Atelier




Victor Bérard ou la préparation du film, par Sophie Rabau

Extrait de Cinématismes. La littérature au prisme du cinéma, sous la direction de Jacqueline Nacache et Jean-Loup Bourget, Bern, Peter Lang, coll. "Film Cultures, 2012.
Texte reproduit avec l'accord de S. Rabau et J. Nacache, ainsi qu'avec l'aimable autorisation des éditions Peter Lang, qui proposent également l'introduction de J. Nacache: Le cinéma imaginaire (pdf).

Cet article a par ailleurs été présenté lors de la septième séance (04 mai 2012) du séminaire Anachronies, à laquelle ont également participé Jean-Louis Jeannelle (lire Homo cinematographicus: sur l'hypothèse d'une préhistoire du cinéma) et Jacqueline Nacache.




Victor Bérard ou la préparation du film


Les histoires du cinéma mentionnent rarement l'adaptation cinématographique de L'Odyssée, réalisée vers 1927, à partir des travaux de l'helléniste Victor Bérard. De ce film aujourd'hui perdu, il ne nous reste malheureusement que trois photogrammes. Les quelques témoignages que nous possédons nous permettent toutefois d'en reconstituer une séquence:


- Plan d'ensemble sur un chemin qui s'enfonce dans une forêt touffue.[1]

- Carton: «La forêt de l'enchanteresse».

- Un homme s'enfonce dans la forêt. Il est vêtu d'une tunique courte artistiquement déchirée et serrée à la taille.

- Gros plan sur le visage de l'homme. Il porte une barbe abondante qui hésite entre la barbe Troisième République et la barbe de marin. Le spectateur reconnaît Ulysse. Ulysse écarquille les yeux, manifestement très étonné.

- Un jeune homme décemment dévêtu entre dans le champ. Il porte une baguette à la main.

- Carton: «Hermès à la baguette d'or».

- Hermès se rue vers Ulysse et l'empêche de passer. Ils discutent avec animation.

- Carton: «Où vas-tu, malheureux? Chez Circé, où tes gens sont transformés en pourceaux?»

- Ulysse, l'air dévasté et désemparé, regarde Hermès, comme s'il lui demandait ce qu'il peut faire.

- Plan d'ensemble d'un paysage maritime.[2]

- Même décor. Toutefois, c'est un barbu habillé en marin du xviie siècle qui se trouve face à un jeune homme aussi peu vêtu qu'Hermès, mais qui porte des habits tahitiens. Ils sont interprétés par les mêmes acteurs que ceux qui faisaient Ulysse et Hermès et semblent avoir une discussion similaire (le spectateur a déjà été informé dans une séquence précédente que ce marin n'est autre que le capitaine Cook).

- Carton: «Toujours et en tous lieux, le marin trouve de l'aide pour échapper à la femme maléfique».

- Au plan suivant, retour à Hermès qui arrache du sol une sorte de radis noir et le tend à Ulysse interloqué.

- Carton: «Tiens, c'est l'herbe de vie! Avec elle, tu peux entrer en ce manoir, car sa vertu t'évitera le mauvais jour».

- À nouveau, plan du paysage marin.

- Le jeune Tahitien tend un légume – peut-être un poireau – à son marin.

- Fondu enchaîné, les mêmes acteurs incarnent soudainement un homme lui aussi barbu à la manière Troisième République, mais habillé cette fois en tenue coloniale d'été (le spectateur reconnaît Victor Bérard, narrateur et héros du film). En face de lui, l'acteur qui faisait Hermès incarne cette fois un jeune berger grec un peu plus habillé mais tout aussi frisé et tend à Bérard ce qui ressemble à un légume.

- Carton: «Comme Hermès, le bon Alekos m'a montré les plantes bénéfiques du lieu».

- L'écran se divise alors en trois et l'on voit avancer sur le chemin, de gauche à droite, Ulysse et Hermès, le capitaine Cook et son Tahitien et enfin Bérard et Alekos.

- La caméra suit Victor Bérard et le bon Alekos. Comme ils se rapprochent d'une clairière, le bon Alekos montre du doigt quelque chose à Bérard.

- On découvre des cochons.[3]

- Carton: «Les pourceaux de Circé».

- Une femme lascive habillée d'un costume chargé, plus art déco qu'autre chose, se tient nonchalamment au milieu des pourceaux.

- Carton: «Circé!»

- Ulysse est face à Circé.

- Fondu enchaîné: on retrouve Cook en train de refuser le cochon que tient à lui offrir une belle Tahitienne.

- Carton: «Les cochons de Tahiti».


Hélas, ou heureusement, ce film n'a jamais existé. On n'en trouvera pas trace dans les archives, et les photographies – que nous avons, quelque peu abusivement, considérées comme des photogrammes – ne sont en rien les précieux restes d'une pellicule perdue.

Mais ce film aurait pu exister. Victor Bérard, philologue et historien, actif dans la première partie du xxe siècle (1864-1931), célèbre traducteur de L'Odyssée, a accompli sur le texte d'Homère ou à partir de ce texte une série de gestes qui se traduisent aisément dans le langage cinématographique: montage, découpage, dramatisation, repérage.[4] Tout se passe comme s'il avait préparé une adaptation cinématographique de L'Odyssée.

