Atelier

Philippe Monneret

2 mars 2006

Fiction et croyance : les mondes possibles fictionnels comme facteurs de plasticité doxastique


Que cherche-t-on à faire en utilisant les logiques modales pour élaborer une théorie de la fiction ? Il y a trois opérations possibles : la modélisation (1) et le transfert conceptuel (2) (local, sans se fonder sur une analogie globale), supposent toutes deux une différence ontologique entre la théorie et l'objet qu'elle doit analyser. L'application d'une théorie (3) suppose une homogénéité ontologique de l'objet et la théorie. La théorie du subjonctif de Robert Martin fondée sur la théorie des mondes possibles, par exemple, présuppose l'existence d'une composante sémantico-logique dans le langage. Les mondes possibles peuvent être perçus comme une formalisation étrangère aux langues naturelles, mais on peut aussi penser qu'ils révèlent des propriétés intrinsèques du langage. La plupart des applications des théories des mondes possibles à la fiction relèvent du transfert conceptuel, ce qui les rend très vulnérables. Un transfert conceptuel n'est jamais ni vrai ni faux, il est seulement efficace ou pas. L'évaluation du transfert repose sur le degré de technicité de l'emprunt effectué. Il y a une différence de technicité immense entre l'idée d'un monde non spécifié qui aurait pu exister autrement à un ensemble d'ensembles structuré par la relation d'accessibilité : la validité du transfert conceptuel est d'autant plus faible qu'il y a déperdition de technicité. Je me situe donc plutôt dans le cadre de l'application d'une théorie, car j'admets qu'il y a une logique dans les langues naturelles. Les mondes possibles de la fiction, dans cette optique, ne relèvent pas d'une métaphore. Quels sont les aspects de l'objet fiction que la théorie des mondes possibles est capable de décrire ? Je postule que la théorie des mondes possibles appliquée à la fiction, pour pouvoir être l'objet de l'application d'une théorie, doit être liée aux univers de croyance. D'un point de vue ontologique, le lecteur et le texte fictionnel sont différents, mais ils communiquent. Une des vertus de la fiction consiste dans son aptitude à modifier l'univers de croyance du lecteur, ou à l'assouplir. L'accueil de la fictionnalité suppose la suspension des univers de croyance du lecteur : elle affine, renforce, modifie l'ensemble des croyances.

Mondes possibles et relation d'accessibilité.

La définition par les logiciens du concept de monde possible suit le modèle de Kripke, composé de trois éléments, un ensemble M de mondes possibles, non vide, une relation d'accessibilité R, qui les relie, une fonction de « valuation » (à tout couple constitué d'un monde M et d'une proposition P est associée une valeur de vérité de P dans M). Chez Kripke, la relation R n'est en rien spécifiée, mais elle semble indissociable de la détermination d'un monde possible de référence. Conséquences : 1) On peut assimiler (mais cela n'est pas obligatoire) la relation d'accessibilité à l'idée de compossibilité (i.e. les mondes ne comportent pas de contradiction). 2) Le choix du monde de référence est assez libre ; chez Kripke rien n'oblige à prendre le monde actuel comme monde de référence ; 3) plus l'agent possède de connaissances moins il a de mondes possibles. Le modèle de Kripke consiste à produire des prédictions (prévoir des évolutions, etc.). Les logiques modales permettent de formaliser des logiques « non monotones », qui permettent de formuler des propositions du type « en général p est vrai... » La logique modale permet à un système d'effectuer des conclusions par défaut en cas d'informations incomplètes. 4) Dans un ensemble de mondes possibles donnés, la relation d'accessibilité est invariante. Modifier ou faire varier la relation d'accessibilité revient à changer de modèle. Si on propose une variation de la relation d'accessibilité (des « degrés d'accessibilité » par exemple), cela n'a plus rien à voir avec le modèle de Kripke. Suit un exemple emprunté à La représentation des connaissances de Kayser (1997), qui définit le modèle de Kripke de façon algébrique. La formule « il est nécessaire que p » est vraie dans touts les mondes possibles accessibles à partir du monde de référence. On peut en déduire que 1) la relation d'accessibilité ne soit pas être obligatoirement définie en termes de compossibilité ; 2) Le monde de référence change selon nos jugements de possibilité. 3) S'il existe un monde possible à partir duquel aucun monde n'est possible, tout est nécessaire dans ce monde, mais rien n'est possible. Ce genre de monde est nommé par les logiciens « derniers mondes ». Du point de vue littéraire, ce type de monde où tout est nécessaire mais rien n'est possible pourrait être une bonne métaphore du monde de fiction. 4) On ne pourra pas considérer l'oeuvre de fiction comme un monde possible, mais comme un ensemble de mondes possibles : il y a de nombreuses instances dans une œuvre qui forment des jugements de vérités (auteur, personnages, narrateurs).

