Atelier

Une lecture du Salut

Jean-Louis Jeannelle, novembre 2010

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Ce texte est issu d'une conférence sur le troisième tome des Mémoires de guerre du général de Gaulle donnée dans le cadre de la formation continue des enseignants du secondaire (terminale L) des Académies de Lyon, Montpellier et Paris (4-6 novembre 2010). Il n'a pas été modifié pour cette publication en ligne, et débute donc par le plan qui avait été présenté aux auditeurs de cette conférence. Les citations renvoient à l'édition au programme (Plon - Pocket).

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Plan

Introduction et problématique

I. Le Salut: à qui? pour quoi? et à quelles conditions?

Salut!

Vers le renouveau

De Gaulle et le IIIe Empire?

II. Une guerre sans fin

De la mystique à la politique

Comment raconter l'après-Libération?: un découpage du Salut

Un texte programmatique

III. «Vies majuscules»

«Me voilà, tel que Dieu m'a fait» (p. 158)

La France, c'est la France

IV. Du langage comme arme dans la bataille de l'histoire

De Gaulle ou la parole incarnée

«Pour moi»: de Gaulle ou l'assomption de soi

Un idéal du mot juste

V. Un récit «égohistorique»

Soi-même autrement que les autres: du bon usage des portraits

Récit «mémorable» et réconciliation nationale

Les oubliés des Mémoires

Conclusion


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L'Appel ou L'Unité s'imposaient au programme du bac de manière bien plus évidente que Le Salut: tous les passages les plus intéressants d'un point de vue littéraire s'y trouvent. L'Appel met en scène la chute de la France et la mission que se fixe le général de Gaulle; c'est le moment le plus tragique. L'Unité retrace la lutte diplomatique et symbolique menée par le chef de la France Libre contre les Alliés pour trouver une place dans la guerre contre les pays de l'Axe: ce deuxième temps relève de la tonalité épique. Avec Le Salut, de Gaulle – il l'écrit p. 15 – quitte la mystique pour la politique (relations avec les Alliés, gestion de l'après-guerre, préparation des élections et organisation du pouvoir, réformes en tous sens…) La question n'est pas donc pas de savoir pourquoi avoir choisi Les Mémoires de guerre au programme du bac, mais pourquoi avoir choisi le troisième tome – j'y vois comme seule raison le désir de donner aux élèves l'image d'une France ressuscité par le Général de Gaulle, retrouvant sa place dans le concert des nations après l'armistice et l'Occupation; autrement dit le désir d'insister sur la refondation de la République plutôt que le glissement du pays vers la collaboration.

Quelle que soient les raisons de ce choix, l'essentiel pour nous est de comprendre ce qui fait la singularité de ce IIIe tome. Il existe deux approches, deux lectures possibles. La première consiste à considérer Le Salut comme une œuvre autonome, dont il suffit de décrire les caractéristiques visibles (intention de l'auteur, message que celui-ci tente de faire passer, influences littéraires et historiques qu'il a subies, modèles auxquels il emprunte, schémas rhétoriques et stylistiques récurrents…) – c'est la lecture qui est très souvent proposée et qui conduit, me semble-t-il, à donner l'image d'un texte pesant, à la rhétorique très appuyée, prisonnier d'une conception caricaturalement classique du style, totalement dépassé à l'heure du Nouveau Roman et de la Nouvelle Critique.

La seconde approche consiste à lire Le Salut en tant que texte factuel (ou «effectif»), c'est-à-dire récit de faits réels ayant pour objectif délibéré de reconfigurer le souvenir que les Français ont en commun de la guerre et plus largement des années 1940 et 1950. Pour cela, il convient de prendre en compte ce que j'appellerai la «mémoire des Mémoires», c'est-à-dire l'épaisseur temporelle que suppose l'interprétation de ce texte, dont la portée réelle déborde très largement les six années couvertes par le récit lui-même et sert, à l'époque où il paraît, en octobre 1959, de mythe fondateur à la Ve République – le projet de constitution vient d'être approuvé par près de 80 % des suffrages en métropole en septembre 1958 et le nouveau régime fondé en janvier 1959. L'essentiel tient donc à l'influence que Le Salut exerce sur les représentations collectives des Français dont il décrit l'histoire récente.

Je me poserai donc une question extrêmement simple (simple dans sa formulation, ce qui ne veut pas dire qu'il soit simple d'y répondre), une question qui porte sur le titre même de l'œuvre: de quel salut est-il réellement question dans le troisième et dernier tome des Mémoires de guerre?

S'agit-il, première possibilité, d'un adieu, litote pour désigner la mort, que le mémorialiste, vieil homme «détaché des entreprises», dit attendre avec calme à la toute fin du volume (il parle alors de son «départ», titre même du dernier chapitre)? Notons dans ce cas que le salut adressé par le mémorialiste au lecteur se révèle, du fait des circonstances, à double entente, puisque l'ouvrage est écrit en pleine guerre d'Algérie et publié plus d'un an après le retour de De Gaulle au pouvoir: il s'agirait, en quelque sorte aussi bien d'un salut d'au revoir (à la IIIe et à la IVe République) que d'un salut de bienvenue (dans la Ve République).

S'agit-il, 2e possibilité, du salut de la patrie, que le Général s'efforce d'assurer à partir du moment où Paris est libéré et où la Souveraineté nationale peut y être restaurée? C'est bien de cette forme de salut que le mémorialiste traite directement tout au long de ce troisième temps de l'épopée gaullienne.

Reste néanmoins à prendre en compte un troisième type de salut, à savoir le «salut public» de la nation. C'est certainement le salut plus urgent aux yeux de l'auteur mais aussi le plus ambigu, le plus discutable et le plus discuté à l'époque – je rappelle qu'en mai 1958, de Gaulle a obtenu les pleins pouvoirs pour six mois – initialement, le Général avait même exigé les pleins pouvoirs avec la mise en congé du Parlement pour un an.

Ce sont ces trois formes de salut qu'il s'agit d'examiner pour comprendre une œuvre qui ne peut se lire qu'en fonction du jeu de croisement et d'interaction entre trois moments ou trois points de vue différents: – le temps de l'histoire (autrement dit les événements tels qu'ils se sont produits), – le temps du récit (autrement dit le point du vue de «l'instance mémoriale»: Gaulle lui-même, alors qu'il écrit Le Salut entre fin 1956 et août 1959),– et le temps (lui-même pluriel) de la réception du texte (autrement dit le point de vue de ses différents lecteurs qui n'a cessé d'évoluer entre octobre 1959 et le début du xxie siècle où nous nous situons – nous verrons, en effet, que l'évolution des conditions de lecture explique une partie des obstacles qui gêne notre propre rapport au texte).

Les différents axes de travail que j'aimerais examiner ensuite découlent de cette question initiale.

- Dans un premier temps, je vais passer en revue chacun des sens du mot salut.

- 2e axe de lecture: je réfléchirai à la situation particulière de ce tome, Le Salut, à l'intérieur de la trilogie et au rôle qu'il y occupe

- 3e axe: j'examinerai le texte en tant qu'exemple achevé de Mémoires, ou de ce que j'appelle un «récit de Vie majuscule» (par opposition aux récits de vie d'humbles et d'anonymes que Michon a désigné comme les vies minuscules)

- 4e axe: je m'intéresserai à l'usage que le général fait du langage sous l'angle rhétorique et l'angle stylistique

- 5e axe: il s'agira pour finir de réfléchir à la fonction historique du Salut, c'est-à-dire aux effets qu'il peut avoir sur la mémoire collective des Français


I. Le Salut: à qui? pour quoi? et à quelles conditions?


Considérons, en guise de premier parcours de l'œuvre, les trois interprétations possibles du mot «salut» dans ce texte.

Salut!

La première signification de ce terme renvoie à une pratique ordinaire. Le mot «salut» a pour origine «salutem», l'accusatif de salus, salutis: «santé, la conservation de la vie»: le terme renvoie au fait d'échapper au danger ou à la mort; par extension, il désigne «l'action de souhaiter bonne santé, de saluer», la «démonstration de reconnaissance, de civilité (par le geste ou la parole), qu'on fait en rencontrant ou en quittant quelqu'un» (Grand Robert de la langue française). Tout l'intérêt de ce premier sens est que le mot signifie aussi bien adieu (en langue familière, le refus – «salut» signifie alors: «ne comptez pas sur moi») que bienvenue, autrement dit un départ et une arrivée. Le Salut raconte précisément un départ (celui de janvier 1946) et signale une arrivée (celle du retour au pouvoir, au moment de sa publication en 1959). Il se situe à cette intersection, cet entrecroisement des deux périodes, ce qui est le propre du genre des Mémoires – mais ici, l'effet de superposition du temps raconté et du temps du récit est porté à son maximum.

Ce jeu de croisement temporel est essentiel pour comprendre en quel sens de Gaulle entend assurer le salut de l'Etat: p. 53, le mémorialiste parle d'une «mystique du renouveau» («renouveau» est un mot qui revient très souvent). Or ce renouveau désigne aussi bien l'immédiate après-guerre que la lutte menée durant les années 1950 pour changer radicalement la Constitution qui aboutit au retour au pouvoir en 1958. Il s'agit en quelque sorte d'un renouveau à double détente, de la même manière que le mot «salut» se révèle à double, voire triple sens. In fine, le texte n'est intéressant que si on le lit dans la superposition temporelle qu'il opère: derrière la période décrite (1944-1946), c'est la France de la guerre d'Algérie qui constitue l'enjeu réel – tout le texte doit se lire en fonction de ce jeu d'échos entre le temps narré et le temps de la narration, entre la figure mémorielle (de Gaulle échouant à empêcher le retour à une République parlementaire et se retirant pour créer un mouvement politique) et l'instance mémoriale (de Gaulle de retour au pouvoir et appliquant enfin le but de grandeur nationale qu'il s'est fixé).

