Atelier

Hypotyposes : que voit-on ?

Par Philippe Hamon

Université Paris 3 Sorbonne nouvelle




Le présent essai constitue la version écrite d'une communication prononcée à l'Université de Tartu (Estonie) en avril 2008. Il a fait l'objet d'une première publication dans Fiction et vues imageantes, typologie et fonctionnalités, (Bérengère Voisin dir.), Studia Tartuensia, VII, Université de Tartu, nov. 2008. Il est reproduit dans l'Atelier de théorie littéraire de Fabula avec l'aimable autorisation de son auteur.



Dossier Texte et image



Donner à voir

(Titre d'un recueil poétique de P. Éluard, 1939)



Hypotypose, mimesis, ekphrasis, vues imageantes, images parlantes, paroles imagées, couleurs du style, ut pictura poesis, imitation, représentation, correspondances, synesthésies, figures, symboles, allégories, prosopopée, images rhétoriques, pittoresque, enargeia, evidentia, littérature panoramique, théorie (au sens étymologique)… autant de termes, de concepts, de notions théoriques et littéraires, de problématiques qui, depuis deux millénaires, ne cessent de solliciter une réflexion et des études qui interrogent les relations complexes entre chose vue et chose lue[1]. Chacune de ces études a sa tradition, ses référents et exemples obsessionnels (le bouclier d'Achille, la caverne de Platon, la statue du Laocoon), son historique (voir Mimesis d'Auerbach), sa stylistique (voir tout ce qui tourne autour du statut si discuté de la « description », de la « poésie descriptive », de la « description homérique », etc.) et son point de vue particulier. Quatre types de relations sont en général envisagées: la relation d'équivalence (ut pictura poesis, et inversement, de Horace aux « Tableaux de Paris » du XIXe siècle et à ce que Benjamin a appelé la « littérature panoramique »), la relation de complémentarité et de collaboration (du symbole au rébus et au calligramme, en passant par les transpositions d'art et le livre illustré), la relation de belligérance, d'émulation et de concurrence ( voir le « ceci tuera cela » de Hugo dans Notre-Dame de Paris, où sont opposés le livre et l'architecture avec ses images de pierre et de verre), et la relation d'antinomie radicale (voir le Laocoon de Lessing). Il n'est pas sûr qu'on soit beaucoup plus avancé aujourd'hui que du temps d'Horace, dans cette confusion générale entre chose regardée, chose lue et chose imaginée.


Cette question du « voir » ne va pourtant pas de soi. Aristote, on le sait, dans sa Poétique, parle surtout du théâtre, art du « voir en direct », et ne met pas le « donner à voir » parmi les effets propres au poème (poème au sens large) : pour lui, la mimesis propre à la littérature (il n'emploie pas le terme de « littérature ») provoque d'une part un certain type de plaisir (même à l'évocation de choses déplaisantes), et d'autre part une sorte de connaissance (on apprend quelque chose en comparant la chose réelle à la chose décrite). Ou un acte psychologique particulier, une catharsis. Pour la tradition rhétorique, il s'agit aussi non pas de « faire voir », mais plutôt de faire quelque chose, et particulièrement un acte social, de témoigner, de persuader, de convaincre, de blâmer, de louer, ou de conseiller. On pourrait aussi ajouter que le rôle de la littérature est de proposer des scénarios d'actions possibles, ou de communier plus que de communiquer[2], ou de proposer de la « morale en action » (comment habiter notre monde, comment vivre avec les autres, comment concilier idéal et réalité, etc.), plutôt que de « faire voir » quoi que ce soit. Mais la tradition classique, très inféodée aux prestiges du théâtre d'une part, et d'autre part à une tradition culturelle du « théorique » comme regard critique distancé (dans notre monde occidental du moins),semble s'être progressivement fixée et polarisée, tout particulièrement, sur ce qu'elle va considérer un peu comme la « figure-reine » de l'expression littéraire, l'hypotypose, procédé majeur d'une conception générale de la littérature comme quasi monopolisée désormais par une écriture « imageante ». Voir par exemple sa définition chez un Fontanier, au début du XIXe siècle (1827 — je souligne les termes qui renvoient à l'acte de voir) : « L'hypotypose peint les choses d'une manière si vive et si énergique qu'elle les met en quelque sorte sous les yeux, et fait d'un récit ou d'une description une image, un tableau, ou même une scène vivante ». Définition bien vague, où l'on retrouve les souvenirs de l'ancienne théorie de l'enargeia-ekphrasis (l'« énergie » dans les « descriptions »). Bien sûr, tout est dans le bien mystérieux « en quelque sorte ».