La notion d'univers de croyance

Cette théorie suppose que l'on utilise la notion de vérité (voir Davis Lewis). Le concept de vérité dans la logique contemporaine s'inscrit dans la « thèse d'équivalence » (Pascal Engel : « p est vrai » si le contenu descriptif de la proposition est réalisé). Dans cette conception il ne peut être question que de texte et non d'image : on ne peut pas dire qu'une image est vraie ou fausse. En outre ce n'est pas exactement cette conception de la vérité qui intéresse le linguiste : la vérité langagière est ce qui est vrai pour quelqu'un (Robert Martin). La vérité au sens de correspondance avec le réel passe au second plan par rapport à la vérité langagière. L'univers de croyance d'un locuteur est l'ensemble des propositions que le locuteur croit vraies, ou plutôt dont il sait qu'elles sont décidables ou pas. La notion d'univers de croyance est plus générale que celle de monde possible. Un univers de croyance est constitué de plusieurs mondes possibles. Une proposition appartient à un univers de croyance comme une proposition nécessaire, possible, impossible, etc. La notion très importante d' « image d'univers » s'applique à tous les cas où des modalités épistémiques sont impliquées (je crois que p ; il est certain que p). On parle d' « hétéro-univers » lorsque le locuteur envisage son propre univers dans un temps différent du temps de l'énonciation ou l'univers de quelqu'un d'autre (il croit que p ; je croyais que p).

Le paradoxe de la fiction narrative : une hypothèse logico-sémantique

(voir Pour une logique du sens, 1983, R. Martin. ch. 2). Martin réfute trois solutions : la vérité sans référence externe (Hamburger), la représentation sans dénotation (Goodman) et la théorie des actes illocutoires feints (Searle). Selon Martin, la faiblesse de la position de Hamburger est qu'elle néglige le fait que la fiction est apte à donner l'illusion de la réalité. Celle de Goodman est de dire que le nom propre d'un être de fiction ne dénote rien ; mais par là il néglige la présupposition d'existence véhiculée par les noms dans l'usage des langues naturelles. En ce qui concerne Searle, ce qui est feint ce n'est pas l'affirmation elle-même. Le concept de feinte est finalement coextensif du domaine de la fiction, et par conséquent dépourvu de pouvoir explicatif. Martin distingue les inexistants donnés pour tels et ceux qui appartiennent aux univers de croyance du locuteur. Les inexistants qui appartiennent à des images d'univers sont les êtres de fictions. Si le narrateur produit une image d'univers, cet univers de croyance possède un certain nombre de mondes possibles. Le narrateur génère des mondes possibles en émettant, par exemple, des hypothèses sur le destin des personnages. La fiction elle-même n'est pas un monde possible, mais un ensemble de mondes possibles. L'hypothèse de Martin permet de résoudre le paradoxe de la fiction.

Structure de mondes possibles dans la fiction comme ensemble d'images d'univers

Question qui reste à résoudre (non résolue par Martin) : l'illusion de la réalité produite par la fiction. Il se produit dans la fiction un phénomène d'illusion qui n'existe pas dans d'autres textes. On peut admettre que les mondes possibles seraient structurés par l'auteur à partir des images d'univers fournies par le narrateur et les personnages (Martin réduit cette possibilité au narrateur). Chaque personnage est en mesure d'évoquer plusieurs images d'univers. On peut donner au narrateur une fonction de régie, mais on peut aussi considérer qu'il n'exerce aucun privilège par rapport aux personnages, qu'il est une instance facultative (hypothèse que j'adopte). L'important est que chacun des mondes possibles peut être décrit dans le cadre d'une logique modale (constituée de propositions nécessaires, possibles, impossibles, contingentes). Il faut aussi prendre en compte les relations d'intertextualité et de transfictionnalité: certaines propositions appartiennent à d'autres univers de croyance. Un univers de fiction pourrait être structuré en mondes possibles et en univers de croyances. On peut dresser un inventaire des propositions explicites du texte, mais aussi implicites, comme l'a montré David Lewis.