Vers le renouveau

Le deuxième sens du mot «salut» appartient au champ sémantique du religieux. Dans ce domaine, salut désigne le fait d'être sauvé de l'état naturel de péché et de la damnation («faire son salut», c'est se conformer à un idéal moral afin de sauver son âme). Chez de Gaulle, le salut en question est celui de la patrie après la défaite, l'armistice puis la collaboration – voir p. 10: «Par contre, le crédit que m'ouvre la France, j'entends l'engager tout entier pour la conduire au salut. Pour commencer, cela consiste à mettre en place le pouvoir (…)» (de Gaulle confond ici différents registres: financier, politique et religieux).

L'accomplissement de ce salut suppose que le général de Gaulle ait lui-même été reconnu au préalable comme seul tenant de la légitimité nationale (ce qu'il nomme lui-même la «souveraineté nationale»): dans les deux tomes précédents, L'Appel et L'Unité, le mémorialiste a pris soin de consigner tout ce qui peut asseoir sa légitimité. Il serait trop long de rappeler ces signes de reconnaissance; je ne donnerai qu'un seul exemple, tiré du premier tome, au moment où de Gaulle s'apprête à s'écarter de la légalité et à partir pour l'Angleterre: c'est alors que Georges Mandel, évoquant l'avenir, déclare au Général qu'ils n'en sont encore qu'au début de la guerre – ce que de Gaulle martèlera lui-même dans son appel du 18 juin – et ajoute: «Vous aurez de grands devoirs à remplir, Général! Mais avec l'avantage d'être, au milieu de nous tous, un homme intact. Ne pensez qu'à ce qui doit être fait pour la France et songez que, le cas échéant, votre fonction actuelle pourra vous faciliter les choses.» (éd.Pléiade, p. 62). À ce moment, de Gaulle est déjà prêt à trancher le nœud gordien, comme le montre un rapide échange avec Jean Ybarnegaray, vice-président du parti social français jusque là partisan de la poursuite du combat, mais qui préfèrera obéir à ses chefs, Weygand et Pétain – dont il sera ministre sous Vichy: «Peut-être verrez-vous un jour, répondis-je, que, pour un ministre, le salut de l'État doit l'emporter sur tous les sentiments.» (éd.Pléiade, p.64) À partir de ce moment là, le Général s'engage dans une longue lutte pour faire reconnaître sa légitimité: ce sera l'objet même des deux premiers tomes. Dans le troisième, il s'agit donc de convertir cette légitimité en un pouvoir politique concret afin de garantir réellement la salut de l'État, invoqué dès le premier tome.

De Gaulle et le IIIe Empire?

Le 3e sens du mot en question est de nature plus étroitement politique: il s'agit de ce que l'on appelle le «salut public», invoqué lorsque la nation est en danger – p.31, de Gaulle écrit: «Cette légitimité de salut public, clamée par la voix du peuple, reconnue sans réserve, sinon sans murmure, par tout ce qui était politique, ne se trouvait contestée par aucune institution», et, p.123: «Les choses étant ce qu'elles sont, j'entends employer au salut public tout ce qui en est capable.»

Le terme de salut public sous-entend ici la nécessité à un moment exceptionnel de concentrer les pouvoirs (au risque de perturber le jeu démocratique) afin de sauver le pays de lui-même.. La notion de salut public a été consacrée par le «Comité de salut public», organe révolutionnaire mis en place par la Convention pour faire face au risque d'invasion et de guerre civile au printemps 1793: il conduira à la création d'un gouvernement révolutionnaire et à la Terreur, c'est-à-dire à la dictature, jusqu'à la chute de Robespierre en juillet 1794. Je rappelle également que l'expression «comité de salut public» a été utilisée pour désigner les comités insurrectionnels mis en place en mai 1958 en Algérie, puis en Corse, et qui, placés sous l'autorité de militaires, réclamaient le retour du général de Gaulle: le général Massu avait exigé du Président, René Coty, la création d'un gouvernement de salut public à Paris et le général Salan avait publiquement crié le 14 mai «Vive de Gaulle!»; c'est le lendemain, le 15 mai, que de Gaulle avait diffusé un communiqué où il se disait «prêt à assumer les pouvoirs de la République» - on comprend, de ce fait, que toute la gauche ait considéré que l'ancien chef de la France Libre préparait un coup d'Etat militaire afin d'instaurer sa dictature.

Le «salut public», au sens de régime dictatorial instauré en cas de troubles publics extrêmes, est surtout évoqué dans le célèbre passage au début du chapitre «Désunion» sur la question de la dictature, p.285-286: «La dictature momentanée, que j'ai exercée au cours de la tempête et que je ne manquerais pas de prolonger ou de ressaisir si la patrie était en danger, je ne veux pas la maintenir puisque le salut public se trouve être un fait accompli.» À nouveau, le croisement temporel joue ici un rôle essentiel, puisqu'aux p.340 et 341 («(…) à moins d'établir par la force, une dictature dont je ne veux pas (…)»; «(…) courut le bruit que je pensais à un coup d'État (…)»), le propos du mémorialiste s'applique aussi bien à l'année 1945 qu'à l'année 1958.

Les historiens ont beaucoup débattu de la nature du pouvoir gaullien (que lui-même décrit comme une «espèce de monarchie», p.284). Ce qui est intéressant d'un point de vue littéraire, c'est que la dictature apparaît dans les Mémoires à la fois comme une nécessité justifiée par les circonstances mais aussi comme une tentation, à laquelle le Général sait résister, notamment à la p.211 où de Gaulle rapporte qu'Himmler lui proposa de s'entendre avec l'Allemagne vaincue contre les Alliés et les soviétiques. La proposition est reconstituée au discours direct, sous forme d'une prosopopée qui mime de manière symbolique l'entreprise de séduction. Or tout ce passage repose sur l'intertexte biblique des récits de tentation du Christ retiré au désert après son baptême (chez Saint Matthieu, 4 1-11 et chez Saint Luc 4 1-13) – et appelle notamment la tentation de prendre les royaumes du monde «Entrez en rapport, sans délai, avec les hommes qui, dans le Reich, disposent encore d'un pouvoir de fait (…) Ils y sont prêts. Ils vous le demandent… Si vous dominez l'esprit de vengeance, si vous saisissez l'occasion que l'Histoire vous offre aujourd'hui, vous serez le plus grand homme de tous les temps». C'est par contraste avec cette forme mégalomaniaque de l'autorité dictatoriale (celle d'un Hitler ou d'un Staline) que la dictature momentanée et exigée par les circonstances que de Gaulle déclare avoir assumée apparaît sous un jour positif.


II. Une guerre sans fin


L'une des questions centrales du Salut est de savoir à quel moment la guerre se termine pour la France: avec la Libération de Paris? La libération de l'ensemble du territoire? La capitulation de l'Allemagne? Celle du dernier membre de l'Axe, c'est-à-dire le Japon? Ou alors avec le retour au fonctionnement normal des institutions (par exemple l'élection de l'Assemblée constituante)? Peut-être est-ce même avec le départ du général de Gaulle en janvier 1946? De Gaulle signale au début du Salut que de nombreux Français confondent à cette époque «la libération avec le terme de la guerre». À ses yeux pourtant, les véritables batailles sont alors très loin d'être gagnées: la rivalité avec les Alliés (Angleterre, États-Unis et URSS) est plus virulente que jamais et se double, qui plus est, d'une guerre interne contre les partis politiques renaissants, conduisant de Gaulle à la démission et lui interdisant de réaliser ce qu'il considère être comme le véritable salut du pays.

Dans ce dernier tome, de Gaulle s'apprête donc à mener la phase la plus délicate de son combat, à savoir, convaincre les Français que la guerre ne s'achève pas avec la fin de l'Occupation. L'enjeu est double: il est d'une part politique (Le Salut a pour fonction de corriger les troubles de perception chronologique des Français) et d'autre part narratif (la question de l'achèvement étant un problème essentiel pour un récit mémorial dont la fin n'a jamais la nécessité et la lisibilité de la conclusion d'un récit fictionnel).

De la mystique à la politique

Le mémorialiste souligne p.12 ce que ce 3e et dernier tome a de différent des deux précédents: «Depuis juin 1940, c'est vers la libération que j'avais conduit la France et c'est la résistance qui en était le moyen. Il s'agit, maintenant, d'entreprendre une étape nouvelle qui, celle-là, implique l'effort de toute la nation.» On peut se demander si ce que de Gaulle nomme «le salut» consiste simplement à achever la libération ou implique autre chose, mais en termes particulièrement vagues («étape nouvelle», «effort»)? Toutefois si ce n'est plus la Résistance qui est l'objectif du Général, mais la nation tout entière, quel ennemi doit-il combattre au cours de ce qu'il nomme lui-même p.38 cette «phase suprême»?

