Atelier

Les utopies des Lumières

par Bronislaw, Michel Porret, François Rosset


Extrait (Introduction) de : Dictionnaire critique de l'utopie au temps des Lumières, dirigé par Bronislaw Baczko, Michel Porret et François Rosset, Genève, Georg, 2016.



Ce texte est reproduit dans l'Atelier avec l'aimable autorisation des auteurs et de leur éditeur.






Il est vrai qu'on peut s'imaginer des Mondes possibles, sans péché et sans malheur, et on pourrait faire comme des Romans des Utopies, des Sévarambes; mais ces mêmes Mondes seraient d'ailleurs fort inférieurs en bien au nôtre.


Gottfried Wilhelm Leibniz, Essais de Théodicée sur la Bonté de Dieu, la Liberté de l'Homme et l'Origine du mal [1710], nouvelle édition, augmentée de L'Histoire de la Vie et des Ouvrages de l'auteur, par M. le Chevalier de Jaucourt, tome I, Lausanne, 1760, p. 490.


Les sottises, les erreurs philosophiques, historiques, politiques, géographiques, physiques, critiques, chimiques, etc. dont nous sur- chargeons le papier, sont inconnues, surtout dans Mars et Jupiter.


Rodolphe Louis d'Erlach, Le Code du bonheur, tome VI, Paris, Genève, 1788, p. 268.



« Au mois Vendémiaire et jours suivants » de « l'an second de la République française, une et indivisible », soit au moment même où le calendrier révolutionnaire entrait en vigueur (6 octobre 1793), est joué au Théâtre de la République Le Jugement dernier des rois, une des pièces les plus connues de ce temps enfiévré. Sylvain Maréchal, son auteur, imagine que toute l'Europe est devenue républicaine et que, en vertu du jugement prononcé contre les rois par une assemblée des sans-culottes de tous pays, les souverains de son temps (avec le pape) sont exilés sur une île déserte, condamnés à s'entre-déchirer avant de disparaître dans l'éruption apocalyptique d'un volcan. Les sans-culottes, unis fraternellement aux sauvages des îles avoisinantes, savourent le spectacle à distance comme un feu d'artifice libérateur.


Dans cette œuvre emblématique d'une révolution que Maréchal se plaît à décréter sur tout le continent, c'est un renversement radical qui s'opère : alors qu'elle avait si longtemps accueilli les aspirations à un monde meilleur, les raisonnables projets de réformes comme les visions les plus hardies, l'île est maintenant juste bonne à abriter le royal rebut de l'humanité libérée. Un peu naïvement, certes, mais avec la conviction euphorique du citoyen de 1793, Maréchal figure le rapatriement sur le continent, dans les terres habitées par les hommes réels, des projections et des expériences qu'ils avaient dû confiner jusqu'ici dans les lointains insulaires. L'utopie n'est plus rêvée dans un ailleurs prudemment circonscrit, elle est réalisée au milieu de nous ; elle ne serait donc plus utopie.


Pourtant, malgré tous ses désirs, Maréchal n'a pas posé le point final à l'histoire de l'utopie qui n'a cessé, jusqu'à nos jours, de se réinventer. Mais son exemple nous rappelle que cette histoire, faite d'épisodes multiples qui se succèdent ou se côtoient sans toujours s'articuler, est marquée significativement par la rupture de la Révolution. Il n'est pas exagéré de dire qu'avec 1789 l'utopie change de statut, de finalités et peut-être même de nature. Dans le siècle qui précède cette date, elle s'est imposée dans le paysage littéraire comme un genre établi, non pas parce que c'est alors qu'il aurait été codifié (il l'est, pour ainsi dire, dès le prototype de Thomas More), mais parce que, avec la multiplication de ses avatars après Denis Vairasse et Gabriel de Foigny, il se décline en une infinité de variations par rapport à un modèle retravaillé sans cesse et néanmoins toujours reconnaissable.