Le site de la vérité dans la fiction

Lewis propose d'utiliser le préfixe « dans la fiction f », au moyen duquel les propositions fictionnelles deviennent décidables. Il convient de considérer l'acte de raconter une histoire comme s'il s'agissait de faits connus ou réels. On aboutit à « dans la fiction f, il est vrai que p » est vrai si et seulement si p est vrai dans tous les mondes possibles appartenant aux images d'univers véhiculées par f. En ne prenant que les propositions explicites de la fiction, on a un champ trop vaste et non pertinent. Lewis remplace la référence au monde actuel par la référence au monde des croyances collectives dans lequel la fiction est née, en retenant le principe de l'écart minimal. La question de la vérité est liée aux croyances de l'auteur et à celles de sa communauté d'origine, à la fiabilité du narrateur et aux conventions de la fiction. L'ensemble des mondes possibles M de la fiction f doit contenir l'ensemble des propositions explicites du texte, T, une partie de l'ensemble S des propositions décidables de la communauté d'origine de la fiction, S' ; l'ensemble des propositions impliquées par les conventions de la fiction, C. Chacun de ces ensembles comprend des vérités nécessaires, possibles, impossibles, contingentes. Il ne reste plus qu'à réintroduire la notion d'accessibilité, qu'on peut définir comme une relation d'inclusion : M' est accessible à M si M' est inclus dans M. S' est quasiment inclus dans M quand la fiction est réaliste. Cela explique que l'on peut apprendre quelque chose du réel à partir de la fiction. Mais le monde de la fiction n'est pas accessible à partir du monde réel. A partir de cette définition de l'accessibilité comme inclusion, on peut déterminer les propriétés de R : la relation R est réflexive, car un monde est inclus dans lui-même. Elle est non symétrique, car si M est inclus dans M', M' n'est pas inclus dans M. R est transitive. Ces propriétés décrivent une logique modale particulière : il s'agit du système S4 (Clarence Lewis). Si la relation d'accessibilité est une relation d'inclusion, qu'est-ce cela implique pour le possible dans la fiction ? Cela détermine le sens même du possible. La relation R ainsi définie exclut par exemple une conception de l'accessibilité comme concevabilité, car la relation ne serait plus transitive. Ainsi conçu, le possible de la fiction n'appartiendrait donc pas au modèle du concevable. Autre exemple : le système D est une sémantique à caractère non réflexif et sériel (modèle déontique) : le nécessaire est interprété comme obligatoire, le possible comme permis, etc. Dans ce système, R est sérielle (ce qui est obligatoire est permis) mais non réflexive. En effet, si R est réflexive (il est nécessaire que p implique p), cela donnerait : « Tout ce qui est obligatoire est effectivement réalisé », ce qui rendrait superflue l'existence de lois. Ainsi, les propriétés de la relation d'accessibilité conduisent à une notion particulière de possible. Le modèle S4 constitue la sémantique des logiques épistémiques et temporelles : on fait ainsi apparaître des rapports profonds entre connaissance, fiction et temporalité.