Le littéraire est un peu, a priori, désarmé : faut-il, pour penser ou repenser ce problème, pour comprendre ce qui se passe dans la tête d'un lecteur lisant, se tourner vers la psychologie, et si oui, vers quelle psychologie ? Par exemple, pour comprendre ce que voit un lecteur de Flaubert lisant Flaubert, faut-il relire la correspondance de Flaubert quand il parle de sa propre création, faut-il relire son ami, contemporain et correspondant Taine et son ouvrage (1871) De l'Intelligence (« l'esprit est un polypier d'images », « Tout ce qui est dans l'esprit dépasse la sensation brute se ramène à des images »), ou faut-il relire un ouvrage « moderne » comme L'Imaginaire de Sartre (1940) (grand lecteur de Flaubert), ou demander aide aux cognitivistes ?[3] Et sur cette question n'y a-t-il pas un « savoir psychologique » inscrit et construit par le roman, ou le théâtre, ou le poème lyrique, largement plus important et plus pertinent que celui élaboré par les « psychologues » ou philosophes professionnels[4] ? Sérions les questions, en revenant à deux questions simples (simples à formuler, plus qu'à résoudre) :


Qu'est-ce qu'une image ? « Nous ne savons pas où commence ni où finit la classe des images », remarque Sartre au début de son essai[5]. On admet en général que, par rapport au signe (arbitraire, discontinu, conventionnel, différentiel, linéaire) fonctionnant différentiellement, l'image est analogique, continue, non uniquement conventionnelle, juxtaposée dans ses parties constitutives et susceptible d'échelles et de degrés (de ressemblance) avec l'objet référentiel. Mais elle est multiple et complexe, et il faut certainement distinguer entre image mentale (la « conscience imageante » de Sartre[6]), image à lire (les figures décrites par la rhétorique, comme la métaphore ou l'hypotypose), et images à voir (tableaux, photographies, dessins). Ces dernières sont également multiples, et il conviendrait sans doute de distinguer entre des images à deux dimensions (tableaux, dessins, photos…), à trois dimensions (maquettes, statues, empreintes…), positives (une statue), négatives (une empreinte, un moulage, un négatif photographique), inversées (image de miroir), entre images et schèmes (cartes géographiques, diagrammes, plans…), etc. Ces trois sortes d'images sont fondées sur un certain et même rapport d'analogie (l'analogon de Sartre). Ce sont leurs modes d'interférences qui restent largement mystérieux.


Deuxième question : que voit-on quand on lit un texte (laissons de côté les arts du spectacle, théâtre ou cinéma, pour nous cantonner au texte) ? Voir, lire, et texte posent chacun, ici, problème. Convient-il, d'abord, dans le cas du texte, de tenir compte de certains niveaux différenciés, dont on sait qu'ils interviennent effectivement dans l'acte de lecture : voit-on « autre chose » au niveau du mot, qu'au niveau de la phrase ou de la « figure », qu'au niveau de la macro-séquence (par exemple une « description ») voire de l'ensemble du texte ? D'autre part, lire déclenche-t-il toujours, obligatoirement, des images mentales, ou peut-on lire certains types de « textes » (une partition de musique, une suite de symboles mathématiques, une carte routière) sans avoir d'image mentale ? D'autre part encore, cette question de l'image mentale est-elle la même question (ou une question totalement différente) que celle du « sens » (à comprendre), autre question mystérieuse, dont on sait vaguement qu'il se construit à plusieurs niveaux, qu'un texte se lit « dans tous les sens » (Rimbaud), à la fois différentiellement, par ajustements et réajustements permanents, par va-et-vient entre hypothèses locales et hypothèses globales, entre le mot et le récit, et partiellement par accumulation ? Ainsi il est très possible sans doute de « comprendre » un texte (telle description saturée de références mythologiques et picturales chez Balzac[7], telle description papillotante impressionniste chez les Goncourt, tel « négatif » de Hugo[8]) sans y rien « voir », et inversement de « voir » quelque chose sans rien comprendre au texte (« Barbare », ou « Conte » de Rimbaud). Qu'est-ce que je « vois » quand je lis un mot comme « Paysage », un pronom comme « je », un membre de phrase comme « composer chastement mes églogues », ou « coucher auprès du ciel comme les astrologues » à l'incipit du poème de Baudelaire « Paysage » qui ouvre la section des « Tableaux parisiens » des Fleurs du mal ? Qu'est-ce que je « vois » quand je lis à l'incipit de L'Éducation sentimentale de Flaubert « Le quinze septembre 1840 vers six heures du matin… »[9] ? Qu'est-ce que je « vois » quand je lis, à la fin du poème de Rimbaud L'éclatante victoire de Sarrebruck, en exergue, la date « Octobre 1870 », et dans ce poème les noms propres « Dumanet », « Boquillon », ou l'expression « comme un soleil noir » ? A priori rien, ou pas grand-chose, ou quelque chose sans doute d'assez « pauvre » (Sartre)[10].


