interrogée. Il s'agit de l'étonnante concentration de futurs hommes d'édition que comprend le corpus de la collection: Sollers est le fondateur, avec d'autres membres d'Ecrire, de Tel Quel et L'Infini; Claude Durand fut lui-même éditeur au Seuil, et dirige aujourd'hui les éditions Fayard; Jean-Pierre Faye, a créé, en 1968, la revue Change[xxxviii]; et Denis Roche a lancé en 1974 la collection «Fiction et cie». Il me semble qu'il y a là la possibilité d'une autre entrée pour analyser l'impact d'«Ecrire» dans le champ. On pourrait alors la considérer comme une collection qui crée non seulement des auteurs, mais aussi des éditeurs, voire des auteurs-éditeurs (c'est-à-dire précisément ce qu'est Jean Cayrol). L'influence d'«Ecrire» pourrait donc être envisagée comme une influence double ou doublement indirecte sur le champ puisqu'elle fait naître les auteurs qui fonderont des revues ou des collections d'avant-garde qui agiront à leur tour sur le champ. L'ironie du sortvenant de ce que la collection exerce une influence par le biais d'auteurs qui lui échappent souvent et qui lui font ensuite concurrence[xxxix].

Impact dans le champ éditorial

Pourtant, la collection n'aurait pas eu cette durée de vie (13 ans) si son action n'avait pas profité de manière très directe à la maison d'édition qui l'abritait. «Ecrire» a fait naître des auteurs, et les a fait naître au sein du Seuil, les inscrivant par conséquent à son catalogue. Si Claude Durand estime qu'«Ecrire» est : «la plus belle aventure éditoriale de l'après-guerre»[xl], on peut supposer qu'il ne fonde pas son jugement sur des raisons purement humanistes. C'est l'éditeur, parfaitement conscient des enjeux de catalogue et de concurrence, qui formule cet avis. Le secteur littéraire du Seuil s'est en effet bâti en partie grâce à «Ecrire». Maison récente (fondée en 1935 et possédant, en 1940, moins de dix titres à son catalogue[xli]), le Seuil occupait une place relativement mineure au début des années 1950. «Ecrire» a par conséquent joué pour elle le rôle d'une collection de recrutement, permettant de maintenir sous contrat de manière peu onéreuse un grand nombre d'auteurs et d'agrandir ainsi considérablement son catalogue.

Surtout, la collection modifie l'image attachée aux Editions du Seuil en faisant d'elle «l'éditeur des jeunes auteurs». Elle n'est pourtant pas la seule, ni véritablement la première, à occuper ce créneau. C'est Julliard qui, en 1954, créa le concept du jeune auteur en publiant le premier roman de Françoise Sagan, Bonjour Tristesse, qui connut le succès que l'on sait. Lancée en 1956, la collection «Ecrire» peut apparaître comme une réaction à la publication du texte de Sagan.

On sent l'existence de cette concurrence lors de la présentation que Jean Cayrol fit de sa collection à la télévision. Il éprouva le besoin de préciser que le premier texte édité par «Ecrire», Les Sauterelles, récit (composé par une toute jeune femme) qui met en scène un trio amoureux sur un mode à la fois très cru et très cruel, datait, pour sa composition, d'avril 1953. Manière de souligner que, malgré les apparences, il ne devait rien à Bonjour Tristesse[xlii].

Les deux éditeurs n'investissent pourtant pas la figure du jeune auteur de la même manière. Là où Julliard se livre à une exploitation publicitaire de la jeunesse de Françoise Sagan et met en avant son style de vie jugé scandaleux, Le Seuil se positionne en défenseur de la création contemporaine. Ainsi s'opère, entre les deux maisons, un partage du champ éditorial à partir du même argument.

L'impact de la collection «Ecrire» est donc loin d'être négligeable, tant sur le champ éditorial contemporain que sur l'image des Editions du Seuil. Par l'espace qu'elle a offert à des écritures naissantes, elle aura d'abord permis à la maison de la rue Jacob, essentiellement reconnue comme un éditeur catholique et engagé, de promouvoir une littérature de recherche et d'expérience. Par la place qu'elle a accordée ensuite à l'écriture d'une cohorte de jeunes écrivains, elle aura surtout été à l'origine d'une autre conception de l'histoire littéraire, envisagée moins comme un ensemble organisé de manière nécessairement chronologique autour d'années

charnières que comme la traduction, par l'écriture, de l'état d'esprit et de la voix d'une génération.

Marie-Laure BASUYAUX, Université Paris IV-Sorbonne



[i]

D'un Romanesque concentrationnaire, Esprit, n° 159, septembre 1949, p. 340-357, contribution à l'enquête d'Esprit intitulée : «Littérature de dérision ou littérature de résurrection», repris sous le titre Pour un Romanesque lazaréen (1950) puis De la Mort à la vie (1997).

[ii] «Le Coin de table», Ecrire 1, 1956.

[iii] J'emprunte l'expression à l'analyse d'Anne Simonin : «L'édition littéraire», p. 30-88, in Pascal Fouché, Histoire de l'édition française depuis 1945, Electre-Editions du Cercle de la Librairie, 1998.