Tout l'enjeu de ce livre est là: la guerre n'est en réalité jamais achevée, tout simplement parce qu'elle se mène moins contre les Allemands et leurs alliés que contre les forces de dispersion qui menacent la France. Aussi le Général est-il conduit à glisser du champ du militaire et du diplomatique (deux premiers tomes) vers celui de la politique nationale (économie, élections, rapports de force entre groupes sociaux). Autrement dit de la mystique à la politique – voir p.15: «La mystique avait inspiré les élans de la France Libre. (…) À présent, c'est la politique qui dominait les actes du gouvernement». Ce passage à la politique est de nature profondément ambigu: il est à la fois l'aboutissement de la mission que s'est fixée le général de Gaulle et en même temps une sorte de retombée, de dégradation comme le souligne la référence à Péguy (opposition empruntée à Charles Péguy, dans Notre jeunesse; dans le cas de Péguy, la mystique était celle du dreyfusisme, véritable «religion républicaine», qui s'était dégradée en affairisme politique: le combisme).

Ce nouvel ennemi du Général reste assez flou, il s'agit de ceux qu'il nomme (p.15) les «politiques» (la même expression est employée, p.53 pour désigner les anciens Résistants qui ont hâte de voir renaître la vie publique pour se faire entendre et accéder aux postes de commandement – voir de même p.73). Les «politiques» désignent tous ceux qui ne sont ni gaullistes ni communistes (le marais en quelque sorte – voir p.121), la vie politique étant ramenée ainsi à un modèle bipolaire. Toute la difficulté de ce troisième tome tient donc à ce que le nouvel ennemi n'est ni extérieur au pays (puisque cela impliquerait encore de résister), ni uniquement intérieur (puisque toute la nation est appelée à soutenir le projet du Général) – il est en réalité les deux à la fois. Il s'agit des partis politiques, de la diplomatie, de la haute administration, et de la presse, bref, de tous les pouvoirs officiels qui interfèrent entre de Gaulle et le peuple français, tout ce qui dénature ce peuple français, le rend étranger à son identité profonde – les communistes sont l'incarnation de cet ennemi puisque téléguidés par Moscou, ils incarnent un ennemi extérieur œuvrant de l'intérieur même du pays.

Comment raconter l'après-Libération?: un découpage du Salut

Il faut reconnaître que la lecture de ce IIIe tome est rendue difficile en raison de l'absence d'objectif manifeste: la défaite de l'Allemagne n'est plus qu'un but secondaire, dont l'issue ne fait plus aucun doute, et la lutte diplomatique contre les Alliés (qui a tant occupé de Gaulle dans le 1er et le deuxième tome) passe là aussi au second plan. L'objet de sa quête devient beaucoup plus abstrait: il s'agit à présent de maintenir «la souveraineté, la dignité» de la nation française (p.110, de Gaulle énonce cette règle clé de son action politique: «La souveraineté, la dignité d'une grande nation doivent être intangibles. J'étais en charge de celles de la France» – ce que résume le terme de «rang» que le mémorialiste martèle dans le chapitre intitulé précisément «Le Rang»). Il est plus difficile d'intéresser le lecteur à une telle aventure, dont on sait de plus qu'elle se conclut par un semi-échec (le retrait de janvier 1946).

Il se produit ainsi ce que l'on pourrait appeler une dilution de la quête gaullienne. Pour contrer cela, le mémorialiste doit relancer la dynamique de son récit, autrement dit faire émerger de nouveaux dangers, afin de justifier la poursuite de son action (alors même que la défaite des ennemis historiques – les pays de l'Axe – est déjà acquise). Dès la p.10, de Gaulle décrit le pays menacé par les «secousses qui le mèneraient à d'autres malheurs»: l'ensemble du récit sera dominé par l'énumération de menaces, qui culmine lors du grand tableau du déclin de la France (p.279-283 – notons que ce passage a servi depuis de modèle pour un discours sur le déclin français très souvent repris, récemment par Nicolas Baverez): affaiblissement militaires et diplomatique, baisse de la natalité, perte de richesses, dépression morale… Longue liste qui s'achève sur cette incroyable formule: «Et me voici, aujourd'hui, en charge d'un pays ruiné, décimé, déchiré, encerclé de malveillances.» (p.283).

Seconde technique employée par de Gaulle: structurer le récit de manière à ce que la chronologie (la succession des événements) importe moins qu'une forme de structuration thématique permettant au mémorialiste d'imposer à son récit un ordre très précis, alors même que la période dont il rend compte est relativement confuse. D'où la possibilité de tirer du Salut une sorte de squelette.

En réalité toutefois, ces dangers ne sont pas nouveaux, ainsi que le montre le discours que de Gaulle prononce lors de la première réunion de l'Assemblée consultative:

L'avenir? Il va se préparer à travers les épreuves qui nous séparent de la victoire et, plus tard, du renouveau. Tant que dure la guerre, j'en réponds. Mais, ensuite, l'essentiel dépendra de ceux-là même qui sont, aujourd'hui, assemblés autour de moi dans cette salle du Luxembourg. […] Qu'ils restent unis pour le redressement, comme ils le sont encore pour le combat, tous les espoirs resteront permis. Qu'ils me quittent et se divisent pour s'arracher les uns aux autres les apparences du pouvoir, le déclin reprendra son cours. (p.54-55)[i]

L'après-guerre n'est aucunement un retour à la normale. Pour de Gaulle, elle est, au contraire, la réduplication du conflit survenu à la fin des années 1930 et durant la guerre: à la fois sa répétition et sa vérité, puisqu'elle porte au jour les véritables raisons du désastre. Toutes les causes précédemment invoquées pour expliquer le flagrant échec politique et militaire de mai-juin 1940 sont ainsi superposables au combat qui l'oppose aux partis politiques de l'après-guerre. Le bénéfice d'une telle opération est double: le maintien d'une menace – plus grave puisqu'il s'agit de la répétition d'une erreur, qui met directement aux prises les Français avec eux-mêmes – préserve la dynamique narrative du récit et confère une dignité supérieure à une question d'ordre relativement technique. Ainsi le Général peut-il parler de «la grande querelle de la France[ii]» à propos de la politique extérieure qu'il entend mener. D'une querelle à l'autre, de Gaulle mène toujours le même combat.

Un texte programmatique

L'ensemble du récit est sous-tendu par une tentative de régénération nationale et se double d'un programme de nature politique: plus précisément un projet de réforme constitutionnelle visant à ce que «l'État ait une tête, c'est-à-dire un chef, en qui la nation puisse voir, au-dessus des fluctuations, l'homme en charge de l'essentiel et le garant de ses destinées». Le mémorialiste multiplie les passages qui sont de véritables programmes politiques adressés au lecteur, transformé en concitoyen et électeur potentiel, notamment lors du long passage sur l'histoire sociale de la France, p.115 (affirmant que l'avenir est à bâtir, de Gaulle ajoute: «Il y faut une politique. J'en ai une», poursuivant par une série de phrases nominales introduites par des verbes à l'infinitif et qu'il résume par la clausule: «Voilà ce que je veux faire»), puis p.127. Le Général évoque notamment, p.122, «l'idée [qu'il se] fait de l'État», autrement dit sa vision de la Constitution, élément clé de sa conception du pouvoir. À la tête, un «arbitre qualifié», puis des «serviteurs recrutés et formés de manière à constituer un corps valable et homogène». On reconnaît ici la métaphore du corps de l'État (dont de Gaulle serait la tête), sur le modèle du corps mystique de l'Église, à laquelle s'oppose à la p.123 le parti communiste présenté comme une bête de somme («Ruant, mordant, se cabrant, mais attelé entre les brancards et subissant le mors et la bride…»).

Il s'agit bien entendu d'une conception très ambiguë du pouvoir. Dans la formule de la p.54 («Entre le peuple et son guide le contact s'est établi. Par là, se trouve tranchée toute espèce de contestation, quant à l'autorité nationale»), on s'est interrogé sur le choix du terme «guide», où l'on a pu reconnaître un lien avec l'idéologie fasciste, par la valorisation d'un contact direct, sans médiation, entre le guide et le peuple, ou ce que de Gaulle nomme, p.305, le «sentiment de la masse». De même, lorsque de Gaulle écrit, p.55, des députés de l'Assemblée constituante: «Qu'ils restent unis pour le redressement, (…) tous les espoirs sont permis. Qu'ils me quittent et se divisent (…), le déclin reprendra son cours», suppose-t-il que l'adhésion à sa figure se confond avec le respect du pouvoir et alors que l'opposition à sa politique ou à son pouvoir représenterait en soi un facteur de trouble politique.

132: important débat avec les représentants de l'Assemblée consultative: de Gaulle invoque sa mission, s'identifie à la France alors que les membres de l'Assemblée ne sont considérés que comme les représentants de fractions (quelle qu'en soit l'importance). Seul le peuple est souverain, mais de Gaulle considère que tant qu'il n'est pas en mesure d'exprimer sa volonté, il doit prendre sur lui de le conduire (2 objets de litige: - le présupposé selon lequel le peuple ne peut pas exprimer sa volonté + le fait que de Gaulle s'en confie à lui-même la mission).