Deux choses compliquent sans doute l'analyse : la première, c'est que le lecteur lisant a sans doute plusieurs images attachées au système même de la communication, de toute communication, de tous les paramètres de toute communication : il se fait une certaine image de l'auteur, il se fait une certaine image du référent, il se fait une certaine image de la langue, il se fait une certaine image du texte, il se fait une certaine image du contact (du support), il se fait une certaine image du public (du destinataire) du texte (cela peut donc être de lui-même). La seconde, c'est que le lecteur a souvent à faire avec la thématique même du voir. Beaucoup de textes sont des « mises en scènes », explicitées, thématisées, verbalisées, et souvent même plus ou moins démultipliées, de l'acte de voir. Le lecteur voit (lit) un texte où l'auteur nous décrit une image (L'éclatante victoire de Sarrebruck de Rimbaud) — c'est l'ekphrasis —, ou bien lit un texte où les personnages (narrateurs et/ou personnages) regardent des choses. Et même où le personnage regarde des images, voire se souvient (ou a des hallucinations, des rêves, etc.) d'images. Comme quand le narrateur de À la recherche du temps perdu de Proust, par exemple, nous raconte une visite à une exposition de tableaux hollandais par l'écrivain Bergotte, ou décrit une visite à l'atelier du peintre Elstir. Le lecteur a à faire à une métavision, une vision de vision(s) représentée(s). Ainsi, lisant tel « conte » de Flaubert (« Un cœur simple »), il lit l'histoire de personnages qui regardent par la fenêtre, contemplent des paysages, lisent des livres illustrés, remarquent des tatouages, admirent des estampes aux murs de leur chambre, font empailler un perroquet, rêvent devant les vitraux et statues de l'église, ont des hallucinations mystiques. Lisant « Paysage » de Baudelaire, le lecteur lit l'histoire d'un narrateur accoudé à sa fenêtre qui regarde le paysage des toits de la ville et rêve à des images de paysages idylliques (avec oiseaux, jets d'eau, jardins, etc.) qui sont les stéréotypes (les clichés) d'une certaine poésie. D'où la question : que voit-on quand on voit le voir ? Voir avec un personnage, est-ce la même chose que voir « directement », par soi-même ?


 Restons sur l'exemple privilégié de l'image (rhétorique), cette image à lire qui polarise l'attention de la plupart des critiques, des écrivains et des théoriciens, ce fragment du texte qui s'impose à tout lecteur, s'isole et se distingue aisément dans toute lecture. Que voit-on quand on lit une hypotypose, une comparaison, une métaphore, une analogie, une métonymie ou une synecdoque ? Que voit le lecteur de « Paysage » de Baudelaire quand il lit : « coucher auprès du ciel comme les astrologues » (comparaison) ou : « les fleuves de charbon » (métaphore), ou : « L'Émeute tempêtant vainement à ma vitre » (allégorie, combinée de métaphore et de métonymie) ou : « Les tuyaux, les clochers, ces mâts de la cité » (métaphore à double comparé) ? On peut esquisser des réponses :


1) Il voit le réel, les « choses » matérielles visibles du monde extérieur verbalisées et représentées par le texte. Mais, en admettant cela, voit-il seulement les êtres et les choses « concrets », à travers seulement les termes à contenu référentiels stables (clocher, tuyau, volet, pupitre, fenêtre dans « Paysage » de Baudelaire), à l'exclusion de certaines catégories de termes sans référents comme les chiffres, les noms propres, les déictiques (je), les mots abstraits (volupté, volonté), techniques (églogue, idylle, hymne…), les adverbes (vainement) les prépositions et conjonctions ? Et question subsidiaire : voit-il ces choses (par exemple les clochers et les tuyaux des toits de Paris, toujours dans « Paysage » de Baudelaire) comme il les connaît déjà (voir, c'est se souvenir, c'est revoir quelque chose de connu, confirmer une vision antérieure), ou voit-il ces choses sous un nouvel aspect, inconnu, en une re-présentation du monde (je vois autrement les choses que je croyais connaître) qui le force à revenir sur sa connaissance du monde, à le re-configurer, à voir ce qu'il ne voyait pas, à en fabriquer une nouvelle image (l'art ne « reproduit » pas le visible disait P. Klee, il « rend visible »)? « Voir c'est savoir », telle est la formule de clausule de Viollet-Le-Duc à son essai Histoire d'un dessinateur, comment ou apprend à dessiner[11].


2) Il voit l'absence, et cela à plusieurs niveaux. D'abord, au niveau macro-textuel, il voit les deux instances, bien réelles, bien présentes, mais non visibles par excellence, que sont d'une part le langage et d'autre part l'idéologie. D'une part le langage, ce phénomène immatériel sémiotique, dans son fonctionnement essentiel (un mot ne possède pas son sens, ni sa référence), dans l'exercice complet de tous ses possibles combinatoires, dans toutes ses possibilités de faire des figures. On se rappelle le mot de R. Barthes : « J'ai une maladie, je vois le langage ». D'autre part l'idéologie, ce système de valeurs (positives et négatives) propres à une société à un moment de son histoire, présent dans tout texte sous la forme de stéréotypes et de clichés, que le texte entérine ou reformule, revalorise ou dévalorise. L'ironie, qui est une posture d ‘énonciation jouant sur les valeurs (on blâme pour louer ou on loue pour blâmer, selon la définition qu'en donne Marmontel), rend en quelque sorte visibles, par son système de distanciations, ces valeurs en recyclant ces clichés (le mot même de « cliché » a à faire avec le « voir ») : ainsi, dans « Paysage » de Baudelaire, le texte (ironique : il n'est pas possible que « Baudelaire » veuille faire des églogues ou des idylles dans sa « mansarde ») dénude, met à nu, rend visible le stéréotype romantique du poète famélique dans sa mansarde, et l'évocation des genres littéraires les plus conventionnels : ainsi les « baisers », les rossignols dans les parcs, les « nocturnes » romantiques, les jets d'eau pleurant dans des albâtres, les « idylles » (ce dernier genre, signifiant « petit tableau » et renvoyant donc aussi à d'autres manières de « voir »).