Cette hypothèse est comme autorisée en première analyse par une coïncidence de dates – Bérard soutient sa thèse vers 1895, au moment de la première projection des frères Lumière. En outre, vers 1928, le critique Albert Thibaudet suggère aux studios américains qui entendaient porter Homère à l'écran de s'adresser à Monsieur Bérard.[5]

Mais il ne suffit pas d'être deux (Thibaudet et moi-même) pour avoir raison, ni d'avoir des intuitions séduisantes pour approcher de la vérité. Tout se passe peut-être comme si Victor Bérard avait préparé un film, mais il ne l'a pas faitet sans doute n'y pensait-il absolument pas. Supposer le contraire marquerait un irrespect des faits difficilement défendable.

On pourrait certes convoquer une autre autorité et s'en remettre à Vaihinger et à La Philosophie du comme si: une fiction intellectuelle est valable au sens où elle permet de faire quelque chose, d'agir, de redécrire le réel, de produire un objet, d'approfondir une réflexion.[6] C'est son caractère opératoire qui valide l'hypothèse contrefactuelle, et l'hypothèse d'un Victor Bérard préparant un film est en effet opératoire. Toutefois, à en rester là, on ne répondrait pas à une question tout aussi pertinente: pourquoi cette hypothèse est-elle contrefactuelle, et si elle est opératoire, qu'est-ce qui l'a empêché de s'avérer?

C'est donc une double question qui s'offre à nous: pourquoi, d'une part, l'hypothèse cinématographique est-elle opératoire dans le cas de Victor Bérard, pourquoi est-il en effet possible de cartographier le réel de manière à y déceler des liens entre le 7e art et la philologie; pourquoi, d'autre part, Victor Bérard, quelque regret que l'on puisse en concevoir, n'a-t-il jamais travaillé à une adaptation cinématographique de L'Odyssée?

L'histoire du premier cinéma offre un début d'explication à cette rencontre manquée. Au début du xxe siècle, au moment donc où Victor Bérard accomplit l'essentiel de son travail documentaire, le cinéma emprunte en effet deux directions apparemment divergentes. D'une part, le cinéma tend vers la science. À sa naissance, il est perçu comme un moyen de représentation qui semble paradoxalement réduire, voire annuler l'écart mimétique, présenter plus qu'il ne représente, et permettre ainsi l'avènement d'un idéal scientifique d'objectivité. D'autre part, fils du music-hall et des spectacles de magie et de prestidigitation, le cinéma naissant est aussi le lieu de la fantaisie, de la magie, le moyen d'une évasion hors des lois de la réalité. Cette double détermination qui traverse le premier cinéma anime également la lecture que fait Victor Bérard de L'Odyssée. Cette lecture est teintée d'un double élan apparemment contradictoire vers un scientisme objectiviste d'une part et vers une remise en cause des lois de la réalité empirique, d'autre part.

Poser le cinéma à l'horizon de la démarche de Bérard revient donc à traquer la «magie» qui pointe sous la science du savant. Dans cette optique, Bérard se laisse facilement amener vers les rivages du 7e art, mais aux rivages seulement, car là où le cinéma se donne comme magique et documentaire à la fois, Bérard est fermement persuadé, de n'être qu'un serviteur de la Science et, en aucun cas, un artiste ou un amuseur. Le geste cinématographique que semble receler la démarche de Bérard ne pouvait pour cette raison exister qu'en puissance, à moins que le savant ne nous ouvre la voie pour passer des regrets au projet, à moins que ce film reste encore à réaliser.


La Science et la magie


Par Science objective, on désigne ici le projet de s'approcher d'un objet sans écran d'aucune sorte entre l'observateur et cet objet. Parce qu'il est philologue et historien de l'Antiquité, Bérard se donne comme idéal de s'approcher au plus près du monde décrit par L'Odyssée. En effet, le texte d'Homère serait selon lui la retranscription des voyages accomplis en Méditerranée par les Phéniciens, peuple de marins par excellence. Plus précisément, Homère aurait eu connaissance et se serait inspiré des instructions nautiques phéniciennes, ces périples qui décrivaient les principales routes maritimes. Par quoi L'Odyssée est «un document géographique, la peinture poétique mais non déformée» de la Méditerranée phénicienne.[7]

Mais l'expression «non déformée» doit s'entendre en un sens moins optimiste que dans cette déclaration programmatique. La représentation est effectivement déformée, mais il est possible de réparer la déformation, de produire sur le texte un discours et une interprétation qui lui rendent son statut de document et qui, par là, permettent d'annuler l'écran de la représentation. Cette stratégie d'écrasement de la représentation sur l'objet détermine deux gestes fondamentaux: une manipulation directe du texte qui vise à en effacer au maximum tout signe énonciatif, à en faire un énoncé le plus transparent possible; un mode de lecture que je qualifierai d'hyperréaliste, qui vise non pas à lire, mais à explorer le monde dont est censé parler le texte, à substituer l'exploration à l'interprétation: lire, c'est se rendre dans le monde dont parle le texte. Le premier geste repose sur le postulat que L'Odyssée est un texte dramatique, qui montre beaucoup plus qu'il ne dit: l'histoire (actions, dialogues et descriptions) y est donnée immédiatement et le plus directement possible. Selon Bérard, seuls les aléas de la transmission textuelle nous empêchent de bien voir la transparence du texte qu'il postule. La division en chants qui réunissent des scènes hétérogènes est le fait d'une intervention (relativement) tardive des savants d'Alexandrie, les digressions sont le fait d'interpolateurs, les retours en arrière qui compliquent la structure sont le résultat de jointures tardives entre des pièces indépendantes. Bien plus, le texte nous a été transmis sous une forme narrative et non dramatique.