La multiplicité et la diversité sont les traits distinctifs de l'utopie au temps des Lumières. C'est ce que révèle d'abord l'examen collectif des très nombreuses œuvres, des plus obscures aux plus illustres, qui nourrit le présent ouvrage. Avec, d'emblée, une heureuse surprise : loin de ressasser toujours les mêmes schémas et les mêmes astuces, selon le reproche si souvent adressé au genre, ces œuvres ne lassent pas. On évolue dans leur collection comme les visiteurs au musée de l'inventivité humaine, telle qu'a pu l'inspirer cette ère de prospective. Car la variété du corpus des utopies, formelle, thématique et même idéologique, n'est pas confuse. Elle tient dans un périmètre aux contours mobiles qu'ont tracés les hommes de ce temps sous l'impulsion des énergies réformistes qui les habitent. Entre enthousiasme et perplexité, ils ont répondu sur tous les registres aux invitations d'un monde toujours plus vaste et complexe dont ils ont revendiqué la maîtrise. De cet esprit prospectif, l'utopie est sans doute, au temps des Lumières, le champ d'expression et de représentation le plus symptomatique et le plus riche. Elle embrasse la science et les techniques, les mœurs, l'économie et la politique, la philosophie, les arts, les croyances. C'est toute la culture des Lumières qui trouve en elle le champ dont elle a besoin pour s'exposer dans son ampleur épistémologique.


À la fois modèle discursif et mode de penser, l'utopie de ce temps est donc bien trop différenciée pour qu'on puisse la saisir dans une définition satisfaisante. L'ensemble des essais réunis ici montre assez l'étendue des nuances et des perspectives différentes qu'il faut adopter, en les additionnant, si l'on veut se faire une idée à peu près juste de cet objet en œil de mouche. Les contemporains de Fontenelle, de Rousseau et de Condorcet ont eux-mêmes tourné autour de cette définition avec circonspection et leurs tentatives dans ce sens ne sont pas univoques.


Si le Dictionnaire de l'Académie française n'enregistre le mot « utopie » que dans sa quatrième édition de 1762 en évoquant notamment La République de Platon avec l'île de Thomas More, la cinquième édition (1798) du même abécédaire, après le choc révolutionnaire, définit ainsi le genre chimérique : « Utopie se dit en général d'un plan de Gouvernement imaginaire, où tout est parfaitement réglé pour le bonheur commun, comme dans le Pays fabuleux d'Utopie décrit dans un livre de Thomas Morus qui porte ce titre. Chaque rêveur imagine son Utopie. »


En aucun lieu ! Dérivé du néologisme latin « utopia », lui-même fondé sur des éléments grecs – « ou-topos », terre de nulle part ; « eu-topos », terre du bonheur –, le mot « utopie » désigne l'endroit improbable de la félicité humaine, soit la région imaginaire des cinquante-quatre magnifiques cités que brosse Thomas More avec De optimo reipublicae statudeque nova insula Utopia (1516), bien inspiré par La République de Platon, l'humanisme d'Érasme et les récits de la conquête du Nouveau-Monde qui élargissent l'esprit des Européens. En 1532, François Rabelais en fait un néologisme français dans Pantagruel (« un grand pays de l'Utopie »). Décapité publiquement le 6 juillet 1535 pour avoir contesté l'autorité du nouveau chef de l'Église anglicane Henri viii, qui récuse la prépondérance pontificale, More rêvait par écrit de « corriger des erreurs commises dans nos villes, nos pays, dans nos royaumes ». Ludique ou réformiste, spiritualiste ou matérialiste, chaque impulsion utopique est guidée par une exigence de justice ou de réparation d'injustice que conditionne l'imaginaire égalitaire.


Depuis la Renaissance, l'utopie narrative reste marquée par cette tradition du roman d'État sur une communauté humaine soumise aux tables de la loi comme ciment du contrat social. Le législateur-fondateur, parfois conquérant militaire de l'île des Utopiens, ne manque pas de la fortifier pour la protéger. La question philosophique du récit chimérique comme isolat du bien reste politique : comment imaginer un monde idéal, figé dans le présentisme de la perfection hors de l'Histoire, avec une législation tellement parfaite qu'elle oblige les Utopiens à renoncer aux libertés individuelles pour mieux vivre dans la transparence égalitaire de la cité idéale et du bonheur obligatoire sous l'autorité paternelle du souverain vertueux ?


Si « Utopie » signifie tout à la fois la cité du bonheur et celle située nulle part ou invariablement ailleurs, ce genre littéraire implique le dispositif narratif de l'éloignement et de l'acculturation anthropologiques que notre Dictionnaire critique illustre de façon parlante. Le voyageur-narrateur ne peut gagner la société idéale de la cité chimérique qu'au moyen d'une Odyssée initiatique qui parfois culmine dans un naufrage libérateur comparable à celui qu'éprouve Robinson Crusoé avant d'être le conquérant chrétien, l'exploiteur utilitariste et le législateur solitaire d'une île déserte.