Au niveau plus local (un fragment du texte), il voit un élément absent, le mot absent, un certain mot (ou une certaine notion) absent, derrière les mots présents. Rappelons que de très nombreuses « figures » textuelles ont justement comme premier but de mettre en scène l'absence, de ne pas dire un mot, de ne pas faire voir directement quelque chose : l'allusion, la prétérition, l'ironie, la périphrase, la litote, l'euphémisme, etc. Dans la métaphore « fleuves de charbon » est-ce que le lecteur voit un fleuve (?), voit du charbon (??), les deux termes présents, ou est ce qu'il voit une fumée noire ? Si on se souvient du mot de Pascal (« Figure porte absence et présence, plaisir et déplaisir ») et si on admet la définition qu'Aristote donne dans sa Poétique du fonctionnement analogique comme figure à quatre termes ( A : B :: C : D, A est à B ce que C est à D, le soir est au jour ce que la vieillesse est à la vie), fonctionnement qui sous-tend les « figures » rhétoriques du texte, métaphores et comparaisons (la vieillesse est le soir de la vie, le soir est la vieillesse du jour, la vieillesse est un soir, etc.) qui abrègent l'analogie en supprimant l'un de ses pôles, la figure de rhétorique nous donnerait donc à voir un mot absent précis. Par exemple le mot « navire » dans l'exemple de « Paysage » de Baudelaire : les tuyaux (1) sont aux toits de la cité (2) ce que les mâts (3) sont à X (4), où X= « navire », terme non présent dans le poème, mais terme indispensable au fonctionnement de l'image, terme en quelque sorte pré-programmé en complément par les autres termes présents et que le lecteur rétablit automatiquement.


3) Il voit le texte, cet objet matériel écrit, dans sa linéarité inscrite sur la page, mais que l'image rhétorique force à voir dans son épaisseur et son volume, dans son espace plus que dans sa temporalité, dans sa perspective et son dénivelé plus que dans sa linéarité successive et vectorisée : si vision il y a, l'image avec son « double index », délinéarise le texte, brouille la vision, provoque une sorte de strabisme de la vision, une sorte de strabisme convergent-divergent qui force le lecteur à voir, à la fois et ensemble, en quelque sorte superposés, surimprimés, les « tuyaux » (et les clochers) des toits et les « mâts » du navire. L'image surexpose plus qu'elle n'expose le réel. D'où la construction d'une sorte de perspective textuelle, où les tuyaux et les toits ne sont pas exactement sur le même « plan » de représentation (les tuyaux et les toits sont plus réels, dans le monde fictif du texte bien sûr), que les mâts et le navire (qui ne sont que les comparants absents d'un comparé de premier plan). L'image ne donne peut-être rien à voir, mais elle rend matériel un certain « relief » des mondes fictionnels, il donne à voir leur « feuilleté ». Et le « feuilleté » est, peut-être, par dérive, juxtaposition, empilage, dérivation dynamique, le mode d'être fondamental de l'image (réelle comme mentale).

4) Il voit le style, cette autre chose immatérielle et néanmoins bien réelle (la preuve, on peut copier un style, on peut faire un pastiche d'un grand écrivain), cette marque disséminée qu'on a souvent comparée à la signature unique d'une personne unique. Dans le poème « Paysage » de Baudelaire, je ne vois ni un paysage de Paris, ni des mots, ni des choses, ni le langage, mais « un paysage de Baudelaire » portant le sceau d'une écriture reconnaissable : ainsi le mélange de réalisme et d'ironie, et le sabotage de la grande image romantique par les « images américaines » qui introduisent des termes vulgaires dissonants comme « tuyaux » au voisinage de termes nobles (« cité »), qui circonscrivent la présence (absente) de Baudelaire[12].A la limite, peut-être que ce que le lecteur voit en lisant un poème de Baudelaire, c'est non une succession de figures de rhétorique, mais la « figure » (le visage) même de Baudelaire, tel que nous le connaissons par ses portraits dessinés ou photographiés. Et c'est ce « paysage de Baudelaire » qui nous fait voir (ensuite, peut-être) un « Paysage de Paris » que nous n'avions jamais vu, c'est le style qui nous permet de reconfigurer notre monde. On se souvient des remarques célèbres de Proust sur le style de Flaubert (en 1920) affirmant que Flaubert « par l'usage entièrement nouveau et personnel qu'il a fait du parfait défini, du passé indéfini, du participe présent, de certains pronoms et de certaines prépositions, a renouvelé presque autant notre vision des choses que Kant, avec ses catégories, les théories de la Connaissance et de la Réalité du monde extérieur »[13].