Le savant doit donc retrouver ce qu'était L'Odyssée, ce texte transparent qui laisse voir son objet, qu'il s'agisse de l'action ou du décor méditerranéen, ce discours qui tend à la présentation plus qu'à la représentation. Victor Bérard va donc travailler à enlever du texte toute marque de mise en forme énonciative. Pour ce faire, il le redécoupe en séquences correspondant chacune à une action ou à un épisode. Quand cela est nécessaire, il remet ces séquences en ordre chronologique, traque les répétitions, supprime les digressions, bref nous offre un texte linéaire dont la disposition ne doit pas occulter l'action. Enfin il donne au texte une forme quasi dramatique: le nom du personnage est indiqué avant chaque réplique, toute prise de parole collective étant attribuée à un chœur. Les discours restant à la charge du narrateur sont traduits dans un style qui vise le plus possible à donner l'impression de vie, notamment par un travail important sur le rythme et la syntaxe. Mais il ne suffit pas de restaurer ce texte à sa transparence car, même alors, Bérard doit bien admettre que la réalité géographique est quelque peu insaisissable, ce qu'il explique de deux manières: Homère est un poète et il a tendance à présenter de manière imagée ce dont il parle (un cyclope pour un volcan, par exemple); parfois, Homère a travaillé de seconde main, et a mal compris ce dont parlait son modèle, le fameux périple phénicien. Le savant doit alors cesser de lire le texte et partir en voyage, pour découvrir ce dont parle, parfois avec inexactitude, ce texte.

De fait, la lecture est systématiquement présentée chez Bérard comme de moindre efficacité herméneutique que l'expérience du monde. Ainsi faut-il comprendre qu'il insère dans les quatre volumes de son étude géographique sur L'Odyssée de nombreux extraits du journal de bord qu'il tint lors de ses voyages en Grèce sur les traces d'Ulysse. Mais un discours qui ajoute des mots sur le monde n'est pas assez immédiat encore, constitue encore un obstacle. Pour réparer l'écart que cause la représentation, Bérard va plus loin encore en faisant photographier ce qu'il pense être les lieux dont parle L'Odyssée. Ainsi est né l'album photographique Dans le sillage d'Ulysse qui réunit les photographies des lieux odysséens pris par le photographe Frédéric Boissonnas, à la demande de Victor Bérard. Ce sont ces authentiques photographies de Frédéric Boissonnas qui m'ont fourni les faux photogrammes avec lesquels j'ai illustré mon film inexistant.[8] Pour se rapprocher du monde d'Ulysse, il convient donc de montrer que le texte est un miroir, puis de traverser le miroir pour aller jusqu'au monde qu'il reflète. Bérard rêve de cette chose étrange, contradictoire presque dans les termes: une mimesis où la représentation ne fait pas écran, mais laisse voir le monde de manière transparente.

Nous savons bien que le cinéma n'est en rien un art transparent et que s'il semble mettre la réalité sous nos yeux, ce n'est là qu'une impression.

Toutefois cette impression est dominante au moment de la naissance du cinématographe, perçu comme un curieux médium sans médiation, comme une représentation qui présente le réel brut. Certes, les plus prudents de ces spectateurs parlent d'une impression ou de sensation de vie ou de réalité,[9] mais leur discours glisse constamment de l'impression de vérité à l'idée que c'est la vérité: «Cette mer est si vraie»,[10] «ces baigneuses sont d'une vérité merveilleuse»[11] et le spectateur se trouve «face à face» avec «un fragment de vie.»[12] Bien plus, l'idée apparaît chez les frères Capek en 1910 que le cinéma pourrait bien donner réalité (et non vraisemblance) aux contes les plus invraisemblables qui «se [dérouleront] presque physiquement devant nous»: la fiction même sera présentée et non plus représentée.[13]

Le cinéma est donc cet art qui laisse advenir le monde, si bien d'ailleurs que la question se pose de savoir s'il s'agit vraiment d'un art: «l'art est une transposition. Le cinéma ne transpose pas. Il montre.»[14]

Si le cinéma n'est pas un art, c'est peut-être qu'il est – on retrouve Bérard – une science, notamment une science auxiliaire de la géographie, si l'on suit Remy de Gourmont: «[…] Considéré du point de vue scientifique, le Cinématographe est une des plus curieuses et même une des plus belles inventions de notre temps […]. Je ne doute pas qu'un jour il ne nous donne les paysages avec toutes leurs couleurs, les nuances du ciel et des forêts.»[15]