III. La tradition des «Vies majuscules»


Le troisième axe, celui du genre mémorial, me paraît particulièrement important car l'étude de ce texte est de nature à bouleverser l'étude des récits de soi où l'on a jusqu'ici privilégiée le modèle autobiographique. Je ne vais pas insister sur ce point – je me permets de renvoyer à Écrire ses Mémoires au XXe siècle (Gallimard, coll.«Bibliothèque des idées», 2008). J'insisterai seulement sur le fait que les Mémoires, contrairement à ce que l'on ne cesse de dire dans les manuels sur les écrits à la première personne, ne sont pas la préhistoire de l'autobiographie (autrement dit ne se réduisent pas aux siècles classiques, pour laisser place, à partir de Stendhal à une forme de récit de soi plus moderne que l'on a appelé «autobiographie»). À la suite des Mémoires d'outre-tombe de Chateaubriand, la production mémoriale ne s'est jamais interrompue: après un creux au tournant du siècle, elle s'est poursuivie de manière égale, en nombre et en qualité, jusqu'à aujourd'hui, où il suffit de regarder n'importe quel catalogue d'éditeur pour constater qu'il se publie plus de Mémoires que d'autobiographies ou de témoignages, pourtant privilégiés de manière quasi exclusive dans l'enseignement scolaire et la recherche. Ce ne sont donc pas les Mémoires qui ont disparus, ce sont les discours critiques à travers lesquelles nous appréhendons les récits à la première personne qui ont basculé: au xxe siècle, l'autobiographie d'un côté et le témoignage de l'autre en tant que catégories génériques et en tant que modèles d'écriture ont pris le dessus sur les Mémoires qu'ils ont éclipsé (sauf dans le cas de textes aussi fortement identifiables au genre des Vies majuscules que les Mémoires de guerre du général de Gaulle). Par conséquent, au modèle téléologique des genres qui sont véhiculés par la plupart des manuels sur les écrits personnels (les Mémoires durant les siècles classiques, puis l'autobiographie…), il faut substituer un modèle plus complexe, celui d'un continuum des textes à la première personne organisé autour d'un pôle intimiste (autobiographique) et un pôle que j'appellerai «égohistorique», et dont les Mémoires sont la principale illustration.

«Me voilà, tel que Dieu m'a fait» (p. 158)

L'une des meilleures définition de l'autobiographie est donnée par Sartre à la fin des Mots, lorsqu'il écrit: «Si je range l'impossible Salut au magasin des accessoires, que reste-t-il? Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n'importe qui.» Sartre montre parfaitement que l'idée de salut (autrement l'idée que le sujet serait porteur d'une mission ou d'une vocation – historique ou artistique – qui transcenderait son existence et qui l'élèverait au rang de destin) est par définition contraire au projet autobiographique, où un individu reconstitue son passé et pour cela plonge dans les profondeurs de sa personnalité. C'est l'inverse dans le cas du mémorialiste dont l'identité ne pose jamais question et est d'emblée donnée – ce que résume une formule essentielle du Général: «Me voilà, tel que Dieu m'a fait».

Certes, le mémorialiste entend lui aussi dire la vérité sur son identité personnelle, mais celle-ci ne dépend moins d'un geste d'introspection que de la reconstitution de tout un processus de socialisation, la prise en compte des différentes sphères d'appartenance propre à chaque individu, que Paul Ricœur nomme les «plans de vie[iii]», à savoir les vastes unités pratiques qui organisent l'existence, tels la situation sociale, le milieu professionnel ou le parcours politique. Son récit de vie se déploie comme une «lutte pour la reconnaissance[iv]», au cours de laquelle le sujet collecte les marques de confirmation de soi par autrui.

Tous ces signes de confirmation ne sont pas simplement à mettre au compte d'un coupable et inexpiable orgueil. Le propre du mémorialiste, représentatif en cela d'une dimension fondamentale de l'existence humaine, est de n'être lui-même qu'avec, parmi ou contre les autres. Il est un agent, responsable de ses actes et trouvant dans les événements qu'il traverse l'occasion d'un maintien de soi. Ce que le mémorialiste présente de lui, c'est exactement ce que de Gaulle nomme lui-même une «manière d'être», p.342: «Ma manière d'être, au long des années, se trouvait commandée par cette mission que la France continuait de m'assigner (…)».

Les Mémoires sont le genre de l'attestation de soi. Ce n'est donc pas parce que de Gaulle ne révèle quasiment rien de sa vie intime et quotidienne que son texte est incomplet: il est tout entier dans cette image qu'il donne de lui à certain moment de reconnaissance réciproque du et par le peuple. Le sujet gaullien n'a pas de vie intime tout simplement parce qu'elle est ordinaire, non significative, ce qui ne signifie pas que de Gaulle écrive un texte froid, désincarné. Le sujet se trouve idéalement présent, sans perte ni supplément, sans les doutes identitaire qui pèse sur les autobiographies, dans son récit tout entier organisé autour d'un geste qu'illustrent les nombreux présentatif (on se souvient, p.283, de la formule: «Et me voici, aujourd'hui, en charge d'un pays ruiné, décimé, déchiré, encerclé de malveillances. À ma voix, il a pu s'unir pour marcher à sa libération»). Sur ces auto-désignations à la troisième personne du singulier (sur le modèle de César dans La Guerre des Gaules) dont les occurrences nombreuses ont souvent été commentées, je ne prendrai qu'un seul exemple, où apparaissent nettement trois entités superposées, la figure publique, le sujet mémoriel et l'instance mémoriale, p.10: «Quant à de Gaulle, personnage quelque peu fabuleux, incorporant aux yeux de tous cette prodigieuse libération, on compte qu'il saura accomplir par lui-même tous les miracles attendus./ Pour moi (…), je ne m'en fais point accroire.». C'est là ce qui distingue en propre les Mémoires: le sujet étant tout entier lui-même dans le récit de son parcours de vie à travers le siècle, le jeu entre ces trois instances devient un enjeu essentiel – tout l'effort du mémorialiste consiste à les superposer parfaitement, à les faire coïncider afin de souligner l'extrême cohérence de son parcours de vie (prouvant ainsi qu'il a toujours été le même, fidèle à ses promesses et que ses actions ont été le prolongement parfait, sans faille, de sa volonté) – alors même qu'il s'agit bien entendu d'une sorte d'illusion d'optique permise par l'acte de rétrospection.

Si l'autobiographie se présente donc comme la reconstitution d'une personnalité par un travail d'introspection, les Mémoires vise à manifester la fidélité à un mandat qu'atteste toute une trajectoire de vie à travers l'Histoire.

La France, c'est la France

Le genre mémorial serait lié à l'identité même de la France, par sorte de lien étroit entre l'histoire du genre et l'histoire du pays, ainsi que l'a montré Pierre Nora dans un célèbre article (voir les Éléments bibliographiques)[v]. D'une certaine manière, on pourrait résumer les Mémoires de guerre à cette seule intrigue: l'effondrement puis la renaissance de la nation grâce au général de Gaulle. C'est pourquoi la France devient dans le texte ce que Ricœur nomme un personnage de niveau supérieur: un véritable actant (le principal d'une certaine manière), sous forme d'une personnification continue, comme à la p.7 («La marée, en se retirant, découvre donc soudain, d'un bout à l'autre, le corps bouleversé de la France») où se mêlent une hypallage et une personnification: le bouleversement semble ainsi être celui de la France – au sens des citoyens qui la composent – devant le spectacle de cette entité de niveau supérieur qu'est la France).

Cette constante personnification de la France repose sur une conscience géographique de l'unité nationale que de Gaulle s'efforce de consolider: p.17 à 29, de Gaulle opère un «tour de France» au cours duquel il reconstitue le corps morcelé (géographiquement et idéologiquement) du pays, redonnant vie à ce corps éparpillé. Le voyage sur le sol national fonctionne comme une sorte de vaste défilé (il obéit au même principe: se donner physiquement en spectacle afin de provoquer l'adhésion enthousiaste et de reconstituer par ce mouvement spontané le corps national), comme le montre la p.30: «Ainsi avais-je, en quelques semaines, parcouru une grande partie du territoire, paru aux yeux de 10 millions de Français dans l'appareil du pouvoir et au milieu des démonstrations de l'adhésion nationale…» Cette vaste entreprise de dénombrement des forces du pays vaut comme reconstitution du corps de la France, défigurée par l'Occupation et divisée par la collaboration (sorte de guerre civile larvée). Bien entendu, un tel effort pour redonner aux Français conscience de l'unité géographique et politique du pays a certains corollaires idéologiques, tel le caractère sacré de l'Alsace: tout le passage sur la libération de l'Est, notamment l'ordre de tenir Strasbourg, contre l'avis des anglo-saxons, vise (p. 179) à manifester le caractère sacré de l'Alsace pour la France. De Gaulle s'inspire ici de Barrès et des Déracinés, c'est-à-dire de toute une sensibilité terrienne, de tout un imaginaire national que l'on retrouve dans la prosopopée finale de la France et qu'il faut mettre en regard avec Amori et dolori sacrum de Barrès, section: «le 2 novembre en Lorraine» (Romans Bouquins tome 2, p.98-104) ou L'Abeille et l'architecte (livre de poche 1985 note du lundi 10 octobre 1977, p.329-330 (“avez vous une idée de la France”) de François Mitterrand[vi]:

Maurice Barrès, «Le 2 novembre en Lorraine», Amori et Dolori Sacrum

«Certaines personnes se croient d'autant mieux cultivées qu'elles ont étouffé la voix du sang et l'instinct du terroir. Elles prétendent se régler sur des lois qu'elles ont choisies délibérément et qui, fussent-elles très logiques, risquent de contrarier nos énergies profondes. Quant à nous, pour nous sauver d'une stérile anarchie, nous voulons nous relier à notre terre et à nos morts. (…)

«Les ancêtres que nous prolongeons ne nous transmettent intégralement l'héritage accumulé de leurs âmes que par la permanence de l'action terrienne. C'est en maintenant sous nos yeux l'horizon qui cerna leurs travaux, leurs félicités ou leurs ruines, que nous entendrons le mieux ce qui nous est permis ou défendu. De la campagne, en toute saison, s'élève le chant des morts. Un vent léger le porte et le disperse comme une senteur. Que son appel nous oriente! Le cri et le vol des oiseaux, la multiplicité des brins d'herbe, la ramure des arbres, les teintes changeantes du ciel et le silence des espaces nous rendent sensibles, en tous lieux, la loi de l'éternelle décomposition, mais le climat, les végétations, chaque aspect, les plus humbles influences de notre pays natal nous révèlent et nous commandent notre destin propre, nous forcent d'accepter nos besoins, nos insuffisances, nos limites enfin et une discipline, car les morts auraient peu fait de nous donner la vie si la terre devenue notre sépulcre ne nous conduisait aux lois de la vie.» (…)

«Dans le pays où les miens ont duré, la vallée de la Moselle me paraît trop populeuse encore, trop recouverte de passants pour que j'entende bien ses leçons. J'aime à gravir les faibles pentes qui la dessinent, à parcourir indéfiniment, loin des centres d'habitation, le vieux plateau lorrain et, par exemple, le Xaintois, ancien pays historique où se dresse la montagne de Sion-Vaudémont.