5) Il voit enfin, dans l'image rhétorique, sous l'image à lire, une autre image à voir absente ? Toute image (à lire) n'est-elle pas suscitée, générée, par une autre image (à voir) ? Question de la médiation des images, question qui intéresse la génétique aussi bien que la poétique et l'histoire culturelle (qui est histoire des médiations). Intituler un poème « Paysage », terme emprunté à la peinture, c'est le faire lire globalement à travers la peinture. Et au niveau local, la métaphore de Baudelaire « Les tuyaux, les clochers, ces mâts de la cité » est peut-être la paraphrase d'une autre image, une image à voir bien réelle, industrielle, multipliée sur tous les murs de Paris, celle de l'emblème de la Ville de Paris représentant un navire sous voile, avec sa devise « Fluctuat nec mergitur », image de plus en plus fréquente à partir du Second Empire. On retrouve ici le « feuilleté » des images[14].


Ce dernier point (5) ouvre trois voies de réflexion : l'une, qui relèverait d'une approche historique (histoire culturelle), consisterait à étudier les rapports de la littérature avec le monde iconique en général, mais à étudier ces rapports dans l'histoire, à des moments précis, moments de crises, de changements de hiérarchies, et de mutations des genres (la « vue imageante » est encodée et pré-cadrée au niveau du genre) et des techniques. Le XIXème siècle, qui voit après 1830 la mise en place du monde médiatique moderne avec l'apparition de nouveaux supports (le livre illustré bon marché, l'album, la presse), l'apparition de nouvelles techniques (la lithographie, l'image d'Épinal, la photographie, le cinéma), l'apparition de nouveaux objets iconiques (l'affiche, la carte postale, la bande dessinée, les emblèmes de la République, les estampes japonaises), voire de nouveaux organes (« l'œil du parisien » chaland et flâneur selon Balzac), entre en particulier dans une inflation d'images industrielles à voir qui va sans doute bouleverser les musées imaginaires des écrivains fabricants d'images à lire. Ces nouvelles imageries vont sans doute reconfigurer les hiérarchies des images classiques (les genres de la peinture, par exemple), et susciter de nouvelles esthétiques littéraires. Voir les arts poétiques provocateurs d'un Champfleury (collectionnant les assiettes « parlantes » révolutionnaires), d'un Verlaine (« Images d'un sou »), d'un Huysmans (qui préfère, dans sa critique d'art, les affiches de Chéret aux peintures du Louvre), ou d'un Rimbaud affirmant sa prédilection pour « les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires » (Saison en enfer, Délires II, Alchimie du verbe). Ces images nouvelles vont entrer massivement en littérature, provoquant des réactions aussi bien iconophiles qu'iconophobes, suscitant de nouvelles et modernes ekphrasis (les « Tableaux parisiens » de Baudelaire, les « Illuminations » de Rimbaud, des poèmes comme « L'éclatante victoire de Sarrebruck, gravure belge brillamment coloriée » du même Rimbaud).Et ces nouvelles techniques peuvent aller jusqu'à structurer le texte même, comme pour ces deux machines nouvelles du XIXème siècle, la machine à vapeur d'une part, l'appareil photographique de l'autre : Michel Serres a montré que la machine à vapeur et que les lois de la thermodynamique structuraient les romans de Zola [15]. L'appareil photographique, de même, semble bien organiser tout le poème « Paysage » de Baudelaire (une chambre— la mansarde —, un objectif ouvert sur la réalité — la fenêtre —, un obturateur qui ferme l'objectif — portières et volets —,une impression d'images dans la chambre — les rêves).


Deuxième champ de réflexion, d'ordre stylistique ou sémiotique : étudier en quoi les structures et pratiques de lecture de l'image, et notamment des nouvelles images multipliées par l'industrie, influencent les structures, genres et pratiques de lecture de la littérature qui lui est contemporaine. Si le livre (mais aussi la page de journal, et peut-être aussi la ville comme lieu de spectacle permanent et de mise en montre et en exposition) tend à devenir « album », c'est à dire quelque chose :1) qui est assemblage de fragments hétéroclites (de textes, d'images, d'images et de textes) ; 2) que l'on lit rapidement, distraitement, et en feuilletant (plus qu'en lisant), il faudrait voir en quoi les pratiques de l'image, ainsi que ses caractéristiques (vitesse de « lecture », balayage en zigzag de l'œil, platitude, absence de hiérarchie des actants, cadrage, industrialisation, voisinages hétéroclites sur des supports communs, etc.) influencent et remodèlent la littérature[16].