Fiction et plasticité doxastique

La fiction est apte à assouplir l'univers de croyance du lecteur ; cette analyse théorise la lecture comme rencontre d'univers de croyance différents (celui du lecteur, ceux de l'œuvre). Comprendre quelque chose de nouveau n'implique pas du tout, dans mon analyse, une meilleure compréhension de soi (herméneutique classique : Schleiermaier, Gadamer, etc.), mais plutôt une pure jouissance du comprendre (une dépense). La compréhension est en outre avant tout une aptitude à la non-compréhension, elle passe par l'acceptation d'une sorte de fragilité (perce^ption et acceptation des limites externes de mon comprendre actuel) pour l'accueil d'une altérité (hors du champ de la compréhension actuelle). Comment la fiction peut-elle avoir un impact sur le lecteur, alors qu'elle n'a pas de dénotation ? Deux arguments : 1) banalement, on peut dire que l'acceptation du fait fictionnel qu'implique l'acte de lecture est en lui-même apte à faire à faire suspendre au lecteur son propre univers de croyance. 2) Par certaines de ses structures, la fiction possède plus de saillance que le monde réel. Il y a un avantage cognitif de la fiction : on peut en effet répondre à la plupart des interrogations que pose la fiction dans son propre espace et pas à celles de la vie réelle. Certes la référence des êtres de fiction pose problème, mais pas plus (et même moins) que celle des êtres humains réels. Que désigne-t-on quand on désigne des humains réels ? leur corps, leur être social, leur esprit ? Cela a quelque chose d'abstrait, d'irréel (c'est pourquoi il y a des noms propres pour les êtres humains, qui permettent de référer sans passer par une description). En revanche, nous savons que les êtres de fictions sont des êtres de fictions : leur irréalité est « visible », patente, ou encore contractuelle. Les types de modifications de l'univers de croyance du lecteur peuvent être décrits : du possible à l'impossible, du nécessaire au possible, etc. C'est une liste finie. Comment une conversion modale peut-elle aboutir au nécessaire ou à l'impossible ? Ici interviennent des moyens stylistiques. On peut faire l'hypothèse d'une conversion de la saillance émotionnelle en généralisation dans les mondes possibles. On peut ainsi articuler l'ordre esthétique à celui des croyances, et justifier une fonction sociale de l'oeuvre d'art.

Dans le cadre d'une phénoménologie de la lecture, il serait toutefois impossible de se limiter à une logique modale stricto sensu, car il y a une grande différence entre le possible de la logique et le vécu phénoménologique. Dans une conception du possible logique, il est difficile de concevoir le réel autrement que comme un possible parmi d'autres, ce qui est inacceptable phénoménologiquement. L'infini du possible menace notre présence à la vie. La fiction, qui associe l'infini des possibles et la finitude de leur expansion, est certainement un lieu d'apaisement de cette angoisse.

Débat

F. Lavocat : Est-ce que tu pourrais préciser en quoi le modèle S4 est-il plus spécifiquement lié à la fiction ?

P. Monneret : Ce modèle est celui auquel on aboutit en définissant l'accessibilité comme inclusion. Cette définition de la relation d'accessibilité comme inclusion est articulée à la théorie des univers de croyance.

A. Duprat: En quoi consiste exactement le modèle S4 ?

P. Monneret : C'est le système K de la logique standard, plus les propriétés de réflexivité et de transitivité. On voit bien qu'une logique qui propose la réflexivité n'est pas acceptable pour une logique déontique par exemple. A vrai dire, on peut hésiter entre deux modèles : S4 et K4D. Cela implique une réflexion sur le point suivant : la fiction a-t- elle plus de rapport avec le savoir ou avec la croyance ? La réflexivité de R ne correspond pas à la modalité doxastique mais plutôt aux modalités épistémiques. La réflexivité de R est nécessaire pour ce qui est de l'ordre du savoir : si je sais quelque chose c'est que ce quelque chose est vrai. On peut facilement résoudre ce problème en précisant la relation d'inclusion et en la définissant la comme une relation d'inclusion stricte (qui exclut « X est inclus dans X »).

D. Ferrer : Vous définissez la relation d'accessibilité par une décision ?

P. Monneret : C'est en effet une décision. C'est à mon avis une erreur de partir d'un sens de la relation d'accessibilité ; il faut construire le modèle d'abord, puis définir la relation d'accessibilité en fonction de ce qu'on veut faire du modèle. Il faut éviter d'anthropomorphiser la relation d'accessibilité. La définir comme inclusion exclut certaines définitions de l'accessibilité.

F. Lavocat: Est-ce que ton analyse suggère que c'est la fiction réaliste qui se prête le mieux à ce type de démarche ?

D. Ferrer : Est-ce que dans votre schéma, l'ensemble S (ensemble des propriétés décidables de la communauté d'origine de la fiction) ne devrait pas déborder largement de M, l'ensemble des mondes possibles de la fiction, sinon la fiction est une encyclopédie totale.

