Atelier


L'Analyse pragma-énonciative des figures. Journée CONSCILA du 19 octobre 2007

Bertrand Verine, Praxiling, UMR 5267 CNRS – Université Montpellier 3

La parole hyperbolique : des figures d'énonciation en même



Traditionnellement catégorisées comme « figures de pensée » et, plus récemment, comme « figures énonciatives / référentielles », les hyperboles sont particulièrement aptes à nourrir une approche énonciative globale du fait figural, de ses mécanismes et de sa fonctionnalité, dans la mesure où tous les rhétoriciens ont signalé la diversité de leurs marqueurs ou de leurs étayages. Elles gagnent, en retour, à être redéfinies dans le cadre d'une énonciation rénovée par les apports du principe dialogique : le locuteur-énonciateur L1/E1 actualise, sur l'objet du discours, un énoncé intensif (Bonhomme 2005) par rapport à celui qu'actualiserait un autre énonciateur (double de E1, destinataire ou tiers) ; ce disant – dans les cas où elle ne se combine pas avec l'ironie –, la parole hyperbolique vise à faire adopter au destinataire le point de vue sur l'objet qui la fonde. On problématisera donc successivement (1.) le caractère cotextuel du réglage hyperbolique du sens, (2.) les voix par lesquelles sont introduits les autres discours possibles sur le même objet et (3.) les voies par lesquelles se construit une articulation non antagonique des points de vue.


1. Les hyperboles procèdent d'une figuralité discursive dans la double mesure où elles apparaissent presque toujours filées et où elles sont intrinsèquement cotextuelles. Les exemples mêmes des traités de rhétorique montrent à quel point il est rare ou/et artificiel d'isoler une hyperbole, en dehors de procédés morphologiques comme les affixes, d'ailleurs moins utilisés que ne le laisse croire leur mention constante, et d'expressions lexicalisées qui, en discours, apparaîtront presque inévitablement accompagnés d'autres marqueurs ou étayages hyperboliques : j'en ai voulu au monde entier n'advient pas au discours de but en blanc ni sans postérité. On s'attachera à montrer que ce n'est pas le choix disproportionné de tel ou tel marqueur, mais l'interaction cotextuelle de lexèmes, de morphèmes et d'autres figures qui construit un point de vue hyperbolisant, celui-ci servant, en retour, de cadre interprétatif aux figures qui l'étayent.


2. Sur des exemples essentiellement tirés d'interactions orales, dans lesquels la parole hyperbolique n'interagit pas avec l'ironie, on transposera l'analyse bakhtinienne de cette autre figure énonciative : « on y entend deux voix, deux sujets (celui qui dirait cela pour de bon et celui qui parodie le premier) » (1979/1984). Il semble qu'en l'espèce deux types de configuration doivent être envisagés : tantôt le point de vue hyperbolisant, seul, est actualisé en discours, le point de vue doxique n'étant que mémoriellement activé dans l'interprétation ; tantôt le point de vue diésé cohabite polyphoniquement avec une représentation de la doxa sur l'objet du discours, sans que l'énoncé les hiérarchise.


3. Quelle que soit la configuration, le discours intensif sincère (Bonhomme op. cit.) paraît recourir à ce que Détrie et Verine (2003) ont dénommé mode de textualisation en même. Par l'implicitation ou le court-circuitage de certains jalons nécessaires à la cohérence discursive normée, par l'opacification du réglage du sens (intensif, axiologique ou tropologique), le locuteur-énonciateur L1/E1 induit l'engagement praxique du coénonciateur dans une sphère expérientielle commune à la dyade intersubjective. Le destinataire est ainsi convié au co-partage de la vision construite dans / par le discours, son propre investissement subjectif s'avérant indispensable à la réception de l'énoncé et à la poursuite heureuse de l'interaction.


Références bibliographiques:


Bakhtine M., 1979/1984, « Le problème du texte », Esthétique de la création verbale, Paris : Gallimard, 311-320.
Bonhomme M., 2005, Pragmatique des figures du discours, Paris : Champion.
Détrie C. & B. Verine, 2003, « Modes de textualisation et production du sens : l'exemple d'une complainte de Jules Laforgue », in Amossy R. & D. Maingueneau (dir.), L'Analyse du discours dans les études littéraires, Toulouse : P.U. du Mirail, 213-22.



Bertrand Verine

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Dernière mise à jour de cette page le 16 Septembre 2007 à 0h43.