Venant de Charmes-sur-Moselle, quand j'atteins le haut de la côte sur Gripport, au carrefour où passe la voie romaine, soudain dans un coup de vent je reçois sur ma face tout le secret de la Lorraine. Au loin s'étendent devant moi les solitudes agricoles, et, dans un ciel froid, brusquement, émerge, isolée de toute part, la falaise que spiritualise le mince clocher de Sion. Quel enchantement sous mes yeux, quel air vivifiant me baigne, quelle vénération dans mon cœur! Sainte colline nationale! Elle est l'autel du bon conseil. Dans toutes les saisons elle nous répète ce que Delphes disait aux démocrates mégariens: de faire entrer dans le nombre souverain leurs ancêtres, pour que la génération vivante se considérât toujours comme la minorité. Mais en novembre, quand d'épais nuages l'enserrent et que le vent y jette les voix de cents cloches rurales, je vais vers elle comme vers l'arche salvatrice, qui porte sur les siècles et dans le désastre lorrain tout ce qui survit à la mort.»

François Mitterrand, L'Abeille et l'architecte: chronique, Paris, Flammarion, 1978, p. 342-344 (lundi 10 octobre 1977):

À Paul Guilbert, du Quotidien de Paris, qui m'interroge: «Etes-vous un écrivain rentré ou un politique par dépit?» Je réponds: «Je suis un homme politique.» Sans doute avais-je plus de goût pour l'action. Écrivain, je n'aurais pas été un écrivain d'imagination. J'observe. J'écris. J'aime ce qui est écrit. La langue, la philologie, la grammaire. La vraie littérature naît, je le crois – je l'ai déjà noté – de l'exactitude du mot et de la chose. Je préfère celui qui sait dire exactement ce qu'il a vu et ressenti à celui qui vaticine en forçant ses impressions. À quoi cela tient-il? Élevé dans la culture classique où la composition française et la récitation latine ordonnaient le nombre et la phrase, cela a structuré mon langage. Trop parfois: j'ai conscience qu'il faut briser le moule. Ceux qui brisent annoncent ceux qui créent. Y a-t-il eu sur moi l'influence de mon milieu, de mon pays d'enfance? Assurément. Ils ont produit d'autres écrivains de même langue, de même style. Une gerbe de bons écrivains mineurs. Jacques Delamain écrivait des notules pour la N.R.F. et des livres sur les oiseaux. L'un des Boutelleau était Jacques Chardonne. Un de leurs cousins ou amis, Henri Fauconnier, obtint avec son roman Malaisie un prix Goncourt des années 30. Sa sœur Geneviève a rédigé de fort beaux textes sur fond de Double. Ah! ces familles de Cognac où l'on épousait la porcelaine de Limoges et les vins de Bordeaux… Bref, un société littéraire existait d'où avaient émergé, dans un temps plus reculé, les frères Tharaud partagé entre Charente et Limousin et, plus à l'ouest, là où les derniers coteaux, Fromentin. Mauriac était un de nos proches, par la terre et par l'esprit. Ami de ma famille, il fut l'un des «correspondants» fournis par ma mère que j'allai voir quand je débarquai à Paris en 1934. Je l'ai bien connu et aimé et lui garde de la tendresse. Non sans faille. Un jour qu'il m'avait accroché dans son Bloc-notes, je l'avais appelé «Notre écrivain régionaliste…». Il n'avait pas très bien pris la chose…

Guilbert insiste: «Avez-vous une idée de la France et laquelle?» Une certaine idée de la France, l'expression est du général de Gaulle. Je ne l'aime pas et me reproche de l'avoir, à mon tour, employée dans un livre. Je n'ai pas besoin d'une idée de la France. La France, je la vis. J'ai une conscience instinctive, profonde de la France, de la France physique et la passion de sa géographie, de son corps vivant. Là ont poussé mes racines. L'âme de la France, inutile de la chercher: elle m'habite.

J'ai vécu mon enfance au point de rencontre de l'Angoumois, du Périgord et de la Guyenne. Je n'ai pas besoin qu'on me raconte d'histoires sur la France. Ce que j'éprouve pour elle se passe d'éloquence. J'ai vécu des saisons entières en pleine nature dans une famille nombreuse et solitaire. Elles reviennent toujours, les saisons, sauf le jour de la mort. Plus tard, j'ai dû m'habituer à d'autres visages de la France, celui de la montagne, de l'industrie, des corons, des banlieues. Je les ai abordées avec le même goût de connaître ce pays, le mien, si divers, si varié et pourtant si semblable à lui-même, un. Mais il me faut, pour ne pas m'égarer, garder le rythme des jours avec une soleil qui se lève, qui se couche, le ciel par-dessus la tête, l'odeur du blé, l'odeur du chêne, la suite des heures. D'où le mal que j'ai à retrouver mes pistes dans la France du béton. Mais là encore, puisque c'est la France, aussi, je me sens chez moi.

Le but que de Gaulle se fixe en s'efforçant de consolider l'unité nationale à travers l'unité géographique se voit sanctionné par une figure de style: la tautologie (p.112: «Le but allait être atteint, parce que l'action s'était inspirée d'une France qui resterait la France pour ses enfants et pour le monde»). Or, comme le rappelait Barthes dans «Racine est Racine» (Mythologies, dans Roland Barthes, Œuvres complètes, t. I, 1942-1954, éd. Éric Marty, Paris, Editions du Seuil, 1993, p.621-622), la force de la tautologie est de fonctionner comme une déclaration de guerre (contre des adversaires supposés), une manière de couper nette toute discussion, mais aussi le moyen de prétendre atteindre un idéal de simplicité, d'évidence qui dispenserait de toute explication autre.


IV. Du langage comme arme dans la bataille de l'histoire


Les Mémoires sont un genre profondément rhétorique. Toute une série de pratiques qui autrefois occupaient une grande place dans le fonctionnement des institutions sociales et relevaient du discours d'apparat (sermon, éloge, oraison funèbre, art du discours politique ou discours de réception, etc.) ont trouvé à se perpétuer à travers les récits de Vies majuscules, ne serait-ce que parce que les Mémoires sont une forme développée d'éloge de soi. C'est à ce statut de la parole qu'il s'agit de s'intéresser à présent, en déclinant ses trois usages privilégiés chez de Gaulle: oratoire, argumentatif et stylistique.

De Gaulle ou la parole incarnée

L'ensemble des Mémoires repose sur une pratique constante du discours: de Gaulle est avant tout un homme du verbe, toute son épopée trouve d'ailleurs son origine dans un discours, celui du 18 juin (à ce moment là, de Gaulle n'a aucune légitimité institutionnelle, aucune armée, aucun argent; il n'est véritablement qu'une voix derrière un micro que la BBC concède, parce que Churchill en a décidé ainsi, à lui laisser occasionnellement). C'est donc en tant qu'orateur, conscient des effets de la parole éloquente, que le Général se présente, parfaitement conscient du fait que la politique est avant tout une question de prise de décision collective et qu'elle repose donc en grande partie sur les ressources de mobilisation par la parole publique.

C'est la raison pour laquelle le mémorialiste insiste dans Le Salut sur la renaissance des débats publics avec la réapparition des Assemblées et oppose à la rhétorique vague et trompeuse de l'Assemblée consultative (p.71) son propre usage de la parole, immédiatement performative. Chez de Gaulle, il y a continuité forte non seulement entre les paroles énoncées et l'instance qui les énonce, mais aussi entre les mots et les choses désignées, enfin entre l'orateur et le public qu'il vise, aussitôt influencé par le discours. On observe ici chez le mémorialiste une même ambiguïté sur la question de la rhétorique que sur la question de la politique: lorsqu'elle est employée par ses interlocuteurs la parole éloquente est trompeuse, mais lorsqu'elle est employée par lui, elle est directement action – une action unie, sans duplicité. Ce que tend à prouver le passage, p.128, consacré aux séances ternes de l'Assemblée, où les textes sont lus d'une voix monocorde, et où n'émergent que quelques effets de grandiloquence chez de rares orateurs, alors qu'à chacune des prises de parole du Général s'opère dans l'assistance un «rassemblement des esprits» – «La grandeur des sujets traités, l'effet des mots, le contact humain pris avec de Gaulle, rappelaient aux délégués la solidarité qui nous liait tous ensemble et leur faisaient sentir l'attrait de la communauté nationale».

Essentiel de même est le passage consacré au séjour en URSS, où l'écart entre la parole et les faits est étendu à l'ensemble de la population, écrasée par un régime totalitaire (le mémorialiste évoque p.82, une population en qui les consignes écrasent toute spontanéité et livre une description très critique, p.90 ou 99 du comité de Lublin). C'est avec Staline que cette dissociation atteint son maximum, notamment aux p.91 et suivantes, lorsque le dictateur s'efforce de convaincre de Gaulle de reconnaître le Comité de Lublin.