Dès l'aube du xviiie siècle, Thomas More retrouve une actualité bien vivante dans les cultures philosophique, politique et littéraire de l'utopie qui irriguent notre Dictionnaire. Bénédictin défroqué, libertin déclaré, traducteur d'Érasme, journaliste cosmopolite, pamphlétaire anti-absolutiste, ami de Pierre Bayle, Nicolas Gueudeville propose en 1715 une « traduction libre » mais fidèle à l'« Idée » du texte canonique de Thomas More. La chimère du chancelier décapité pose la question de la régénération des individus soumis à une législation idéalisée qui conditionne le bonheur social dans le communautarisme. Si, malgré les énormes difficultés sémantiques de l'ouvrage, Gueudeville estime que l'Utopie mérite d'être traduite dans « toutes les Langues » pour le bienfait universel du « Genre Humain », c'est bien parce que le dispositif imaginaire de More décrie le monde réel tout en en imaginant le perfectionnement selon l'éthique humaniste. Or, le monde réel ne s'« utopiera jamais », souligne le traducteur avec ce néologisme resté lettre morte, comme le déplore aujourd'hui le Dictionnaire des verbes qui manquent[1].


Surmontant l'« impossibilité morale » à bâtir le meilleur des mondes possibles de son époque, Thomas More offre pourtant à l'humanité le « Plan de sa République », moins pour « changer la Condition humaine », que pour ouvrir le chemin intellectuel en vue de rendre le monde « meilleur » (L'Utopie de Thomas Morus, « Préface du traducteur », n.p. [2]). Le dédicataire du même ouvrage, Jaques Emmeri, baron de Wassenar, conseiller de la ville de Leyde, est malicieusement invité par Pierre Vander, libraire-éditeur du texte, à méditer la philosophie politique de l'Utopie, afin que son potentiel libérateur et ses enjeux républicains puissent éclairer tout individu tourné vers le bien commun selon les lumières naturelles de la raison : « Cependant on peut avancer hardiment, à l'honneur de Notre Morus, qu'il n'a rien proposé dans son idée de République parfaite et heureuse, qui de foi ne soit fort faisable. Les Lois, les Usages, les Coutumes, les Mœurs qu'on attribue ici à ces Peuples imaginairement fortunés, ne sont point au-dessus de la Raison humaine. Mais le mauvais usage que [...] les Hommes font de leur raison, est un obstacle insurmontable à la fondation et à la réalité d'un Gouvernement Utopien. » Malgré cela, depuis que l'« Usage permet de narrer des faussetés innocentes et même profitables pour les bonnes mœurs », s'est-il « publié un Mensonge plus spirituel, plus agréable, et plus instructif » que le roman politique de Thomas More ? (« Épître dédicatoire », n. p.). Le « mensonge » utopique révèle bien le potentiel critique qui bouillonne du récit chimérique.


Avec l'héritage renouvelé de Thomas More, la fabrication, la circulation, la réception et la consommation des utopies narratives, fruit imaginatif de la fiction « philosophique », s'accélèrent au temps des Lumières, qui reste la période chaude du genre littéraire avant celle des chimères industrialistes et du socialisme utopique au xixe siècle. La grosse centaine de titres utopiques édités en français au xviiie siècle s'ajoute aux œuvres phares sur l'idéal législatif publiées après Utopia de Thomas More, dont les plus connues sont encore La Città del Sole (1602-1623) de Tommaso Campanella, la New Atlantis (1627) de Bacon, l'Histoire des Sévarambes (1675, 1677- 1679) de Vairasse, l'Histoire des Ajaoïens (1682, 1768) de Fontenelle ou encore sur le mode gaiement dysphorique Gulliver's Travels (1726) de Jonathan Swift. Portée par le goût littéraire pour les récits chimériques et romanesques, la culture éditoriale de l'utopie culmine entre 1787 et 1789 avec la publication par le compilateur parisien Charles-Georges-Thomas Garnier des trente-neuf volumes in-octavo illustrés des Voyages imaginaires, songes, visions et romans cabalistiques, fourre-tout romanesque, un des filons imaginaires de notre Dictionnaire.