Donner les paysages odysséens, c'est exactement ce que veut faire Bérard, et le cinéma ainsi compris répond à son idéal scientifique. D'abord, au plan de l'objet recherché par la philologie, le cinéma est ce qu'il pense qu'était l'art d'Homère: un enregistrement du monde. Par quoi les manipulations sur le texte homérique visant à sa dramatisation se décrivent assez exactement comme un travail d'adaptation où l'on enlève le plus possible du texte toute marque d'énonciation, pour en faire une sorte de script prêt à filmer, de scénario si l'on veut. Ensuite, l'idée d'un cinéma qui donne présence à la fiction fait pendant à la démarche de Bérard: payant de sa personne pour suivre les traces d'Ulysse et livrant le journal de bord de son expédition, publiant ses photographies, il fait en sorte que l'histoire d'Ulysse se déroule le plus possible«physiquement devant nous», ce que le cinéma permet d'après les Capek. Enfin et surtout, le cinéma comme science achèverait à la perfection ce que Bérard a commencé: il rendrait à L'Odyssée ses décors naturels, présenterait l'expédition sur les lieux, auxiliaire parfait de l'expédition géographique dont les rapports écrits ne disent pas tout, et que la photographie fige.

Faire en sorte que l'histoire d'Ulysse se déroule sous nos yeux dans les authentiques paysages de la Méditerranée: le cinéma à sa naissance en serait capable, et pourrait répondre ainsi à la quête philologique de Bérard, lui permettre enfin d'abolir l'écran mimétique.

À quoi l'on pourrait répondre que l'art cinématographique du temps de Bérard ne travaille pas ou peu en décors naturels. C'est toutefois l'intérêt des hypothèses contrefactuelles qu'elles conduisent à exhumer des pratiques minoritaires, mais avérées. Le cinéma s'intéresse très tôt au décor naturel. En 1909, Max Brod imagine le récit d'un tournage et commence par ce qu'il nous faut bien appeler des repérages:

[…] à la recherche de nouvelles idées cinématographiques, aux environs de Paris, […] vous parvenez par exemple à une carrière de sable. Soudain un homme crie‹Voilà!› […] l'endroit est on ne peut plus propice à une nouvelle prise de vue qui pourrait alors s'intituler‹Drame dans les mines d'or californiennes.[16]

Cette manière de reconnaître non pas le réel dans la représentation, mais la représentation dans le réel est certes un geste de repéreur, mais c'est aussi à la même époque exactement le geste qu'accomplit Bérard en parcourant la Grèce à la recherche des lieux odysséens: «voilà» l'île des sirènes, la demeure de Circé, etc.

Et sans doute aurait-il facilement trouvé preneur, dans le monde cinématographique, pour ce repérage. Dès 1919, J. Feyder part dans le désert algérien pour repérer les lieux où il tournera son adaptation de L'Atlantide de Pierre Benoit en 1921. Un peu plus tard, en 1927, Abel Gance filme son Napoléon dans le décor naturel qu'est la Corse (1927).

Dans ces deux films, les cinéastes hésitent au montage entre les fonctions narrative et documentaire du cinéma: parfois les images font digression documentaire, montrent la (vraie) Algérie ou la vraie Corse, comme indépendamment de l'action. De même Victor Bérard, bien souvent, oublie l'intrigue homérique pour parler en une digression de la Grèce contemporaine.

Mais le plus bérardien de tous les cinéastes est peut-être, de manière surprenante, l'Eisenstein d'Octobre, si l'on en juge par le prologue rajouté à la version parlante du film: le film a été tourné sur les lieux mêmes de la révolution, il est joué par ceux-là même qui firent cette révolution et constitue«un témoin véridique de l'année 1917.»

Cette idée d'un témoignage véridique du passé traverse massivement le propos de Bérard. Homère a conservé l'image de la Grèce pour nous, comme le cinéma le fait au xxe siècle pour les générations futures. Les paysages de la Méditerranée sont inchangés, si bien que les décrire aujourd'hui, c'est décrire les paysages décrits par Homère. Il suffirait de filmer ces paysages, de les «donner dans leur vérité même», pour que la science cinématographique, auxiliaire de la philologie, livre à tous l'authentique paysage que décrivit Homère. De même, dans une séquence du Napoléon d'Abel Gance, on passe d'un plan sur la maison familiale de Napoléon en Corse au xixe siècle à la vision de la même maison au moment du tournage: la maison est d'abord recouverte de lierre, puis un fondu enchaîné nous en fait voir la façade nue et porteuse d'une plaque commémorative. Un nouveau fondu enchaîné ramène à la maison couverte de feuillage. En une séquence, Gance dit que le lieu présent et [que] le lieu passé sont les mêmes, mais aussi qu'il documente le passé plus qu'il ne le représente: c'est bien la même maison. Abolir la distance entre la Grèce présente et la Grèce passée d'Homère, documenter le référent, le présenter sans représentation, c'est là exactement le rêve de Bérard. Or chez Gance, le fondu enchaîné qui nous fait passer en accéléré du passé au présent et inversement n'est pas exactement conforme aux lois de la réalité et tient plutôt de la magie, de l'illusion. C'est aussi cette magie du cinéma qu'appelle la démarche de Bérard.