Troisième champ de réflexion possible, qui relèverait d'une approche génétique. Le XIXe siècle est l'âge d'or à la fois des images industrielles (photos, lithographies, reproductions d'œuvres d'art, etc.) et du manuscrit, et les correspondances, manuscrits, brouillons, dossiers préparatoires et notes pré-rédactionnelles des écrivains (mais aussi des musiciens, des architectes), souvent bien conservés et archivés dans des bibliothèques publiques ou privées (BNF, IMEC — voir les manuscrits de Flaubert, Zola et Proust, qui commencent même à être transcrits et publiés [17]), peuvent susciter de nouvelles approches de cette question des « images » et des « vues imageantes ». Qu'est-ce que l'acte de pré-voir, que « voit » un écrivain, en général, quand il commence à penser à son texte, texte encore à venir, virtuel, futur ? des lieux ? des personnages ? des schèmes ou des entités géométriques [18]? Des images, photos et peintures de son « musée imaginaire » [19]? Un schéma d'intrigue réductible à un rythme, à un diagramme (une suite de hauts et de bas, comme le notait Zola préparant Nana) ? Voit-il des autres textes, antérieurs, de lui-même ou de d'autres auteurs, qui vont lui servir de modèles ou de repoussoirs [20]? Qu'est-ce que voir « prospectivement », et que signifie justement le verbe « voir » sous la plume d'un Zola notant pour lui-même, en préparant (dossier préparatoire de son roman Travail), un certain nombre de consignes : « il faut voir pour l'âge des enfants »/ « Voir si le drame ne serait pas dans le fait qu'elle succombe »/ « Je vois à peu près le rôle des principaux personnages »/ « Voir ce que donnera ce croisement »/ « voir aussi leurs enfants »/ « Pour les paysans, je ne vois guère que le fermier Fouillat »/ « A voir, quand j'aurai tous les détails »/ « Voir si je n'aurai pas besoin d'un forgeron »/ « Je vois le réveil du vieux Qurignon devant sa famille assemblée »[21]. Voit-il des « scènes » (des hypotyposes), au sens quasi théâtral (art du voir), voit-il des schèmes et des rythmes, ou voit-il déjà des « mots » ?


Plus particulièrement, et toujours en termes de génétique littéraire, l'image (par exemple une métaphore) n'est plus alors considérée comme relevant d'un choix stylistique a postériori, comme quelque chose de décoratif que l'écrivain décide d'insérer in fine dans une belle description, comme un ornement, mais est considérée comme une machine à produire du sens et du texte, comme une assistance à la création suscitant, orientant, générant le texte lui-même. Les linguistes, de Vaugelas à Saussure (voir les chapitres 4 et 5 de son Cours), ont tous insisté sur le côté productif et génératif de l'analogie. On trouve chez Proust des scènes où certains termes ambivalents ont suscité des développements textuels importants (le mot « baignoire » par exemple, pour la longue description d'une soirée au théâtre décrite en termes « aquatiques »). Voir aussi certaines métaphores des dossiers préparatoires de Zola (les Halles de Paris comme « ventre », le Second Empire comme « curée », etc.) qui, en se « filant », ont généré les structures dominantes du roman (Le Ventre de Paris, La Curée). « Les images pensent pour moi », écrit P. Éluard dans un poème de Défense de savoir (1928), en variation sur le célèbre aphorisme de Mallarmé selon lequel le poète « cède l'initiative aux mots ». La propension de toute image, métonymie, comparaison ou métaphore, qui est une structure instable, à s'expanser, à se filer, à s'allégoriser, à se monnayer en description, en ekphrasis ou images secondaires, assure la production du sens et du texte en train de se faire. Et ceci n'est pas seulement valable pour l'image rhétorique (à lire), mais est aussi valable, toujours au sein d'une étude génétique, pour les images (en deux dimensions, manuscrites, à voir) dessinées par l'écrivain dans ses brouillons au stade pré-rédactionnel : plans des lieux, silhouettes de personnages, profil d'un objet, arbre généalogique, plan d'un quartier d'une ville, des appartements d'une maison, etc. « Faire le poème d'une grande ligne », écrit Zola pour lui-même en préparant La Bête humaine, consigne où se mêlent la référence à une icône (une « ligne », un trait tracé sur une feuille de papier) et la référence à une voie de chemin de fer (tout le roman se passera sur la « ligne » Paris-Le Havre). Ces lignes (cercles, carrés, arbres, lignes, carrefours, zig-zags,) sont autant de schèmes génératifs, sous forme de diagrammes et de rythmes pré-configuratifs, du texte en devenir[22].


Il est difficile de conclure : les images mentales sont in-descriptibles par essence et toujours aussi par essence individuelles (elles ne peuvent donc relever d'une théorie générale). Peut-être conviendrait-il de clarifier la différence entre comprendre (le sens d'un texte) et voir (avoir des images mentales de quelque chose), et même se dégager de cette emprise conceptuelle et traditionnelle du « voir », le « faire-voir » n'étant qu'un cas particulier, marginal même peut-être, de ce que fait (ou fait-faire) la littérature[23]. Ou alors revenir à des notions comme celle de « rythme », cette « forme-sens » applicable à la fois à la générativité du texte, à la structure interne du texte, à la réception du texte par le lecteur, ce principe configuratif polymorphe qui organise aussi bien l'espace que le temps, le matériau textuel que sa production-réception, aussi bien le local (une image, une phrase, un vers) que le global (un récit, une description, un dialogue, une œuvre), et qui a souvent des vertus diagrammatiques et mimétiques (ainsi du rythme cyclothymique par hauts et par bas, et de la structure par élan et retombée métonymique des métaphores flaubertiennes[24]). Mais l'expression « voir un rythme » n'a peut-être pas de sens : un rythme se repère, s'expérimente, se vit, se sent et se ressent, donne du plaisir ou du déplaisir (comme l'allegretto ou l'andante pour un morceau de musique, par exemple, comme dans la danse, le sport et tous les jeux de vertige).Et si éventuellement production d'images il y a, cette production passe par le corps, par du plaisir, du manque, et de la relance perpétuelle rythmée (le feuilleté-feuilletage).