P. Monneret: Le monde de la fiction est plus vaste que celui de la réalité car on part des univers de croyances déposés par l'auteur dans le texte.

A. Duprat : Quelle est la part de S qui reste dehors ?

P. Monneret : Ce serait la part de la réalité qui n'est pas nécessaire pour comprendre l'implicite de la fiction. Je ne parle jamais de la réalité matérielle.

S. Bréan : La partie de S extérieure à M, est-ce que ce n'est pas ce qui est désigné comme contrefactuel par la fiction ?

P. Monneret : Non. Il ne faudrait d'ailleurs pas trop insister sur ce schéma. La partie extérieure de S est tout ce qui est dans le monde réel dont on n'a pas besoin pour faire apparaître l'implicite de la fiction.

S. Bréan : Il n'y a pas d'opposition ouverte. Est-ce qu'il y a des connaissances inutiles pour interpréter le texte ?

P. Monneret : Oui, car il faut entendre « interpréter » au sens de faire apparaître l'implicite de la fiction.

A. Duprat : Est-ce que le schéma est modifié quand il passe dans une autre communauté ?

P. Monneret : Pas le schéma, mais le contenu des univers de croyance véhiculés par telle ou telle communauté.

D. Ferrer: Mais pourquoi dites-vous que cette analyse en termes de mondes possibles n'est pas pertinente pour des images ?

P. Monneret : On ne peut pas dire qu'une image est vraie ou fausse. On ne peut parler du vrai et du faux qu' au sujet de propositions.

G. Philippe: Mais si on considère qu'on tire d'un texte un contenu propositionnel, la logique ne s'applique pas à la fiction mais aux propositions sur la fiction.

P. Monneret : Je n'ai pas parlé de la pertinence du méta-fictionnel. Mais pour moi, la fiction n'est pas séparable d'un texte. Un énoncé en langage peut être apprécié en termes de vrai et de faux, mais cela n'est pas applicable directement à une image. Il faudrait fabriquer une logique spécifique pour les images.

D. Ferrer : Voir pourtant les débats nourris visant à déterminer si tels dessins de Canaletto sont des capricci (s'ils représentent des paysages fictionnels) ou des veduti (sont des représentations exactes de Venise) et dans le cas des veduti quelles distorsions Canaletto a appliquée pour faire apparaître un monument normalement invisible.

F. Lavocat: Mais je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas tirer un contenu propositionnel d'une fiction en image.

D.Ferrer : Il me semble qu il n'y a pas de problèmes à transposer ce que vous dites de la fiction romanesque à un film.

B. Guelton : Il y a deux systèmes descriptifs, mais c'est le même principe.

P. Monneret : Là, on a une vraie divergence. Tout mon travail consiste à scinder la sémiotique en deux : sémiotique communicationnelle et imaginale. Dans le langage, ces deux sémiotiques sont mêlées. Mais l'image a des propriétés que n'ont pas les textes et qui agissent sur nos croyances de façon très différente. L'efficience pathique des images est toute autre.

B. Guelton : Mais alors tout dépend de la façon dont on appréhende les images.

Maurice Toussaint : Et si dans le signe linguistique il y a de l'image ? Devant un texte fait de signes linguistiques tu te trouves un peu dans la même situation.

P. Monneret : On peut dire que tout ce qui valorise le signifiant dans un texte est de l'ordre de l'image. Mais il y a un ordre de représentation sémiotique et un ordre imaginal, qui sont mêlés dans les images comme dans les textes. Cependant, l'image a fondamentalement des propriétés sur l'esprit humain totalement différentes.

D. Ferrer : C'est vrai, mais au niveau où vous placez, celui de la fiction, cela n'a plus de pertinence; l'origine imaginale ou textuelle n'a plus de pertinence.

P. Monneret : Il reste qu'au plan strictement logique, on ne peut pas dire qu'une image est vraie ou fausse, dans le sens usuel (en logique) de ces termes.

S. Bréan : Quand on est face à un film, on ne peut pas représenter du faux. On est face à une propriété essentielle de l'image : elle ne peut pas représenter du rien, alors que le langage peut dire n'importe quoi. L'image, quoiqu'il arrive, a une présence.