[iv] Le 31 octobre 1956, Jean Cayrol fut invité par Pierre Desgraupes à présenter le principe de la revue dans l'émission Lectures pour tous; de nombreux articles de presse rendent compte de la naissance de la revue dans le courant de la même année.

[v] Placée en tête de «Ecrire» 1.

[vi] «Mal à propos»

[vii]

Ibid.

[viii] Plus largement, l'auteur du romanesque lazaréen ne conçoit la relation au texte que sur le mode de la déstabilisation: le lecteur lui-même doit accepter un livre «comme un attentat sur sa propre personne», «Mal à propos», Ecrire 5.

[ix] Significativement, Cayrol parle de l'intérêt d'observer l'évolution de notre langage, son avenir «même dans une inexpérience», «Ecrire change de formule»

[x] Orsenna, Erik, Le Bon plaisir: Erik Orsenna, Radio France, France Culture, 1995, témoignages de Claude Durand et Jean-Marc Roberts sur Jean Cayrol

[xi] «Le Coin de table»: «Littérature (…) encore désordonnée, avec ses scories, ce timide gravier qui grince entre les phrases, entre les pensées, composée parfois avec des miettes, des reliefs de lecture, d'effusion, dans laquelle l'écrivain-né fait son or, son magot, sa magie près d'un feu qui n'attend pas».

[xii] Le texte de Fernande Schulmann est un exemple de ce type de pratique : il se compose pour une part de courtes assertionsénoncées sur un ton de moraliste, tantôt définitions, tantôt aphorismes ; de petites descriptions, sortes de tableaux fugitifs ; de quelques scènes ou d'images relevant d'une esthétique surréaliste, de brefs autoportraitsou encore de propos métapoétiques[xii]. L'ensemble, fortement hétéroclite, offre une vision à la fois sévère et cocasse du monde (Fernande Schulman, Bidules, 1958).

[xiii] Pierre Desgraupes, Lecture pour tous, 1956.

[xiv] «Cette institution de la Littérature (comme ce serait là d'ailleurs un beau sujet de recherches pour la critique, et sans doute plus efficace que toutes les «Histoires de la Littérature»!)», Roland Barthes, «L'Espace d'une nuit», Esprit, n°8, juillet 1954, p. 150-152, repris dans Roland Barthes, Œuvres complètes, t. 1 (1942-1965), p. 422-424.

[xv] La revue Tel Quel est créée en 1960, la collection en 1963 ; la collection «Le Chemin» est fondée en 1959 et la revue lancée en 1967; la revue L'Infini naît en 1983, la collection en 1984; Les Lettres Nouvelles(revue) naissent en janvier 1953 et courant 1954 pour la collection

[xvi] Pierre Desgraupes, Lecture pour tous, 1956.

[xvii] C'est le cas des oeuvres de Béatrice Mabillé, Jean Abraham, Jacques Engelmann, Jean Burgos, Jacques Louvières, etc.

[xviii] Entretien avec Claude Durand (Marie-Laure Basuyaux, Ecrire après. Les récits lazaréens de Jean Cayrol, th. doct., Annexes).

[xix] Le deuxième récit de Paradis, oeuvre de Jacques Coudol, limite son personnage à l'espace de sa chambre.

[xx]

Tellement quellement, 1961

[xxi]

Louise, 1956

[xxii] Dans Le Défi, Sollers nous montre un personnage qui refuse de se laisser atteindre et cherche à se rendre inaccessible à force de maximes acérées et de jugements sarcastiques sur les hommes; Françoise Volclairdonne à lire le travail de toute une vie, mené par son narrateur, pour tuer en lui le désir et l'espoir de bonheur, pour condamner tout élan intérieur et s'éduquer à l'indifférence et à la résignation. Le texte se conclut sur ces mots, qui disent la profondeur de la suspicion que le personnage cultive à l'égard de la vie: ««Il n'a rien désiré. On ne l'a pas trompé» (Françoise Volclair, Comme un serpent heureux, p. 71).

[xxiii] Françoise Volclair, Comme un serpent heureux, p. 46.

[xxiv] Claude Durand, Le Plat du jour: ««J'aime tes yeux de race fière.»/ Je disais aussi à Mahmoud: «Ils sont venus pour que je parte, le coeur m'a réformé, (…). Mais nos sangs sont de semblable résistance, il n'est pas de race à vivre franc, et si ta terre était mon bien, ma foi, ma mère en peine, / J'oserais ce que tu vas faire». (14) Le lecteur, quant à lui, représenté sous la forme d'un «vous», est assimilé au touriste qui passe ses vacances en Algérie en pur consommateur dans l'inconscience du conflit.

[xxv] Claude Durand, op. cit. p. 10.

[xxvi] Yves Véquaud, Le Monsieur imaginaire: ««A d'autres, la sieste. Je n'ai jamais pu la supporter, même là-bas, et pourtant la chaleur vous y obligeait presque. Rien à faire. Tout reste fermé jusqu'à quatre heures. Le vent, le sable. La sueur partout.», p. 19.