D'où vient alors la supériorité du Général sur tous ses interlocuteurs? De sa maîtrise de deux éléments essentiels: l'éthos et le pathos (qui sont les deux grandes preuves subjectives en rhétorique). L'ethos désigne ici l'image que de Gaulle donne de lui-même, à travers son récit mémorial, afin d'obtenir l'assentiment de ses lecteurs. C'est notamment par un travail d'ajustement entre son autorité préalable (c'est-à-dire sa réputation) et son autorité discursive (c'est-à-dire l'image qu'il livre de lui-même à travers son texte) que de Gaulle sculpte son ethos. Et cela jusqu'au morceau de bravoure final, l'autoportrait du mémorialiste retiré au milieu de la nature à la fin du Salut où de Gaulle pose en Cincinnatus – il s'agit évidemment pour lui de contrecarrer l'image du dictateur ramené au pouvoir par les fascistes de l'armée d'Algérie.

La dimension pathique de la parole gaullienne apparaît quant à elle notamment dans ce que l'on pourrait considérer à première vue comme des moments profondément anti-rhétoriques, à savoir les défilés, si importants dans les Mémoires de guerre. Mais que l'on se reporte à la p.158:

Serrant les mains, écoutant les cris, je tâche que ce contact soit un échange de pensées. “Me voilà, tel que Dieu m'a fait!” voudrais-je faire entendre à ceux qui m'entendent. “Comme vous voyez, je suis votre frère, chez lui au milieu des siens, mais un chef qui ne saurait ni composer avec son devoir, ni plier sous son fardeau.” Inversement, sous les clameurs et sous les regards, j'aperçois le reflet des âmes.

De Gaulle fixe ici le modèle d'une communication idéale, sans mot, qui passe par les cris et les regards, vecteurs d'émotions pures visant à un échange d'âme à âme. Un tel contact direct n'est pas un refus de la rhétorique (de la parole), il en est au contraire l'apogée, puisqu'il donne lieu à un beau morceau de rhétorique (une prosopopée plus exactement) conduisant à un échange plus authentique que n'importe quel discours. La plus grande éloquence est celle qui se prive des mots par excès d'échange, par trop-plein d'émotions à communiquer (Pascal: «La véritable éloquence se moque de l'éloquence»). D'où l'importance des démonstrations d'émotion chez ses interlocuteurs: les larmes dans les yeux de ceux auxquels il s'adresse (voir p.261 par exemple), nombreuses dans les Mémoires de guerre. Ces débordements lacrymaux sont le signe de l'effet immédiat et total que suscite la présence éloquente du Général. Chaque défilé, chaque cérémonie, chaque manifestation fonctionne ainsi comme une sorte de référendum spontané, qui court-circuit le système vicié, aux yeux du Général, de la délégation politique du pouvoir.

«Pour moi»: de Gaulle ou l'assomption de soi

Mais la parole éloquente n'a pas pour seule fonction de susciter l'adhésion: elle doit aussi convaincre en s'adressant à la raison de ses auditeurs. J'ai déjà souligné le caractère extrêmement structuré du texte gaullien: j'aimerais développer ce point en prenant pour seul exemple une formule récurrente, qui sous-tend l'armature argumentative du texte dans son ensemble. Cette formule n'est autre que le connecteur: «Pour moi». En effet, le récit gaullien est simplifié (Malraux parlait dans les Antimémoires d'une «simplification romaine des événements») non parce qu'il passerait sur certains éléments – c'est au contraire un récit touffu et aussi exhaustif que possible –, mais parce que l'interprétation qu'il propose des faits obéit à un schéma de pensée systématique, un schéma que l'on peut résumer à cette locution: «Pour moi». Les exemples en sont innombrables: «Pour moi, parvenu en cette fin d'un dramatique été dans un Paris misérable, je ne m'en fais point accroire» (p.10); «(…) dans un air où, déjà, s'élèvent les vols des chimères, je me sens tenu, quant à moi, de dire les choses telles qu'elles sont» (p.12); «À présent, les réalités n'en paraissent que plus amères. Pour quoi, quand je regarde au loin, j'aperçois bien l’azur du ciel. Mais de près, voyant bouillir d'affreux éléments de trouble dans le creuset des affaires publiques, je me fais l'effet de Macbeth devant la marmite des sorcières» (p.113)…

Cette formule répétitive joue un rôle essentiel car elle tend à isoler la figure de De Gaulle et à donner l'impression que celui-ci, loin d'être prisonnier du cours des événements, est capable d'adopter une position de retrait, de recul sur la réalité que lui seul observerait de loin, comme s'il bénéficiait à la fois de l'engagement dans le moment et la lucidité du recul historique (lucidité attribuable en réalité à l'instance mémoriale).

Ce que cette locution souligne, c'est l'importance qu'occupe dans le récit la formulation de la volonté qui est celle du Général: l'ensemble des Mémoires obéit à une construction binaire du texte: dans un premier temps, l'exposé des obstacles qui mettent en danger les intérêts du pays, puis son balancement par l'énoncé des intentions du Général et de son action. La transition se décline de différentes manières, à l'aide de la formule «Pour moi» ou de quantité d'autres où le mémorialiste formule ses intentions. À chaque fois, le déroulement des événements semble être l'accomplissement direct des intentions ou des plans (le terme revient très souvent) du Général.

Il en résulte parfois des tours stylistiques étranges, tel, à la p.184, la formule: «Ma politique ne pouvant pas souscrire à cette stratégie, mes résolutions étaient prises», où le sujet de la participiale, «politique», est joint au verbe d'opinion: «souscrire». Si la formule signifie: «comme je ne pouvais pas souscrire…», sa construction vise à suggérer une volonté autonomisée en tant que force, que puissance de nature supérieure, identique au sujet de Gaulle lui-même.

La surdétermination de la volonté du mémorialiste est telle que l'on peut lire les p.150 à 152 (où de Gaulle énumère chacun des ministres du gouvernement provisoire) à la lumière de l'anecdote des toasts de Staline (p.94), lorsque le dictateur rend hommages (mais en même temps menace) chacun des hommes placés sous son autorité («Pointant le doigt vers l'un des assistants: “Le voilà! C'est le directeur des arrières. À lui d'amener au front le matériel et les hommes. Qu'il tâche de le faire comme il faut! Sinon, il sera pendu, comme on fait dans ce pays.”»). Certes, de Gaulle ne menace pas, mais comme Staline, son énumération fonctionne comme une démonstration de force: elle est destinée à montrer que chacun des hommes nommés est l'extension de sa propre autorité (de Jeanneney, qui a été le ministre de Clemenceau, le mémorialiste écrit: «À présent, il est le mien»). Un tel procédé lui permet aussi de régler ses comptes discrètement avec ses opposants politiques, tel «Charles Tillon, tendu, soupçonneux», mais qui «ne s'en consacre pas moins efficacement à la résurrection des fabrications de l'Air».

Un idéal du mot juste

Dernier point par lequel la parole gaullienne manifeste sa puissance: le style. Un style que l'on peut décrire comme militaire (et que l'on n'est pas forcé d'apprécier, comme dans le cas de la musique militaire). Mais la question ici n'est pas tant de savoir si le style du général est élégant ou agréable que d'en saisir l'effet recherché. Or cet effet est subordonné à un idéal de transparence, celui du «mot juste», calqué sur la norme linguistique. Le langage chez de Gaulle est fait pour dire les choses exactement telles qu'elles doivent être dites (conformément à l'idéal classique: «Selon que notre idée est plus ou moins obscure, L'expression la suit, ou moins nette, ou plus pure. Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement - et les mots pour le dire arrivent aisément», Art poétique). Un signe en est le recours au pléonasme, comme à la p.9: «Mais les trains et les camions qui roulent, les avions qui atterrissent et les navires qui abordent sont destinés essentiellement aux forces en opérations.» Il y a un goût marqué chez de Gaulle pour la tautologie, les figures de dérivation, les proverbes et les aphorismes (mais aussi les métaphores stéréotypées, comme à la p.171, à propos des chefs qui dirigent l'armée française: «À les voir, je me convaincs, une fois de plus, qu'avec de bons jardiniers la plante militaire est toujours prête à fleurir»), c'est-à-dire pour tout ce qui laisse supposer un ordre naturel du langage. Une telle croyance en un ordre naturel du langage s'appuie, rappelait Barthes, sur une idéologie bourgeoise dans laquelle le monde doit être quadrillé, rassurant, commun à chacun et toujours accessible au bon sens.

Mais cette conception du mot juste ne se réduit pas à cette dimension idéologique: elle est avant tout destinée à montrer une forme de maîtrise, à manifester une puissance qui vise à renforcer l'autorité du locuteur. Pour le mémorialiste la formulation doit traduire la parfaite maîtrise de la pensée, qui se marque dans la structuration du texte:

- Amorce des paragraphes par des connecteurs logiques extrêmement clairs (la charpente argumentative étant toujours visible, mise en avant): «Il est vrai que», «Du moins», «C'est ainsi que…»

- Grand usage de la concession (modèle d'une pensée équilibré): tout ce qui est avancé se trouve contrebalancé (mais, toutefois, cependant, quant à moi, pour ma part, il reste que, au milieu de…, je ne laissais pas…), suscitant ainsi une pensée dichotomique et antithétique, structurée en fonction de rapports de force clairement établis – tout ce qui dépasse le rapport binaire ou proche est par conséquent renvoyé à une confusion d'intrigues nébuleuses.