P. Monneret : La définition de la vérité ne parle que de la vérité des énoncés.

A. Walfard : Dès qu'on voit un film ou un texte on construit un contenu propositionnel ; on les extrait du texte.

P. Monneret : Il y a trois cas : les propositions qui sont textuellement dans le texte ; les propositions du genre, puis des énoncés métafictionnels.

M. Sag : Mais « p » ne désigne pas l'oeuvre romanesque Mme Bovary.

P. Monneret : « p » peut être une proposition explicite ou implicite du texte.

D. Ferrer : Si vous admettez que « dans la fiction Madame Bovary » les propositions implicites « Emma a deux jambes et deux bras » ou « Emma aime rêver » sont vraies, bien qu'elles ne correspondent à aucun énoncé linguistique du texte de Flaubert, pourquoi n'admettriez-vous pas que « dans le tableau de Watteau » la proposition « le Gilles a les bras le long du corps » a une valeur de vérité comparable ?

P. Monneret : parce que dans le cas de l'image, il y a une opération mentale en plus, qui consiste à traduite la perception en une proposition. Cette opération est complexe. En revanche, dans un texte, vous êtes directement en contact avec des propositions.

S. Bréan : Le problème est surtout en termes de rapport à la plasticité doxastique, en terme de réaction. L'individu n'évalue pas la même chose face à une image et à un texte.

P. Monneret : Oui, cela met en jeu la question des lectures. Nos univers de croyance ne sont pas affectés de la même façon par les images et par le texte.


Philippe Monneret March 2nd, 2006.

Fiction and belief : Fictional possible worlds as factors of doxastic plasticity

What are we trying to do when we use modal logics to elaborate a theory of fiction? There are three possible operations: modelization (1) and conceptual transfer (2) (a local one, that is not based on a global analogy), both presuppose an ontological difference between the theory and the object it has to analyse. The application of a theory (3) presupposes an ontological homogeneity of the object and the theory. Robert Martin's theory of the subjunctive based on the theory of possible worlds, for instance, presupposes the existence of a semantico-logic component in language. Possible worlds may be conceived as a formalisation that is foreign to natural languages, but one might also think that they reveal properties that are instrinsic to language. Most of the applications of the theories of possible worlds to fiction are a matter of conceptual transfer, which makes them very vulnerable. A conceptual transfer is never true nor false, it is only efficient or not. The evaluation of transfer is based on the degree of technicity of the borrowing that is carried out. There is an immense difference of technicity between the idea of a non-specified world that could have existed differently and a set of sets structured by the relation of accessibility: the validity of conceptual transfer is all the weaker as there is a loss of technicity. I therefore rather belong to the framework of the application of the theory, as I admit that there is a logic in natural languages. Possible worlds of fiction, in this perspective, are not a matter of metaphor. What are the aspects of fiction as object that possible worlds theory is capable of describing? I postulate that possible worlds theory applied to fiction, in order to be the object of the application of a theory, must be linked to a universe of belief. From an ontological point of view, the reader and the fictional text are different, but they communicate. One of the vertues of fiction consists in its ability to modify the universe of belief of the reader, or to make it more flexible. The welcoming of fictionality presupposes the suspension of the universes of belief of the reader: it makes the set of beliefs finer, stronger, and modifies it.

Possible Worlds and accessibility relation. The definition of the concept of possible world by logicians follows the model of Kripke, which is composed of three elements: a set of possible worlds M, that is not empty, an accessibility relation R, which links them, a function of “valuation” (with any couple composed of a world M and a proposition P is associated a value of truth of P in M). In Kripke, the relation R is not specified, but it seems indissociable of the determination of a possible world of reference. Consequences: 1) Can be compared (but it is not compulsory) the accessibility relation and the idea of compossibility (i.e. worlds do not involve any contradiction). 2) The choice of the world of reference is quite free; in Kripke nothing forces you to take the actual world as world of reference; 3) the more knowledge the agent has the less possible worlds there are. Kripke's model consists in producing predictions (anticipating evolutions, etc.). Modal logics enable us to formalize “non monotonous” logics, that enable us to utter propositions like “p is generally true...” Modal logic enables a system to make conclusions even in the case of incomplete information. 4) In a set of given possible worlds, the accessibility relation is invariant. To modify or vary the accessibility relation comes down to changing the model. If a variation of the accessibility relation (of the “degrees of accessibility” for instance) is proposed, it no longer has anything to do with Kripke's model. What follows is an example taken from Kayser's Representation of knowledge (1997), which defines Kripke's model in an algebric way. The formula “it is necessary that p” is true in all possible worlds that are accessible from the world of reference. What can be deduced is that 1) the accessibility relation does not necessarily have to be defined in terms of compossibility; 2) the world of reference changes according to our judgments of possibility. 3) If a possible world exists from which no world is posible, everything is necessary in this world, but nothing is possible. Logicians call this kind of world “last worlds”. From the literary point of view, this kind of world in which everything is necessary but nothing is possible could be a good metaphor for the world of fiction. 4) We will not consider the work of fiction as a possible world, but as a set of possible worlds: there are numerous authorities in a work that form truth judgments (author, characters, and narrators).