Dans cette collection hétéroclite (utopies, robinsonnades, romans cabalistiques, naufrages, etc.), d'un «Avertissement de l'éditeur des voyageurs imaginaires » à l'autre (il y a un « Avertissement » dans chaque volume ou presque), l'utopie narrative est théorisée, a posteriori. Elle est pensée comme le dispositif allégorique du volontarisme libérateur et de la législation idéale, pouvant peut-être accélérer les progrès de l'esprit humain selon le Condorcet de l'Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain (1793-1794). Île maritime ou aérienne, solaire ou tropicale, située aux Antipodes ou enfouie dans les entrailles ténébreuses du globe terrestre, la cité chimérique se donne souvent à lire au temps des Lumières comme un laboratoire fictionnel de la meilleure des constitutions politiques possibles. L'auteur du récit utopique et « tous ceux qui ont imaginé de pareilles fictions, après avoir créé une nation idéale, en devient le législateur et fait produire les plus heureux effets aux lois qu'il a produites » (« Avertissement de l'éditeur des voyages imaginaires », Voyages imaginaires, tome x, pp. vii-viii).


Paradigme du bonheur collectif, raison critique dans l'imaginaire, discours souvent autoproclamé comme prophétique pour répondre aux espoirs collectifs du changement social : avec ces configurations épistémologiques, le roman d'État passéiste ou futuriste demeure un songe politique qui inquiète le monde réel. Immortalisé au Panthéon après Thermidor, suite à un décret conventionnel du 14 avril 1794, Rousseau était-il un rêveur politique voulant renverser l'ordre existant de « tous les Gouvernements » avec le Contrat social ? Dans Les Lettres écrites de la Montagne (« Sixième lettre », 1764[3]), il s'insurge habilement contre l'étiquette chimérique en renvoyant l'utopie aux rêvasseries constitutionnelles. Rousseau utopiste ? Dans l'affirmative, son ouvrage de philosophie politique, dit- il, aurait été relégué avec la « République de Platon, les Sévarambes et l'Utopie dans le pays des chimères», plutôt que calciné par le bourreau. L'auteur de Émile ou De l'éducation oppose la chimère au réalisme socio-politique lorsque, dans une lettre du 26 juillet 1767, il brocarde la physiocratie du philanthrope français Mirabeau père : « Votre système est très bon pour les gens d'Utopie, il ne vaut rien pour les gens d'Adam. »


L'Utopie : jeu littéraire ou projet réformiste pour révolutionner le monde réel ? Au temps des Lumières, le roman d'État, comme instrument d'investigation socio-politique et détonateur de l'imagination collective, croise cette double tradition herméneutique qu'illustre bien notre Dictionnaire. En l'an ix [1801], Louis-Sébastien Mercier publie sa Néologie, ou Vocabulaire de mots nouveaux, à renouveler, ou pris dans des acceptions nouvelles. Parmi les trois cents entrées de ce lexique parfaitement en prise avec le langage politique de son temps, l'auteur de L'An 2440 (1770) évoque l'utopie dans l'article « Fictionner ». Mercier s'y veut réformiste social : fictionner, « ce n'est pas narrer, conter, fabuliser ; c'est imaginer des caractères moraux ou politiques pour faire passer des vérités essentielles à l'ordre social. Fictionner un plan de gouvernement dans une île lointaine et chez un peuple imaginaire, pour le développement de plusieurs idées politiques, c'est ce qu'ont fait plusieurs auteurs qui ont écrit fictivement en faveur de la science qui embrasse l'économie générale des États et de la félicité des peuples [...] » (p. 266).


Du voyage vers nulle part, l'Utopie devient progressivement la « république imaginaire », lieu politique où se projettent les rêves sociaux du meilleur des mondes possibles. Le réformisme peut se concrétiser avec le déplacement temporel vers demain en lieu et place du déplacement géographique vers ailleurs. Inhérent au moment critique des Lumières, conséquence peut-être de l'épuisement littéraire de l'utopie narrative, le genre uchronique valide la philosophie de la perfectibilité comme foi infinie en l'amélioration de la nature et de la bonté humaines. Entre utopie et uchronie, l'imaginaire politique reste attaché au perfectionnement infini du contrat social comme cadre légal de la vie politique et d'un régime étatique aspirant au bonheur social : « Les projets les plus chimériques sur la législation et les gouvernements offrent ordinairement des vues utiles » au législateur éclairé selon l'avocat et censeur royal Jean-Nicolas Démeunier, compilateur philosophique des quatre volumes de l'Encyclopédie politique et diplomatique (1784-1788), sous-série de l'Encyclopédie méthodique (1782-1832), utopie épistémologique de l'exhaustivité des savoirs qui aspire à souder les Lumières de la raison au positivisme de la science. Le Dictionnaire rend compte de cet idéal chimérique pour un monde meilleur que véhicule l'imaginaire utopique en ses diverses facettes littéraires durant le moment critique des Lumières.