- Recours à des tours classiques hérités notamment de la tradition latine, à commencer bien entendu par la fameuse autodésignation à la 3e personne. En voici un second exemple, p.118: «À moins, toutefois, que de Gaulle, saisissant l'initiative, ne réalise des réformes telles qu'il puisse regrouper les esprits, obtenir les concours des travailleurs et assurer, sur de nouvelles bases, le démarrage économique.» Il s'agit là encore pour le mémorialiste de se désigner en tant que figure publique, mais surtout de se placer comme agent quasi-unique de l'action politique mené. De Gaulle réactualise ici l'une des règles très connues du latin (au sujet du verbe factitif): «Caesar pontem fecit», qui signifie César a fait construire un pont et non que César a construit un pont. De Gaulle est celui dont la volonté peut se traduire immédiatement en fait, et qui peut donc s'autodésigner comme sujet plein, parfaitement cohérent, entièrement maître de soi-même et de son action.


V. Un récit «égohistorique»


Le dernier axe concerne la dimension proprement égohistorique du Salut. De Gaulle écrit, p.15: «Ma popularité était comme un capital qui solderait les déboires, inévitables au milieu des ruines», résumant par cette formule la fonction même des Mémoires, à savoir servir de chambre d'échos à cette popularité issue de l'appel du 18 juin 1940, autrement dit transformer ce qui était un combat militaire et politique en une épopée où la popularité acquise au cours de la lutte confère à l'auteur une légitimité qui puisse transcender les circonstances et les institutions publiques. Si l'on poursuit la métaphore économique du Général, il s'agit, en écrivant ses Mémoires, de transférer le capital accumulé lors de la guerre sur un placement à un taux extraordinairement avantageux, puisqu'il est indexé sur la postérité. C'est cette visée politique du texte qu'il s'agit à présent d'examiner.

Soi-même autrement que les autres: du bon usage des portraits

Je commencerai par les portraits, qui sont un lieu stratégique des Mémoires, car ceux-ci permettent d'expliquer les événements en attribuant des intentions et des responsabilités aux grands hommes placés aux commandes, et véhiculent (conformément à la tradition l'historia magistra) toute une série de modèles de comportement et de valeurs, autrement dit de contre-exemples mettant en valeur (par comparaison implicite) le mémorialiste lui-même.

Pour expliquer l'importance prise par les portraits chez de Gaulle, on invoque souvent la tradition rhétorique ou celle du genre mémorial lui-même, ce qui est juste. Mais ces moments du récit sont essentiels à un autre titre: ils sont le principal soubassement de l'idée que le Général se fait de l'histoire. Il faut en revenir, pour cela, au conflit qui oppose de Gaulle à son commissaire de la République, Raymond Aubrac, important résistant communiste (p.19). Le mémorialiste attaque à cette occasion les «fractions, soumises à une obédience cachée» qui mettent en péril l'autorité de l'État. «Les communistes, écrit-il, exploitant d'anciennes divisions locales et faisant état de persécutions auxquelles s'étaient acharnés les agents de Vichy, avait établi à Marseille une dictature anonyme». L'essentiel ici, c'est le mot «anonyme», source du véritable danger politique aux yeux du Général. L'anonymat, censé être pour les communistes une garantie démocratique (l'instance de décision, c'est le parti, et les militants appliquent ses décisions puisqu'elles expriment la volonté populaire, c'est-à-dire ouvrière), masque aux yeux de De Gaulle le fait que les dirigeants communistes ne sont que des pions derrière lesquels se cache la volonté de Moscou, autrement dit in fine celle de Staline.

La psychologie mise en œuvre dans les portraits a donc beau paraître quelque peu stéréotypée, l'essentielle est qu'elle véhicule toute une pensée de l'histoire. Pour le mémorialiste en effet, l'histoire est le résultat dans ses grandes lignes de la volonté des grands hommes – c'est bien le sens de la réponse que le Général fait à de Lattre lorsque celui-ci lui demande (p.47) si lors du désastre de 1940, il avait imaginé que l'armée française reprendrait le combat avec une telle ferveur: «C'est, répondis-je, parce que j'y comptais, que nous nommes ici tous les deux.» C'est pour cette raison aussi que le mot «parti» est toujours placé entre guillemets, (voir par exemple p.117 ou p.123) et que de Gaulle ne parle jamais de l'URSS, mais de la Russie (voir p.74 – «Le 24 novembre, je m'envolai vers la Russie») ou à la limite de la Russie soviétique.

De même de Gaulle écrit-il, lorsqu'il raconte sa visite diplomatique en URSS dont il vient d'être question: «Mais, comme il était naturel, ce qui allait être dit et fait d'essentiel le serait entre Staline et moi. En sa personne et sur tous les sujets, j'eus l'impression d'avoir devant moi le champion rusé et implacable d'une Russie recrue de souffrance et de tyrannie, mais brûlant d'ambition nationale.» C'est là un principe fondamental: un leader personnifie (pour le meilleur ou pour le pire) son pays et leurs caractéristiques sont réciproques – ce que l'on voit du pays annonce les dispositions du leader (la peur, le caractère contraints des Russes est le reflet de la tyrannie exercée par le chef suprême); inversement, le portrait de Staline révèle l'âme du pays (il en va de même dans pour Churchill et le pragmatisme des Anglais). Ce portrait de Staline est essentiel, car il est l'antithèse exacte du portrait que de Gaulle construit de lui-même. Tous deux fonctionnent comme les doubles inversés d'un même rapport d'identification absolue à leur pays. Ce rapport antithétique se négocie notamment lors de l'extraordinaire scène des toasts (p.94) où les hommages pleins de menace à tous ses compatriotes présents permettent à Staline d'exalter la puissance soviétique auprès des Français présents, autorisant ainsi de Gaulle à se dédouaner des pulsions dictatoriales qui animent son double inversé soviétique. Staline est tout entier sa patrie parce qu'il en réalise les désirs (supposés) profonds, à savoir l'impérialisme des tsars; de Gaulle se veut quant à lui porteur des idéaux de liberté et d'indépendance censés être ceux de l'âme nationale.

Récit «mémorable» et réconciliation nationale

Au sortir de la guerre, les Mémoires de guerre ont eu pour principale fonction de pallier la défaillance nationale, autrement dit de servir de prothèse mémorielle aux Français bien incapables de se raconter à eux-mêmes ces quatre années noires. Pour cela, de Gaulle s'est posé en juge de ses concitoyens et en garant de la réconciliation nationale – si bien que Le Salut peut être considéré comme une sorte de tribunal destiné à fixer les responsabilités de chacun et à permettre, grâce à ce jugement, de dépasser les haines accumulée. Cette visée prophylactique est destinée à permettre au pays de se réunir autour de son leader naturel. Bien entendu, cette opération s'accompagne d'un gain électoral: si de Gaulle est soucieux de donner à ceux qui furent «écartés de la nation par l'injustice qui les soulevait et l'erreur qui les dévoyait, l'occasion historique de rentrer dans l'unité nationale» (p.232)[vii], c'est afin de se présenter comme le seul homme politique capable de fédérer tous les Français.

Le passage les plus intéressant sur ce point est bien entendu l'allégorie de la France déchirée qui conclut le récit de l'épuration à la Libération et est destiné à ouvrir la possibilité d'une réconciliation nationale – autrement dit à préparer, à l'intérieur même du récit, les lois d'amnistie (dont la première survient moins de 10 ans après le début des faits) :

Une fois de plus, dans le drame national, le sang français coula des deux côtés. La patrie vit les meilleurs des siens mourir en la défendant. Avec honneur, avec amour, elle les berce en son chagrin. Hélas ! certains de ses fils tombèrent dans le camp opposé. Elle approuve leur châtiment, mais pleure tout bas ces enfants morts. Voici que le temps fait son œuvre. Un jour, les larmes seront taries, les fureurs éteintes, les tombes effacées. Mais il restera la France. (p. 50-51)

On reconnaît dans cet apologue consolateur que de Gaulle raconte à la nation la référence aux Tragiques d'Agrippa d'Aubigné qui peint « la France une mère affligée/ Qui est, entre ses bras, de deux enfants chargée », mère dont le corps sert de champ aux combats des frères (symboles des catholiques et des protestants), acharnés à se battre au point d'ensanglanter le sein maternel. En substituant le mythe à l'histoire, l'auteur estompe les responsabilités individuelles et les oppositions idéologiques. La guerre civile larvée qui s'est jouée durant l'Occupation ne serait au fond qu'une nouvelle lutte fratricide (dont l'histoire remonte, au-delà d'Agrippa d'Aubigné, à la Bible et à l'Antiquité), un conflit entre doubles dont les différences sont ainsi gommées, l'amour de la patrie suffisant à postuler leur réconciliation. Nous sommes bien là au cœur du genre mémorial dont l'une des principales fonctions est d'œuvrer, entre autres par un tel travail d'apaisement, à l'unité du pays. Le but que s'assigne le mémorialiste est bien de nature politique : son rôle de témoin historique est de suturer les divisions.

Ce procédé d'atténuation se retrouve tout au long du texte, notamment lorsqu'il est question de l'épuration (p.131-137), puis lors des procès de Pétain, Laval et Darlan. L'atténuation des responsabilités passe par les images du soldat perdu (à propos du général Dentz, condamné à mort et que de Gaulle gracie, «tenant compte des loyaux et beaux services qu’il avait rendus en d'autres temps et compatissant à ce drame du soldat perdu», p.137), ou de l'aventurier égaré (à propos de Darnand, dont la collaboration est présentée, p.300-301, comme une «aventure», celle d'un «grand dévoyé de l'action»). Ainsi vidée de son substrat idéologique, l'action des principaux collaborateurs est rapidement condamnée et réduite à la faute de quelques-uns – «La condamnation de Vichy dans la personne de ses dirigeants désolidarisait la France d'une politique qui avait été celle du renoncement national». En sorte que les différentes formes qu'ont prises la collaboration ou l'antisémitisme sont réduites à la seule question patriotique (pour ou contre la France), permettant ainsi à de Gaulle d'appliquer au passé récent la logique de l'amnistie, autrement dit de pardon et d'oubli collectif imposée par décision politique.