La magie du cinéma (et de la philologie)


Pour dire les choses brutalement, Bérard a besoin, s'il veut accéder au référent non déformé de L'Odyssée, de montages, de surimpressions et de fondus enchaînés, c'est-à-dire des moyens mêmes qu'utilise à l'envi le cinéma de son temps.

Sa pratique philologique s'inscrit en effet dans le cadre d'une pensée typologique où chaque objet observé est la réalisation d'un type abstrait éternel: type du marin, de l'explorateur, de la séductrice autochtone ou encore de la ville portuaire, de l'île, de la plaine marécageuse, etc. Tout discours sur une réalisation du type vaut pour la représentation d'un autre type. Si j'ignore quelque chose de l'exploration d'Ulysse, je peux me fonder sur les mémoires du capitaine Cook, autre réalisation du type de l'explorateur. De ce principe découlent un certain nombre de gestes qui tous ont en commun d'abolir les distances spatio-temporelles et qu'il n'est pas très difficile de mettre en rapport avec des gestes cinématographiques du premier cinéma. Dès que Bérard peine à décrire la réalité visée, selon lui, par Homère, ou quand il veut en quelque sorte la compléter, il juxtapose au texte d'Homère un discours visant une autre réalisation du même type éternel. La pensée typologique permet de coudre ensemble des réalités historiquement ou géographiquement hétéroclites. C'est ainsi que l'épisode des Lotophages est rapproché des récits des explorateurs anglais qui «désertent pareillement dans les îles des Antipodes», des instructions nautiques qui retrouvent les mêmes mœurs aujourd'hui dans l'île de Djerba, et de l'évocation par le capitaine Cook de l'Archipel des Amis dans la mer australe.[17] Par le miracle de la typologie, le temps et l'espace semblent abolis.

Dans la première moitié du xxe siècle, le cinéma favorise ces montages de réalités apparemment hétérogènes, voire hétéroclites. L'exemple le plus caractéristique en est Intolérance de Griffith: le combat éternel de l'amour et de l'intolérance se réalise sous différentes espèces d'une époque à l'autre; le montage cinématographique permet de tresser ces temps représentés alternativement, comme Victor Bérard tresse diverses représentations d'un même type. Certes, l'art et la pensée du premier xxe siècle sont, d'une manière générale, traversés par cette pensée du montage, comme l'a amplement montré Didi-Huberman.[18] Mais seul le cinéma permet de donner à voir, dans l'immédiateté même de la présentation, cet improbable mélange des temps.

De même, seul le cinéma aurait permis à Bérard de donner à voir les autres gestes vers lesquels le conduit la pensée typologique. Car il ne s'agit pas seulement de monter, mais aussi d'assurer un raccord entre les réalités rapprochées. Dans le cas des Lotophages, ces réalités sont juxtaposées sans lien ni transition de l'une à l'autre. La typologie autorise également divers types de raccords plus ou moins marqués. La transition peut ainsi se faire par l'affirmation d'une permanence du lieu et en particulier du décor méditerranéen: c'est notamment à coup d'adverbes disant la permanence que l'on va d'un objet à l'autre: «actuellement encore» et«toujours», sans oublier«de tout temps». Le raccord se fait par l'assertion d'un temps immobile, ramassé, qui contient comme en puissance toutes les époques, équivalent sur le plan verbal de l'image du berceau qui assure, chez Griffith, le passage d'une époque à l'autre. La transition se fait aussi chez Victor Bérard par une sorte de glissement d'un objet à l'autre. Alors qu'il évoque une île de Tahiti où un explorateur s'est vu offrir un cochon, le savant écrit par exemple: «L'Odyssée a aussi son île aux cochons où règne Circé la déesse perfide.»[19] Et à propos d'une reine qui a reçu l'explorateur Wallis au 18e siècle: «Cette bonne reine invite le commandant et ses officiers et les reçoit aussi magnifiquement que Circé et ses quatre nymphes ont jadis reçu le fils de Laerte.»[20]

Dans les transitions de ce type, un syntagme vaut également pour les deux objets évoqués: l'île aux cochons est celle de Circé et celle de Tahiti, l'adverbe«magnifiquement» décrit l'accueil tahitien et l'accueil de Circé. Par quoi l'objet que l'on abandonne est encore présent, tandis que l'objet suivant est déjà là; les deux scènes sont superposées. On pense à l'art du fondu enchaîné que Méliès utilise dès 1899 dans Cendrillon. C'est surtout de surimpressions d'images qu'est friand le cinéma de l'époque de Bérard, et de surimpressions Victor Bérard est tout aussi friand, ce à quoi l'autorise également la pensée typologique. Il représente en même temps les différentes réalisations d'un type, par une utilisation systématique d'expressions qui réunissent ce que le temps et l'espace devraient séparer. Par le biais d'antonomases, Bérard parvient ainsi à évoquer, entre autres, «ces cyclopes de l'extrême-orient», à nommer une Tahitienne qui n'en demande pas tant «cette pauvre Calypso», à affirmer que «la mer australe offrait en Tahiti son île de Calypso», quand il ne parle pas des «Anglais de Phéacie» ou ne renomme pas Alcinoos un brave banquier rencontré à Corfou vers 1910. Que dire de cet énoncé qui ne peut se comprendre que si nous acceptons de voir en même temps le xiie siècle, le début et la fin du xixe siècle: «Au xiie siècle avant notre ère, l'Achéen d'Ithaque menait la même vie ou peu s'en faut, que l'Albanais d'Hydra, de Spêzzia, de Psara et de Galaxidi au début de notre xixe siècle, et vers 1890, j'ai connu des compagnons d'Ulysse parmi les riches seigneurs-épongiers de Symi et de Calymnos.»[21]