Philippe Hamon, 2008.

Mis en ligne dans l'Atelier de Fabula en mars 2019.





[1] Citons, parmi une littérature surabondante, quelques jalons : l'essai du pédagogue J.-B. Sensaric : L'art de peindre à l'esprit (Paris, nouvelle édition, trois volumes, 1783, accompagnée significativement du « Parallèle de l'éloquence et de la peinture » du peintre Charles Coypel), anthologie d'hypotyposes où l'auteur marque « d'une étoile », en marge des extraits qu'il cite, les endroits précis où sont censés apparaître des « vues » et des images frappantes. Effectivement, l'institution pédagogique est certainement responsable, pour une certaine part, de nos conceptions en la matière. Voir aussi l'entrée « Image » des Éléments de littérature de Marmontel (1787), et les ouvrages collectifs : Les Arts de l'hallucination (D. Pesenti et P. Tortonese dir., Presses de la Sorbonne Nouvelle, Paris, 2001) et : Les Images parlantes (Muriel Gagnebin dir., Champvallon, 2005).

[2] Par exemple dans l'ironie, où il s'agit plus de « partager » un auditoire (on communie avec ceux qui comprennent à demi-mot, tout en excommuniant ceux qui ne comprennent que le sens explicite) que de faire voir quelque chose à quelqu'un.

[3] Taine De l'intelligence, Paris, Hachette, 1871, p. 18. Taine, dont le livre II est consacré aux « Images », cite page 90 sa correspondance avec Flaubert en 1866, au moment où il préparait son essai, et où il demandait à Flaubert ce qu'il « voyait » en écrivant Madame Bovary. Flaubert a longuement répondu à Taine, qui cite sa réponse dans son essai. Comme Taine, Sartre insiste sur la combinaison d'absence et de présence (ou de positivité et de négativité) dans le phénomène de l'image mentale. Il insiste aussi sur sa « pauvreté essentielle » (L'Imaginaire, Paris, Gallimard, 1940, p.20, p.28) dans la conscience imageante. Il prend l'exemple de l'acte de lire une fiction page 86 et suivantes : « Je lis un roman. Je m'intéresse vivement au sort du héros […]. Les images apparaissent aux arrêts et aux ratés de la lecture. Quand le lecteur est bien pris, Il n'y a pas d'image mentale ».

[4] Sur cette question de la « connaissance » propre à la littérature, voir le livre récent de J. Bouveresse : La connaissance de l'écrivain, sur la littérature, la vérité et la vie ( Marseille, Agone, 2008).Le propre de la littérature serait peut-être non pas de « faire voir », mais plutôt de « faire croire » (le réalisme n'est qu'une sorte d'illusionisme, avait bien vu Maupassant) ou de « faire savoir » (une « sagesse », une mathésis, une « morale en action » selon la Préface de L'Assommoir de Zola).

[5] Ouvr. cit., p. 31, chapitre II « La famille de l'image ». Taine évoque en commençant son essai le groupe formé par la littérature, le rêve, l'hallucination, le somnambulisme, l'hypnose, les maladies mentales, l'acquisition du langage par l'enfant.

[6] « Images mentales, caricatures, photos sont autant d'espèces d'un même genre » (L'Imaginaire, ouvr. cit., p.23)

[7] Voir le portrait de Suzanne dans La Vieille Fille (1836) : « Suzanne, une de ses favorites, spirituelle, belle, ambitieuse, avait en elle l'étoffe d'une Sophie Arnould, elle était d'ailleurs belle comme la plus belle courtisane que jamais Titien ait conviée à poser sur un velours noir pour aider son pinceau à faire une Vénus […]. C'était la beauté normande, fraîche, éclatante, rebondie, la chair de Rubens qu'il faudrait marier avec les muscles de l'Hercule Farnèse, et non la Vénus de Médicis, cette gracieuse femme d'Apollon ».

[8] Voir Valéry citant Hugo : « Un affreux soleil noir d'où rayonne la nuit » et commentant : « Impossible à penser, ce négatif est admirable » (P. Valéry, Œuvres, Paris, « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, 1966, tome II, p. 557). Pour des exemples saisissants de cette écriture « négative », voir, de Hugo, des poèmes comme « La vision d'où est sorti ce livre » ou « La vision de Dante » (La Légende des siècles, nouvelle série), vastes « négatifs filés », ou certains chapitres descriptifs « nocturnes » de ses romans comme L'Homme qui rit où le lecteur ne voit, à proprement parler, que des batailles d'antithèses abstraites.