Attention, il ne s'agit pas chez de Gaulle d'excuser Vichy ou la Collaboration, qu'il a bien entendu refusés en bloc. Toute sa vision de l'histoire nationale obéit à un principe qui est énoncé p.297: «Pour moi, la faute capitale de Pétain et de son gouvernement c'était d'avoir conclu avec l'ennemi, au nom de la France, le soi-disant “armistice”». Tout (c'est-à-dire la collaboration et ses conséquences) est ainsi subordonné à ce seul point d'ordre militaire et politique: préserver la défense et l'indépendance nationale. Ce passage est d'autant plus intéressant que de Gaulle y cite explicitement les crimes antisémites commis par l'État français en évoquant la remise aux Allemands de Juifs ainsi que les mesures antisémites. Le Général ne cherche donc absolument pas à occulter cette question; tout simplement est-elle à ses yeux une conséquence de l'abandon de l'indépendance nationale. C'est pourquoi le Général souhaite la réconciliation nationale dix ans à peine après les événements: puisque le crime fut avant tout d'ordre politique et militaire, il relève bien de la tradition nationale d'amnistie, cette loi d'oubli et de pardon au nom de l'intérêt supérieur que l'État français applique depuis la Commune afin d'éviter tout risque de guerre civile[viii].

Les oubliés des Mémoires

Bien entendu, c'est sur ce point que notre distance avec le texte se fait le plus sentir; c'est là que nous éprouvons le besoin de lire Le Salut selon une autre perspective, en prêtant attention aux victimes de cette politique d'amnistie généralisée. Certes, la volonté gaullienne de réconciliation a joué un rôle très important dans les années 1950, alors que la guerre d'Algérie menaçait de plonger à nouveau le pays dans la guerre civile; elle n'en a pas moins conduit le mémorialiste à passer sous silence ou du moins à relativiser tout ce qui débordait le grand récit national, comme le génocide et la colonisation.

Rien n'est dit, p. 206, des «camps de déportation» (qu'on ne distingue pas à l'époque des camps d'extermination), sinon l'évocation de la stupéfaction d'horreur et d'indignation des soldats qui découvrent ces camps – on reste donc dans le registre moral traditionnel, sans que l'événement soit considéré dans ce qu'il a de proprement unique dans l'histoire. De même, les portraits de Mussolini et d'Hitler, p.207 à 210, montrent que la singularité du fascisme (en tant que régime politique) est gommée par le recours au mythe (comparaison avec Prométhée, p.208, ou avec Moloch p.209) ou à la métaphore filée à connotation sexuelle (l'Allemagne, pays femelle se soumettant à la puissance de son dictateur en un accouplement monstrueux). Étrangement, le mémorialiste rejoint à nouveau Staline lorsqu'il évoque, p.210, la larme secrète de Hitler, au moment où tout est finit, alors que, p.99, le dictateur soviétique «plaignait Hitler, “pauvre homme qui ne s'en tirera pas”». De Gaulle comme Staline envisagent le nazisme comme l'entreprise «surhumaine et inhumaine» d'un individu, qui redevient simplement humain au moment de sa chute.

En quelque sorte, la Shoah constitue ce que Dominique Legallois nomme dans un article paru dans le n°661 des Temps modernes («De Gaulle, la France et la littérature»), un «hors-mémoires»: un événement excédant le projet de refondation nationale et échappant ainsi à la mythographie gaullienne.

Il en va différemment des colonies ou des protectorats, dont de Gaulle traite, au contraire, très largement, cela dès la p.13. Il n'est toutefois question de ces pays qu'en fonction des «intérêts de la France», ainsi qu'il est dit p.110: «Encore soupçonnais-je que, sur certaines questions: Syrie, Liban, Indochine, intéressant directement la France, les “Trois” avaient conclu entre eux quelque arrangement incompatible avec nos intérêts». La figure dérivative souligne ici de manière évidente le fait qu'une telle relation est avant tout d'exploitation, cela à un moment essentiel du récit, puisque le mémorialiste y traite d'une question d'ontologie nationale: en conflit avec Roosevelt qui l'a invité à le rejoindre à Alger, de Gaulle entend montrer qu'Alger est la France. Cette même figure dérivative se retrouve à d'autres moments, comme p.226, où de Gaulle écrit à Churchill: «Nous avons (…) reconnu l'indépendance des Etats du Levant, comme vous l'avez fait pour l'Egypte et pour l'Irak, et nous ne cherchons rien d'autre que de concilier ce régime d'indépendance avec nos intérêts dans la région. Ces intérêts sont d'ordre économique et culturel. Ils sont aussi d'ordre stratégiques…Nous sommes, tout comme vous, intéressés aux communications de l'Extrême-Orient.»

D'une certaine manière, les choses sont dites de manière très cynique, noir sur blanc, même si elles le sont à l'insu du mémorialiste. Considérons, par exemple la p.119, où, comme «la mise en valeur des territoires de l'Union française devient une des chances principales et, peut-être, suprêmes de la France, l'ancienne “Caisse centrale de la France libre” est transformée en “Caisse centrale de la France d'outre-mer” et organise la participation de l'Etat au développement de ces pays neufs» - le changement de désignation de la caisse est symboliquement impressionnant: tout se passe comme si la Résistance avait eu pour but principal de sauvegarder les intérêts financiers de la France, et comme si le terme «France libre» masquait en réalité «colonies exploitées». Ce sème économique contamine dès lors l'ensemble des formules qu'emploie le mémorialiste, comme p.100 où celui-ci écrit à propos de la Tunisie que l'État, «préparé par notre protectorat, semblait pouvoir bientôt voler de ses propres ailes moyennant le concours de la France».

Plus grave encore, p.267, l'évocation des massacres de Sétif, le 8 mai 1945, qui transparaît l'idéologie colonialiste dans toute sa splendeur, puisque les manifestations contre le colonialisme qui dégénèrent (et où une centaine d'Européens trouvent la mort) provoque de très graves répressions et se solde par des milliers de morts indigènes – massacres évoqués en ces termes: «En Algérie, un commencement d'insurrection, survenu dans le Constantinois (…) a été étouffé par le gouverneur général Chataigneau».


Conclusion


J'aimerais terminer sur la formule prêtée à Staline: «Il n'y a que la mort qui gagne». Cet aphorisme peut s'entendre de différentes manières: soit comme emprunté à la tradition moraliste française (il renvoie alors à la sagesse atteinte à la fin d'une existence dont fait preuve l'instance sur laquelle se clôt le récit), soit comme la vérité cynique du régime soviétique (le pouvoir appartient à celui qui s'impose aux autres, dût-il les tuer massivement). Mais une troisième interprétation est possible: la formule dit aussi ce qu'il en est du projet gaullien. Les Mémoires, bien que publiés du vivant de l'auteur (ici au moment même où l'auteur va enfin exercer pleinement le pouvoir légal), sont d'une certaine manière toujours d'outre-tombe: leur véritable puissance se déploie après la vie de l'auteur. Ils sont un monument que l'auteur construirait de son vivant mais qui ne trouve sa véritable signification qu'après la mort de celui-ci, lorsqu'il n'existe enfin qu'à travers son corps de papier, son œuvre mémoriale. C'est grâce à ce tombeau bavard et imposant que le véritable combat peut être gagné. C'est à ce moment que la postérité peut être vaincue. Ce que résume une autre formule clé, énoncée lors du même épisode, p.92: «L'avenir dure longtemps. Tout peut, un jour, arriver, même ceci qu'un acte conforme à l'honneur et à l'honnêteté apparaisse, en fin de compte, comme un bon placement politique.»[ix]



[i] Notons que Le Renouveau sera le titre du premier tome des Mémoires d'espoir, traitant des années 1958-1962.

[ii] Le terme s'applique chez de Gaulle à sa propre action conduite – au sujet des crises survenues avec les Anglais, le note par exemple dans le premier tome: «les propagandistes “des Français parlent aux Français”, l'Agence française indépendante et le journal France, n'épousèrent pas notre querelle» – et à la cause nationale d'une manière générale.

[iii] Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Éditions du Seuil, p.186-187.

[iv] Axel Honneth, La Lutte pour la reconnaissance, Paris, Cerf, coll. «Passages», 2000.

[v] Pour une critique de cette approche, voir l'article de Christian Jouhaud, Dinah Ribard et Nicolas Schapira dans le dossier «De Gaulle, à la lettre» dans le n°661 des Temps modernes.

[vi] Je remercie Françoise Mélonio pour ces références.

[vii]

Ibid., p. 232. De Gaulle parle alors des résistants communistes, mais la formule peut s'appliquer plus largement.

[viii] Voir à ce sujet l'étude de Stéphane Gacon: L'Amnistie: de la Commune à la guerre d'Algérie aux Éditions du Seuil.

[ix] La formule, on le sait, est devenue le titre du récit autobiographique d'Althusser (ainsi que des Mémoires du comte de Paris…)



Jean-Louis Jeannelle

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Dernière mise à jour de cette page le 26 Janvier 2011 à 20h03.