The notion of universe of belief This theory presupposes that the notion of truth be used (see Davis Lewis). The concept of truth in contemporary logic lies within the scope of the “equivalence thesis” (Pascal Engle: “p is true” if the descriptive content of the proposition is fulfilled). In this conception it can only be a matter of question and not of image: it cannot be said that an image is true or false. Moreover it is not exactly this conception of truth that the linguist is interested in: the truth of language is what is true for someone (Robert Martin). Truth in the sense of correspondance to reality is relegated to a position of secondary importance regarding the truth of language. The universe of belief of a speaker is the set of propositions that the speaker thinks true, or rather those of which he knows whether they are decidable or not. The notion of a universe of belief is more general than that of possible world. A universe of belief is composed of several possible worlds. A proposition belongs to a universe of belief as a necessary, possible, impossible... proposition. The very important notion of an “image of a universe” applies to all cases in which epistemic modalities are involved (I think that p; it is certain that p). One can talk of a “hetero-universe” when the speaker considers his own universe in a different time than the time of the utterance of someone else's universe (he thinks that p; I thought that p).

The paradox of narrative fiction: a logico-semantic hypothesis (see Pour une logique du sens, 1983, R. Martin. Ch. 2). Martin refutes three solutions: truth without any external reference (Hamburger), representation without denotation (Goodman) and the theory of feigned illocutory acts (Searle). According to Martin, the weakness of Hamburger's proposition is that it neglects the fact that fiction is able to give the illusion of reality. That of Goodman is to say that the proper name of a fictional being does not denote anything; but he thus neglects the presupposition of existence conveyed by names in the use of natural languages. As for Searle, what is feigned is not the affirmation itself. The concept of feigning is finally coextensive to the domain of fiction, and consequently lacking in a power of explanation. Martin distinguishes the non-existent entities given as such and those belonging to the universes of belief of the speaker. The non-existent entities belonging to images of universes are fictional beings. If the narrator produces the image of a universe, this universe of belief possesses a certain number of possible worlds. The narrator generates possible worlds by putting forward hypotheses on the fate of characters, for example. Fiction itself is not a possible world, but a set of possible worlds. Martin's hypothesis enables us to resolve the paradox of fiction.

Structure of possible worlds on fiction as a set of images of universes A question remains to be solved (it isn't solved by Martin): the illusion of reality produced by fiction. A phenomenon of illusion that does not exist in other texts takes place in fiction. It may be admitted that possible worlds could be structured by the author from images of universes provided by the narrator and the characters (Martin reduces this possibility to the narrator). Each character is able to conjure up several images of universes. The narrator can be said to have the function of controlling it, but it can also be considered that he has no priviledge regarding characters, that he is an optional authority (the hypothesis that I adopt). What is important is that each possible world can be described in the scope of a modal logic (composed of necessary, possible, impossible, and contingent propositions). Relations of intertextuality and transfictionality must also be taken into account: certain propositions belong to other universes of belief. A universe of fiction could be structured in possible worlds and universes of belief. We could make an inventory of the explicit propositions of the text, but also the implicit ones, as shown by David Lewis.