[xxvii] Chez Boisrouvray, Coudol, Maxence ou Sollers par exemple. Ce corpus comprend aussi des oeuvres aux allures d'apologues, tout entières consacrées à une définition du geste artistique : c'est le cas de Jalons de Jean-Paul Lambert, et surtout de l'inclassable récit de Jacques Engelmann, Les Amphigourdiers, qui décrit avec une minutie maniaque l'artisanat de l'amphigourde (cet objet totalement improbable et évidemment imaginaire) dont la production exige un engagement presque mystique de celui qui la travaille et qui fait figure d'allégorie du travail littéraire.

[xxviii] Boisrouvray, Autre chose, p. 6.

[xxix] Françoise Volclair, Comme un serpent heureux, p. 31.

[xxx] Jean Abraham, Le Vent: ce texte, tout en se consacrant presque exclusivement à la description d'un paysage, se refuse à toute métaphorisation, comme en haine de l'oeuvre de Gracq.

[xxxi] Raphaël Sorin, Serge à trois temps, p. 3 et 4. «Le soldat casqué de la place de la Mairie à S… regarde l'horloge municipale depuis quarante ans. / Depuis dix minutes, Serge était assis devant une table du café de la Boule d'Or et son regard rencontrait le soldat casqué, depuis l'horloge. / Il avait choisi cette place parce qu'elle se trouvait à l'extrémité d'une ligne qui reliait l'horloge au casque et le casque à la table. (…) Serge (…) sortit son mouchoir de la poche droite de son pantalon, en prenant soin d'en retenir le tissu de la main gauche, pour empêcher la doublure de sortir en même temps que le mouchoir.»

[xxxii] Michel Maxence, Les Contours, p. 53: «L'athlète mise tout sur la dureté d'un jarret. Il travaille à l'harmonie de ses confins comme à la grande affaire de la vie. Le peu qu'il est, il le durcit dans un gymnase. Ses oppositions sont de corps, non d'esprit. (…) L'athlète croit ferme à son petit contraste, qu'il perfectionne à force de cuisses et de bras denses. (…) Cet homme qu'on voit si entêté de son contour et de l'harmonie générale de ses chairs a pris le parti d'avoir le plus systématiquement recours aux choses, sous forme des plus inutiles: haltères, balles, disques, etc.(…) Il choisit d'être frénétiquement réel. (…) Aussi comprend-on qu'il ait partie liée avec les choses. Sans elles, c'en serait fait de ce petit contour qui le passionne». Dans cette manière obstinée et précise d'approcher son sujet, de poser sur lui un regard à la fois intensément attentif et profondément amusé, d'en faire ressortir l'absurde à force de précision, dans l'idée enfin d'avoir «partie liée avec les choses», il entre beaucoup de l'auteur du Parti pris des choses. On retrouve des hommages similaires dans les textes de Boisrouvray ou Jacques Coudol.

[xxxiii] Philippe Sollers, Le Défi, p. 30.

[xxxiv] Michel Maxence, Les Contours, p. 68.

[xxxv] Raphaël Sorin, Serge à trois temps, réédité en 1992

[xxxvi] Pour Geneviève Dormann, Philippe Sollers, Juan Penalver Laserna, Jean-François Josselin, Jean Chalon, Pierre Guyotat, Yves Véquaud, Raphaël Sorin, Michel Jourdain, Michel Braudeau.

[xxxvii] Des traducteurs: Maurice Régnaut, Claude Durand, Dominique Tassel; des journalistes: Jean-François Josselin, Raphaël Sorin; des critiques: Jacques Coudol, Michel Maxence, plus tard Laurent Jenny.

[xxxviii]

Change quittera Le Seuil pour passer chez Laffont

[xxxix] Si l'on devait chercher un indice de l'influence actuelle du travail d'éditeur de Cayrol, on pourrait le trouver dans les déclaration de Paul Otchakovsky Laurensdont l'entrée en édition est placée sous le signe du modèle que constitua pour lui le travail de Cayrol(Pamela Doussaud, Le Bon plaisir: Paul Otchakovsky Laurens, Paris, Radio France, France Culture, 10 septembre 1988, 300 min., avec Paul Otchakovsky Laurens et Jean Cayrol). Bernard Wallet, directeur des Editions Verticales, rend lui aussi hommage au travail que Cayrol effectua pour «Ecrire»: l'esthétique de ses couvertures (un bandeau sombre sur fond blanc) rappelle, selon son propre aveu, les couvertures d'«Ecrire» (Michèle Gazier, «"Minimales" fait le maximum», Télérama, 6 novembre 2002, p. 26).

[xl] Erik Orsenna, émission citée.

[xli] Voir l'article d'Anne Simonin cité précédemment.

[xlii] «C'est un texte, il ne faut pas l'oublier, qui a été écrit en avril 1953, c'est-à-dire avant Françoise Sagan» (Jean Cayrol interrogé par Pierre Desgraupes, Lectures pour tous, émission citée).



Marie-Laure Basuyaux

Sommaire | Nouveautés | Index | Plan général | En chantier

Dernière mise à jour de cette page le 24 Février 2007 à 20h38.