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Modes, Types[i]

Modes et types offrent des découpages du littéraire complémentaires et concurrents de ceux des genres; ils reçoivent des définitions très variables, et l'on a parfois affaire à de simples cas d'homonymie, la seule constante étant que le mode et le type sont des catégories trans-historiques et abstraites dotées d'une essence stable alors que les genres sont essentiellement des objets empiriques.

Chez Alastair Fowler, lemode est «une sélection ou une abstraction faite à partir du genre»; leur éventail très large, recouvrant à peu près tous les adjectifs tirés des noms de genre: élégiaque, épigrammatique, tragique, allégorique, pastoral… La différence avec les genres est de statut: les modes définissent non des groupes mais une qualité extraite d'œuvres représentatives d'un genre; ils ne dénotent jamais une structure externe, ni une taille, mais une coloration. La qualification modale s'ajoute au genre: on dira d'un drame qu'il est satirique, d'un roman qu'il est comique (celui de Scarron l'est par son sujet), mais moins volontiers d'une comédie qu'elle est comique, ou d'un roman qu'il est romanesque; si on le dit, ce n'est pas un pléonasme mais la précision thématique ou tonale d'une séquence ou d'une œuvre déjà classée génériquement. L'extension des modes est très grande, bien des critères peuvent les définir: un motif (un stratagème est souvent comique, de même qu'un quiproquo), une formule, une fonction rhétorique… Moins historiques que les genres, ils semblent offrir un découpage plus permanent du littéraire; c'est pourquoi, récemment, la critique de genre a été en général une critique de modes.

Chez Gérard Genette, le mode désigne strictement le «mode de représentation»: narratif, dramatique, mixte. Il permet au poéticien de distinguer le classement énonciatif des textes proposé par Platon des systèmes de genres proprement dits qui combinent des critères modaux, formels et thématiques. Les modes sont ici des formes linguistiques qui peuvent prétendre à l'universalité, dont les genres apparaissent comme des «spécifications thématiques»: le vaudeville est une spécification thématique de la comédie, le novel une spécification du genre narratif… Il n'y a cependant pas de relation d'inclusion stricte, et tous les genres, loin s'en faut, ne dépendent pas d'un mode (que l'on pense encore une fois à l'essai). Les théoriciens romantiques ont pourtant réinterprété le système clos des modes énonciatifs en système de genres.

Les types offrent à leur tour un cas d'homonymie, et des critères de découpage du grand texte que peut devenir une bibliothèque. Pour les représentants de la «linguistique textuelle», en particulier Jean-Michel Adam, ce sont des classes qui ne reposent que sur un critère (narratif, descriptif, explicatif, etc.), qui permettent de définir des textes ou des séquences, et de poser la question d'une stylistique des genres. Pour Gérard Genette, ce sont des sous-modes; la narration à la première personne est par exemple une sous-catégorie de la narration.

L'observation de ces critères de groupement révèle en fait l'absence d'organisation hiérarchique ou d'emboîtement entre les catégories linguistiques – aussi englobantes soient-elles – et les genres: la chaîne d'inclusion, comme l'explique Gérard Genette, se brise vite, car les genres ne sont ni des sous-modes ni des sous-types et ne permettent pas, réciproquement, de remonter à un critère exclusif de littérarité; ils reposent sur un répertoire discontinu de traits et rendent compte de la mobilité de tout le système littéraire.

Devant la complexité de ces batailles classificatoires se présente un troisième terme qui peut en pacifier les opérations, celui de modèle; le genre, concept historique situé à l'interface entre le particulier et le général, offre une modélisation du discours sur le monde: la comédie classique typifie ses personnages, la pastoral les idéalise, le roman contemporain creuse leur singularité. On insiste alors non sur la vertu de classement, mais sur la fonction de médiation exercée par le genre, et sur le fait que la relation de modélisation s'exerce dans les deux sens, du monde (de la vérité, de la littérature) à l'œuvre et de l'œuvre au monde qu'elle vise, par le biais du genre.


  • La Transmodalisation? (au sens de Genette: «toute espèce de modification apportée au mode de représentation caractéristique» d'un texte, Palimpsestes, p. 323; Genette propose de distinguer deux sortes de transformations modales: d'une part celles qui concernent le passage d'un mode à l'autre, dites intermodales; d'autre part celles qui affectent le fonctionnement interne du mode, dites intramodales):

    • Boîte à outils Transmodalisation du Groupe de recherche en Littératie Médiatique Multimodale.



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[i] Ce texte est extrait de l'ouvrage Le Genre littéraire (M. Macé, GF-«Corpus», 2004), il est reproduit avec l'aimable autorisation de l'éditeur.



Marielle Macé

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Dernière mise à jour de cette page le 27 Janvier 2018 à 23h42.