[9] Pour une étude de cet incipit, voir Ph. Hamon : « L'Album, ou la nouvelle lecture » (Imageries, littérature et image au XIXe siècle, nouvelle édition augmentée, Paris, Corti, 2007).

[10] Alain faisait remarquer que, formant une image mentale du Panthéon, nous sommes incapables d'en compter les colonnes (Système des beaux-arts, édition nouvelle avec notes, Paris, Gallimard, 1926, p. 342).

[11] Paris, Hetzel (s.d.). Les professionnels et pédagogues de la « vision » ont été souvent proches des écrivains au XIXe siècle. Voir Baudelaire et l'ouvrage de Lecoq de Boisbaudran : L'Éducation de la mémoire pittoresque (1848).

[12] Sur ces « images américaines » de Baudelaire (l'expression est de J. Laforgue), et les diverses techniques de sabotage ou de contournement de l'image à lire, voir Ph. Hamon « L'image dans le texte, figures et défigurations » (dans Imageries, ouvr.cit., p. 273 et suiv.)

[13] Je souligne.

[14] Une citation du Journal d'E.de Goncourt (27 août 1891) : « Les arbres tels que je les vois avec mon œil de myope, à travers mon lorgnon n° 12, ne ressemblent en rien aux arbres peints dans les tableaux modernes et anciens : oui, ces arbres que je vois sont plutôt, avec le fourmillement de la feuillée, les arbres de la photographie, ou encore les arbres des petites eaux-fortes de Fragonard, où ce fourmillement de la feuillée est rendu par le grignotis du travail ».On notera le terme « feuillée ». Sur la lecture par « feuilletage », voir Ph. Hamon, Imageries (ouvr. cit., chapitre 10).

[15] Voir M. Serres : Feux et signaux de brume, Zola (Paris, Grasset, 1975).

[16] Sur l'album et l'ère de l'album au XIXe siècle, voir Ph. Hamon, Imageries (ouvr.cit., chap. X « L'album, ou la nouvelle lecture »).

[17] Voir par exemple les dossiers préparatoires de Zola pour ses Rougon-Macquart conservés pour la majeure partie à la Bibliothèque Nationale à Paris, et en cours de transcription et de publication par Colette Becker aux éditions Champion sous le titre La Fabrique des Rougon-Macquart (Paris, 4 volumes déjà publiés). Le dossier préparatoire complet du Rêve de Zola est accessible en ligne sur le serveur Gallica de la BNF. Pour un aperçu de la génétique, voir les articles publiés par la revue Genesis (J.-M. Place, Paris). Pour une analyse générale des protocoles prérédactionnels zoliens, voir l'ouvrage collectif (Ph. Hamon et alii.) : Le signe et la consigne (Genève, Droz, 2009).

[18] Zola préparant ses Rougon-Macquart assure, dans la Préface de La Fortune des Rougon, qu'il a eu la vision définitive de sa série (avec les « lignes », les « nœuds » de son « arbre » familial) quand la chûte de Napoléon III lui a donné l'idée d'un « cercle fini ».Flaubert, revenant sur son Éducation sentimentale, parle de « perspective », de « plan », de « point », de « sommet », de « pyramide », de « boule » (lettre à Mme.Roger des Genettes, octobre 1879). Voir aussi J.-P. Sartre, L'Imaginaire, ouvr. cit. chap. IV, p. 46 et suivantes : « Du signe à l'image, les dessins schématiques ».

[19] Selon Flaubert, son « conte » La légende de Saint Julien l'Hospitalier serait issu d'un vitrail d'église qui l'aurait frappé. Sur le rôle génératif des images, voir un numéro spécial de la revue La Licorne « L'Image génératrice des œuvres de fiction » (Université de Poitiers, 1er nov. 1995).

[20] Commençant à préparer son roman La Bête Humaine Zola note pour lui-même, au début de son « Ébauche » (manuscrit de son dossier préparatoire), avant même d'avoir commencé à imaginer les grandes lignes de son scénario, d'avoir à faire un roman différent de son roman antérieur, Le Rêve, et de s'inspirer d'un autre de ses romans antérieurs, Thérèse Raquin.

[21] Pour le lexique des termes qu'emploie Zola à son stade pré-rédactionnel, on pourra consulter le Dictionnaire génétique des dossiers préparatoires de Zola, en cours de constitution (2008) au Centre Zola (CNRS-ITEM, 4 rue Lhomond, Paris).

[22] Les dessins et croquis manuscrits des dossiers préparatoires de Zola ont été publiés par Olivier Lumbroso : L'Invention des lieux, volume 3, dans H. Mitterand et O. Lumbroso, Les manuscrits et les dessins de Zola (3 volumes, Paris, Textuel, 2002). Voir aussi sur ce point l'essai d'O. Lumbroso : La Plume et le compas (Paris, Champion, 2004).

[23] Voir l'ouvrage collectif (Michel Picard dir.) : Comment la littérature agit-elle ? (Paris, Klincksieck, 1994).

[24] Voir sur ce point Ph. Hamon, Imageries, ouvr. cit., p. 304 et suiv.



Marc Escola

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Dernière mise à jour de cette page le 7 Mars 2019 à 10h13.