Nombreux sont les ouvrages qui recensent, décrivent et analysent le corpus des œuvres constitutives de la tradition européenne de l'utopie. Textes, auteurs, motifs, thèmes, concepts y sont présentés dans des projets de nature et d'ampleur diverses. Il ne s'agit donc pas de refaire ce qui a déjà été fait, ni de viser une exhaustivité improbable, mais bien de proposer un inventaire critique des mots et des choses de l'Utopie au temps des Lumières. Plusieurs éléments distinguent foncièrement la présente entreprise. Tout d'abord, la tradition de l'utopie n'y est pas traitée dans toute l'amplitude temporelle de son histoire. Concentré résolument sur le siècle des Lumières (il est vrai dans son extension la plus large), le Dictionnaire critique repose sur une approche particulière de l'utopie, considérée en tant que modèle de pensée et de discours qui a soutenu avec force la pensée profondément réformiste du xviiie siècle. Dans cette perspective, l'utopie est à la fois, pour ce mouvement si large et si complexe qu'on appelle les Lumières, un signe et un support. Elle offre des images, des motifs, des séquences narratives, une riche palette de lieux communs qui ont pu donner une consistance reconnaissable et transmissible aux produits de l'imagination dans tous les domaines où s'est exercé l'esprit de réforme. Pour ce mode de penser prospectif et visionnaire, l'utopie a pu servir tout à la fois d'inspiration et de langage, c'est-à-dire de lexique, de grammaire, de rhétorique et de poétique.


Sous cette optique, les articles de ce Dictionnaire ne traitent ni des œuvres, ni des auteurs singulièrement et pas davantage des motifs, figures ou types qui apparaissent dans les textes utopiques de façon suffisamment récurrente pour qu'on puisse parler à leur sujet d'un genre littéraire. Ne sont pas non plus abordés pour eux-mêmes dans des notices séparées les concepts abstraits qui dessinent l'horizon même de l'utopie comme le bonheur, la liberté, la justice ou l'égalité. Les entrées choisies pour ce Dictionnaire peuvent se définir comme suit : elles concernent des objets sur lesquels s'est exercée la pensée réformiste des Lumières en prenant appui sur la tradition littéraire, philosophique et politique de l'utopie. Cinquante-quatre articles sont ainsi réunis (c'est aussi le nombre de cités sur l'île d'Utopie chez Thomas More), constituant autant d'essais autonomes et élaborés, dont la réunion veut donner l'idée la plus complète que possible de cette connivence qui a marqué le xviiie siècle entre un modèle fictionnel et une pensée, voire une action portées sur la réalité humaine, sociale et politique.


L'idée de cet ouvrage est née au lendemain de l'attribution du Prix Balzan 2011 à Bronislaw Baczko. Désireuse de financer un vaste projet de recherche en lien avec l'œuvre et la pensée du lauréat, la Fondation Balzan a accueilli ce projet avec enthousiasme. Ce ne sont pas seulement les directeurs de cette publication et l'ensemble des contributeurs qui lui sont reconnaissants pour cet engagement d'une ampleur exceptionnelle, mais aussi, espérons-le, toutes les personnes qui, traçant librement leur chemin au milieu de ces pages, y trouveront de la matière pour enrichir leur vision de l'utopie et, plus largement, de la culture plurielle des Lumières.



Bronislaw Baczko, Michel Porret, François Rosset, 2016



[1] http://dictionnairedesverbesquimanquent.kamboo.com


[2] Thomas More, L'Utopie de Thomas Morus, Chancelier d'Angleterre; Idée ingénieuse pour remédier au malheur des Hommes ; et pour leur procurer une félicité complette. Cet ouvrage contient le Plan d'une République dont les Lois, les Usages, et les Coutumes tendent uniquement à faire aux Sociétés Humaines le passage de la Vie dans toute la douceur imaginable. République, qui deviendra infailliblement réelle, dès que les Mortels se conduiront par la Raison, Leyde, chez Pierre Vander, 1715.


[3] Jean-Jacques Rousseau, Les Lettres écrites de la Montagne, Amsterdam, Marc Michel Rey, 1764.



Marc Escola

Sommaire | Nouveautés | Index | Plan général | En chantier

Dernière mise à jour de cette page le 10 Octobre 2016 à 22h38.