Au cas où son lecteur peinerait à superposer de la sorte les époques ou les lieux, Victor Bérard n'hésite pas à payer de sa personne et à jouer, en même temps que son propre rôle, celui d'Ulysse. Tout le propos du journal de bord qu'il tient de ses expéditions de «repérage» est en effet de se représenter en Ulysse, d'accomplir sous nos yeux les gestes du héros, si bien que le récit de son expédition se lit en même temps comme une actualisation de L'Odyssée:«Nous prenons comme lui [Ulysse] le chemin de la guette»,[22] ou encore: «C'est simple malchance que nous n'ayons pas rencontré Circé en personne.»[23]

Si la réalité résiste et si Bérard peine à faire Ulysse, on revient au montage, l'action de L'Odyssée étant constamment mise en parallèle avec celle de Bérard. Ainsi, alors que le savant ne retrouve plus le moly, la plante magique qu'Hermès a donnée à Ulysse, mais un tout autre légume: «Ce n'est plus ici la plage du moly que connut Ulysse: c'est la plage de la tomate». Un écran partagé en deux comme chez Gance, ou un simple montage parallèle; d'un côté Ulysse et le moly, de l'autre Victor et ses tomates, c'est bien là ce qu'on nous donne à imaginer. Et si les époques diffèrent vraiment trop pour qu'on les rapproche, rien n'interdit de traverser le temps à vive allure et dans les deux sens, d'aller du présent au passé ou au futur et inversement comme par exemple dans ce passage caractéristique: «Que restera-t-il dans vingt ans du paysage odysséen, que mes yeux ont encore vu voici dix ans à peine?»[24]

Cette accélération du temps que l'on parcourt en tous sens, cet univers où l'on peut toujours revenir en arrière comme par magie, c'est bien sûr ce que le cinéma a donné à voir aux contemporains de Bérard, que ce soit chez Méliès où un homme décapité retrouve sa tête, ou chez Eisenstein, dans Octobre, quand les statues déboulonnées remontent à vitesse accélérée sur leur piédestal.

Si la démarche amimétique de Bérard appelait le cinéma comme un idéal qu'elle n'atteint qu'imparfaitement, pour la magie en revanche, le philologue n'a rien à envier au cinéma, et la pensée typologique le conduit à des dispositifs dont un croisement d'Abel Gance et de Méliès aurait pu faire un usage immédiat

À observer le travail de l'helléniste, on en vient à se demander pourquoi il n'a pas fait ce film qui était presque déjà prêt. La question n'est plus de savoir pourquoi Bérard aurait pu faire un film, mais pourquoi il ne l'a pas fait.


L'impossible cinéma


Bérard ne voit nulle fantaisie dans sa démarche, et la pensée typologique n'est pas, selon lui, magique: elle ne s'oppose en rien à son projet sérieux de documenter L'Odyssée, mais y participe. Si j'ai parlé de surimpressions, de montage parallèle, de fondus enchaînés, comme s'il y avait d'un côté une observation et de l'autre une mise en forme artistique, il n'est qu'une démarche scientifique pour Bérard, et elle vise tout entière à dire le référent odysséen.

Le premier cinéma négocie autrement le rapport entre la magie et la science, entre la fonction documentaire et l'artifice, et accepte sans difficulté la coexistence des deux tendances, documentaire et fantaisiste, du cinéma. Chez Gance, chez Eisenstein, chez Murnau même parfois, le projet de donner à voir la réalité ne semble pas contradictoire avec une manipulation artificielle de ce que l'on documente. Eisenstein dans Octobre filme ou dit filmer les décors authentiques, mais ne dédaigne ni les surimpressions, ni les montages audacieux, et autres dispositifs qui irréalisent l'image. Les premiers cinéastes tiennent un discours sur la réalité par le biais de l'artifice: comme si, pour accéder au réel, il fallait à un moment le déréaliser. Cette nécessité d'en passer par l'artifice pour dire le réel et l'histoire est d'ailleurs reconnue largement par certains intellectuels du temps de Bérard qui n'hésitent pas à confondre dans un même geste l'histoire, la mémoire et l'art.[25] À l'inverse, chez Bérard, la possibilité de l'art est déniée, ramenée au projet d'observer et de documenter. S'il avait pris au savant la fantaisie de passer au cinéma, il n'aurait sans doute eu que deux possibilités: soit il renonçait à utiliser l'équivalent cinématographique de ses gestes typologiques et produisait alors un film plat, strictement documentaire; soit il admettait que ces gestes typologiques étaient ceux, artistiques, du cinématographe et par là reconnaissait ce que sa pensée avait déjà d'artistique. C'est ce geste de déréalisation que la démarche de Bérard semble exclure, ou sinon exactement exclure, du moins conserver en puissance jusqu'à nous. Que faire alors de ce que la démarche de Bérard porte en puissance et dont nous décelons la possibilité jamais réalisée? La réponse est simple bien qu'ambitieuse: c'est un film qu'il nous faut faire à présent, non pas le film qu'aurait pu faire Bérard et que je me suis amusée à esquisser en ouverture, mais bien le film que nous pouvons faire maintenant, en suivant jusqu'au bout la démarche de Bérard.


