Atelier


Sur un article de Pierre Bayard, "Le plagiat par anticipation", La Lecture littéraire, numéro spécial Ecrivains, lecteurs, sous la direction de Bruno Clément, février 2002.


  • L'angoisse prospective. Remarques sur Le Plagiat par anticipation de Pierre Bayard, par Hervé Baudry.




Une histoire littéraire non linéaire, non prévisible non déterministe, c'est ce que certains concepts, comme l'intertextualité ou le plagiat par anticipation, nous permettent de penser. Pierre Bayard propose de considérer le plagiat par anticipation comme un mode d'organisation possible des phénomènes littéraires, qui bien au-delà du plaisir du paradoxe, puisse mettre en lumière des temporalités complexes, et tout particulièrement le temps et le rôle de l'acte de lecture dans l'engendrement des textes. L'idée de plagiat par anticipation révèle ce que toute chronologie, généalogie, ou détermination d'événements littéraires contient de décision d'évaluation (mineurs contre majeurs), de détermination d'autorité individuelle ou collective, d'élaboration de pertinences.

La notion a été forgée par les membres de l'Oulipo (qui par anticipation plagient en quelque sorte Bayard, qui vient enfin donner à ce concept sa pleine portée théorique), lorsqu'ils reconnaissent dans les Grands Rhétoriqueurs leurs propres plagiaires, puisqu'ils auraient appliqué la contrainte textuelle sans encore la penser comme système de production littéraire. Le phénomène était né mais attendait sa signification. Le plagiat par anticipation "implique la reconnaissance d'une précédence, mais dans le même temps l'annule puisqu'il prétend aller plus loin que les prédécesseurs, en développant les virtualités inexplorées de leurs propositions. Toute la contraction de la notion réside dans ce mouvement double de filiation et de défiliation". Le concept permet de dessiner des lignes généalogiques sans s'en tenir à la linéarité de l'influence, de l'imitation, de l'emprunt ou de toutes formes de prévisibilité, en rendant possible la reconnaissance de phénomènes de réversions dans la chronologie littéraire. L'Oulipo donne toute sa puissance de signification à la contrainte mise en place par les Grands Rhétoriqueurs, Freud déploie le sens profond de l'Oedipe de Sophocle, Plaute devient lacanien avec Lacan (tous exemples donnés par Bayard), le Théorème de Pasolini nous aide à lire l'Evangile, ou Joyce le récit d'Homère.

Parler de plagiat par anticipation, c'est situer dans le temps et après-coup l'actualisation historique d'un donné théorique: certains phénomènes littéraires peuvent ne devenir actifs que bien après leur apparition et que réitérés par quelqu'un d'autre qui leur donne leur pleine signification. La temporalité littéraire peut être ainsi faite de distance entre puissance et actualisation de données théoriques. Le concept noue donc essentiellement une question temporelle à une question théorique de valeur et d'auctorialié, c'est une cristallisation exemplaire, me semble-t-il, de théorie et d'histoire littéraires.

L'idée situe enfin dans la lecture un véritable actualisateur historico-théorique qui vienne reconfigurer les représentations de l'intention et de l'autorité: "En faisant surgir dans leurs textes des éléments dont leurs auteurs n'avaient pas perçu toutes les possibilités, ce sont eux [les lecteurs] qui sont fondés à considérer qu'ils enrichissent les textes qu'ils relisent". Les notions théoriques de "texte possible" et de "texte intérieur" y trouvent une signification véritablement historique.

Autorité de la lecture, temporalité réversible, rapports d'actualisation réciproque de l'histoire et de la théorie littéraires, la notion de plagiat par anticipation offre en définitive une vision de l'événement littéraire en termes de possibles et de don démultiplié.


Page associée: P. Bayard sur Fabula, Intertextualité, Anachronisme, Anachronie, Lecture, Plagiat, Influence.

Marielle Macé

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