The site of truth in fiction Lewis proposes to use the prefix “in fiction f”, thanks to which fictional propositions become decidable. We should consider the act of telling a story as if it were facts that are known to us or real facts. It leads to the fact that “in fiction f, it is true that p” is true if and only if p is true in all possible worlds belonging to images of universes that are conveyed by f. If we consider only explicit propositions of fiction, the field is too vast and not relevant. Lewis replaces the reference to the actual world by the reference to the world of collective beliefs in which fiction was born, bearing in mind the principle of minimal departure. The question of truth is linked to the beliefs of the author and those of the community he comes from, to the reliability of the narrator and the conventions of fiction. The set of possible worlds M of fiction f must contain the set of the explicit propositions of the text, T, part of the set S of the decidable propositions of the community the fiction comes from, S'; the set of propositions that are implied by the conventions of fiction, C. Each of these sets is composed of necessary, possible, impossible, and contingent truths. The only thing left to do is to reintroduce the notion of accessibility, which can be defined as a relation of inclusion: M' is accessible to M if M' is included in M. S' is almost included in M when fiction is realist. This explains that something real may be learnt from fiction. But the world of fiction is not accessible from the real world. Based on this definition of accessibility as inclusion, the properties of R may be determined: the relation R is reflexive, for a world is included in itself. It is non-symetrical, for if M is included in M', M' is not included in M. R is transitive. These properties describe a particular modal logic: it is the S4 system (Clarence Lewis). If the accessibility relation is a relation of inclusion, what does it entail for possibility in fiction? This determines the very meaning of possibility. The relation R thus defined excludes for instance a conception of possibility as conceivability, for the relation would not be transitive any more. Thus conceived, the dimension of possibility of fiction would not belong to the model of what is conceivable. Other example: the system D is a semantics with a non-reflexive and serial feature (deontic model): what is necessary is interpreted as obligatory, what is possible as permitted, etc. In this system, R is serial (what is compulsory is permitted) but non-reflexive. Indeed, if R is reflexive (it is necessary that p implies p), we would have: “Everything that is compulsory is effectively achieved”, which would make the existence of laws superfluous. Thus the properties of the accessibility relation lead to a particular notion of possibility. Model S4 constitutes the semantics of epistemical and temporal logics: we thus reveal deep relations between knowledge, fiction and temporality.

Fiction and doxastic plasticity Fiction is able to make the reader's universe of belief more flexible; this analysis theorizes reading as the encounter of different universes of belief (that of the reader, those of the work). To understand something new does not imply, in my analysis, a better understanding of oneself (classical hermeneutics: Schleiermaier, Gadamer, etc.), but rather a pure pleasure of understanding (an expense). Understanding is also most of all an ability to non-understanding, it works through the acceptation of a sort of fragility (perception and acceptation of the external limits of my actual understanding) for the welcoming of an otherness (outside the field of actual understanding). How can fiction have an impact on the reader, when it has no denotation? Two arguments may be considered: 1) quite simply, it might be said that the acceptation of the fictional fact that the act of reading implies is in itself able to have the reader suspend his own universe of belief. 2) In some of its structures, fiction is more outstanding than the real world. There is a cognitive advantage to fiction: one might indeed answer most of the questions that fiction asks in its own space and not those of real life. Of course, the reference to fictional beings poses a problem, but not more (and even less) than that of real human beings. What do we designate when we designate real humans? Their bodies, their social beings, their minds? There is something abstract and unreal to it (this is why there are proper names for human beings, as they enable us to refer without going through a description). However, we know that fictional beings are fictional beings: their unreality is “visible”, patent, or even counteractual. The types of changes of the reader's universe of belief might be described: from possible to impossible, necessary to possible, etc. The list is never-ending. How can a modal conversion lead to necessity or impossibility? Stylistic means play a part here. One might make the hypothesis of a conversion of the outstanding emotion into generalisation in possible worlds. The aesthetical order can thus be linked to that of beliefs, and a social function of the work of art justified.

In the scope of a phenomenology of reading, it would however be impossible to limitate oneself to modal logic in its strict sense, for there is a great difference between possibility in logic and phenomenological experience. In a conception of logical possibility, it is difficult to conceive reality as something else than a possibility amongst others, which is unacceptable phenomenologically. The infinite of possibility threatens our presence to life. Fiction, which links the infinite of possibilities to the finitude of their expansion, is certainly the place where this anguish fades away.



Philippe Monneret

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Dernière mise à jour de cette page le 30 Mai 2006 à 21h16.