Possibilité du cinéma


En effet, en décelant aujourd'hui la possibilité du cinéma chez Bérard, je me comporte en fidèle disciple du philosophe.

Là où Bérard rapproche typologiquement Ulysse, le capitaine Cook, et sa propre expédition, je rapproche le geste cinématographique et la démarche philologique en une démarche proche. J'y vois deux réalisations d'un même espoir de présenter le référent au lieu de le représenter, deux réalisations également d'une tentative de vaincre la distance temporelle et spatiale. Là où ce rapprochement suppose chez Bérard le regard surplombant du philologue, sa mémoire qui unit des pans du réel que le temps ou l'espace sépare, de même le rapprochement que je suggère suppose un autre regard surplombant, le mien, qui juxtapose la tâche aride du savant et l'art naissant du cinématographe. Mais tandis que Bérard travaille à restituer à la vie un objet qu'il croit authentique, j'admets – me séparant sur ce point du philologue – que ma démarche appelle non une reconstitution, mais une élaboration, qu'il me faut projeter un film, non pas exactement celui de Bérard, mais le mien tel qu'il naît de ma reconnaissance du film chez Bérard, le mien ou celui de tout historien qui reconnaît le film dans le travail savant sur L'Odyssée.

Dans ce film dont je ne livrerai ici que l'ébauche, je devrai, fidèle à la démarche de Bérard, me mettre en scène sur les traces du savant à la recherche d'Ulysse.

Je pourrais, par le montage, la division de l'écran, la surimpression, ou tout autre procédé de mon temps, y faire se rencontrer les temps – celui d'Ulysse, celui de Bérard, le mien et, pourquoi pas, celui du capitaine Cook. Je pourrais encore parcourir le temps et l'histoire du cinéma en tous sens, allant de la Méditerranée si bleue du Mépris de Godard, à celle en noir et blanc qu'aurait filmée Bérard, pour la coloriser ensuite ou encore lui donner, par la magie d'un filtre, cette couleur «de vin» dont parle Homère et que Bérard assurément aurait aimé filmer; puis, par la superposition de toutes ces mers, je redirais que rien ne change dans le décor naturel qu'offre la Grèce. Je ferais également se rencontrer ou se croiser Bérard et des cinéastes, qu'il eût, à mon sens, gagné à rencontrer: ainsi, selon la manière de Buster Keaton dans Three Ages ou de Cecil B. DeMille dans sa version de Jeanne d'Arc, le même acteur pourrait-il incarner – après tout ils portaient tous assez crânement la barbe – et Bérard, et Georges Méliès, mais aussi Homère et Ulysse. Tous les trois alors simultanément ou successivement uniraient leurs efforts, faisant le même geste sous différentes espèces pour donner l'illusion d'une Grèce vivante, présente sous nos yeux. Enfin, je ne résisterais sans doute pas au plaisir de tourner cette scène attendue où Bérard déguisé en dieu Hermès offre à Ulysse en chemin vers chez Circé, la tomate (il n'y a plus de moly) qu'il vient d'acheter au marché.

Ce faisant, je ferais peut-être un film, mais aussi de l'histoire et de la philologie, en tirant jusqu'au bout cette leçon de Bérard que le cinéma et philologie partagent le rêve impossible de donner présence au passé, de vaincre le temps et l'espace, tant par l'illusion de vie que par la fantaisie.

Car si c'est un lieu commun que d'évoquer la magie du cinéma, sans doute est-il urgent – j'aimerais en tout cas l'avoir suggéré – de s'intéresser d'un peu plus près à la magie de la philologie.


Sophie Rabau

Pages de l'atelier associées: Complexe de Victor Bérard, Cinéma, Anachronies.


Bibliographie


Banda, Daniel et Moure, José, dir. Le cinéma: naissance d'un art, 1895-1920. Flammarion, Champ arts, 2008

Bérard, Victor. Les Phéniciens et l'Odyssée. Paris: Armand Colin, 1902-1903 (1927: 2e édition remaniée).

___________Introduction à l'Odyssée. Paris: Belles Lettres, 1923-1925.

___________Les Navigations d'Ulysse. Paris: Armand Colin, [4 vol.: Ithaque et la Grèce des Achéens. Pénélope et les barons des îles. Calypso et la mer de l'Atlantide. Nausicaa et le retour d'Ulysse. 1927-1929 (1971)].

___________ L'Odyssée d'Homère. Etude et analyse. Paris: Mellotee, 1931.

___________Dans le sillage d'Ulysse, album odysséen, vec des photos de Frédéric Boissonnas. Paris: Armand Colin. 1933 [1973].

___________La Résurrection d'Homère. Paris: B. Grasset, 1930. On consultera également Jean Bollack. «Ulysse chez les philologues». La Grèce de Personne. Les mots sous les mythes. Paris: Editions du Seuil, coll.«L'ordre philosophique», 1997.

Calame, Claude. «L'Odyssée entre fiction poétique et manuel d'instructions nautiques. Un autre aspect de la question homérique». L'Homme n°181, Divination et cognition, 2007.

Didi-Huberman, Georges. L'image survivante. Paris: Minuit, 2002.

Montalbetti, Christine. Le Voyage, le monde, la bibliothèque. Paris: Presses Universitaires de France, coll. «Ecriture», 1997.

Rabau, Sophie. «Contributions à l'étude du complexe de Victor Bérard: sur une lecture référentielle de l'Odyssée», Lalies n°25. Paris: Editions Rue d'Ulm – Presses de l'Ecole normale supérieure, 2005, p.11-126.

Thibaudet, Albert. «Homère au cinéma», Réflexions sur la Littérature. Edition d'Antoine Compagnon et Christophe Pradeau, préface d'Antoine Compagnon. Paris: Gallimard, coll. «Quarto», 2007 [1re parution: 1er mars 1928].

Vaihinger, Hans. «La Philosophie du comme si». Paris: Kimé, revue Philosophia scientiae, Cahier spécial 8, 2008 [Philosophie des Als Ob, 1911].



[1] On peut se faire une idée de ce plan sur le photogramme 1 (illustration 1) [se reporter au volume Cinématismes. La littérature au prisme du cinéma, sous la direction de Jacqueline Nacache et Jean-Loup Bourget, Bern, Peter Lang, coll. "Film Cultures, 2012].

[2] Voir le photogramme 2 (illustration 2) [se reporter au volume Cinématismes. La littérature au prisme du cinéma].

[3] Voir le photogramme 3 (illustration 3) [se reporter au volume Cinématismes. La littérature au prisme du cinéma].

[4] Voir dans la bibliographie qui suit cet article les principales œuvres de V. Bérard, ainsi qu'un certain nombre d'études sur la question.

[5] Thibaudet, A., «Homère au cinéma», Réflexions sur la littérature, édition d'Antoine Compagnon et Christophe Pradeau, préface d'Antoine Compagnon, Paris, Gallimard, coll. «Quarto», 2007 [1re parution: 1er mars 1928]. À cet argumentaire fondé sur la réalité historique, on pourrait ajouter le tournage, dès le début de l'histoire du cinéma, de deux films tirés plus ou moins directement de L'Odyssée. En 1909, Calmettes et Le Bargy tournent un Retour d'Ulysse, d'après un scénario de Jules Lemaître, film aujourd'hui perdu mais dont il reste le scénario, assez succinct, et l'affiche où l'on peut voir une Pénélope au costume fortement actualisé à la mode du début du siècle; en 1913, Max Reinhardt réalise en décor naturel, à Capri, L'Ile des bienheureux où il mêle personnages «modernes» et mythologiques, les pères de jeunes filles du xxe siècle étant finalement transformés en pourceaux par Circé. Je remercie Jean-Loup Bourget de m'avoir indiqué cette dernière référence et renvoie à la description qu'il donne de ce film: Jean-Loup Bourget, Hollywood, un rêve européen, Paris, Armand Colin, 2006, p.64.

[6] Vaihinger, H., «La Philosophie du comme si», Paris, Kimé, revue Philosophia scientiae, Cahier spécial 8, 2008.

[7] Bérard, V., Les Navigations d'Ulysse, t. I, op. cit., p.209.

[8] Voir à ce propos C. Montalbetti, Le Voyage, le monde, la bibliothèque, op. cit.; S. Rabau, «Contribution à l'étude du complexe deV. Bérard», op. cit.

[9] Nous utilisons ici l'anthologie procurée par Banda et Moure. Banda, S. et Moure, J. (ed.), Le cinéma: naissance d'un art, 1895-1920, Flammarion, Champs arts, 2008, où l'on se reportera en particulier aux textes des pp.39-40, 45, 117, 137, 237, 379.

[10] Le Radical du 30 décembre 1895 (Banda, S. et Moure, J. (ed.) op. cit., pp.39-40).

[11] Ibid.

[12] Luis Gonzaga Urbina, 1896, ibid., p.45

[13] Karel et Josef Capek, 1910, ibid., p. 213.

[14] Georgette Leblanc, 1919, ibid., p.379.

[15] Remy de Gourmont, 1907, ibid., p.120.

[16] Max Brod, 1909, ibid., p.282.

[17] Bérard, V., Navigations d'Ulysse, T. III, op. cit., p.180.

[18] Didi-Huberman, G., L'Image survivante, Paris, Minuit, 1994.

[19] Ibid., p.168

[20] Ibid., p.190

[21] Bérard, V., Navigations d'Ulysse, T. II, op. cit., p.28

[22] Bérard, V., Navigations d'Ulysse, T. IV, op. cit., p.341

[23] Ibid., p.340

[24] Ibid., p.327

[25] Didi-Huberman, G., L'Image survivante, op. cit.



Sophie Rabau

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Dernière mise à jour de cette page le 4 Novembre 2012 à 19h17.